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INRA Productions Animales, 2000, hors série Génétique moléculaire
L’effectif génétique d’une population dépend des
effectifs de reproducteurs, mâles et femelles, et
croît avec ceux-ci. Il dépend aussi du déséquilibre
des tailles de descendance. Lorsque les descen-
dances sont de tailles uniformes, chaque reproduc-
teur contribue de la même façon à l’évolution du
polymorphisme. A contrario, en cas de déséqui-
libre, les allèles portés par les reproducteurs les
plus féconds sont favorisés au détriment des autres,
et l’effectif génétique est plus faible.
A nombre égal de reproducteurs, en comparaison
de la dérive pure, la sélection modifie la structure
familiale et renforce le déséquilibre des tailles de
descendance. En effet, deux individus plus appa-
rentés entre eux que la moyenne auront des valeurs
respectives pour le critère de sélection se ressem-
blant plus que celles de deux individus pris au
hasard : ils auront donc plus de chances d’être
simultanément sélectionnés ou rejetés. La sélection
renforce ainsi l’apparentement entre les reproduc-
teurs sélectionnés, de même qu’elle renforce le
déséquilibre des tailles de descendance de leurs
parents : les «bons» parents ont des descendances
plus nombreuses, les «mauvais» parents des des-
cendances moins nombreuses. La sélection joue par
ailleurs sur la variabilité aux locus gouvernant le(s)
caractère(s) sélectionné(s), par l’induction d’un
déséquilibre d’association entre gènes, d’une part,
et par une tendance à la fixation des allèles «favo-
rables», d’autre part. Ces deux phénomènes vont
dans le sens d’une diminution de la variabilité, à
court terme pour le premier, à long terme pour le
second.
Les méthodes permettant de limiter la diminu-
tion de variabilité génétique sont bien connues
(voir, par exemple, Verrier 1992). La première
d’entre elles, de loin la plus efficace, est d’équili-
brer les tailles de descendance. La solution idéale
de ce point de vue consiste à retenir de chaque
père un nouveau mâle reproducteur et un seul et le
même nombre de nouvelles reproductrices, et de
chaque mère une nouvelle reproductrice et une
seule (choix intra-famille). D’autres méthodes plus
ou moins élaborées existent. Pour les races en
conservation, des schémas d’accouplement fondés
sur une subdivision en groupes de reproduction
ont été mis en œuvre et fonctionnent efficacement.
En cas de sélection, toute une série de méthodes
visant à trouver un compromis entre progrès géné-
tique immédiat et préservation de la variabilité ont
été proposées (voir Verrier et al 1994) : diminution
du poids de l’information familiale dans les indices
de sélection, restriction sur le nombre de pleins
frères-sœurs sélectionnés, sélection pour un critè-
re combinant valeur génétique et apparentement
moyen, etc.
2 / Les marqueurs comme outil
pour l’établissement et/ou le
contrôle de l’état civil
Comme cela vient d’être discuté, gérer la variabi-
lité des populations nécessite la connaissance de la
structure familiale et donc de la généalogie des indi-
vidus. Pour des raisons pratiques, dans certaines
situations, il n’est pas possible de contrôler les
unions et/ou d’établir l’état civil. Chez les mammi-
fères, c’est le cas, au moins pour les paternités, des
espèces sauvages et des espèces domestiques éle-
vées en système extensif avec plusieurs mâles de
monte naturelle dans un même lot de femelles. C’est
le cas des espèces aquacoles, pour lesquelles le seul
moyen d’établir les filiations est de maintenir dans
des bassins séparés les pontes des différents
couples, au moins jusqu’à l’âge où un marquage phy-
sique est possible, ce qui, outre le surcoût que cela
représente, a de fâcheuses conséquences pour
l’analyse génétique et la sélection (confusion des
effets «famille» et «bassin», absence de compétition
entre familles, etc).
L’efficacité des contrôles de filiation dépend du
nombre de marqueurs utilisés pour ces contrôles et
de leur polymorphisme. L’usage des microsatellites
permet de réduire le nombre de marqueurs pour
une même fiabilité (Amigues et al 2000, cet ouvra-
ge). Ces marqueurs permettent aussi d’établir les
filiations (assignation de parenté) lorsque, au lieu
d’avoir une quasi certitude quant à la maternité
(mammifères), on ne dispose que de la liste des
pères et des mères potentiels (espèces aquacoles).
Des études théoriques et par simulation (San
Cristobal et Chevalet 1997) ont montré l’efficacité
de la méthode, surtout lorsque l’on intègre dans les
calculs les probabilités de mutation et d’erreur de
typage. Sur cette base, des jeux de microsatellites sont
définis en vue de protocoles routiniers d’assignation
de parenté (Estoup et al 1998). De tels protocoles,
avec automatisation des typages par LABOGENA,
sont actuellement mis en œuvre chez le turbot (6
microsatellites) et sont en cours de développement
chez le bar et les salmonidés. L’objectif est de dis-
poser d’informations fiables quant aux généalogies,
afin d’appliquer au sein de populations sélection-
nées certaines des méthodes «classiques» de ges-
tion de la variabilité, l’aide des marqueurs étant
donc ici indirecte.
3 / Les marqueurs comme outil
de suivi de la variabilité
génétique
La disponibilité de marqueurs permet d’avoir une
mesure de la diversité des allèles et des combinai-
sons d’allèles, donc de la variabilité génétique aux
locus observés. Un premier indicateur est le nombre
total d’allèles pour un locus donné (richesse allé-
lique). Ce paramètre peut toutefois être sous-estimé
si le nombre d’individus typés est faible et le mar-
queur très polymorphe, les allèles rares ayant alors
très peu de chances d’être échantillonnés. A l’inverse,
il présente peu d’intérêt si le nombre maximal d’al-
lèles est par nature faible, comme pour les mar-
queurs de type RAPD (deux allèles). De plus, cet indi-
cateur ne tenant pas compte des fréquences, il donne
une vision incomplète des choses. Ainsi, plusieurs
indices fondés sur les fréquences alléliques ont été
proposés (pour une synthèse récente, voir Kremer
1995). Le plus utilisé a été généralisé par Nei sous le
nom d’indice de diversité. Il correspond à la probabi-
lité pour que deux gènes pris au hasard représentent
des allèles différents, et il est égal au taux d’hétéro-
zygotes (H) attendu sous les hypothèses de Hardy-
Weinberg. Selon la même approche, on définit le
nombre efficace d’allèles (Ae) comme l’inverse de la
probabilité pour que deux gènes pris au hasard repré-
sentent le même allèle. En un locus donné, compor-