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Conference 3 Maceio, Alliance française , N.Rouland
L’anthropologie française (notamment juridique)
Résumé : On commencera par examiner quelques grands noms de
l’anthropologie française, en incluant des développements sur l’anthropologie
juridique. Ensuite, on donnera des exemples russes et français d’expériences de
terrain, qui sont une des caractéristiques de l’anthropologie.
Partie I : Aperçus sur l’anthropologie française
A) Claude Lévi-Strauss au Brésil
B) Jean Malaurie et l’Arctique
C) L’anthropologie juridique française
Partie II : Les expériences de terrains
A) L’enquête de terrain en anthropologie sociale
B) Les expériences russes et soviétiques
C) Mes propres expériences
1) La tentation de Thulé
2) Voyages
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Partie I : Aperçus sur l’anthropologie française
Claude Lévi-Strauss est sans doute l’anthropologue français le plus connu ; son
séjour au Brésil a été une importante étape dans sa carrière.
Jean Malaurie est connu en France pour ses travaux sur l’Arctique.
Tous deux ne sont pas des juristes, ce qui nécessite de donner quelques aperçus
sur l’anthropologie juridique française.
A) Claude Lévi-Strauss au Brésil
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Claude Lévi-Strauss n’a que 27 ans quand il part pour le Brésil en 1935,
où il restera quatre ans. Il vient enseigner à l’université de Sao Paulo. Il le
fera en français, car le français est la seconde langue des brésiliens bien
éduqués. Claude Lévi-Strauss a toujours affirmé la dette profonde qu’il
avait envers le Brésil. Après la guerre, il n’y reviendra qu’une seule fois,
en 1985. Avec Georges Dumas, qui est le principal leader dans les
relations intellectuelles franco brésiliennes, la France souhaite approfondir
son influence au Brésil. Georges Dumas a effectué une vingtaine de
voyages au Brésil entre 1920 et 1938 et a notamment fondé à Sao Paulo
l’institut franco brésilien et le lycée franco brésilien. Lévi-Strauss y part
avec des auteurs français qui deviendront célèbres, comme Fernand
Braudel, Roger Bastide et Fernand Maugüe.
Fondée par un décret du 27 janvier 1934, l’université de Sao Paulo est
animée par une intention moderniste, et se veut la principale institution de
l’amitié franco brésilienne. Du côté brésilien, la fondation de cette
université correspond à diverses tentatives menées par les dirigeants des
vieilles familles de Sao Paulo pour reprendre l’initiative sur le plan
intellectuel. Elles ont en effet été éloigné du pouvoir pendant la
présidence de la République de Vargas. La famille Mesquita est
particulièrement active.
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Cf. Emmanuelle Loyer, Lévi-Strauss, Paris, Flammarion 2015.
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Ce contexte favorable à un accroissement de la présence française ne pose
pas moins certains problèmes à Lévi-Strauss et à ses amis. Celui-ci ne se
conçoit pas comme un ambassadeur de la France et à peu de goût pour les
mondanités. Ses collègues et lui n’ont pas envie d’être assimilé à
l’oligarchie pauliste et à son mode de vie aristocratique. En plus, Lévi-
Strauss est chargé d’enseigner la sociologie. Il diffère de ses collègues
brésiliens sur l’utilisation de cette discipline. Pour lui, elle donnera d’une
ment être l’auxiliaire de l’administration, mais une science à part entière.
Bientôt, Lévi-Strauss se trouve en conflit avec Georges Dumas qui écrit :
« Je suis empoisonné par la faculté de Sao Paulo (…). Lévi-Strauss
voudrait se faire créer une chaire d’ethnographie et fait ethnographie dans
ses cours. (…). Mon opinion est que Lévi-Strauss est un arriviste un peu.
Et que nous aurions bien fait de passer de ses services). En juillet 1936,
son cas est même évoqué en présence du président de l’université,
Antonio de Almeida Prado. Son contrat ne sera pas renouvelé en
décembre 1937.
Quel était la manière d’enseigner de Lévi-Strauss à Sao Paulo ? Il
demandait à ses étudiants d’aller enquêter dans les différents espaces de
cette ville, avec leur configuration sociologique. On était très loin du
cours magistral traditionnel.
L’anthropologue brésilien Egon Schaden témoigne ainsi :
« L’exposé n’était pas vie, mais les idées étaient toujours claires. Ce qui
était sur toutes admirables, c’était sa manière de faire travailler et faire lire
au moyen d’exposer, de séminaires et de discussions. Ce n’était pas
quelqu’un de connu, mais beaucoup de gens assistaient à ses cours ».
Dina, la première épouse de Lévi-Strauss, se met en contact avec Mario
de Andrade,grand poëte, animateur du Département de la culture de la
municipalité de Sao Paulo. Ce département a entre autres missions,
d’effectuer des recherches destinées à concevoir les politiques publiques
dans le champ de la culture et de la préservation du patrimoine historique
et artistique de la ville. Il va favoriser la mise en œuvre de la première
expédition de Lévi-Strauss sur le terrain indien. Ce dernier s’en sent plus
proche que de l’université.
À partir d’avril 1936, Dina donne un cours d’ethnographie à une
cinquantaine d’étudiants et de fonctionnaires municipaux dépendant de ce
Département. Elle y obtient un grand succès et secours donnent
l’impulsion à la création de la Société d’ethnographie et de folklore. Cette
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société va devenir un pôle intellectuel important de Sao Paulo, centré sur
l’ethnographie. La première expédition va s’effectuer chez les Indiens
Caduevo, pendant une quinzaine de jours. Le couple Lévi-Strauss est
frappé par le contraste entre la pauvreté de l’existence matérielle de ces
Indiens et la richesse de leur artisanat, notamment les peintures
corporelles que dessinent les femmes, jeunes ou vieilles.
Lévi-Strauss va aussi beaucoup retirer de sa visite chez les Indiens
Bororo, encore peu acculturés. Il en tirera une publication scientifique sur
l’organisation sociale, paru dans le Journal de la société des américanistes,
qui le fera connaître très favorablement.Curt Unckel, un ethnographe
allemand qui a adopté le nom indien de Nimuendaju, et qui est le meilleur
spécialiste des populations indigènes du Brésil pressent toute la dimension
intellectuelle culture de Lévi-Strauss.
En 1937, Lévi-Strauss va effectuer une seconde expédition, chez les
Indiens Nambikwara. Ceux-ci sont mal connus, et les sources les
concernant date des années 1910. Ces Indiens sont très pauvres et Lévi-
Strauss est déstabilisé par le peu d’attrait esthétique de la culture. Il est
tenté d’y voir des formes élémentaires de la vie sociale.
À partir de cette expérience, il établit une comparaison intéressante entre
les terrains américains et africains :
« Le matériel que moi-même et mes collègues trouvions en Amérique du
Sud étaient vraiment d’une autre nature que celui trouvé par nos
collègues africanistes, c’est-à-dire, des sociétés relativement grosses
d’une organisation sociale très compliquée, avec déjà des formes d’État,
des appareils juridiques, policiers. Tandis que les petites populations que
nous trouvions en Amérique du Sud nous mettaient en présence d’un type
d’expérience sociologique complètement différent. D’abord, il fallait les
chercher très loin, vaincre l’obstacle de la langue. Nous nous trouvions
un peu dans la position de l’astronome en face de corps très loin de lui et
dont il ne perçoit que certaines propriétés, les plus essentielles. Et puis
dans cette petite société, certains mécanismes (…), l’alliance, les règles
du mariage ou autres, apparaissaient au premier plan ».
Que dire des expériences de terrain de Claude Lévi-Strauss, fait étape qui
a toujours été présentée essentielle pour l’acquisition de la qualité
d’ethnologue ? Comme il le dit lui-même, il n’est pas à l’aise sur le terrain
dont il supporte mal l’inconfort.
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En 1988,Luiz de Castro Faria, qui avait participé à la seconde expédition
écrite ainsi :
« Cette expédition était le prix que Claude Lévi-Strauss a payé pour être
reconnu comme un véritable ethnologue. Mais comme on dit, il n’avait
pas le « physique du rôle ». Il avait des difficultés à communiquer et ça
l’ennuyait d’être aussi loin de la civilisation, de son confort. Il était
introspectif et silencieux (…) C’était un philosophe chez les Indiens ».
Pour lui, l’expédition, qui ne comporta que des échanges très limités dans
le temps avec les Indiens, fut un échec total.
Lévi-Strauss retourne Paris en mars 1939 et se sépare de Dina.
Par la suite, beaucoup de ses élèves du Laboratoire d’anthropologie
sociale seront des américanistes : Arlette Frigout (Arizona), Pierre
Clastres et Lucien Sebag (Paraguay), Robert Jaulin (Colombie), Jacques
Lizot (Colombie/Venezuela), Jean Monod (Venezuela), Simone Dreyfus-
Gamelon (Amazonie brésilienne), Carmen Bernand et Marina Le Clézio
(Mexique).
Quelques années après sa disparition, qu’est-il possible de penser de
l’œuvre de Claude Lévi-Strauss ?
Il avait fait des études de droit, dont il ne gardait pas un souvenir exaltant,
pour employer un euphémisme… pour réussir aux examens, comme il
s’en explique dans Tristes Tropiques, il suffisait de réviser quinze jours
avant les épreuves quelques fiches et de les apprendre par cœur.
Quand je l’ai rencontré au Laboratoire d’anthropologie sociale, j’ai essayé
de lui expliquer que les études de droit avaient beaucoup changé. Il m’a
dit que c’était possible, mais visiblement, il n’en était pas convaincu…
La critique principale qui est adressée à sa théorie structuraliste, est d’être
un intellectualisme, de surcroît dénué d’une portée réellement
métaphysique.
Un de ses assistants, Maurice Godelier, un des leaders de l’anthropologie
marxiste française, fait ainsi observer qu’il ne s’est jamais demandé si les
Indiens croyaient réellement à leurs mythes. Il lui reproche aussi d’avoir
basé ses théories exclusivement sur l’échange. Or, chaque culture possède
un noyau identitaire qu’elle ne veut pas fractionner dans l’échange.
Dina lui adresse en février 1963 une critique assez âpre dans le Mercure
de France, à laquelle il ne répondra pas : « Loin de constituer une «
science du sensible du concret », les fantaisies formelles des
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