Auteur de l’article : Diego Jiménez
Publié en 1985, cet album fait suite à l’empereur de Chine.
Je ne dirai que quelques mots de la trame elle-même pour remettre les évènements dans leur
contexte et parce que je n’entends dispenser le lecteur de cet article d’avoir à faire
l’acquisition de cet album par un résumé par trop exhaustif.
Je me limiterai donc à ceci : Alix et Enak sont invités par un sénateur dans sa maison de
campagne. Le but de cette invitation se révèle être la suivante : raccompagner le chef gaulois
Vercingétorix en Gaule.
LES LIEUX :
On voyage surtout en Gaule mais on visite assez peu de villes dans cet album qui prend
pourtant la forme d’une leçon d’histoire.
Massalia : Ancêtre de Marseille, cette ville fut colonisée et fondée par les Grecs phocéens
vers 600 av J.C. A l’époque d’Alix, ses habitants commirent l’erreur de soutenir Pompée dans
sa lutte contre César et la ville fut fédérée à l’empire, amorçant un déclin économique au
profit de Narbonne, la capitale de la Gaule romaine à l’époque. Ici on n’en voit que quelques
rues.
Arquelia : La ville dont Vanik, le cousin d’Alix est gouverneur. Son architecture fait penser à
celle d’une ville de type gréco-romaine ancienne alors qu’elle ne doit avoir que quelques
années. Il s’agit d’une ville fictive et je ne pense pas qu’en 51 av J.C, les villes gallo-romaines
aient déjà atteint ce niveau architectural sachant que la pacification au sens le plus strict du
terme s’est achevée en 48 av J.C. Dans le contexte, il serait plus probable que l’on se trouve à
Narbonne.
Alésia : Je pense que tout le monde a entendu parler d’Alésia. Vercingétorix s’y rend pour
son dernier combat et nous livre un récit poignant mais très subjectif de la bataille.
C’était un oppidum des Mandubiens qui a vraisemblablement été rasé jusqu’à hauteur du sol
car on n’en a retrouvé que des traces assez insignifiantes. Les fouilles entreprises sous
Napoléon III ont permis de situer le site dans l’actuelle commune de Alise Sainte Rheine en
Côte d’or mais il n’existe pas de consensus des historiens sur ce point.
On connaît le déroulement de cette bataille uniquement par César et ses Commentaires sur la
guerre des Gaules. Donc après l’échec de Gergovie, César entreprend une retraite, stratégique
selon lui, vers Genève. Vercingétorix attaque l’armée romaine à hauteur de Dijon avec sa
cavalerie mais essuie une défaite et doit se replier dans Alésia avec 80.000 hommes dont
12.000 cavaliers et autant de chevaux. Les romains sont 45.000 dont 10.000 cavaliers plus
20.000 Germains. Ne voulant pas s’arrêter en si bon chemin, Vercingétorix garnit les abords
de l’oppidum de toutes sortes de pièges et de pieux, ce qui va éviter à César d’avoir à le faire
lui-même. Les romains décident de faire le siège de la place qui les empêche d’atteindre
Genève et bâtissent donc un mur de 16km pour faire face aux assiégés et un autre mur de
21km pour faire face aux éventuels renforts, le tout entouré par un fossé de 4,5m de largeur et
de profondeur à peu près infranchissable.
Fortifications romaines d’Alésia
Construites en cinq semaines, ce travail mobilisa dix légions jour et nuit. Lors de l’attaque
finale les travaux étaient à peine achevés.
La bataille d’Alésia qui nous est contée dans cet album s’étend en fait sur trois jours que
Jacques Martin synthétise en un seul. Ayant une fois de plus échoué à briser le siège,
Vercingétorix renvoie sa cavalerie appeler des renforts. Ceux-ci arrivent six semaines après et
sont composés de pas moins de 250.000 Gaulois au sein desquels le nombre de cavaliers nous
est inconnu. Les Romains étant réduits à se battre à 1 contre 5, la victoire ne fait apparemment
pas de doute. Le premier jour la cavalerie gauloise charge, soutenue par des archers (oui il y
en avait contrairement aux dires de Vercingétorix dans cet album) et fantassins. Ca ne sert à
rien : César envoie sa cavalerie puis les Germains et les Gaulois sont dispersés. Toujours aussi
intelligents, nos ancêtres gaulois attaquent pendant la nuit (sans allumer de torche pour ne pas
avertir l’ennemi) et comme ils ne voient pas où ils mettent les pieds, ils se prennent dans
presque tous les pièges qui sont sur leur route. Les romains visent un peu au hasard car ils n’y
voient rien non plus et finalement au petit matin les Gaulois se replient à nouveau tandis que
Vercingétorix, ayant tenté de mettre en mouvement ses machines de siège, arrive après la
bataille. Le troisième jour, tout se déroule comme le conte Jacques Martin : les Gaulois de
l’armée de secours et les assiégés déclenchent une attaque générale sur les fortifications
romaines qui sous le nombre commencent à céder (ils se battent toujours à un contre cinq).
Une brèche est finalement percée dans la palissade romaine mais César amène lui-même sa
cavalerie et ses Germains derrière les attaquants qui sont donc pris à revers et massacrés.
Environ 60.000 Gaulois de l’armée de secours avaient pris part à l’assaut, le reste était en
réserve. Le beau-frère de Vercingétorix ayant été tué, les Gaulois se retrouvent désorganisés
et lorsque la cavalerie romaine attaque le camp de l’armée de secours c’est vraiment l’hallali.
Les Gaulois s’enfuient et se dispersent dans leurs cités alors que les Romains, passablement
exténués, renoncent à les poursuivre. Le lendemain Vercingétorix présente sa soumission et
70.000 combattants se rendent à une armée qui en compte au maximum 60.000… Ce qui
permet d’ailleurs à César d’attribuer un esclave gaulois à chaque légionnaire et de garder le
surplus pour lui. Quelques milliers de Gaulois sous Luctérius se réfugient dans un village du
Quercy nommé Uxellodunum et résistent aux romains jusqu’en 51 av J.C. César doit
finalement s’y rendre lui-même, cet épisode a d’ailleurs inspiré à Goscinny l’histoire
d’Astérix le Gaulois sauf qu’à la fin c’est César qui gagne.
Reddition de Vercingétorix par Robert Mc Bride
PERSONNAGES :
Cet album se caractérise par la profusion des personnages historiques.
Alix : Le personnage ne renouvelle pas vraiment son caractère mais prend une dimension
nouvelle. Il revendique sa citoyenneté romaine et renie en quelque sorte ses origines gauloises.
Il s’oppose également pour la première fois à César et à ses intérêts au nom de sa conception
de la Justice. Il accuse même celui-ci de cruauté « Crains général que l’histoire ne te juge sans
coeur ». Il a sans doute de l’amitié pour Vercingétorix sans quoi il n’aurait pas tenté de le
retenir de se jeter sur les lignes romaines. Alix est un personnage en rupture avec son époque,
on se demande comment il peut survivre dans ces eaux troubles de la politique. A part ça il
retrouve ses amis les loups rencontrés dans « Les Légions Perdues » et parle même leur
langue. Il rencontre aussi son cousin Vanik, très romanisé.
Enak : Fidèle compagnon d’Alix, il fait preuve du même courage que lui tout en se montrant
toujours plus humain, moins parfait, s’inquiétant par exemple de la durée de leur mission.
Je cite cette phrase très significative que Jacques Martin place dans sa bouche : « Alix, s’il
t’arrive d’être déraisonnable, lui (Vercingétorix) est complètement fou ». Force est de
reconnaître que lorsqu’il ne joue pas le rôle de talon d’Achille d’Alix, son rôle est celui de
double du héros.
Vercingétorix : Il s’agit bien sûr d’un personnage historique sur lequel cet album nous
apprend peu de choses, et pour cause : on ne le connaît que d’après les commentaires de César
sur la guerre des Gaules. Il n’existe aucune autre source écrite le mentionnant.
Cet homme naît donc en 72 av J.C en Auvergne, il est le fils du chef arverne Celtill qui fut
exécuté par son peuple pour avoir tenté de rétablir la royauté à son profit (les Gaulois avaient
une structure politique clanique, tribale et clientéliste qui s’opposait au principe de
transmission patrimoniale d’une terre et d’un peuple en héritage).
Millet (Aimé), Statue de Vercingétorix
Statue de Vercingétorix, commanditée par Napoléon III érigée le 27 août 1865 sur le mont Auxois à
Alise-Sainte-Reine, site supposé de la bataille d'Alésia. Le piédestal en granit de Saulieu a été dessiné
par Viollet-le-Duc. Les traits de Vercingétorix sont ceux de Napoléon III.
Il a peut-être servi comme officier dans les rangs des mercenaires gaulois qui formaient les
troupes auxiliaires de l’armée romaine et y a peut-être appris la stratégie romaine. Son nom
signifie « grand roi des guerriers courageux ». On ne sait absolument rien de sa vie avant qu’il
soit élu chef des armées gauloises par les druides réunis dans la forêt des Canuts en 52 av J.C,
la conquête de la Gaule ayant commencé en 58. Il pratique alors la tactique de la terre brûlée
c’est-à-dire qu’il ordonne la destruction systématique de toutes les infrastructures et biens se
trouvant sur la route des romains (oppidums, routes, gués, ponts, récoltes, habitations). Les
Bituriges ayant refusé de sacrifier leur capitale (Bourges), César parvint à s’en emparer et put
ainsi nourrir ses troupes. Les défenseurs eurent les mains coupés et les moignons calcinés
comme on le voit dans l’album. En 52 av J.C, Vercingétorix remporte la victoire sur César à
Gergovie par un coup de chance. César assiège cette place et sait que les Gaulois font leur
sieste à une heure donnée, il lance donc l’assaut sur un côté de l’oppidum gardé par une tribu
qui fait la sieste en début de journée. Manque de chance, le chef de cette même tribu étant
incommodé par les ronflements de ses colocataires était allé dormir plus loin et donna l’alerte
en voyant les romains arriver. Ce fut ensuite une grande pagaille : les romains chargent sans
ordre, les Gaulois font une sortie et les archers romains tirent sur les Eduens, leurs alliés, qui
du coup se retournent contre eux.
César parvient cependant à reprendre ses troupes en main et ne perd que 700 hommes, ce qui
est négligeable. Vercingétorix perd ensuite à Alésia dans les circonstances que j’ai décrites
précédemment puis il jette ses armes aux pieds de César, geste très dédaigneux s’il en est. Il
est ensuite emmené à la prison du Tullianum à Rome d’où il sort en 46 av J.C pour le
triomphe de César. Il est étranglé sans raison apparente quelques semaines après. Dans
l’œuvre de Jacques Martin nous avons un Vercingétorix très exalté, fier et orgueilleux mais
aussi très borné dans son refus de l’évolution de la Gaule et assez belliqueux. Il connaît
apparemment la composition des herbes médicinales. Rien ne permet de confirmer ou
d’infirmer cette affirmation de Jacques Martin car César ne nous dit pas si les druides
enseignaient leur art aux profanes et c’est comme toujours la seule source d’information. Très
courageux jusqu’à la témérité, il met en pièces plusieurs dizaines de romains dans l’une des
plus belles scènes d’action de la série et manque de tuer César auquel il voue une haine
irascible mais aussi une profonde admiration. Notons au passage que son apparence a
beaucoup changé depuis « Le Sphynx d’Or » où il était brun aux cheveux tressés. Il meurt
également dans cet album et encore une fois il n’existe pas de moyen de vérifier cette
information mais force est de reconnaître que son étranglement, alors qu’il pouvait encore
servir et que les prisonniers politiques étaient des esclaves très prisés, est assez suspect.
Pompée : Déjà apparu dans « Alix l’Intrépide », « Les Légions Perdues » et « Le Fils de
Spartacus », le voilà de retour, plus que jamais déterminé à mettre des bâtons dans les roues à
César. Je vais dresser un très rapide rappel des principales dates du personnage.
Il naît à Rome en 106 av J.C, son nom complet est Gnaeus Pompeius Magnus. Incarnation de
la Droite aristocratique romaine (son père a été consul avant lui), il se distingue très tôt par
son engagement politique et militaire. Il commande en effet trois légions durant la guerre
civile entre Marius et Sylla et combat les partisans du premier en Italie, en Sicile, en Afrique
et en Espagne, ce qui lui permet de faire son premier triomphe à Rome. Il parvient ensuite à
usurper à Crassus le mérite de la victoire sur Spartacus en arrivant à Rome avant ce dernier,
deuxième triomphe. Il est ensuite chargé de détruire les pirates de la Méditerranée et de
vaincre Mithridate Euphrator du Pont. C’est ce qu’il fait et il annexe la Syrie et Jérusalem
dans la foulée, doublant les revenus du Trésor. Ne parvenant pas à s’entendre avec le Sénat
qui refuse de lui permettre de distribuer les terres conquises à ses hommes (stratégie de
colonisation), il forme un triumvirat avec Crassus et César dont il épouse la fille Julie en 60
av J.C. Il peut alors faire son troisième triomphe à Rome. Bien que ses rivaux fussent éloignés
du pouvoir, il refuse de s’en emparer pour ne pas détruire les institutions républicaines
auxquelles il est attaché. Crassus mort en 53 av J.C et Julie l’année suivante, rien ne le lie plus
à César et pourtant il ne se proclame pas dictateur même après avoir mis fin aux conflits de
clans en Italie. Il laissera ainsi continuellement passer sa chance jusqu’au moment où César
passera le Rubicon et envahira l’Italie. Il commet encore une erreur en levant des troupes en
Grèce au lieu de rester à Rome où César entre alors. Battu à Pharsale en 48 av J.C il commet
la dernière erreur de sa vie en s’enfuyant en Egypte d’où il comptait se diriger vers l’Afrique
et l’Espagne où l’attendaient ses légions. Il est tué le 28 septembre 48 av J.C sur ordre de
Ptolémée XIII qui pensait ainsi se concilier César. Son fils, Sextus Pompée, continuera la lutte
jusqu’en 36 av J.C, date à laquelle il fut enfin vaincu par Agrippa, général d’Octave. Dans cet
album on retrouve bien son caractère républicain et légaliste : il présente César comme un
homme doué de grandes qualités mais dangereux pour la République car trublion et insoumis
aux directives du Sénat. Il libère Vercingétorix pour ennuyer son rival mais sera probablement
obligé de fournir un faux Vercingétorix à celui-ci pour éviter la guerre.
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