Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
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Le vent stellaire livre ses secrets
25/01/13
Les étoiles massives sont les maîtresses de la galaxie. Au moins dix fois plus grosses que le soleil, quatre fois
plus chaudes, et un million de fois plus lumineuses, ce sont elles qui façonnent l'univers stellaire. Pourtant,
on sait peu de choses d'elles. Yaël Nazé vient d'apporter une pierre supplémentaire à l'édifice de leur
compréhension. « Une pierre de Rosette » qui devrait permettre de mieux appréhender le phénomène des
vents stellaires, ces courants qui entourent les étoiles et qui projettent sans cesse de la matière dans l'espace.
Une découverte qui vient d'être publiée dans la revue Astronomy and Astrophysics.
Appelez-le Cyg. Cyg OB2#9, pour être complet. Un nom barbare ? En réalité, ce système stellaire est plutôt
bien loti, niveau patronyme. Certains de ses « voisins », là-haut dans l'univers, ont hérité de dénominations
bien plus difficiles à porter : HD 269810, LBV 1806-20, LH54-425 A + B, IRAS 05423-7120, NGC 3603 A1…
2MASS J00060337+6340467 1RXS J163352.2-480643 On en passe et des meilleures.
Comme son nom savant l'indique (pour ceux qui savent lire entre les lignes), CYG OB#9 fait partie de la
constellation du Cygne, en latin Cygnus. Une constellation qui, pour la petite histoire, doit son appellation à sa
forme de croix, en laquelle l'astronome Ptolémée, au IIème siècle, avait discerné la silhouette du grand oiseau
blanc. Les lettres « OB » font quant à elles référence à la catégorie d'étoiles principales du groupe (selon leur
type spectral), tandis que « #9 » indique tout simplement qu'il s'agit de la neuvième étoile de ce groupe.
Pendant longtemps, Cyg OB2#9 fut une étoile massive ordinaire. Ni plus remarquable, ni plus intéressante
que les autres, suscitant peu l'attention des chercheurs. Comme tous les astres appartenant à sa catégorie, il
est une dizaine de fois plus gros que le soleil. Beaucoup plus chaud, aussi : surface à 40 000 degrés Celsius,
celle de « l'astre de feu » ne dépasse pas les 5.500 °C. Et, par conséquent, un million de fois plus
lumineux ! Ne le scrutez toutefois pas dans le ciel une fois la nuit tombée : ce groupe d'étoiles se situant à
quelque 4 000 années lumières de la Terre, seuls de puissants télescopes sont capables de l'observer…
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Enfin, comme la majorité des étoiles massives, Cyg OB2#9 évolue en réalité en couple. Les deux astres
qui le composent (l'un étant légèrement plus volumineux que l'autre) tournent l'un autour de l'autre et -
sauf divorce rare mais pas improbable dans la galaxie - devraient passer toute leur vie ensemble. Mais ça,
même s'ils s'en doutaient fortement, les chercheurs n'ont pu le confirmer qu'en 2008, à la suite d'une longue
période d'observation dirigée par l'astrophysicienne Yaël Nazé, chercheur FNRS au sein du GAPHE (Groupe
d'astrophysique des hautes énergies ) de l'Université de Liège.
Collision ou pas collision ?
À l'époque, cette découverte fut un premier pas vers une meilleure connaissance de ce système stellaire.
Mais certaines zones d'ombre subsistaient encore. Principalement au niveau de la collision entre ses vents
stellaires. Tout au long de leur existence, les étoiles massives perdent en effet de la matière en permanence
et l'expulsent dans l'espace. Comme si elles étaient progressivement « pelées » par ces courants qui les
entourent. Des courants extrêmement puissants : ils atteignent une vitesse de plusieurs millions de kilomètres/
heure. À titre de comparaison, le vent solaire éjecte plus de cent millions de fois moins de matière, dix fois
moins vite en moyenne !
Puisque ces étoiles évoluent en couple et tournent l'une autour de l'autre en respectant une trajectoire précise,
les vents stellaires qui les accompagnent finissent un jour ou l'autre par se croiser, provoquant un énorme
choc. « Imaginez deux courants qui se rentrent dedans à dix millions de km/h !, décrit Yaël Nazé. Cela crée du
plasma très chaud. Cette énergie se transforme en chaleur et en gaz qui atteint plusieurs millions de degrés
et émet des rayons X. »
Du moins en théorie. Car, contre toute attente, Cyg OB2#9 semblait au contraire n'émettre aucun rayonnement
particulier dans le domaine X. Une énigme qui a fini par attirer l'attention des chercheurs. «On savait depuis
au moins cinquante ans qu'il y avait une anomalie, à cause du rayonnement radio. Mais personne ne s'y
était jamais penché. Nous avons décidé de suivre ce système pour savoir d'où venait cette bizarrerie, raconte
l'astrophysicienne liégeoise. Or, on s'est rendu compte que toutes les observations X dont nous disposions
avaient été prises lorsque les deux étoiles étaient assez éloignées l'une de l'autre. Il fallait donc trouver un
moment où elles seraient plus proches. »
La première « rencontre » fut observable en 2009. Pas de chance : le système était caché par le Soleil.
Puisque ce système stellaire possède une période de 2,4 ans, il fallut attendre juin 2011 pour de nouvelles
observations et mesures. Le temps nécessaire pour monter une grosse opération dirigée par Yaël Nazé
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pour l'ULg, mais réunissant également des chercheurs de l'université du Wyoming (États-Unis), de Leeds
(Angleterre), d'Australie et de l'Observatoire royal de Bruxelles.
Sous l'œil de la Nasa
Pendant plusieurs mois, les télescopes spatiaux XMM-Newton (Esa) et Swift (Nasa) ont régulièrement suivi
son évolution. « On a remarqué que l'émission de rayons X commençait tout doucement à augmenter ,
atteignait ensuite un climax lorsque les deux étoiles étaient les plus proches en provoquant une augmentation
spectaculaire de la luminosité du système puis commençait à diminuer lorsqu'elles s'éloignaient. » Soit une
trajectoire collant parfaitement à la théorie. « Peut-être même un peu trop bien, glisse-t-elle. Quand j'ai vu ces
résultats pour la première fois, je me suis dit que c'était presque trop beau pour être vrai. Mais après vérification,
c'était bien exact ! C'est le fait d'avoir observé les deux étoiles lorsqu'elles étaient les plus rapprochées qui a
permis ces observations et rend cela intéressant. » Les résultats de cette découverte viennent d'être publiés
dans la revue européenne Astronomy and Astrophysics (1).
En principe, la collision peut être de deux types: radiative (et donc turbulente et difficilement modélisable) ou
adiabatique « mais les collisions observées avaient tendance à ne pas le rester. » Troisième possibilité : l'un
des vents s'écrase carrément sur l'astre compagnon quand les objets sont proches, entraînant une chute de
l'émission des rayons X.
Tout le contraire de Cyg OB2#9, qui reste stable tout au long de l'orbite. « Nous pouvons désormais considérer
ce système comme un archétype pour étudier les caractéristiques de ces vents stellaires. Il nous servira de
pierre de rosette !, se réjouit l'astrophysicienne. Maintenant que l'on connaît toutes ses propriétés, on va
pouvoir s'en servir comme modèle de référence. Car si ça marche pour les simples, cela fonctionnera aussi
pour les plus compliquées ! »
Si les étoiles massives constituent une discipline de recherche relativement récente, l'étude des vents stellaires
est devenue une question importante. « Même si les étoiles massives sont plutôt rares et qu'elles ne vivent
"que" quelques millions d'années, ce sont elles qui dirigent tout. Pour comprendre la Galaxie, il faut les
comprendre. Cela fait à peine deux ou trois ans que l'on commence à concevoir la manière dont elles se
forment. Par ailleurs, la compréhension du phénomène des vents stellaires est cruciale car ceux-ci ont un
impact sur l'environnement stellaire. Ce sont eux qui, en expulsant de la matière, permettent de créer de
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nouvelles étoiles. » Ce sont également eux qui « sculptent » le milieu interstellaire et l'enrichissent d'éléments
lourds produits dans le cœur de ces astres lumineux. « Ces éléments peuvent contribuer à la vie, ajoute-t-elle.
Cela signifie que des éléments qui nous entourent ont été produits par les étoiles massives puis "amenés" sur
Terre. Pour que la Terre soit constituée, il faut trois générations d'étoiles. Celles-ci synthétisent les atomes
complexes: carbone, oxygène, uranium,… Les étoiles massives vont jusqu'à créer du fer en leur coeur (le
Soleil en reste au carbone). Elles occupent dès lors une place prépondérante à ce niveau. »
Trop de brouillard
Or comme les étoiles massives sont rares, il est assez difficile de récolter des informations à leur sujet. Par
exemple, pour une étoile possédant une masse comprise entre 60 et 120 masses solaires, il y en a 250
équivalant à une à deux masses solaires et 5.600 comprises entre un cinquième et un dixième de cette même
masse solaire. Vous suivez ? « Pour l'instant, on en connaît moins de 10 000, ce qui est très peu. Pour le
reste, on ne peut pas les observer, car il y a vraiment trop de brouillard dans la Galaxie ! » Autant dire que les
données obtenues par Yaël Nazé et son équipe se révèlent rares et précieuses.
Il faudra encore sans doute pas mal d'avancées technologiques pour pouvoir concevoir un télescope capable
de percer cette purée de pois galactique afin de mettre au jour de nouveaux astres lointains. En attendant, il
reste pas mal de boulot à effectuer pour connaître tous les secrets de Cyg OB2#9. Les recherches continuent
à ce sujet - l'étude de son rayonnement radio vient juste de se terminer, et son étude interférométrique est
toujours en cours - on combine le signal de plusieurs petits télescopes, afin de déterminer sa place, sa taille,
sa distance, etc. Objectif: connaître physiquement le système sous toutes ses coutures et encore parfaire la
compréhension des étoiles massives et de leurs vents stellaires. « Et puis ce sera la dernière étape : modéliser
le système. »
(1) The 2.35 year itch of Cygnus OB2 #9. I. Optical and X-ray monitoring, Y. Nazé, L. Mahy, Y. Damerdji, O.
Absil et al. , 2012, EDP Sciences, Astronomy and Astrophysics, vol. 546; id.A37, 14pp.
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