ZOOM | Benoît Carry | IMCCE, Observatoire de Paris
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34 L’ASTRONOMIE Mai 2015
CHEZ LES ASTÉROÏDES
les petits ont du poids !
L'ESSENTIEL
Depuis les années 1980, plus d'un demi-million d'astéroïdes ont écouverts et la
classe spectrale de plusieurs dizaines de milliers d'entre eux est disponible.
Les nouvelles connaissances accumulées contribuent à une histoire plus cohérente du
Système solaire, dans laquelle les planètes jouent un rôle important à cause de leurs
migrations sur des distances importantes, secouant au passage les astéroïdes, qui ne
restent pas en place. La ceinture principale est un pot-pourri des conditions qui
gnaient dans le Système solaire primitif.
Les modèles de migration planétaire mis en place (entre autres le modèle de Nice en
2005) se doivent d'être en accord avec la vue actuelle de la composition de la ceinture
d'astéroïdes, qui révèle une grande diversité de compositions.
Après avoir décrit cette évolution d'un Système solaire statique à un système
dynamique, l'article se conclut sur les nombreuses questions encore ouvertes, qui
seront peut-être mieux comprises en associant l'étude des asroïdes à celle des
exoplanètes.
Les vingt dernières années ont vu
l'explosion des découvertes d'exo-
planètes. Si celles-ci ont l'avantage
du nombre pour répondre à la
question de la formation des sys-
tèmes planétaires, notre Système solaire
reste une source unique pour la multitude
de détails pouvant y être observés. Depuis
deux siècles, depuis leurcouverte, les as-
roïdes sont considérés comme les rebuts
de la formation planétaire. Principalement
situés dans la ceinture principale entre Mars
et Jupiter (voir encadré 1), ils semblaient
s'être formés là où nous les trouvions.
Les premres études de leur surface mon-
trèrent que les asroïdes de la partie interne
de la ceinture principale rééchissaient da-
vantage la lumre et étaient plus rouges que
ceux de la partie externe, bleus et sombres
(voir encadré 1). Dans les années 1980, di-
vers groupes d'astéroïdes aux couleurs dis-
tinctes, se succédant en fonction de la
distance au Soleil, furent découverts (gure
1, étagère 1982). L'interprétation, basée sur
l'analyse en laboratoire destéorites asso-
ciées à ces groupes de couleurs, qui domina
depuis lors était que cet échelonnement était
le sultat d'une forte différence de temra-
ture à travers la ceinture lors de la formation
du Sysme solaire. Comprendre cette diffé-
rence portait la promesse de découvrir les
conditions qui régnaient lors de la formation
des plates.
Cependant, à travers la découverte de plus
d'un demi-million d'astéroïdes depuis les an-
nées 1980, l'ie d'un Système solaire statique
a éremplacée par une conception beau-
coup plus dynamique, où peu de choses se
trouvent elles se sont créées. Cette nou-
velle interptation était motie par la struc-
ture de la ceinture principale d'astéroïdes
résultant des migrations plataires. Ces der-
nières semblant néralisées dans les sys-
tèmes exoplanétaires, notre Sysme solaire
a certainement connu lui aussi des modi-
cations importantes de l'orbite des planètes,
et les modèles qui cherchent à en reproduire
la structure globale (les orbites des plates
géantes, Pluton et les objets transneptuniens,
et les astérdes troyens) comprennent tous
une phase de migration plataire.
En parallèle à ces avancées théoriques, de
nouvelles caractéristiques compositionnelles
de la ceinture principale étaient découvertes.
Celles-ci se montrèrent de moins en moins
consistantes avec la théorie classique. Au
but, seuls quelques astérdes « intrus »,
venant contaminer les groupes de couleurs
Les avancées de la dernière décennie dans la découverte et la
caractérisation des astéroïdes ont montré une structure complexe
inattendue, révélant le passé turbulent du Système solaire.
Les astéroïdes de la ceinture principale montrent, selon leur taille et leur
distance au Soleil, une diversité plus riche que pensée jusqu'alors. Cela
implique qu'ils ont été mélangés par des processus dynamiques très puissants
comme celui des «migrations planétaires».
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ZOOM | Chez les asrdes, les petits ont du poids !
1. les astéroïdes
dans le système solaire
On trouve des astéroïdes dans tout le Système solaire,
sous divers noms. On parle d'astéroïdes pour tous les
petits corps jusqu'à l'orbite de Jupiter, sous-divisés en
classes (géocroiseurs, Hungarias, de la ceinture
principale, Cybèles, Hildas, et enfin Troyens), de
Centaures lorsque leurs orbites croisent celles des
planètes géantes, et enfin objets transneptuniens au-
delà des planètes géantes (voir figures 2 et 3).
Afin de déterminer la composition des astéroïdes, nous
étudions la manière dont ils réfléchissent la lumière
(voir fig. 4 ci-dessous). Nous mesurons leur albédo
(quantité de lumière réfléchie) et leur spectre
(distribution de la lumière réfléchie suivant la longueur d'onde ou couleur) et les comparons
avec les albédos et spectres de météorites, obtenus en laboratoire. Les premières études ont
commencé par classer les astéroïdes suivant leur ressemblance, dans un schéma appelé
taxonomie. Les différentes classes, définies par la forme des spectres, sont labellisées S, C,
X, V… et correspondent à différentes minéralogies. La terminologie dastéroïdes dits rouges
et bleus est issue des premiers travaux, basés sur quelques filtres (c.-à-d. couleurs)
seulement et correspond aux classes actuelles S et C.
2. Différentes classes d'astéroïdes. Les
résonances avec Jupiter (aussi
appelées lacunes de Kirkwood qui, le
premier, les a mises en évidence) sont
clairement visibles. Le nombre
d'astéroïdes est indiqué par le code
couleur : du bleu au jaune.
3. Les différentes populations de petits
corps dans le Système solaire.
4. Principe de l'étude de la composition
des astéroïdes. La répartition de la
lumière (le spectre) réfléchie de
l'astéroïde dépend de sa composition.
En comparant son spectre avec ceux
des météorites obtenus en laboratoire,
il est possible de déterminer la
composition d'un astéroïde. Dans cet
exemple les météorites howardites-
eucrites-diogénites (HED) sont
associées aux astéroïdes rouges
(comme par exemple Vesta), qui
réfléchissent plus de lumière en rouge
qu’en bleu. À l'opposé, les météorites
primitives que sont les chondrites
carbonées (CC) sont associées aux
astéroïdes bleus, qui réfléchissent plus
de lumière à ces longueurs d'onde que
dans le rouge.
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36 L’AST RONOMIE Mai 2015
distincts et bien dénis, furent décou-
verts. Maintenant que les couleurs de plu-
sieurs dizaines de milliers d'astéroïdes
sont disponibles, nous pouvons voir que
ces intrus sont en ali la règle au sein
de la ceinture.
Aujourd'hui, les nouvelles connais-
sances accumulées sur la ceinture princi-
pale d'asroïdes, comprenant sa structure
orbitale et compositionnelle ainsi que les
processus dynamiques qui la sculptent,
contribuent à une histoire plus corente.
Les moles actuels prédisent que les pla-
nètes géantes ont migré sur des distances
substantielles, secouant les astéroïdes (qui
s'étaient formés partout dans le disque
protoplanétaire) comme des ocons dans
une boule de neige et les transportant
jusqu leur position actuelle dans la cein-
ture. La ceinture principale est donc un
pot-pourri de l'ensemble des conditions
qui régrent dans tout le jeune Système
solaire.
Néanmoins, les astéroïdes dits Hildas
ainsi que les Troyens psentent tous la
me composition, contrastant forte-
ment avec le lange psent dans la
ceinture principale. Toutes ces observa-
tions sont autant de clefs pourcouvrir
les différentes étapes de l'évolution du
Système solaire. Comprendre comment
s'est produit l'agencement des planètes et
les conditions qui ont permis la vie sur
Terre dénira le contexte pour compren-
dre la myriade de systèmes d'exoplates.
déCouverte
des premiers intrus
La répartition de la composition des as-
téroïdes, indiquée par la succession de di-
vers groupes aux couleurs allant du rouge
au bleu, impliquait qu'ils tendaient à
conserver leur environnement de forma-
tion initial, à savoir le gradient de tem-
rature et de composition présent dans le
disque au moment de la formation des
plates. Dans les années 1980, se basant
sur la comparaison avec les météorites, les
astronomes pensaient que les asroïdes
rouges qui peuplent la partie interne de la
ceinture étaient formés de roches magma-
tiques, et que les bleus de la partie externe
navaient subi que peu d'alration ther-
mique. Le  pour la décennie suivante
semblait être dexpliquer comment le gra-
dient thermique avait pu être si fort, créant
des corps si différents, de fondus à primi-
tifs, sur une distance d'une seule unité as-
tronomique (l’UA est très proche de la
distance Terre-Soleil, soit environ 150 mil-
lions de km).
Mais l’interprétation originelle de la
composition des astérdes rouges et bleus
était en alité erronée. Le retour d'échan-
tillons en 2010 de l'asrde rouge
(25143) Itokawa par la sonde japonaise
Hayabusa montra que si l'asrde avait
exrimen une phase de haute tempé-
rature, il restait tout de me primitif, en
opposition avec linterprétation antérieure
d'un corps suppofondu (car rouge).
Bien que les tendances observées sur la
composition et la température des as-
roïdes, de chauds à froids, restassent une
énigme, le gradient de temrature nétait
donc pas aussi drastique que ce que lon
imaginait.
Cette idée dune variation de temra-
ture avait été suggérée par la composition
des plus gros astérdes. Une fois la com-
position d'asrdes plus petitstermi-
née, les premiers intrus apparurent. Le
premier fut (1459) Magnya, un fragment
basaltique donc fondu à très haute tem-
rature identié en 2000 au milieu des
corps froids de la ceinture externe. Puis,
une poignée d'autres astéroïdes basal-
tiques furent trous dispers dans toute
la ceinture principale. Des astérdes pri-
mitifs furent aussi découverts dans la
ceinture interne, et des asroïdes rouges
jusque dans la ceinture externe. Même les
astéroïdes ferreux, pourtant vestiges des
noyaux de protoplates diérenciées qui
se sont formées dans le voisinage de la
Terre, se trouvent répartis sur toute la lar-
geur de la zone couverte par la ceinture
principale. Finalement, la découverte de
glace à la surface, ou sous forme de
plumes de vapeur, sur plusieurs astéroïdes
dont le plus gros, (1) Cérès, suggéra que
ces corps s'étaient formés bien plus loin
que leurs positions actuelles, derrière la
limite des glaces (distance au Soleil à par-
tir de laquelle la vapeur d'eau peut se
condenser sur les surfaces, à environ
5 UA). Au début, ces intrus semblaient
être le sultat d'une contamination par
quelques astérdes exotiques, mais il de-
venait bient clair que les groupes d'as-
térdes rouges et bleus identiés dans les
années 1980 étaient en réalité bien plus
étendus, se chevauchant, mettant à mal
l'idée classique, et un peu étriquée, d'un
Système solaire statique, gé depuis les
temps anciens de sa formation il y a
quelque 4,5 milliards d'années.
les astéroïdes:
pot-pourri du système solaire
Trois études centes ont permis de
dresser une nouvelle carte, radicalement
différente de la vue classique, de la distri-
bution minéralogique des astérdes plus
grands que 5 km : la termination de lal-
bédo (pouvoir rééchissant) de 150 000
2. Wise
Le télescope spatial Wise de la Nasa a é
lanen décembre 2009 et a observé le
ciel entier dans quatre longueurs d'onde
dans l'infrarouge jusqu'en septembre 2010,
quand saserve d'hydrogène liquide
nécessaire à son refroidissement s'est
épuisée. Durant cette mission, 158 000
astéroïdes, dont 34 000 découvertes, ont
été observés. Cette mission a fourni le plus
grand catalogue de diamètres et d’albédos
(capacité de la surface à réfléchir la
lumière) dastéroïdes à ce jour.
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Vue dartiste de WISE.
astérdes en utilisant les images du téles-
cope spatial Wise (encadré 2), la mesure
de la densité des différents types d'as-
rdes obsers via de nombreuses mé-
thodes (encadré 3), et la caractérisation de
la composition physico-chimique de plus
de 35 000 asroïdes obtenue à partir des
images du grand relevé du ciel, le Sloan
Digital Sky Survey (encadré 2).
Traditionnellement, cette distribution
était présentée comme la fraction relative
du nombre d'asroïdes de chaque type en
fonction de la distance. Mais maintenant
que nous comparons des corps dont le
diamètre va de 5 à 1 000 km, compter
simplement les corps fausserait notre in-
terprétation. En considérant la distribu-
tion de la masse des astérdes de chaque
type, cette vue est plus ne, moins biaisée.
Cela nous ouvre également la possibilité
d'étudier les variations de cette distribu-
tion avec le diamètre des corps.
Voici ce qui fut trou(gure ci-
dessous, étare 2014) :
Les types d'astéroïdes les plus
rares, tels les vestiges des croûtes et
manteaux (types V et A) de proto-
plates entièrement chauffés et fon-
dus, sont dispersés partout dans la
ceinture principale. Il n'est pas encore
clair si cela signie que leurs corps pa-
rents étaient omniprésents dans le Sys-
tème solaire interne, ou si ceux-ci se sont
formés près du Soleil et ont été injectés
plus tard dans la ceinture principale.
Des asroïdes dont la composition
ressemble à celle des Troyens de Jupiter
(type D) sont détectés jusque dans la cein-
ture interne où les moles dynamiques
ne prédisent pas leur psence. Contre
toute attente, certains de ces types D se
trouvent si près de Mars qu'aucun modèle
actuel n'est capable d'en donner une ex-
plication en liaison avec leur origine
troyenne.
La contribution de chaque type d'as-
téroïde change avec la taille de lobjet dans
chaque gion de la ceinture principale. Le
changement le plus spectaculaire est l'aug-
ZOOM | Chez les asrdes, les petits ont du poids !
3. la densité des astéroïdes
La densité indique la quantité de matière, la masse,
pour un volume don. C'est avec cette quantité
que l'on joue dans la question pge : « Qu’est-ce
qui est plus lourd : un kg de plomb ou un kg de
plumes ?» Ici, le plomb et les plumes ont
évidemment le même poids: 1 kg, en revanche,
la densité du plomb étant bien supérieure à celle
d'une plume (11 300 contre 20 kg/m3), le kg de
plume occupera un volume bien plus important. Pour
les asroïdes, conntre leur densité nous permet de
mieux cerner leurs différents compos. C'est grâce à la
publication de la densité de 300 asroïdes, montrant un lien
fort entre densité et classe taxonomique (encadré 2), que le nombre
d'asroïdes psent dans les catalogues a pu être converti en quantité de matre,
changeant notre vision de la distribution des compositions au sein de la ceinture.
1. Répartition des classes d'asrdes entre Mars et Jupiter. Avec le temps et les nouvelles observations, la structure simple obsere dans les années
1980 a éremplacée par une grande diversi dans les anes 2010. La taille des cubes indique l'importance relative des différentes classes.
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