Étude isocinétique des muscles de l`épaule de sportifs paraplégiques

Ann. Kin ésithér. ,1994, t. 21, n° 5, pp. 227-234
©Masson, Paris, 1994
Étude isocinétique des muscles de l'épaule de sportifs
paraplégiques
MÉMOIRE
P. L. BERNARD (1, 4), M. POCHOLLE (2), P. CODINE (3)
(1) Enseignant d'E.P.S., docteur en Sciences et Techniques des activités physiques et sportives, (2) M G.MK., kinésithérapeute chef,
(3) Médecin rééducateur, centre de Rééducationfonctionnelle de Fontfroide, rue de Saint-Priest, F 34100 Montpellier. (4) Laboratoire
«Sport Santé et Développement », UFR STAPS, 700, avenue du Pic-Saint-Loup, F 34090 Montpellier.
De plus en plus de recherches s'intéressent
au devenir fonctionnel des personnes traumati-
sées médullaires. En complément des études
de l'influence du handicap et des effets de
réglages du fauteuil roulant sur les réponses
à l'exercice musculaire, cette étude cherche à
déterminer l'influence du niveau neurologique
sur les couples et les puissances musculaires
de sportifs paraplégiques.
Deux groupes de six sportifs paraplégiques
de niveau neurologique différent (SPH et SPB)
et un groupe de 6sportifs valides (SV) ont
participé à un test d'évaluation isocinétique des
couples et des puissances développées par
l'articulation de l'épaule. Le test de flexion-
abduction/extension-adduction de type
concentrique-concentrique était effectué aux
trois vitesses de 60o/sec, 120o/sec et 2IOo/sec
sur le côté droit puis sur le côté gauche. Nous
avons retenu les variables de travail et de
puissance et complété cette analyse par l'étude
par la détermination du ratio agoniste/antago-
niste des muscles de l'épaule. Les résultats des
tests isocinétiques montrent que :
- les sportifs paraplégiques avec un niveau
neurologique inférieur à DIO (SPB), c'est-à-
dire avec une absence de muscles abdominaux
et de capacités de stabilisation en position
assise, montrent des valeurs de couples et de
puissances statistiquement supérieures et signi-
ficatives (p <0,001) que les sportifs para-
plégiques de niveau dorsal haut (SPH) et que
les valides,.
Tirés à part: M. POCHOLLE, à l'adresse ci-dessus.
- le niveau neurologique et la propulsion
en fauteuil roulant ont une influence sur
les puissances musculaires isocinétiques déve-
loppées par la ceinture scapulaire. La compa-
raison entre SPH et SPB durant les mouve-
ments d'extension montrent en effet des
différences significatives de travail maximal
par répétition (p <0,001), de travail total
(p <0,001) et de puissance (p <0,01),.
- la propulsion en fauteuil roulant entraîne
un développement musculaire spécifique pour
les paraplégiques en fauteuil roulant qui
disposent de leurs capacités d'équilibration et
de stabilisation en position assise,.
- pour le ratio agoniste/ antagoniste, les
trois paramètres de travail maximal par
répétition, de travail total et de puissance,
montrent leplus souvent des valeurs comprises
entre 30 %et 40 %, voire même inférieure à
30 %dans certaines conditions de test. Ces
rapports sont observés chez les trois groupes
de sujets et correspondent à un déséquilibre
des muscles de l'articulation de l'épaule et à
un facteur favorable au développement de
douleurs et de traumatismes. Nous pensons
que de futures recherches devront nécessaire-
ment approfondir les connaissances des capa-
cités fonctionnelles des personnes traumatisées
médullaires et les facteurs favorables à la
prévention des risques liés aux pratiques
intensives en fauteuil roulant.
Cet article a fait l'objet d'une communication orale au colloque
«Sport et Handicap physique», organisé par l'UEREPS de Lille
et la fédération française Handisport, les 27 et 28 mai 1993, à Lille.
228 Ann. Kinésithér., 1994, t. 21, nO 5
Introduction
L'orientation des paraplégiques vers des acti-
vités physiques et sportives adaptées àleurs
potentialités physiologiques, nécessite la con-
naissance approfondie de leur comportement
lors de situations dynamiques. Cette recherche
des conditions optimales de pratiques et de
prévention des risques traumatiques, passe né-
cessairement par l'évaluation d'un ensemble de
facteurs fonctionnels caractérisant chaque
individu.
En effet, si les activités physiques et sportives
poursuivent en principe des objectifs de santé
et de bien-être, elles peuvent involontairement
déboucher sur l'apparition de traumatismes.
Parallèlement aux études menées sur les techni-
ques de propulsion et l'influence des réglages (2,
4, 5, 15, 16, 18) et sur les réponses métaboliques
lors du déplacement en fauteuil roulant (6, 8,
13, 19), des études sont réalisées sur le devenir
fonctionnel des traumatisés médullaires. Une
partie de ces recherches s'intéresse aux risques
que représentent les déplacements quotidiens en
fauteuil roulant et les transferts, indissociables
des activités quotidiennes. Des travaux ont fait
part des douleurs et des signes cliniques de
traumatismes qui affectent ces populations (3,
17, 21). De par leurs anatomies et les sollicita-
tions intenses auxquelles ils sont soumis, le
rachis cervical et la ceinture scapulaire sont des
régions particulièrement exposées aux complica-
tions (9, 14, 20).
lrvine et al. (1965) mettent en évidence une
fréquence plus élevée des douleurs cervicales et
scapulaires chez des personnes blessées médul-
laires que chez un groupe de sujets témoins
valides et ce pour chaque tranche d'âge.
Hauptmann et Littmann (1987) présentent
l'épaule comme le complexe articulaire le plus
exposé lors de la propulsion en fauteuil roulant
et observent des lésions tendineuses et des
ruptures de la coiffe des rotateurs. Gellman et
al. (1987) ont effectué une enquête auprès de 84
paraplégiques et dénombrent 67,8 %douleurs
des membres supérieurs et 30 %douleurs lors
des transferts. Ils notaient par ailleurs que ces
douleurs augmentaient avec l'ancienneté de la
paraplégie. Bayley et al. (1987) ont étudié un
groupe de 94 personnes ay2.il: lliJe paraplégie
complète. 31 personnes présèmG.Ïemdes dou-
leurs lors des transferts et 23 d'entre elles
souffraient d'un conflit acromio-huméral et
d'une atteinte de la coiffe des rotateurs. Enfin,
Nadeau et al. (1986) ont réalisé une enquête
auprès de 65 sportifs de haut niveau en fauteuil
roulant et déterminé que 49 d'entre eux présen-
taient des douleurs sus-lésionnelles contre seule-
ment 25 %chez les non-sportifs.
Il nous a donc semblé intéressant d'évaluer
l'adaptation àlong terme des capacités physi-
ques des paraplégiques à travers l'étude des
puissances musculaires isocinétiques dévelop-
pées par les membres supérieurs et la ceinture
scapulaire. Ce travail doit permettre de détermi-
ner d'une part si les paraplégiques de niveau
dorsal haut développent des puissances mus-
culaires significativement supérieures aux autres
groupes afin de compenser la réduction des
masses musculaires du territoire sous-lésionnel.
D'autre part, elle doit déterminer si la propul-
sion quotidienne en fauteuil roulant entraîne un
développement musculaire spécifique des spor-
tifs en fauteuil roulant.
Matériel et méthode
POPULA nON
Notre population d'étude est composée de trois groupes
(tableau 1) :
- Un premier groupe de six paraplégiques de niveau
lésionnel situé entre la quatrième et la huitième vertèbre
dorsale. Ces personnes sont licenciées au Montpellier Club
Handisport (M.C.H.) et composaient le groupe des
«Sportifs Paraplégiques Haut », nommé SPH.
- Un second groupe de six paraplégiques de niveau
neurologique situé entre la onzième vertèbre dorsale et
la cinquième vertèbre lombaire. Ces six « Sportifs
Paraplégiques Bas », pratiquant en fauteuil roulant au
sein du M.C.H., seront appelés SPB.
- Un troisième groupe « témoin », composé de six
« Sportifs Valides », sera nommé SV.
MATÉRIEL ET PROTOCOLE
L'isocinétisme est une méthode de travail et d'évalua-
tion dynamique de la force musculaire permettant
Ann. Kinésithér., 1994, t. 21, nO 5 229
TABLEAU 1. - Caractéristiques anthropométriques et neurologiques des trois groupes de populations.
SPH âge (an)
poids (kg)
taille (cm)
niveau
lésion
troubleaccident
sport
R.F.
3055170T5
complète
spastique
1983basket
A.T.
29
60170T4-T6
complète
spastique
1983
tennis
B.A
3171
185
T4
complète
spastique
1978tennis
R.P 3366
177T8
complètespastique
1980
tennis
CL
3055168T5
complète
spastique
1983tennis
R.A
3770178T5
complète
spastique
1986tennis
m
31.6
62.8174.6
sd 2.947.19
6.50
SPB
âge (an)poids (kg)
taille (cm)
niveau
lésion
troubleaccident
sport
B.P
2770180
L3
incomplète
flasque
1984tennis
B.L
3053
163
Tl2
incomplètespastique
1978
tennis
G.S
24
63
170Tl2
complètespastique
1988tennis
B.S
2978184Tl1
complètespastique
1980
racmg
G.M 2870182Tl2
complète
flasque
1988tennis
N.E
3277178
Tl2-Ll
complète
flasque
1988
basket
m
28.3
68.5176.1
sd 2.739.35
8.06
SV
âge (an)poids (kg)
taille (cm)
sport
v.G
1760175tennis
N.G 2180191tennis
B.C 21
68176tennis
J.D 27
60165tennis
CD 2470179
tennis
CR 28
65173tennis
m
23
67.1
176.5
sd 4.14
7.498.52
d'obtenir, grâce à une résistance auto-adaptée, une
contraction musculaire maximale à vitesse constante, sur
une amplitude choisie (partielle ou totale) d'une
articulation.
Pour la détermination du couple de force développé
par les membres supérieurs à partir du dynamomètre
«Biodex », chaque sujet était installé sur le siège mobile
d'évaluation isocinétique. Les paraplégiques effectuaient
un « transfert » de leur fauteuil roulant vers celui-ci.
Une fois sanglé, chaque sujet était placé parallèlement au
dynamomètre, selon un angle de 15° tandis que 10 cm
séparait l'acromion de l'axe de rotation du levier. L'axe
de l'articulation du sujet était aligné avec l'axe de rotation
de la machine. L'enregistrement du débattement arti-
culaire de l'articulation de l'épaule ainsi que la détermina-
tion de poids du membre supérieur concluaient la
préparation au test. Une période d'une minute à l200/sec
permettait à chaque participant de s'échauffer et de se
familiariser avec le matériel (fig. 1).
Le test de flexion-abduction (F-ABD)/extension-adduc-
tion (E-ADD) de cette articulation débutait par l'évalua-
tion du côté droit (D) aux trois vitesses de 600/sec,
l200/sec et 2100/sec àlaquelle succédait le travail du
côté gauche (G) après une nouvelle installation du sujet.
Les acquisitions à vitesse lente (600/sec) et à vitesse
moyenne (1200/sec) étaient réalisées sur la base de
5 répétitions tandis que l'acquisition à vitesse rapide
(2100/sec) comprenait 10 répétitions. Une répétition
correspond aux deux mouvements inverses de flexion-
abduction/extension-adduction. Après une série de répéti-
tions à une vitesse donnée, chaque personne bénéficiait
d'un temps de repos toujours compris entre l minute et
1,30 minute puis de deux répétitions de familiarisation
et d'ajustement à la vitesse suivante.
Nous avons retenu les quatre paramètres du pic de
couple (PC), de travail maximal par répétition (TMR),
de travail total (TT) et de puissance (P) et complété cette
analyse isocinétique par le calcul du rapport des puis-
sances développées par les muscles agonistes et antago-
nistes de l'articulation de l'épaule. Les muscles agonistes
et antagonistes correspondent respectivement aux muscles
fléchisseurs-abducteurs-rotateurs externes et extenseurs-
230 Ann. Kinésithér., 1994, t. 21, n° 5
adducteurs-rotateurs internes. Ce rapport reflète l'équili-
bre dynamique entre des groupes musculaires antagonistes
et représente l'un des rapports essentiels de l'isocinétisme.
ANALYSE STATISTIQUE
Les valeurs des différents paramètres mesurés ont été
exprimées par leur moyenne +leur écart type. Une
analyse de variance à deux facteurs a été retenue pour
la comparaison des trois groupes de sujets lors des douze
conditions de tests. Les différences étaient considérées
significatives lorsque p <0,05.
Résultats
De
grandes
différencesde
pIC
de
couple
existent entre les trois groupes de populations(p <
0,001).
Lors de l'analyse détaillée des
résultats, nous observons des différences signifi-
FIG.
1. - Installation du sujet lors du
test d'abduction-
catives (p
<
0,001) de pic de couple entre les
jlexion/adduction-extension de l'épaule.
SPH et SPB ainsi qu'entre les SPH et les SV
160
1000
140 800
120 ~
~I~
~lrrn 1!
100
600
E80 E
:z: :z:
60
,,; •• ~'. ','ô400
40 200
20 00
0(5
0
(5
0
'-"
=
(5
=
'-"
=(5 ='-"
0
(5
=(5
=
(5
=
'-"=
C)
w..:
w..:
WLW
w..:
w..:
WLW
w..:
w..:
LW
LW w..:
w..:LW
LWw..:
L...LW
W
w..:w..:w~,
00
0
000
0
000
0
0 00
=0000=0
0
00
'-0 CD
'-0
'-0
~~
~
~~
~
~
~cD
cDcDCD
~~~~
~
~~~
ASERIES C
SERIES
140
160
140
120 120
100 100
E
80 5
80
:z: 60 60
Yi
40 40
20 20
00
00
C)
0C)
0
(5
0C)
0
(5 0C)0(50C)0(50co0co
w..: ~
LW
LWw..:
w..:W
LW
w..:
w..:
ww..:
w..:wWw..:w..:
w
w
w..:w..:ww
~
co
=
===
co ==
=
=0
0
coco==00=000
<.0 cD
cD
~
~~~
~
~~~ cDcD
co
co
~~
~
'"
BSERIES D
SERIES
SPH 0SPB
~ SV
FIG 2. - Valeursde couplesde/orce et depuissance développéeslorsdu testdejlexion-abduction-rotation externe/extension-adduction-
rotation interne de l'articulation de l'épaule (A :valeurs de Pic de Couple. B :valeurs de Travail Maximal par Répétition.
C : valeurs de Travail Total. D :valeurs de Puissance).
(p <0,008) (fig. 2A). Lorsque nous compa-
rons le pic de couple développé en flexion-
abduction-rotation externe (agoniste) et en
extension-adduction-rotation interne (antago-
niste) (fig. 3A), nous observons que les SPH
atteignent en flexion, sur la moyenne des deux
côtés droit et gauche, aux trois conditions de
vitesse (60-120-21Oo/sec), 51 %, 72 %et 62 %
des pics de couple développés en extension. Les
SPB atteignent respectivement aux mêmes
conditions des valeurs de 65 %, 72 %et 65 %,
tandis que les SV obtiennent des valeurs de
72 %, 76 %et 75 %.
Nous observons des différences significatives
de travail maximal par répétition entre les trois
groupes de populations (p <0,001). Lors de
l'analyse détaillée des résultats, nous observons
des différences significatives (p <0,001) de
travail maximal par répétition entre les SPH et
SPB mais pas entre les SPH et les SV
(p <0,73). Les sportifs paraplégiques bas
(SPB) sont les plus performants aux trois vitesses
dans les quatre conditions de tests (fig. 2B).
Lors de l'étude du ratio agonis te/antagoniste
nous observons chez les SPH des valeurs de
27 %, 29 %et 30 %. Dans les mêmes condi-
tions, les SPB obtiennent des valeurs de 33 %,
40 %et 39 %tandis que les SV réalisent 33 %,
32 %et 43 %(fig. 3B).
En ce qui concerne le travail total, nous
mesurons des différences significatives entre les
trois groupes de populations (p <0,001). Lors
de l'analyse détaillée des résultats, nous obser-
vons des différences significatives (p <0,001)
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