Centenaire de la SPE – Conférences 214
S. de La Rocque & J. A. Rioux
En dépit de ces références, nombreux sont encore les discours
partiels, qui élaborent sur les figures emblématiques comme
ces courbes de températures moyennes de la terre pour le pro-
chain centenaire. Pourtant, on sait que les systèmes physiques
et les mécanismes impliqués sont extrêmement complexes et
imbriqués, que les impacts vont être très différents sur les
différentes parties de la planète et que c’est par exemple dans
les dérèglements des rythmes plus que dans l’évolution des
moyennes qu’il faut attendre les plus grandes surprises.
Tout aussi complexes à appréhender sont les impacts possibles
de ces changements sur les traits de transmission des pathogè-
nes et donc sur l’épidémiologie des maladies. Les changements
de paramètres climatiques peuvent être déterminants, mais de
nombreux autres facteurs interviennent, pour la plupart liés
à la globalisation et à l’empreinte humaine sur l’environne-
ment. Pourtant le climat est souvent d’emblée incriminé, et là
aussi, les raccourcis sont nombreux. Lorsque, dans le sud de
la France, nous interrogeons dans la rue nos contemporains
sur les maladies qui présentent le plus grand risque d’exten-
sion en Europe, 95 % d’entre eux nous citent spontanément
le paludisme. Le taux est à peine moindre dans une audience
d’universitaires en médecine. Lorsque nous leur expliquons
l’histoire de cette maladie en Europe, l’abondance d’anophè-
les compétents et la qualité des services de santé publique
capables de reconnaître et de traiter les cas importés, alors,
naturellement, il devient évident que le risque est quasiment
inexistant. Ce n’est évidemment pas le cas dans d’autres parties
du monde.
Il y a donc un véritable besoin de réfléchir sur l’histoire natu-
relle et l’épidémiologie des maladies, et des changements que
l’on peut attendre dans leur fonctionnement lorsque les con-
ditions climatiques évoluent. La tâche est compliquée lorsque
ces maladies émergent dans des écosystèmes nouveaux, où
leur écologie est inconnue. HUGUES (21) a décrit l’impact du
changement climatique sur les animaux et les plantes en :
– effets sur la physiologie, le métabolisme ou les dynamiques
de développement ;
– effets sur les répartitions géographiques ;
– effets sur les chronologies et les cycles de vie ;
– effets sur les évolutions, en particulier pour les espèces à
courtes générations et à taux de reproduction élevés.
Ces effets s’appliquent également à la fois aux pathogènes et
à leurs vecteurs, comme nous le décrivons ici (à l’exception
du quatrième point concernant les pressions évolutives, qui
est plus particulièrement abordé dans (9)).
Effets sur les dynamiques de dévelop-
pements
Understanding vector capacity is the key to understan-
ding disease dynamics (28).
Les paramètres dits abiotiques (notamment la température et
l’humidité) sont connus comme étant déterminants pour la
dynamique des maladies infectieuses dont un stade de déve-
loppement se réalise en dehors de l’hôte définitif (dans l’en-
vironnement, dans un hôte intermédiaire ou dans un vecteur
poïkilothermes). De nombreux parasites, virus ou bactéries
ne se multiplient plus en dessous d’un certain seuil de tem-
pérature et, au-dessus de ce seuil, la cinétique est étroitement
corrélée avec ce facteur (37). En conditions expérimentales, 26
jours sont nécessaires à Plasmodium falciparum pour réaliser
son cycle dans un anophèle maintenu à 20 °C, mais, à 25 °C,
13 jours suffisent (15). En conséquence, pour un pathogène
transmis par un arthropode vecteur, lorsque la durée de déve-
loppement dépasse la durée de vie du vecteur, la transmission
biologique ne peut être assurée.
Les facteurs abiotiques affectent les dynamiques de popula-
tions des insectes vecteurs et donc leur abondance. Un accrois-
sement de la température ambiante augmente la prolificité, le
taux de survie journalier, le nombre de générations annuelles
et réduit les durées larvaires et nymphales. Il augmente éga-
lement l’activité et la fréquence des repas sanguins, facilitant
alors la transmission des maladies vectorielles. (42). Il faut
noter que les seuils de températures létaux varient selon l’hu-
midité, en relation avec les capacités de thermorégulation et
les réserves lipidiques de l’insecte (29).
Enfin, il a été montré que l’augmentation de la température
accélérait la multiplication de certains pathogènes à l’inté-
rieur des arthropodes vecteurs et pouvait même augmenter
la capacité vectorielle d’espèces jusqu’alors décrites comme
inoffensives (54). La compétence vectorielle, c’est-à-dire la
capacité du vecteur à acquérir, multiplier et transmettre le
pathogène, peut également être favorisée par des températures
plus élevées. Ceci a été démontré pour un des vecteurs de la
fièvre catarrhale ovine : lorsque ses larves sont élevées à des
températures croissantes, les barrières génétiques de l’insecte
sont amoindries et l’infection est facilitée (28, 55).
Effets sur les distributions de patho-
gène et/ou de vecteurs
Le climat influence l’étendue (géographique) des mala-
dies, tandis que les conditions climatiques affectent la
chronologie et l’intensité des épidémies (15).
À petite échelle, les faciès climatiques peuvent se superposer
à la distribution des pathogènes et/ou des vecteurs, tandis
qu’à une échelle plus locale, d’autres facteurs environne-
mentaux jouent un rôle prédominant (37). Pour les raisons
citées précédemment, la distribution géographique de bon
nombre de maladies peut être rapprochée d’isothermes ou
d’isohyètes. Par exemple, la limite de distribution de Culicoi-
des imicola, principal vecteur africain de la fièvre catarrhale
ovine, était jusqu’à peu décrite par l’isotherme 12,5 °C de la
moyenne des températures journalières maximales du mois
le plus froid (48). Les changements des facteurs climatiques
ont donc en théorie le potentiel d’affecter la distribution en
latitude, en longitude ou en altitude des vecteurs. Localement,
ils pourraient favoriser l’implantation de vecteurs exogènes
et/ou modifier les distributions latitudinales, longitudinales
ou altitudinales des maladies.
De nombreuses tentatives ont été réalisées pour prédire ces
éventuels changements et décrire les zones à risque. Les
modèles développés sont schématiquement de deux types
(43). Le premier, dit biologique, tente de quantifier les diffé-
rentes variables impliquées dans la transmission. Le second,
dit statistique, cherche à corréler les distributions existantes
avec des données environnementales, notamment climatiques
(45). Des interpolations et extrapolations peuvent alors être
réalisées pour simuler l’évolution des variables climatiques
et leur impact sur les populations de vecteurs, l’incidence et
la répartition des maladies. L’intérêt et les limites de ces deux
approches ont été récemment abondamment discutés (44) ;
les modèles statistiques peuvent être très performants à petite
échelle, mais une compréhension fine des mécanismes écologi-
ques impliqués reste nécessaire à plus grande échelle (20).
L’évolution des distributions de vecteurs n’implique par
exemple pas toujours une augmentation de la transmission, le
fonctionnement du système pathogène étant lié à de multiples