Bull Soc Pathol Exot, 2008, 101, 3, 213-219 213
Influence des changements climatiques sur l’épidé-
miologie des maladies transmissibles.
S. de La Rocque (1, 2) & J.A. Rioux (3)
(1) Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Viale delle Terme di Caracalla, 00153 Rome, Italie. E-mail : stephane[email protected]
(2) Centre international de recherche agronomique pour le développement, Campus international de Baillarguet, 34398 Montpellier, France.
(3) Faculté de médecine de Montpellier, 8 allée des mésanges, 34790 Grabel, France.
Manuscrit n° 3215 bh. “Conférences du Centenaire de la SPE”.
CONFÉRENCES DU CENTENAIRE DE LA SPE
Summary: Impact of climatic change on the epidemiology of diseases.
Potential climate driven changes in the epidemiology of human and animal disease are widely
discussed and complex to assess. Recent spreads of exotic pathogens or vectors feed speculations;
although most of these introductions are mainly linked to the increased worldwide traffic, trade of
goods and transportation of animal and human, abiotic factors are known to impact on vectors and
pathogens bionomics and their ability to establish in new ecosystems; altogether, changes in climatic
patterns and in seasonal conditions may affect disease behaviour in term of spread pattern, diffu-
sion range, amplification and persistence in novel habitats. Invasion may result in the emergence of
novel disease processes, presenting major challenges for the epidemiologists. In this paper, some of
the ecological mechanisms underlying the impact of climatic change on disease transmission and
disease spread are further described. Potential effects of different climatic variables on pathogens
and hosts population dynamics and distributions are complex to assess and different approaches are
used to describe the dynamics in ecological range and the availability of ecological niches for patho-
gens and vectors. However, even when linkage between disease dynamics and climate change are
relatively strong, there are always other factors also changing disease behaviour and these should
be accounted for as well.
Résumé :
La question de l’impact du changement climatique sur l’épidémiologie des maladies est aujourd’hui
largement débattue. De récentes émergences en zones tempérées de maladies considérées comme
tropicales alimentent les spéculations. Ces émergences sont avant tout à relier à l’extraordinaire
accroissement des transports des personnes et des biens et à la disparition des barrières physiques
qui, jusqu’à peu, limitaient l’extension des pathogènes et/ou de leurs vecteurs. Il reste que certaines
d’entre elles ont démontré leur capacité à s’implanter durablement dans des écosystèmes naïfs, aux
caractéristiques apparemment éloignées de leurs zones d’endémies. L’évolution des paysages et des
pratiques peut créer les conditions écologiques favorables à leur transmission et les changements des
paramètres climatiques y participent. Les facteurs abiotiques (notamment la température et l’humi-
dité) sont connus comme étant déterminants dans la prolificité, la survie et l’abondance des insectes
et affectent également la capacité vectorielle de certaines espèces exotiques ou autochtones. De
manière moins directe, les modifications de cycles saisonniers, de régimes pluviométriques ou la plus
grande fréquence d’événements extrêmes peuvent affecter les interfaces avec les hôtes, les modali-
tés de transmission de certaines maladies et par là leur répartition ou leur incidence. Différents exem-
ples de maladies d’actualité sont présentés dans cet article. Ils permettront d’illustrer la complexité
des fonctionnements sous-jacents, la nécessaire prudence dans la recherche de causalité et quelques
pistes de réflexions faisant inévitablement appel à une connaissance approfondie de l’écologie de ces
maladies, une gageure lorsqu’elles apparaissent dans des environnements nouveaux.
climate change
ecology
emerging disease
epidemiology
bioclimate
changement climatique
écologie
maladie émergente
épidémiologie
bioclimat
Introduction
La problématique du changement climatique est aujourd’hui
au cœur de tous les débats. Il est quasiment impossible
d’y échapper, tous les jours, sur tous les canaux de presse, dans
toutes les conférences, on nous annonce un monde en dégra-
dation et les pires conséquences pour les générations futures.
Cette réelle inquiétude sociétale est d’autant plus vive qu’elle
s’associe à un sentiment de culpabilité d’une société qui vit de
plus en plus vite, qui consomme de plus en plus, et qui a aboli
toutes les frontières du jardin planétaire. Dans un tel débat, la
rationalité est indispensable. À ce titre, le récent rapport du
Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du cli-
mat (GIEC ou IPCC (18)), récompensé par le Prix Nobel de la
paix en décembre 2007, représente une contribution majeure
pour partager les plus récentes connaissances et imaginer les
différents scenarii pour notre futur à tous. Sa lecture, facilitée
par une écriture à la portée du plus grand nombre, est indis-
pensable pour raisonnablement parler des impacts possibles
du changement climatique.
Centenaire de la SPE – Conférences 214
S. de La Rocque & J. A. Rioux
En dépit de ces références, nombreux sont encore les discours
partiels, qui élaborent sur les figures emblématiques comme
ces courbes de températures moyennes de la terre pour le pro-
chain centenaire. Pourtant, on sait que les systèmes physiques
et les mécanismes impliqués sont extrêmement complexes et
imbriqués, que les impacts vont être très différents sur les
différentes parties de la planète et que c’est par exemple dans
les dérèglements des rythmes plus que dans l’évolution des
moyennes qu’il faut attendre les plus grandes surprises.
Tout aussi complexes à appréhender sont les impacts possibles
de ces changements sur les traits de transmission des pathogè-
nes et donc sur l’épidémiologie des maladies. Les changements
de paramètres climatiques peuvent être déterminants, mais de
nombreux autres facteurs interviennent, pour la plupart liés
à la globalisation et à l’empreinte humaine sur l’environne-
ment. Pourtant le climat est souvent d’emblée incriminé, et
aussi, les raccourcis sont nombreux. Lorsque, dans le sud de
la France, nous interrogeons dans la rue nos contemporains
sur les maladies qui présentent le plus grand risque d’exten-
sion en Europe, 95 % d’entre eux nous citent spontanément
le paludisme. Le taux est à peine moindre dans une audience
d’universitaires en médecine. Lorsque nous leur expliquons
l’histoire de cette maladie en Europe, l’abondance d’anophè-
les compétents et la qualité des services de santé publique
capables de reconnaître et de traiter les cas importés, alors,
naturellement, il devient évident que le risque est quasiment
inexistant. Ce n’est évidemment pas le cas dans d’autres parties
du monde.
Il y a donc un véritable besoin de réfléchir sur l’histoire natu-
relle et l’épidémiologie des maladies, et des changements que
l’on peut attendre dans leur fonctionnement lorsque les con-
ditions climatiques évoluent. La tâche est compliquée lorsque
ces maladies émergent dans des écosystèmes nouveaux,
leur écologie est inconnue. HUGUES (21) a décrit l’impact du
changement climatique sur les animaux et les plantes en :
– effets sur la physiologie, le métabolisme ou les dynamiques
de développement ;
– effets sur les répartitions géographiques ;
– effets sur les chronologies et les cycles de vie ;
– effets sur les évolutions, en particulier pour les espèces à
courtes générations et à taux de reproduction élevés.
Ces effets s’appliquent également à la fois aux pathogènes et
à leurs vecteurs, comme nous le décrivons ici l’exception
du quatrième point concernant les pressions évolutives, qui
est plus particulièrement abordé dans (9)).
Effets sur les dynamiques de dévelop-
pements
Understanding vector capacity is the key to understan-
ding disease dynamics (28).
Les paramètres dits abiotiques (notamment la température et
l’humidité) sont connus comme étant déterminants pour la
dynamique des maladies infectieuses dont un stade de déve-
loppement se réalise en dehors de l’hôte définitif (dans l’en-
vironnement, dans un hôte intermédiaire ou dans un vecteur
poïkilothermes). De nombreux parasites, virus ou bactéries
ne se multiplient plus en dessous d’un certain seuil de tem-
pérature et, au-dessus de ce seuil, la cinétique est étroitement
corrélée avec ce facteur (37). En conditions expérimentales, 26
jours sont nécessaires à Plasmodium falciparum pour réaliser
son cycle dans un anophèle maintenu à 20 °C, mais, à 25 °C,
13 jours suffisent (15). En conséquence, pour un pathogène
transmis par un arthropode vecteur, lorsque la durée de déve-
loppement dépasse la durée de vie du vecteur, la transmission
biologique ne peut être assurée.
Les facteurs abiotiques affectent les dynamiques de popula-
tions des insectes vecteurs et donc leur abondance. Un accrois-
sement de la température ambiante augmente la prolificité, le
taux de survie journalier, le nombre de générations annuelles
et réduit les durées larvaires et nymphales. Il augmente éga-
lement l’activité et la fréquence des repas sanguins, facilitant
alors la transmission des maladies vectorielles. (42). Il faut
noter que les seuils de températures létaux varient selon l’hu-
midité, en relation avec les capacités de thermorégulation et
les réserves lipidiques de l’insecte (29).
Enfin, il a été montré que l’augmentation de la température
accélérait la multiplication de certains pathogènes à l’inté-
rieur des arthropodes vecteurs et pouvait même augmenter
la capacité vectorielle d’espèces jusqu’alors décrites comme
inoffensives (54). La compétence vectorielle, c’est-à-dire la
capacité du vecteur à acquérir, multiplier et transmettre le
pathogène, peut également être favorisée par des températures
plus élevées. Ceci a été démontré pour un des vecteurs de la
fièvre catarrhale ovine : lorsque ses larves sont élevées à des
températures croissantes, les barrières génétiques de l’insecte
sont amoindries et l’infection est facilitée (28, 55).
Effets sur les distributions de patho-
gène et/ou de vecteurs
Le climat influence l’étendue (géographique) des mala-
dies, tandis que les conditions climatiques affectent la
chronologie et l’intensité des épidémies (15).
À petite échelle, les faciès climatiques peuvent se superposer
à la distribution des pathogènes et/ou des vecteurs, tandis
qu’à une échelle plus locale, d’autres facteurs environne-
mentaux jouent un rôle prédominant (37). Pour les raisons
citées précédemment, la distribution géographique de bon
nombre de maladies peut être rapprochée d’isothermes ou
d’isohyètes. Par exemple, la limite de distribution de Culicoi-
des imicola, principal vecteur africain de la fièvre catarrhale
ovine, était jusqu’à peu décrite par l’isotherme 12,5 °C de la
moyenne des températures journalières maximales du mois
le plus froid (48). Les changements des facteurs climatiques
ont donc en théorie le potentiel d’affecter la distribution en
latitude, en longitude ou en altitude des vecteurs. Localement,
ils pourraient favoriser l’implantation de vecteurs exogènes
et/ou modifier les distributions latitudinales, longitudinales
ou altitudinales des maladies.
De nombreuses tentatives ont été réalisées pour prédire ces
éventuels changements et décrire les zones à risque. Les
modèles développés sont schématiquement de deux types
(43). Le premier, dit biologique, tente de quantifier les diffé-
rentes variables impliquées dans la transmission. Le second,
dit statistique, cherche à corréler les distributions existantes
avec des données environnementales, notamment climatiques
(45). Des interpolations et extrapolations peuvent alors être
réalisées pour simuler l’évolution des variables climatiques
et leur impact sur les populations de vecteurs, l’incidence et
la répartition des maladies. L’intérêt et les limites de ces deux
approches ont été récemment abondamment discutés (44) ;
les modèles statistiques peuvent être très performants à petite
échelle, mais une compréhension fine des mécanismes écologi-
ques impliqués reste nécessaire à plus grande échelle (20).
L’évolution des distributions de vecteurs n’implique par
exemple pas toujours une augmentation de la transmission, le
fonctionnement du système pathogène étant lié à de multiples
Influence des changements climatiques sur l’épidémiologie des maladies transmissibles.
Bull Soc Pathol Exot, 2008, 101, 3, 213-219 215
facteurs modulant les interfaces et la ceptivité des populations
hôtes. Pour être véritablement explicatives et par conséquent
prédictives, ces études doivent prendre en compte l’éco-phy-
siologie, l’éthologie et la chorologie de chacun des éléments du
cycle. C’est dire qu’il faut traiter à la fois l’autécologie (parasites,
tes) et la synécologie structurale et dynamique (circulation de
l’agent pathogène au sein du « complexe pathogène ») (39).
Privilégier l’approche éco-
épidémiologique
L’exemple des leishmanioses méditerranéennes est particu-
lièrement démonstratif de cette approche. Alors que dans
la totalité des leishmanioses, les vecteurs sont directement
dépendants des variations climatiques, les réservoirs de cer-
taines d’entre elles en sont à l’abri. C’est le cas de l’Homme
avec L. tropica et L. donovani, et du chien avec L. infantum :
domestiqué par l’Homme, le chien s’est installé avec lui sous
tous les climats. Aujourd’hui, il n’intervient donc plus dans les
processus de focalisation : pour ces formes de leishmanioses
dites « à précellence vectorielle », la focalisation de la mala-
die dépend du vecteur, élément très sensible aux variations
pluvio-thermiques.
En revanche, pour la leishmaniose zoonotique due à L. major,
dont des rongeurs sauvages, (Gerbillidae, Muridae) consti-
tuent le réservoir de parasites, sa réaction face au changement
climatique dépend à la fois du vecteur (Phlebotomus papatasi
ou P. duboscqi) et des rongeurs, tous deux influencés indé-
pendamment par le climat. Dans ce cas, il y a « ambivalence
vecteur-réservoir » (39, 40).
Cette approche écologique des leishmanioses a amené à subs-
tituer le concept de « bioclimat » à celui de climat
stricto sensu, une démarche retenue depuis près
d’un siècle par les botanistes et les agronomes
pour interpréter la distribution spatiale des for-
mations végétales. Les bioclimats du Monde sont
connus depuis les travaux de E. de MARTONNE
(1926), C. W. THORNTHWAITE (1931, 1948), H.
GAUSSEN (1954), L. EMBERGER (1955), LE HOUÉ-
ROU (1959), H. WALTER et H. LEIT (1960) (11,
13, 16, 22, 49, 50, 53). F. BANYULS et H. GAUSSEN
ont exprimé, sous forme de graphiques (« clima-
grammes »), les relations entre températures et
précipitations en région méditerranéenne. A été
qualifié de bioclimat méditerranéen tout climat
comportant une période de sécheresse estivale au
cours de laquelle les précipitations sont inférieu-
res à l’évapotranspiration (1, 2). Cette définition
a permis de rattacher à la région méditerranéenne
stricto sensu plusieurs zones comparables, tant de
l’ancien que du nouveau Monde : Afrique du Sud,
sud de l’Australie, Californie, Chili. Dès 1955,
L. EMBERGER a traduit ces bioclimats en coeffi-
cients pluvio-thermiques prenant en compte les
températures, les précipitations, les maximums
thermiques (M) du mois le plus chaud et les
minimums thermiques (m) du mois le plus froid
(Q² : 1000 P/M-m/2 M-m). En 1963 et 1969, sous
l’impulsion de L. EMBERGER et H. GAUSSEN plu-
sieurs cartes au 1:5 000 000 des bioclimats et de la
végétation des grandes régions méditerranéennes
du globe ont été dressées par l’UNESCO (14,
17). Des zones ou étages bioclimatiques suivants
ont été individualisées : hyper-humide, humide,
sub-humide, semi-aride, aride et hyper-aride (alias saharienne),
elles-mêmes subdivisées en sous-zones à l’aide de m : froide,
fraîche, tempérée et chaude. Dans le même esprit, LE HOUÉ-
ROU (1982, 1989) a proposé un coefficient agro-écologique
prenant en compte l’évapotranspiration : 100P/ETPp. À partir
de 1993, cet auteur a pu étendre ce concept à l’ensemble de
l’Afrique (Madagascar inclue). Aux côtés du type méditer-
ranéen stricto sensu, il a distingué le type subtropical (pluies
non rythmées, températures et photopériodes subconstantes),
tropical (une flèche de pluies en saison chaude) et équatorial
(deux saisons des pluies) (figure 1) (23, 24).
Bioclimats, nososystèmes et pression
climatique
Gardant à l’esprit que la plupart des découpages biocli-
matiques dont il a été fait état procèdent essentiellement
d’analyses botaniques ou agronomiques, les cartes basées sur
des « catégories synsystématiques » (unités phyto-sociologi-
ques, Corine Land-cover, etc.) avant tout typologiques, donc
statiques, doivent être utilisées avec grande prudence par les
épidémiologistes. À l’inverse, les cartes basées sur les indices
phyto-climatiques ou les bioclimats eux-mêmes, constituent
de remarquables outils de recherche. L’établissement des rela-
tions leishmanioses-bioclimats au Maroc va nous en apporter
la preuve.
Le choix du Maroc a été déterminé par l’existence de données
phyto-géographiques et bio-climatiques bien établies et de
cartes des étages bioclimatiques (46) et des formations fores-
tières climaciques (12). Des enquêtes entomologiques, le long
d’itinéraires-transects nord-sud, perpendiculaires aux étages
Figure 1.
Carte des zones agro-bioclimatiques d’Afrique (23, 24).
Maps of agro-bioclimatic zones in Africa (23,24).
Centenaire de la SPE – Conférences 216
S. de La Rocque & J. A. Rioux
bioclimatiques (depuis les cédraies humides du Rif jusqu’aux
zones pré-sahariennes), ont été réalisées (7, 41).
Des analyses de correspondances « espèces de phlebotome-
stations de piègeage » ont montl’existence des fortes liaisons
(effet Gutmann), entre les espèces phlébotomiennes et les
zones bioclimatiques (figure 2). Le barycentre de P. sergenti,
vecteur de L. tropica, s’est placé à l’interface semi-aride et aride.
Celui de P. papatasi, vecteur de L. major, s’est positionné au
centre des stations hyper-arides. Les barycentres des trois vec-
teurs de L. infantum (P. ariasi, P. perniciosus et P. longicuspis)
se sont ordonnés, du nord au sud, de l’étage humide à l’étage
semi-aride. L'étude des abondances relatives par étages bio-
climatiques a confirmé le preferendum de P. papatasi pour
le bioclimat hyper-aride (plus
précisément pour celui du
sous-étage à hiver chaud) et les
dynamiques saisonnières ont
confirmé l’influence des tem-
pératures hivernales (m) sur la
durée des activités imaginales
de P. ariasi et de P. perniciosus.
Ces résultats ont amené H. N.
LE HOUÉROU (38) à estimer
l’indice 100P/ETPp, pour 47
stations marocaines, après un
réchauffement de 3 °C. L’ana-
lyse du graphe (figure 3) a
montré que les modifications
seraient majeures dans les
étages sub-humides et semi-
arides (surtout supérieur et
moyen) : ces stations change-
raient à la fois d’étages (par
exemple du sub-humide au
semi-aride) et de sous-étages
(par exemple d’hiver doux à
hiver chaud). Une telle évolu-
tion doublerait l’aire favorable
à L. tropica. Autre observation
d'importance : les Gerbillidae,
cantonnés jusqu’à présent à
l’aride et au per-aride du sud
marocain, pourraient s’étendre
plus au nord pour pulluler dans
les actuels semi-aride inférieur
et aride supérieur. L. major
et son vecteur P. papatasi
suivraient cette progression.
Bien entendu, les montagnes
marocaines ne seraient pas
épargnées. Ainsi, dans le Haut
Atlas, la transgression clima-
tique pourrait dépasser 500
mètres en altitude. Entre 1000
et 1 500 mètres, le thuya de
Barbarie (Callitrix articulata),
caractéristique du bio-cli-
mat semi-aride, remplacerait
le chêne-vert (Quercus ilex),
entraînant avec lui P. sergenti,
vecteur de L. tropica. Dès lors,
le foyer potentiel de la leishma-
niose cutanée anthroponotique
s’élèverait jusqu’à 1 500 mètres
d’altitude.
Cet exemple montre à l’évidence l’absurdité de référer à un
seul indicateur de changement (la température moyenne
annuelle par exemple) et la nécessité de comprendre les fonc-
tionnements éco-systémiques. Ceci est encore plus vrai lors-
que l’on parle d’espèce en dynamique d’invasion.
Introduction, persistance et diffusion
Le changement climatique est régulièrement incrimidans
les extensions récentes de maladies ou de vecteurs. Dans
ces processus, il convient de clairement distinguer trois phases
successives : l’invasion, l’installation et la diffusion. L’inva-
sion est essentiellement liée aux échanges et mouvements de
2a - Les 17 espèces de phlébotomes récoltées au Maroc se distribuent en trois groupes, situés à proximité des différents points d’équilibre
des bioclimats. Dans le cadran supérieur gauche, entre les barycentres humide et sub-humide, se placent deux vecteurs de L
eishmania infan-
tum
:
Phlebotomus ariasi
et
P. perniciosus
. Dans le cadran inférieur gauche (semi-aride) se regroupent deux vecteurs :
P. longicuspis
pour
L. infan-
tum
et
P. sergenti
pour
L. tropica
. Dans le cadran supérieur droit, (hyper-aride) se situe
P. papatasi
, vecteur confirmé de
L. major
.
2b – La projection sur les axes I et II de l’analyse situe
P. alexandri
(10) et
P. papatasi
(11) dans le quadran supérieur droit (aride et hyper-
aride).
P. sergenti
(7) est localisé dans l’étage semi-aride.
Légende des espèces de Phlébotomes : 1 :
P. ariasi
2 :
Sergentomyia minuta
3 :
P. longicuspis
4
: P. perfiliewi
5
: P. chadlii
6
: P. mariae
7
: P.
chabaudi
8
: P. sergenti
9
: S. fallax
10
: S. dreyfussi
11
: P. alexandri
12
: P. papatasi
(11)
13
: S. lewisi
14
: S. christophersi
15
: P. bergeroti
16
: S
clydei
17
: S. antennata
18
: S. africana.
Figure 3.
Changements bioclimatiques, calculés pour 46 stations climatiques du Maroc,
dans l’hypothèse d’un réchauffement de 3 °C à l’horizon 2050 P.C.
Bioclimatic changes, measured for 46 climatic stations in Morocco
in the event of a 3°C global warming by 2050 P.C.
Diagramme bidimensionnel portant : en ordonnée, les indices d’aridité, calculés à l’aide du coefficient 100P/EPTp, en abscisse les tempéra-
tures minimales moyennes (m) du mois le plus froid. Dans la zone bioclimatique subhumide, les stations changent à la fois de zone et de
variante thermique hivernale (m). Dans le semi-aride, l’aride et l’hyperaride seul m est modifié à l’exception de trois stations de la sous-zone
semi-aride inférieure qui basculent dans l’aride supérieur.
Figure 2.
Analyse des correspondances espèces-stations.
Analysis of correspondances species-stations.
Influence des changements climatiques sur l’épidémiologie des maladies transmissibles.
Bull Soc Pathol Exot, 2008, 101, 3, 213-219 217
biens, d’animaux et de personnes, qui aujourd’hui traversent
le monde en quelques dizaines d’heures. Un exemple classique
est l’extension en cours dAedes albopictus (un moustique vec-
teur de virus, notamment de Chikungunya et de la dengue),
qui voyage dans des containers, avec des fleurs ornementales
ou dans des pneus de rechapage (36, 47).
Culicoides imicola, un petit moucheron africain vecteur de
la fièvre catarrhale ovine, a, quant à lui travesrsé en quelques
semaines la méditerranée depuis l’Algérie et la Tunisie jusqu’à
la Corse et les Baléares et, plus récemment, a poursuivi sa
dissémination jusque dans le département du Var, vraisembla-
blement transporté par des vents d’altitude (33). Cet exemple
est plus troublant. On peut raisonnablement penser que les
occasions d’une telle dissémination se sont répétées dans le
passé et alors s’interroger sur cette capacité, semble-t-il nou-
velle, de durablement s’installer dans des écosystèmes naïfs,
de s’y multiplier et de survivre aux conditions hivernales du
sud de l’Europe (3, 6, 33).
La question d’éventuels changements dans les conditions éco-
climatiques locales vient alors naturellement à l’esprit. Les
premières études ont montré la difficulté à confirmer cette
hypothèse par les suivis classiques de tendances climatiques.
Il a alors fallu préciser les contours de l’enveloppe écologique
de cet insecte, jusque-là décrits uniquement pour les écosystè-
mes africains, et les confronter aux données sur les bioclimats
méditerranéens (31, 32).
Pourtant cette observation ne suffit pas à expliquer l’ampleur
de l’épidémie de fièvre catarrhale ovine. L’émergence de mala-
dies dans des contextes environnementaux inédits réserve en
effet de nombreuses surprises. L’opportunité d’introduction du
virus par son vecteur traditionnel a donné à d’autres espèces de
Culicoides, autochtones celles-ci, l’opportunité de révéler leur
compétence vectorielle (peut être également augmentée par des
évolutions des conditions éco-climatiques locales) et leur capa-
cité à transmettre efficacement les virus de la fièvre catarrhale
ovine. Dans les faits, plusieurs sérotypes sont maintenant en
progression géographique, dans des zones Culicoides imi-
cola n’a jamais été repéré (26). Finale-
ment, l’épidémiologie de telles maladies
doit être re-décrite en profondeur dans
les zones d’émergences, révélant alors
souvent la pauvrede nos connaissan-
ces sur leur écologie.
Saisonnalité, événe-
ments climatiques
exacerbés et épidémio-
logies nouvelles.
La saisonnalité est un des éléments
majeurs du climat. En zones tem-
pérées, les conditions de températures
ou d’humidité peuvent être temporai-
rement comparables à celles observées
dans des zones de grandes endémies,
mais les éléments déterminants pour
les maladies, vectorielles en particu-
lier, sont l’alternance saisonnière et les
périodes hivernales (37). Les projec-
tions les plus actuelles sur le climat à
moyen terme indiquent très clairement,
pour les zones tempérées, un réchauf-
fement des températures, notamment
nocturnes, une réduction du nombre
de jours de gel et une tendance à la précocité des automnes
(18). Compte tenu de ce qui est décrit précédemment, on peut
imaginer un impact sur les dynamiques de populations et le
nombre de générations de vecteurs. Mais les interfaces entre
hôtes, vecteurs et pathogènes peuvent également être affectées.
L’exercice de prédiction est difficile, tellement les systèmes
pathologiques sont complexes et divers ; pourtant, certains
exemples permettent d’illustrer ce propos. La transmission
du virus de l’encéphalite à tique entre des nymphes infectées
et des larves saines d’Ixodes ricinus est facilitée lorsque les
deux stades se gorgent simultanément sur le même rongeur
(35). La chute de température rapide en fin d’automne facilite
sans doute la mise en quiescence des larves à jeun. Ces larves
exigeant des températures journalières plus élevées que les
nymphes, les printemps précoces au démarrage brutal permet-
tent la mise en synchronie des deux stades et la transmission
du virus sans virémie chez l’hôte vertébré (34).
Les changements dans les profils pluviométriques saisonniers
pourraient également avoir un impact majeur sur le fonc-
tionnement de certains systèmes épidémiologiques. C’est le
cas par exemple pour la fièvre de la Vallée du Rift, une arbo-
virose transmise par différents arthropodes hématophages
notamment des moustiques. Parmi eux, des représentants du
genre Aedes jouent un rôle très particulier en permettant une
transmission verticale du virus des femelles à leur descen-
dance. De plus, les œufs pondus en marge des zones inondées
peuvent résister à la dessiccation durant plusieurs années. Ils
jouent alors le rôle de réservoirs de virus, jusqu’à la prochaine
inondation, lors de laquelle ils émergent en nombre et relan-
cent la circulation virale, avant que d’autres espèces (Culex,
Anopheles…) n’amplifient la transmission (8). Cette dyna-
mique est particulièrement nette en Afrique de l’Est, les
pluies anormalement abondantes liées au phénomène El Niño
mettent en eau de manière occasionnelle des gîtes de ponte
bien délimités (les dambos) en marge des cours d’eau princi-
paux. Les épidémies de fièvre de la Vallée du Rift apparaissent
ainsi tous les 5 à 12 ans, lors des épisodes El Niño, et sont
Figure 4.
Changements dans l’intensité des précipitations (a et b) et le nombre de jours sans pluies (c et d)
selon neuf différents modèles d’évolution climatiques utilisés par l’IPCC (18).
Changes in rainfall intensity (a and b) and number of days without rain (c and d)
according to nine different models of climatic evolution used by the IPCC (18).
L’intensité des précipitations est définie comme le total annuel des pluies, divisé par le nombre de jours de pluies. Le nombre de
jours secs est défini comme le nombre maximum de jours consécutifs sans pluies. Les cartes illustrent des simulations pour les 20
prochaines années. (Reproduit avec l’autorisation de l’IPCC)
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