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Au-delà de ces différences de lecture, les débats sur la justice climatique montrent à quel point la complexité des
enjeux environnementaux rend très difficile l’appréhension même de ce que pourrait être une justice climatique.
Dans le cadre des négociations climatiques entre Etats, on distingue par exemple assez classiquement trois
types d’inégalités ou d’injustices, respectivement en matière de :
• responsabilité (« qui émet ou a émis les gaz à effet de serre ? ») ;
• vulnérabilité (« qui est ou sera principalement victime des ces changements climatiques ? ») ;
• adaptation (« qui a ou aura les moyens de faire face à ces changements ? ») (Faucheux & Joumni,
2005).
Qui plus est ces injustices comportent des dimensions géographiques et spatiales très variables. Rémi
Beau (2011) souligne par exemple la difficulté d’appréhension de la justice climatique à différentes échelles
géographiques :
• à l’échelle mondiale : les questions de responsabilité et de justice se posent alors pour l’ensemble de
l’humanité, ce qui nécessite soit d’imaginer une justice à l’égard des non-humains, soit plus
probablement à l’égard des générations futures (ce qui renvoie à une forme de justice ou de solidarité
transgénérationnelle) ;
• à l’échelle des Etats : à cette échelle se pose la question des inégalités de responsabilité hier et
aujourd’hui (les pays riches étant historiquement davantage responsables de la situation que les pays
pauvres), mais aussi les inégalités de vulnérabilité et d’adaptation demain (inégalités qui tendent à se
cumuler, les pays les moins responsables étant parfois ceux qui subiront le plus les changements
climatiques tout en ayant le moins de capacités d’adaptation) ;
• à l’échelle individuelle, où une très inégale répartition existe là encore, surtout en termes de
responsabilité aujourd’hui.
Alors que les différentes théories de la justice se sont jusqu’à présent construites dans un cadre essentiellement
national, les enjeux globaux tels le changement climatique obligent donc à penser la question de la solidarité bien
au-delà des frontières des Etats Nations : « Le partage d’une biosphère commune (en particulier d’une même
atmosphère, comme le souligne Peter Singer) » a pour conséquence que « les pollutions atmosphériques (rejet
de gaz à effet de serre) en un point de la Terre font sentir leurs effets en tous points. Tout cela oblige à repenser
l’éthique. » (Felli, 2008). On peut dès lors distinguer deux manières d’appréhender la justice « globale ». La
première, cosmopolite, suggère une « égale dignité des êtres humains indépendamment de leur origine ou
nationalité. Les perspectives cosmopolites défendent donc l’idée d’une non-pertinence morale des frontières
nationales. » A l’opposé de l’approche cosmopolite, « les perspectives dites partiales soutiennent qu’il existe des
catégories morales différentes suivant l’appartenance nationale des individus considérés. Ainsi, nous aurions des
devoirs moraux et/ou politiques plus importants vis-à-vis de nos concitoyen•ne•s que de ressortissant•e•s
étranger/ère•s, et/ou apatrides. » Dans le cas le plus extrême, certains pensent que « le niveau international n’est
pas pertinent pour penser une théorie de la justice » (Felli, 2008).
La complexité des enjeux ne facilite donc pas l’appréhension de la question de la justice climatique. Rémi Beau
en conclut que, d’une part « l’élaboration d’une théorie de la justice climatique se révèle être une tâche
extrêmement délicate ; d’autre part, il semble que l’environnement sorte plutôt perdant de l’association entre la
justice et le climat. En effet, aucune des échelles étudiées ne permet véritablement d’élaborer une réponse en
termes de justice mettant l’accent sur la dimension environnementale du changement climatique. Dissoute dans
les théories de la justice purement humaines, la crise climatique ne parvient qu’à les colorer d’une teinte
environnementale. » (Beau, 2011)
Analysant les difficultés concrètes auxquelles les enjeux d’équité et de climat renvoient dans le cadre des
négociations internationales, Kverndokk & Rose (2008) ne sont guère plus optimistes : pour ces auteurs, la
question de l’équité est la principale cause d’échec des négociations sur le climat.
1.3. L’environnement « cadre de vie » ou l’environnement « ressources /
flux » ?
A ces différences d’ordre culturel et disciplinaire, qui supposent des différences de
point de vue sur les inégalités ou les injustices (entre individus, entre groupes sociaux,
entre ethnies, entre territoires, etc.) il faut ajouter une autre difficulté majeure qui
consiste à définir le champ d’application relevant de l’écologie et/ou de
l’environnement. Car comme le signale justement Cyria Emelianoff (2008), inspirée
notamment par Jacques Theys (2005), si les termes d’inégalités environnementales ou
écologiques sont souvent employés indifféremment, « ces vocables ne sont pas
équivalents ». Marianne Chaumel et Stéphane La Branche (2008) pensent que « la
distinction entre inégalités environnementales et inégalités écologiques tient de la