L'EVOLUTION DE QUELQUES CONCEPTS DE BASE DE LA GEOGRAPHIE Espace, milieu, région, paysage (1800-1990) Paul CLAVAL Université de Paris-Sorbonne L'exercice qui consiste à analyser l'évolution d'une discipline à travers quelques-uns de ses concepts de base est un peu artificiel, mais présente un mérite essentiel : il permet de mesurer ce qui, dans les préoccupations d'une époque, résulte d'un développement autocentré, et ce qui provient de l'importation de modèles épistémologiques nés dans d'autres disciplines. L'épistémologie des sciences sociales reconstitue le cheminement des modes de raisonnement et de démonstration depuis les domaines où ils se sont formés, et précise comment ils ont été adoptés, transformés ou renouvelés par les géographes. Nous procédons à l'inverse : nous partons d'un jeu de concepts qui jouent un tel rôle dans la géographie qu'ils sont présents, sous une forme ou sous une autre, à toutes les époques; nous examinons la manière dont ils étaient formulés et la place qu'ils tenaient à certains moments du passé. Les mutations d'une période à l'autre peuvent ainsi être soulignées, ainsi que la permanence de conceptions qui assurent la continuité de la pensée. Nous nous sommes attaché aux notions d'espace, de milieu, de région et de paysage; nous avons déterminé l'importance que les géographes accordaient (ou accordent) à chacun de ces concepts et les contenus qu'ils leur donnaient (ou donnent) à quatre moments de ème l'histoire de la discipline : aux alentours de 1800, à la jointure entre le XIX et le XXème siècles, dans les années 1960 et actuellement, dans les années 1990. Aux alentours de 1800 A la fin du XVIIème siècle, la géographie se trouve en pleine mutation : intimement liée, depuis la Renaissance, à la cartographie, elle est en train de s'en détacher, ce qui va avec l'émergence de nouvelles façons de concevoir la discipline. 89 L'espace a- Depuis la Renaissance, les géographes travaillent essentiellement à la réalisation de cartes de plus en plus fiables. Ils sont cartographes - la langue le dit, qui parle de géographes là où nous dirions cartographes (de Dainville, 1964). Il s'agit pour eux de reporter sur un plan, à une échelle réduite, les traits essentiels de ce que l'on peut observer à la surface de la planète. Les astres aident à définir des orientations universelles. Un système de correspondances permet de passer de la surface courbe de la Terre à la carte, qui s'inscrit dans un système bi-dimensionnel. On sait depuis l'Antiquité déterminer la latitude d'un lieu. Mais la mesure des longitudes était impossible faute de moyen fiable pour conserver l'heure du méridien d'origine et la comparer à celle du lieu d'observation. Il faut attendre la deuxième moitié du XVIIIème siècle et l'invention du chronomètre pour que cela devienne possible. Jusqu'alors, il fallait se contenter d'approximations et faire une étude précise, comparative et critique des notes et récits de voyages. Le géographe-cartographe était nécessairement un homme de cabinet, puisqu'il devait dépouiller les itinéraires et relations laissés par les marins, les explorateurs, les commerçants ou les soldats. b- Cela explique que la conception de l'espace comme étendue géométrique se soit trouvée associée à une autre : l'espace terrestre avec ses villes, ses fleuves, ses plaines et ses montagnes, c'est le décor où se joue l'histoire. Les textes antiques ou les chroniques médiévales rapportent une multitude de lieux dont les noms ont souvent changé, si bien qu'on a perdu le souvenir de leur localisation. Le travail de cabinet que le géographe doit fournir pour estimer les longitudes le conduit à fréquenter des textes d'âges variés et à les comparer : il apprend ainsi, par interpolation, à situer les événements qui se sont déroulés dans des pays qui ne sont pas familiers, et dont les lieux ont souvent changé de noms. Il n'y a pas encore de véritables sciences sociales. L'homme est présent sur les cartes par des signes abstraits qui localisent les lieux habités et les identifient par leur nom. Le cartographe note aussi le nom des peuples et des territoires qu'ils occupent. Il trace les frontières politiques et celles des circonscriptions administratives (de Dainville, 1964). Les ingénieurs-géographes de la fin du XVIIIème siècle connaissent encore, en France et à l'étranger, les démarches qui ont été à la base de leur métier depuis ses origines, et celles qui résultent des progrès de la mesure du temps, comme en témoigne le travail que mènent ceux qui participent à l'expédition d'Egypte (Godlewska, 1988). Ils y combinent admirablement les levers directs (la partie moderne de la cartographie), et l'utilisation des textes et des documents anciens. Mais c'est uniquement parce qu'ils n'ont pas eu le temps de faire des relevés directs dans tout le pays qu'ils sont obligés d'avoir recours aux archives. 90 Le lever cartographique met en œuvre des techniques si s•res que le recours ‚ d'autres sources devienteme inutile. On assiste ainsi, ‚ l'extrƒme fin du XVII„ si…cle et au d†but du XIX , ‚ un †clatement du champ ancien : la cartographie appara‡t toujours comme une base n†cessaire ‚ toute g†ographie, mais le m†tier de cartographe appartient d†sormais ‚ des †quipes d'ing†nieurs et de dessinateurs de talent r†mun†r†s par les Etats. La cartographie devient un service public, aux ordres du pouvoir. Les images qu'elle r†v…le, de plus en plus pr†cises et riches, nourrissent la curiosit† et les sp†culations des g†ographes. La g†ographie historique, science auxiliaire de l'histoire, continue ‚ ƒtre pratiqu†e au cours du XXu"me si…cle, mais de nouvelles conceptions de l'espace apparaissent. c- L'espace est de structure g†om†trique, mais il est r†gionalement diff†renci†. Comment et pourquoi ? Ces probl…mes ne sont pas †tudi†s en premier par les g†ographes, mais par des philosophes comme Kant et surtout par des naturalistes qui s'acharnent ‚ pr†senter un inventaire ordonn† de la nature : min†ralogistes, g†ologues, botanistes, zoologistes collectionnent et identifient les roches, les plantes, les animaux et apprennent ‚ construire des classifications rationnelles dans lesquelles ils enferment, en la rendant intelligible, la prodigieuse diversit† des ƒtres et des choses (Foucault, 1969). Pour Kant (1724-1804), la r†alit† nous est donn†e ‚ travers les cat†gories a priori de la sensibilit† que sont l'espace et le temps. Ces cat†gories sont celles que nous apprend la g†om†trie euclidienne - celles donc que mobilisent les cartographes. Mais l'ordre dans lequel les ph†nom…nes sont livr†s ‚ l'observation m†rite de retenir l'attention : leur distribution dans l'espace est tout aussi int†ressante que leur succession dans le temps. Kant fait donc de l'espace un cadre dont il importe de relever les configurations : il est r†gionalement diff†renci†. Cette id†e frappe Alexandre de Humboldt (1769-1859) : il essaie de la rendre sensible par la composition mƒme du r†cit qu'il fournit de son voyage en Am†rique †quinoxiale (cf. Emmanuel Saadia, dans ce mƒme volume). La narration se prƒte cependant mal ‚ ce genre d'exercice : c'est en reportant les observations sur des fonds topographiques et en dressant des cartes th†matiques que l'on met en valeur la structuration r†gionale de l'espace. La d†marche taxonomique des naturalistes peut s'appliquer ‚ l'ensemble de ce que la nature, ou la nature am†nag†e et exploit†e par l'homme, nous offre. Ici s'†tendent de grandes forƒts, auxquelles succ…dent, plus loin, des prairies puis des steppes. Le sous-sol est fait, selon les r†gions, de granit†s, de schistes, de calcaires ou de basaltes. Aux pays de champs ouverts s'opposent les campagnes nues. L'espace est le support de la diff†renciation de la nature. C'est ainsi que le conˆoivent Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814) confront† aux paysages de l'Ile Maurice, ou Volney (1757-1820) parcourant le Moyen-Orient ou les Etats-Unis. Alexandre de Humboldt met au service de cette conception son †gale capacit† ‚ classer les paysages v†g†taux, les formes animales, les roches et les types de cultures pratiqu†es. 91 Le milieu a- Les conceptions surtout climatiques du milieu qu'avait d†velopp†es Hippocrate sont toujours vivantes. C'est ‚ elles que se r†f…re Montesquieu (1689-1755) lorsqu'il cherche ‚ souligner la diversit† des mœurs, et la n†cessaire adaptation des institutions qu'elle appelle. Les topographies m†dicales, ‚ la mode ‚ la fin du XVIIPmL' si…cle, analysent inlassablement l'impact du milieu sur les humeurs, l'†tat de sant† et les maladies propres ‚ chaque type d'environnement (sur les topographies m†dicales ‚ la mode ‚ la fin du XVIII6me si…cle : Bourguet, 1988, p. 38-40; Desaive et ai, 1972). Au d†but des ann†es 1880 encore, Vidai de la Blache se demande s'il faut accorder quelque cr†dit ‚ la th†orie des humeurs et expliquer gr‰ce ‚ elle la diversit† des peuples et des cultures. Si l'interpr†tation hippocratique du milieu est la plus fr†quente, elle souffre de ne pas s'appuyer sur le type de d†monstration rigoureuse qui s'impose d†sormais dans le champ scientifique. b- Johann-Gottfried Herder (1744-1803), un contemporain et ancien †l…ve de Kant, est tr…s sensible au g†nie des peuples et ‚ leur diversit†. Chacun exprime, ‚ travers sa langue, une sensibilit† diff†rente. Pourquoi les gens ne r†agissent-ils pas partout de la mƒme mani…re aux †v†nements qui les frappent ? Pourquoi ne perˆoivent-ils pas de la mƒme faˆon la nature ? Parce que l'ƒtre profond des peuples porte la marque du milieu oŠ ils sont install†s. Herder ne croit pas ‚ l'influence du climat sur les hommes, ‚ la mani…re d'Hippocrate; ses conceptions sont beaucoup plus subtiles : les milieux sont structur†s par des jeux de correspondances et offrent des occasions d'†motion qui varient d'un lieu ‚ l'autre. Ils inspirent des po†tiques diff†rentes : c'est pour cela que les peuples ne se d†veloppent pas selon les mƒmes lignes. L'†volutionnisme lin†aire qui s'†tait impos† durant les derni…res ann†es du XVIII…me si…cle d†valorisait la g†ographie, puisqu'il ramenait tout ‚ l'histoire. La philosophie de Herder donne au contraire ‚ l'espace et aux milieux un r‹le essentiel : il n'est pas possible de conna‡tre un peuple si on fait abstraction du cadre oŠ il s'est install†. Ses sentiments, ses aspirations et ses convictions sont en harmonie avec son environnement. On ne peut comprendre la diversit† des groupes humains si l'on n'†tudie pas la sc…ne oŠ ils †voluent : c'est ce que Michelet d†couvre en lisant Herder, et qui le pousse ‚ ouvrir son Histoire de France par un Tableau de la France - id†e que Lavisse reprend ‚ son compte aux alentours de 1900, et qui le conduit ‚ confier le Tableau de la géographie de la France ‚ Vidai (1903). En Allemagne, Cari Ritter doit une large part de son inspiration ‚ Herder. c- Le sensualisme s'†tait d†velopp† ‚ la suite de John Locke (1632-1704). Il appara‡t, ‚ la fin du XVIlf™ si…cle, comme la th†orie psychologique dominante. L'hypoth…se sur lequel il repose est simple : l'esprit est comme un morceau de cire vierge. C'est du monde que 92 viennent les sensations, les perceptions, les idées et les associations d'idées qui peuplent progressivement le cerveau. C'est en se confrontant au monde que l'esprit devient capable de mener un raisonnement, découvre l'occurence régulière de certains faits et comprend qu'il peut en tirer parti lorsqu'il agit. Le sensualisme nie le rôle de l'héritage génétique. Les hommes sont modelés par le milieu dans lequel ils évoluent. A la fin du XVIIIùmc siècle, les penseurs radicaux tirent de ces observations des conclusions révolutionnaires (Halévy, 1927). L'homme adulte est le produit du milieu qui l'a formé. S'il est mauvais, c'est qu'il a été soumis aux influences d'environnements délétères. Pour le réformer, il faudrait lui donner la chance de vivre dans un cadre plus satisfaisant et plus harmonieux. La première application de cette philosophie de la réforme de l'humanité par l'aménagement du milieu de vie est justement célèbre : elle est imaginée par Jeremy Bentham, frappé par l'inefficacité du système pénitentiaire de son temps (Foucault, 1975). Les prisons où les détenus s'entassent dans une dangereuse promiscuité sont des écoles du vice au lieu d'être des séminaires de la vertu. Le Panopticon permet d'échapper à cette fatalité : en faisant vivre les détenus sous la surveillance perpétuelle des gardiens, on leur interdit de se constituer en milieu fermé et délictuel. Les prisonniers cessent d'être fascinés par le vice et s'amendent. C'est du moins la théorie. Dans les dernières années du XVIIIème siècle, les radicaux tirent de nouvelles conséquences du paradigme sensualiste. L'urbanisation progresse, l'industrialisation s'accélère; les comportements déviants se multiplient dans les quartiers hâtivement et mal construits. Que faire pour combattre la délinquance et faire naître des conditions de vie plus policées ? "Changer la ville pour changer la vie" : ce slogan des socialistes français en 1981 dépeint parfaitement la position qu'adoptent alors les radicaux britanniques et plus tard les réformateurs socialistes. Le jugement sévère que l'on doit porter sur tous ceux qui vivent en marge de la loi dans les zones misérables doit être nuancé : ils ne sont pas directement responsables de leurs actes. C'est le milieu dans lequel ils ont été élevés et dans lequel ils vivent qui les a incités au crime, les a conduits à l'alcoolisme et leur fait oublier leurs devoirs les plus élémentaires vis-à-vis de leurs proches ou de leurs voisins. Robert Owen décide, en 1799, de construire à New Lanark une cité ouvrière modèle pour que ses employés échappent à la spirale de démoralisation qui caractérise généralement ceux qui travaillent dans les usines. De la philosophie sensualiste, on passe ainsi au socialisme utopique. A la fin du XIXème siècle, les enquêtes que mène Charles Booth sur la misère de l'Hast End londonien restent proches de l'inspiration du début du siècle (Booth, 1892-1903) : ce qu'il cartographie, c'est la santé morale des diverses rues ouvrières de Londres, puisque c'est elle qu'il faut améliorer par une politique convenable de logement. 93 La région Les gouvernements de l'Ancien Régime ont multiplié les divisions administratives : la France juxtapose et entremêle dans le désordre provinces, élections, généralités, intendances, diocèses, etc. L'action des pouvoirs publics serait sans doute plus efficace si elle s'exerçait dans des cadres plus rationnels. La réflexion sur la région résulte ainsi d'un problème de géographie administrative appliquée. Les découpages semblent être dûs aux caprices de l'histoire et à l'arbitraire des Princes, qui ont agi selon leur bon plaisir. La réforme des circonscriptions administratives implique que l'on trouve des principes objectifs pour procéder à des divisions qui satisfassent tout le monde parce que fondées en raison. Plusieurs solutions s'offrent. L'idée d'une division purement géométrique a des partisans en Suède ou en France. Elle séduit Thomas Jefferson - à l'occasion de son ambassade à Paris sans doute. Il est l'inspirateur de la loi de 1784 qui précise les conditions dans lesquelles les nouveaux Etats seront dessinés et les terres agricoles divisées selon une trame géométrique articulée sur les méridiens et les parallèles. La solution géométrique est-elle parfaitement satisfaisante ? Ne laisse-t-elle pas elle aussi une place à l'arbitraire ? Si l'on décide de diviser le territoire en carrés, pourquoi leur donner des côtés de 5, 10 ou 20 kilomètres ? L'observation de la nature ne peut-elle suggérer des divisions scientifiques et de plus grande valeur ? Le progrès des approches naturalistes, ou les idées de Kant sur la géographie, vont dans ce sens. Les géologues découvrent, en cartographiant les affleurements rocheux, que les pays que connaissent les gens, et qui portent des noms populaires, ont des limites qui coïncident généralement assez bien avec celles des terrains : ils le montrent pour la Beauce, la Brie ou le pays de Caux. La notion de région naturelle prend ainsi un contenu pratique (Gallois, 1908). Au début des années 1780, Giraud-Soulavie l'enrichit à propos du Vivarais en combinant les données géologiques et minéralogiques et le jeu de l'altitude et du climat. Alexandre de Humboldt, qui connaît ses travaux, les transpose à l'Amérique latine. Dans le même temps, les administrateurs du Directoire et de l'Empire essaient d'améliorer le cadre administratif de la France; ils rêvent de substituer au département, qui leur paraît imparfait, des divisions fondées sur la nature : Coquebert de Montbret et Omalius d'Halloy donnent une nouvelle impulsion aux recherches sur la région naturelle, même si cela ne débouche sur aucun projet cohérent de réforme. L'agronome Marshall, qui désire rendre plus efficace l'administration britannique confrontée à la guerre avec la France, et la doter de cadres qui permettent de planifier l'intensification des cultures, propose dans le même temps de s'appuyer sur les régions naturelles. 94 Le paysage a- L'esprit naturaliste qui domine le XVIIIème siècle explique l'attention accordée aux paysages : c'est à travers ceux-ci que la nature se donne à voir. La lecture du paysage est naturaliste et déjà romantique. Elle crée chez celui qui la pratique un sentiment de joie profonde lorsqu'il découvre les rapports qui existent entre les divers ordres de l'univers, le minéral, le végétal et l'animal, comme entre les Cieux et la Terre. Les préoccupations naturalistes ne conduisent donc pas à une attitude neutre et détachée vis-à-vis du paysage : l'intérêt que celui-ci suscite résulte en partie des émotions esthétiques qu'il fait naître à travers l'accord qu'il révèle entre les composantes de l'Univers (Bartels, 1969). Cette lecture esthétique rapproche le géographe et le voyageur savant de l'artiste. Celui-ci est sensible à la beauté des formes, ou au sublime que l'on éprouve face au spectacle des éléments déchaînés. Le naturaliste ajoute un élément supplémentaire à cette gamme d'impressions et de sentiments - il découvre les harmonies profondes voulues par le Créateur. Le paysage est une des préoccupations centrales de la géographie du début du XIX'me siècle. Les botanistes et les géologues apprennent à l'analyser et à nommer ses différentes composantes. Les commentaires qu'il inspire sont cependant davantage de nature esthétique que scientifique : on l'apprécie parce qu'il rend sensible l'harmonie profonde de la vie. Ce qu'il révèle sur les équilibres biologiques naturels ou modifiés par l'homme n'est pas encore clairement perçu. b- II est d'autres lectures possibles du paysage. Pour Herder et ceux qu'il inspire, le paysage est une réalité poétique. C'est à travers lui que se développe la sensibilité de ceux qui le fréquentent. Le génie d'un peuple se nourrît des forêts, des campagnes, des montagnes et des rivages qu'il fréquente (sur ce point, on se reportera par exemple à Riehl, 1861). Le milieu exerce son influence à travers les correspondances qui s'établissent entre les paysages familiers, la langue, la littérature populaire et l'esprit collectif. Alors que les sensualistes s'attachent au rôle que tient l'environnement dans le façonnement de l'esprit et du caractère, Herder y voit la source d'inspiration qui dote les groupes humains de leur sens artistique et de leur dynamisme. Conclusion Un nouvel esprit géographique se forme à la fin du XVIIIème siècle. Il est moins géométrique que celui qui dominait chez les cartographes qui avaient jusqu'alors fait progresser la discipline. Il est surtout d'inspiration naturaliste. Le géographe s'efforce de décrire systématiquement les différentes composantes du paysage. La méthode d'observation se veut scientifique, mais ne vise pas à comprendre la genèse des formes. Le but est d'établir des classifications rationnelles, et 95 aussi de s'interroger sur leur signification et leur impact sur l'homme (Foucault, 1969). Parmi les concepts -clefs de la g†ographie, c'†tait celui d'espace qui †tait au cœur de la d†marche des ing†nieurs -g†ographes. C'est celui de paysage qui accapare l'at tention de leurs successeurs : leur faˆon de concevoir l'espace et la r†gion en d†coule. Les images que l'on se fait du milieu sont moins int†gr†es ‚ la construction d'ensemble, et plus diverses : les sciences naturelles n'ont pas encore compris la f†condi t† de la notion d'environnement. La g†ographie de la fin du XVIH ime si…cle ne rencontre la soci†t† que de faˆon †pisodique et la r†duit ‚ une †num†ration de lieux habit†s, d'Etats et de circonscriptions administratives. La curiosit† naturaliste n'enrichit gu…re l'analyse dans ce domaine. Ce qu'elle apporte, c'est une curiosit† nouvelle pour ce que fournit le contact direct avec les paysages. Les champs et les pr†s, les haies et les routes, les villages et les villes commencent ‚ ƒtre d†crits avec pr†cision. Ainsi se pr†parent de nouveaux d†veloppements. La g†ographie est proche des philosophies de la nature. Ce n'est pas une science de l'homme, qu'elle n'essaie pas alors de comprendre et d'expliquer. C'est pour cela que l'environnementalisme sensualiste ne l'affecte pas. Herder ne situe pas son analyse ‚ l'†chelle de l'individu, puisqu'il parle des peuples et des nations : c'est sans doute pour cela que ses id†es exercent une influence plus directe sur les g†ographes. Aux alentours de 1900 L'espace a- A la fin du XIX…me si…cle, les conceptions cartographiques de l'espace comme †tendue g†om†trique ou g†om†trisable sont toujours vivantes, mais elles ne repr†sentent plus une fronti…re dynamique de la discipline. Elles apparaissent comme un acquis. Le g†ographe a cess† d'ƒtre fondamentalement celui qui situe les choses ou les †v†nements mƒme s'il continue ‚ en faire un †l†ment de sa d†marche. La g†ographie historique issue des formes traditionnelles de la recherche cartographique perdure aussi (Butlin, 1993). Le g†ographe reste un homme de cabinet, dans l'imagination populaire - ainsi le Paganel de Jules Vernes. Vidai de la Blache stigmatise aussi ime la g†ographie de cabinet, preuve qu'elle n'est pas morte ‚ la fin du XIX si…cle. Le Manuel de géographie historique de la France que L†on Mirot publie en 1929 prouve d'ailleurs qu'elle continue ‚ ƒtre pratiqu†e plus tard encore -l'histoire n'a-telle pas besoin de cette science auxiliaire ? b- La conception naturaliste de l'espace comme r†alit† physionomique demeure elle-aussi tr…s vivante : le g†ographe est celui qui rep…re et classe des formes visibles. C'est ainsi que les 96 g†omorphologues ou les sp†cialistes de g†ographie botanique conˆoivent leur domaine. Ce qui a chang† cependant, c'est l'esprit dans lequel ces approches sont pratiqu†es. Le chercheur a cess† de s'extasier devant les harmonies de la nature. Il se pr†occupe des processus qui y sont ‚ l'œuvre. Une r†volution s'est ainsi d†velopp†e depuis la fin du XVIII…me si…cle dans le domaine des formes du relief. Le cadre de la chronologie biblique ne permettait d'expliquer le monde que par des catastrophes violentes et rapproch†es. A partir de l'instant oŠ l'on s'est affranchi des 6 000 ans qu'autorisait la lecture stricte de l'histoire sainte, il est possible d'adh†rer au principe des causes actuelles (Chorley et al., 1964). Il se d†veloppe ainsi, ‚ la limite entre g†ographie et g†ologie, un ensemble de connaissances qui mettent l'accent sur le r‹le de l'†rosion, de la s†dimentation et des phases de plissement ou d'activit† volcanique dans la gen…se des formes terrestres. Les sp†cialistes du climat ont d†couvert, ‚ la suite de Humboldt, la dissym†trie climatique des continents. Cela les a invit†s ‚ s'interroger sur le r‹le des foyers anticycloniques stables ou saisonniers dans la circulation atmosph†rique. L'œuvre de Matthew Maury a compl†t† celle des climatologues : les courants oc†aniques sont responsables de la douceur des faˆades occidentales des continents aux latitudes temp†r†es, puisque celles-ci sont baign†es par des eaux ti…des d'origine tropicale, alors que les faˆades orientales sont long†es par des flux d'origine polaire. Les zones climatiques ne sont plus d†termin†es par la seule latitude. c- La grande nouveaut† des derni…res d†cennies du XIX…mc si…cle est †galement naturaliste d'inspiration, mais elle propose une lecture nouvelle de l'ordre terrestre. Elle ne se contente plus d'†tablir une typologie des paysages. Elle essaie de comprendre le vivant, analyse donc le fonctionnement des organismes et s'interroge sur les relations qu'ils entretiennent avec leur environnement. Les formes vivantes ne sont pas fixes. Elles †voluent sous l'effet des contraintes que le milieu exerce sur l'organisme qui y est plong†. Le jeu de ces influences est diversement conˆu (Berdoulay et Soubeyran, 1992; Livingstone, 1992). Pour Lamarck au d†but du si…cle, et pour les n†o-lamarckiens ‚ partir des ann†es 1870, les transformations r†sultent d'une adaptation de l'organisme au milieu; elle se transmet graduellement d'une g†n†ration ‚ l'autre. Pour Darwin, les pressions qui viennent de l'environnement conduisent ‚ la s†lection des plus aptes, et donc ‚ la transformation des formes vivantes. Haeckel montre bient‹t que l'œuvre de Darwin implique le d†veloppement d'une science nouvelle, celle des relations des ƒtres vivants et de ce qui les entoure, de leur milieu de vie, au sens large : il donne en 1872 ‚ cette discipline le nom d'†cologie. Elle ne se structure en fait qu'‚ partir des derni…res ann†es du XIX…me si…cle. Mais les id†es de Haeckel ont transform† la g†ographie. Elles appelaient en effet la naissance d'une 97 discipline destinée à éclairer les rapports de l'homme à son environnement : c'est ce que Friedrich Ratzel a compris (sur Ratzel : Buttmann, 1977). La géographie humaine qu'il crée part de l'étude des rapports qui se développent en un lieu entre l'homme et le cadre où il réside et qui le fait vivre. La géographie est une proto-écologie qui met en évidence les relations verticales qui existent entre les organismes et le milieu où ils vivent. Les hommes ont leur place dans la pyramide écologique des êtres vivants. Par la cueillette, la chasse et la pêche, ils ont prélevé pendant des millénaires la nourriture et les produits nécessaires à leur survie. Puis ils ont remplacé les pyramides naturelles par des pyramides artificielles de plantes cultivées et d'animaux domestiques, susceptibles de leur fournir, sur une surface donnée, une masse beaucoup plus considérable de produits utiles et consommables. Les forêts et les steppes naturelles ont été remplacées par des champs labourés, des prairies ou des plantations d'arbres fruitiers - un tout autre paysage. Les formules mises en place ont été très diverses selon les aptitudes naturelles des milieux et le génie des peuples. D'où l'extraordinaire variété des "genres de vie" qui a fasciné et retenu les géographes. La proto-écologie que constitue la géographie humaine à la fin du siècle passé est une science naturelle du milieu, pas une science sociale. Les hommes ne sont présents que dans certains aspects de leur existence : l'ensemble des techniques matérielles qui permettent à un groupe de survivre dans un milieu donné. Ratzel et ses émules français, Vidai de la Blache en particulier, savent bien que l'étude des faits humains ne peut se contenter d'une telle vision verticale. Les animaux et les hommes sont mobiles. Les hommes savent transporter ce dont ils ont besoin et font souvent venir de l'extérieur ce qui leur manque. A l'étude du site doit s'ajouter celle de la situation : le milieu local n'est pas le seul qui compte pour comprendre la vie en un point; il importe de prendre en considération les milieux voisins, puisqu'ils sont mis également à contribution (Ratzel, 1881-1891; Vidai, 1922). La géographie humaine qui naît au tournant du siècle associe ainsi deux démarches : l'étude des relations verticales qui se développent au sein de chaque milieu, et celle des relations horizontales qui mettent en relation les milieux. L'idée de milieu est dominante, celle de circulation complémentaire. La structuration de l'espace provient des traits naturels qui caractérisent le milieu. La circulation permet d'échapper à certaines des limitations des cellules locales, mais elle ne joue pas le même rôle organisateur. Elle souligne la place que tiennent les villes qui, par leurs marchés, assurent le contact entre régions complémentaires - autre aspect de la vie sociale que le géographe considère donc comme pertinent. Vidai de la Blache va plus loin que ses contemporains dans l'étude des faits de circulation : il comprend l'importance croissante de la nodalité dans le monde de son temps - d'autres parleront ensuite de lieux centraux. Il ne lui accorde pourtant pas un rôle aussi fondamental qu'à 98 l'environnement. C'est que l'espace qu'il appréhende reste essentiellement celui des sciences naturelles. d- Le croie créateur de la circulation est révélé, en dehors de la géographie, par les travaux de certains économistes. L'économie spatiale (Ponsard, 1958) se développe depuis von Thù'nen, dont le grand ouvrage a été publié en deux volumes en 1826 et 1852. Après avoir analysé la localisation des activités agricoles, voilà que cette nouvelle discipline s'attache aux activités industrielles. L'économie spatiale raisonne en supprimant les aspérités de l'espace géographique; elle suppose une étendue uniforme et également pénétrable, la plaine de transport : il s'agit d'un milieu parfaitement plat où l'on circule avec une égale facilité (ou difficulté) quelle que soit la direction. L'espace est présenté comme une surface qui n'est différenciée que par la distance qui sépare les lieux. La variable-clef de l'économie spatiale est constituée par les frais de transport des biens. Ce sont eux qui expliquent la zonation des cultures en anneaux autour des marchés, ou la localisation des usines au point minimum des transports. D'autres propriétés de l'espace - l'inégale fertilité, l'inégale difficulté des transports selon les régions ou les orientations - sont réintroduites par la suite. Elles n'altèrent pas le trait fondamental de l'économie spatiale : il s'agit de la discipline qui prend en compte les coûts de déplacement des biens. La géographie humaine s'attache aussi aux faits de circulation. Pourquoi ne tire-t-elle alors aucun parti de l'économie spatiale ? C'est que les conceptions que les deux disciplines se font de l'espace sont irréductibles : la géographie y voit une juxtaposition de milieux locaux; elle admet qu'ils communiquent, mais c'est ce qui se passe au sein de chaque unité qui l'intéresse surtout; l'économie spatiale y voit une surface uniforme où elle cherche à déterminer des points d'équilibre. Pour les géographes, il est important de savoir si deux milieux communiquent, ou restent isolés, pour comprendre leur dynamique interne. L'accent reste placé sur l'évolution propre de chaque milieu. La circulation est un correctif. On ne cherche pas à comprendre à quelles lois elle obéit, et quelles configurations spatiales elle fait naître. Le milieu a- Le concept-clef de la géographie qui se constitue à la fin du XIX'mL' siècle est évidemment celui de milieu. Mais il s'agit du milieu des écologistes, de celui d'une proto-écologie tout au moins (Sorre, 1942) : il ne ressemble en rien à celui de la tradition hippocratique. Au contact de la lithosphère et de l'atmosphère se développe la biosphère, domaine des êtres vivants végétaux et animaux liés entre eux par une chaîne trophique qui assure l'alimentation en sels minéraux et énergie des organismes. La vie dépend des conditions locales de température, d'humidité et d'ensoleillement qui favorisent le développement des plantes, seules 99 capables de fixer l'énergie solaire et de synthétiser les molécules organiques de base. La vie dépend aussi des rapports de concurrence que chaque être vivant entretient avec les individus de la même espèce ou d'espèces différentes. Le milieu écologique se définit par ses paramètres physicochimiques et par les rapports complexes que les organismes nouent entre eux. Les êtres humains se distinguent des animaux par la manière dont ils transforment les milieux où ils vivent : ils s'isolent de l'atmosphère ambiante en s'habillant; ils se construisent des abris ou des maisons; ils remplacent les pyramides écologiques naturelles par celles des plantes et des animaux domestiqués. Le mileu qu'appréhendent les géographes s'inspire d'une discipline qui est en train de se constituer, l'écologie. Le cadre d'analyse qu'il offre s'applique aussi bien aux environnements naturels qu'à ceux que l'homme a influencés ou transformés. b- L'idée que le milieu est un ensemble de circulations physicochimiques verticales domine chez les géographes. Cela n'exclut pas, chez les urbanistes en particulier, la faveur persistante du modèle sensualiste (Fishman, 1980). Celui-ci explique l'intérêt que les architectes et urbanistes réformistes attachent à la réflexion sur les formes : elles conditionnent, croient-ils, la naissance d'un homme nouveau. Les géographes s'intéressent surtout aux milieux ruraux. Ceux-ci sont, pour les réformistes, exempts de tares morales graves. Leurs projets sont focalisés sur les zones pauvres des villes. L'environnementalisme sensualiste se développe ainsi en marge de la géographie, qui l'ignore à cette époque. La région a- Dans la mesure où la géographie est plus que jamais d'inspiration naturaliste, la place faite à l'étude des régions naturelles est considérable. On a appris à mieux les repérer et les dessiner. Des cartes géologiques à grande échelle existent désormais pour une large partie du monde, dans les pays développés surtout. L'inventaire des formations végétales progresse. On sait, grâce à Cléments, que dans un même milieu, elles se rangent en séries évolutives qui se terminent, lorsque les phases de stabilité sont assez longues, par un état climax. b- L'idée de région naturelle n'est pas suffisante pour bâtir une géographie humaine. Le monde dans lequel nous vivons a été profondément altéré par la mise en valeur agricole, l'industrialisation et l'urbanisation. L'appréhension régionale de la Terre doit prendre en compte tous ces aspects de la réalité. Les travaux empiriques soulignent la grande diversité des formes d'organisation repérables à la surface de la Terre. Lucien Gallois (1908) parle de régions spécialisées dans telle ou telle culture ou telle ou telle 100 activité industrielle. Il est frappé par la remarquable permanence des régions historiques. Il est sensible au rôle des villes, des plus importantes en particulier. Il cherche cependant à dissuader les géographes de faire de ces formes d'organisation l'objet principal de leurs études. Si le milieu est au centre de leurs préoccupations, c'est à la région naturelle qu'ils doivent s'intéresser en premier lieu. Mais celle-ci a été transformée par les hommes : "II faut partir de cette idée qu'une contrée est un réservoir où donnent des énergies dont la nature a déposé le germe, mais dont l'emploi dépend de l'homme. C'est lui qui, en la pliant à son usage, met en lumière son individualité. Il établit une connexion entre des traits épars; aux effets incohérents de circonstances locales, il substitue le concours systématique de forces. C'est alors qu'une contrée se précise et se différencie, et qu'elle devient à la longue une médaille frappée à l'effigie d'un peuple." Vidai de la Blache, Tableau de la Géographie de la France, p. 190. Vidai pense à la France lorsqu'il rédige ce texte, mais c'est bien son esprit qui anime Lucien Gallois lorsque celui-ci propose aux géographes de se consacrer à l'étude de la région géographique. La division de base est fournie par la région naturelle. Mais celle-ci a été transformée par ceux qui l'habitent. Ils ont découvert les énergies qui y dormaient et en ont tiré parti. La géographie régionale consiste à montrer comment les groupes humains ont su se plier aux indications de la nature pour produire ce dont ils ont besoin et aménager leur habitat et leur espace de vie. Sous son angle régional, la géographie humaine appréhende ainsi les réalités sociales d'un point de vue plus large que ce n'est le cas pour le genre de vie. Le paysage a- Pour les géographes d'inspiration naturaliste qui s'intéressent à la différenciation de l'espace terrestre, le paysage est un indicateur fondamental : faute d'un réseau d'observations directes finement maillé, il est difficile de préciser, en chaque point, les caractères du climat. Les événements météorologiques variant sans cesse, l'étude scientifique du climat suppose de longues séries d'observations complexes traitées par les méthodes statistiques. Les micro-climats locaux sont innombrables et difficiles à identifier par des mesures. La physionomie du couvert végétal est étroitement liée aux conditions climatiques et permet plus facilement de repérer et ème de cartographier les zones. Le paysage n'est pas, comme au début du XIX siècle, l'objet central de l'étude. Il demeure un instrument privilégié pour l'identification des régions naturelles. 101 b- Les g†ographes d'orientation proto-†cologique s'int†ressent au paysage dans la mesure oŠ celui-ci est la face visible et directement perceptible du milieu qu'il permet d'identifier. Les transformations que les hommes y ont imprim†es y sont particuli…rement faciles ‚ saisir : la g†ographie humaine ne peut ignorer le paysage, mƒme s'il ne permet pas toujours de poser les questions fondamentales, celles qui ont trait aux relations verticales que les hommes tissent avec leur environnement. Tous les †l†ments du paysage ne sont pas d'origine naturelle : en dressant l'inventaire des faits d'occupation du sol, champs ou prairies, chemins et routes, fermes et villages, la g†ographie humaine rencontre la soci†t† d'une troisi…me mani…re. L'am†nagement du territoire renvoie aux techniques mises en œuvre, mais aussi aux structures des soci†t†s qui en sont responsables. c- Le point de vue proto-†cologique conduit ‚ faire du paysage l'expression du fonctionnement des milieux. Les †tudes de terrain montrent que cette hypoth…se ne permet pas de tout expliquer : le paysage pr†sente des traits non-fonctionnels, des †l†ments qui datent de phases ant†rieures d'occupation du sol, oŠ ils †taient fonctionnels, et qui subsistent parce qu'ils ne gƒnent pas, ou ne gƒnent pas trop, les besoins des groupes actuels. Dans cette optique, le paysage devient document arch†ologique. Il renseigne sur l'†tat pr†sent du monde, mais jette †galement des lumi…res sur ses †tats pass†s. Il est l'objet de recherches d'archives. Le lien entre g†ographie et histoire se renforce. d- Les g†ographes commencent ‚ s'inqui†ter de l'unit† de leur discipline. Etudie-t-elle la diff†rencation r†gionale de la Terre, ou l'influence du milieu sur les groupes humains ? Cette seconde optique ne conduit-elle pas in†luctablement ‚ opposer g†ographie physique et g†ographie humaine ? Pour †viter une telle †volution, nombreux sont les g†ographes qui, en Allemagne en particulier (SchlŠter, 1906), d†cident de faire du paysage l'objet de leur discipline : ils pensent ainsi appr†hender les aspects naturels et les aspects sociaux sans risque d'†clatement. Comme en allemand, Landschaft d†signe ‚ la fois le paysage et le pays, la dimension r†gionale est automatiquement prise en compte. Conclusion Aux alentours de 1900, ce sont les mod…les venus des sciences de la Terre et de la vie qui influencent le plus les g†ographes. Les connaissances sur le monde naturel ont cependant beaucoup †volu† depuis le d†but du XIX…me si…cle : l'ambition des chercheurs n'est plus simplement de dresser un tableau pr†cis de la diversit† du visible, elle est de saisir des fonctionnements. La notion de milieu est d†sormais au centre des constructions 102 géographiques : elle a été renouvelée par l'approche écologique, qui souligne la signification des relations qui se développent verticalement, en un point, entre les organismes et ce qui les entoure. L'espace est conçu comme juxtaposition de milieux. Ils communiquent entre eux : c'est une dimension à ne pas oublier si l'on veut comprendre ce qui se passe en chaque point, mais la circulation n'est pas au centre des préoccupations. C'est de la notion écologique de milieu que provient l'accent mis sur la région géographique : celle-ci n'est-elle pas fondamentalement une région naturelle, c'est-à-dire un ensemble homogène de milieux locaux, interprété et modifié par l'homme ? Il y a une dimension humaine dans la géographie, mais elle est subordonnée à une dominante naturaliste. La géographie humaine qui se constitue ne fait pas de la société son objet direct d'étude. Elle rencontre la réalité sociale sous trois aspects, et à l'occasion de trois démarches différentes : 1- comme genre de vie lorsqu'elle analyse les milieux, 2- comme variable-clef de la transformation des régions naturelles en régions géographiques, et 3- à travers les faits d'occupation du sol que révèle le paysage. Il n'était pas facile de construire une discipline cohérente à partir d'éléments aussi disparates. Dans La géographie humaine, Jean Brunhes (1910) privilégie les faits d'occupation du sol, ce qui lui permet de bâtir la discipline sur des données faciles à observer de manière positive. La publication de cet ouvrage a probablement décidé Vidai de la Blâche à se lancer dans la rédaction des Principes de Géographie humaine (1922) - il en confie les premiers éléments aux Annales de Géographie en 1912. Il part des formations de densité, c'est-à-dire des relations hommes/milieu, dans la nouvelle optique proto-écologique. Il la complète par la prise en considération des faits de circulation. La région géographique et les paysages humanisés ne tiennent guère de place dans cette présentation. La discipline n'arrive pas à intégrer dans une construction synthétique les éléments sociaux qu'elle a été conduite à prendre en considération. Pour qui veut accentuer le caractère social de la discipline, l'outil d'analyse que constitue le genre de vie offre un cadre plus souple que les autres traits pertinents retenus par la géographie. Il précise l'insertion écologique des hommes dans leur milieu, mais insiste aussi sur les travaux et les jours des groupes retenus, et sur la manière dont ils valorisent plus ou moins leurs modes d'existence. Dans les années 1960 Les conceptions géographiques de l'espace développées au XIXême siècle et utilisées dans l'Entre-deux-guerres sont toujours vivantes, mais passent au second plan. C'est le cas de la vision géométrique de l'espace terrestre, sans laquelle il n'y a pas de cartographie; c'est aussi le cas de l'interprétation écologique qui fait de l'étendue une juxtaposition de milieux appréhendés à travers les chaînes trophiques qui s'y développent, 103 et les pyramides d'êtres vivants qui les constituent ou qui en dépendent. Le déclin de l'intérêt que les géographes manifestent à l'égard du milieu est cependant réel. Il intervient à contretemps. Ils ont mobilisé un point de vue écologique à une époque où l'écologie n'était pas encore réellement constituée comme science. L'analyse des chaînes trophiques au sein des écosystèmes, à la manière de Tansley (1935), et l'approche énergétique conçue par Lindeman (1942) lui confèrent désormais une réelle unité. L'opinion publique commence à se préoccuper des pollutions qui menacent les milieux où s'inscrit la vie quotidienne d'une part croissante de l'humanité. Pourquoi négliger un domaine d'une actualité brûlante alors que l'on dispose d'outils plus performants pour l'explorer ? La réponse tient sans doute à la manière dont les géographes avaient pris l'habitude d'appréhender l'environnement. La conception des milieux qui s'était imposée en géographie au tournant du siècle privilégiait le local, même si elle intégrait les rapports entre unités voisines à travers la circulation. Ce que la dimension écologique apportait alors au géographe, c'était l'idée que la productivité des milieux est limitée. Les hommes s'ingéniaient à l'augmenter, ou à mieux tirer parti de la matière organique produite sur place, mais ils n'arrivaient jamais à s'affranchir totalement de ces contraintes. La généralisation des transports à bon marché a modifié le. problème : les hommes peuvent s'accumuler dans les grandes villes en faisant venir de l'extérieur tout ce dont ils ont besoin. Les contraintes qui paraissaient décisives naguère le sont moins aujourd'hui. C'est ce qui oriente les géographes vers d'autres conceptions de l'espace. L'espace Les conceptions de l'espace changent parce que les géographes cessent de se considérer simplement comme des naturalistes. La période qui suit la Seconde Guerre mondiale est celle où l'on découvre les inégalités de croissance et où l'on prend conscience de l'injustice intolérable qu'elles représentent. La société est désormais appréhendée dans les espaces où elle s'insère. On prend conscience de sa diversité régionale. Celle-ci n'est plus perçue comme une fatalité liée aux facteurs naturels, mais comme un défi. Les géographes participent à cette prise de conscience. La géographie humaine en sort transformée : elle ne se propose plus de mesurer la part de l'homme dans le façonnement de la planète. Elle ^ cherche à comprendre comment les sociétés s'organisent, aménagent leurs m lieux de vie, tirent parti de ressources dispersées, en assurent la mise en 1 valeur, la transformation et la distribution et triomphent de l'obstacle que la distance crée pour toute vie de relation (Ullman, 1954) L'espace, conçu de manière géométrique (Bunge, 1962), est surtout appréhendé dans ses dimensions économiques : il est le siège de l'activité productive des hommes; il est parcouru par les flux de biens, de personnes et d'informations nécessaires pour exploiter et transformer les 104 ressources et pour assurer la distribution des produits fabriqués. Au lieu d'être appréhendé comme une surface indifférenciée, il est plutôt perçu en termes de réseaux. Il est donc hiérarchisé et structuré (Berry et Horton, 1970). L'économie spatiale lontemps ignorée est enfin mise à contribution (Ponsard, 1955; Isard, 1956). Elle fournit à la gé ographie une série de concepts qui lui sont très utiles : l'espace qu'étudient les géographes est désormais perçu comme un obstacle à la vie de relations (Bunge, 1962). La distance introduit des coûts de transport pour les biens ou les personnes. Elle frei ne également l'acheminement des informations : les coûts de communication sont pris en considération. L'espace des géographes des années 1960 n'est pas la plaine de transport des économistes de la fin du siècle dernier, même s'il est conçu comme obstacle à toutes les formes d'échange. C'est qu'il est structuré par le jeu des portées -limites (c'est l'apport de la théorie de la localisation à la manière de Christaller et de Lôsch), et par l'organisation en réseaux des systèmes de transport et de communication . Le milieu a- La conception écologique du milieu ne disparaît pas, même si elle retient moins l'attention. Elle permet, à travers la notion de métabolisme, d'aborder le problème des environnements complexes créés par l'intiative humaine, ceux des villes en particulier. Le milieu était défini comme l'ensemble des relations qui s'établissent entre un organisme vivant et les choses et les êtres qui l'entourent. On élargit le cadre : l'organisme pris en compte est collectif, une agglomération ou une région par exemple; les relations qu'il tisse s'inscrivent en partie en son sein, en partie à l'extérieur. L'environnement d'une ville est plus ou moins large selon les flux concernés. Pour ceux dont la portée est la plus faible, un problème de contrainte surgit : il ne résulte plus des limites de la capacité productive de chaque localité, mais de son incapacité à recycler indéfiniment les rejets qui y sont effectués. b- Lorsque la conception dominante cesse d'être écologique, l'intérêt pour le milieu se développe selon de nouvelles orientations. Il se fait davantage social et culturel : parler d'environnement, c'est évoquer souvent l'ambiance et les habitudes que partagent les membres d'un groupe, et qui se transmettent spontanément de génération en génération. La région a- La région cesse d'apparaître essentiellement comme une donnée naturelle. C'est une construction des hommes. Elle résulte de l'organisation de l'espace qu'impliqué la vie économique : division des terres, structuration des paysages en vue des assolements, réseaux de voies, formes diverses d'habitat, de la ferme isolée à la grande ville. La 105 région se définit soit comme une étendue homogène par ses formes de mise en valeur, soit comme un ensemble structuré autour d'un pôle fédérateur. b- L'attention se tourne particulièrement vers les faits de polarisation : les réseaux ont une structure hiérarchique, si bien que les flux convergent vers des points où la commutation entre les circuits a lieu. Les villes qui naissent de ces fonctions ordonnent des espaces qui dépendent d'elles. Celles d'une certaine importance regroupent des activités de haut niveau, banques, sièges sociaux, relais importants de l'administration, universités. Ce sont des éléments qui leur assurent une certaine autonomie, leur permettent de prendre des orientations économiques originales, ou les conduisent à développer des styles de vie spécifiques (Labasse, 1955; Juillard, 1962). c- L'analyse retient aussi l'existence de régions spécialisées, qui s'opposent à des régions d'économie complexe. Les premières sont cantonnées dans une mono-activité dominante, que tempère à peine la présence des services dont elle a besoin en amont ou en aval. Les secondes voient s'accumuler des productions agricoles intensives et diversifiées, des activités industrielles variées, et des services qui ne sont pas tournés uniquement vers la satisfaction des besoins locaux, mais prennent en charge des espaces très étendus (Ullman, 1954). Le paysage a- Les lectures écologiques et archéologiques du paysage paraissent toujours pertinentes. Elles sont largement pratiquées, et compensent le peu d'intérêt que l'on manifeste par ailleurs pour les problèmes écologiques qui commencent à passionner l'opinion. b- Les approches économiques sont généralisantes : elles montrent qu'il y a dans l'espace, et donc dans le paysage, des éléments récurrents, quartiers centraux et quartiers résidentiels dans les villes, par exemple. Les équipements révèlent la position hiérarchique des centres -une cathédrale, un théâtre et une préfecture ici; il s'y ajoute, dans une agglomération plus peuplée parce que mieux située, une université, un CHU, un opéra, etc. L'étude des paysages ainsi conçue est sourde à la spécificité des lieux. Elle souligne par exemple ce qui, dans chaque combinaison de traits locaux, est banal parce que lié à des impératifs fonctionnels qui se retrouvent ailleurs, aux mêmes niveaux des hiérarchies urbaines. 106 Conclusion La géographie des années 1960 doit au souci de justice sociale et à la volonté d'assurer un développement plus juste et mieux partagé d'être devenue la science des dimensions spatiales de toute vie collective. Cela explique l'accent mis sur les faits de relations. C'est autour de la notion d'espace que se structurent dé sormais les concepts -clefs de la géographie : tout est ramené au rôle de la distance conçue comme un obstacle aux transports et aux échanges d'information. Les réseaux permettent de limiter les coûts de déplacement qui en résultent, et structurent ains i l'espace. Les différents sens que revêt le terme de région découlent évidemment de la découverte de ces faits | d'organisation. Les recherches sur le milieu sont en porte -à-faux : elles continuent à reposer sur les approches écologiques légèrem ent élargies, mais commencent à prendre en compte les aspects culturels et symboliques jusqu'alors négligés. Le paysage perd la position centrale qu'il occupait depuis le début du XIX èmc siècle : les réflexions sur ses composantes banales correspondent à un progrès indéniable, mais elles laissent échapper tant d'éléments que le réel qu'elles dépeignent est abusivement appauvri. Dans les années 1990 L'espace a- Une partie des thèmes que nous avons évoqués continue à intéresser les chercheurs : l'espace des géographes est une étendue géométrique, il est constitué par la juxtaposition de milieux écologiques locaux, il constitue un obstacle aux déplacements, que des réseaux d'infrastructures essaient de surmonter en le structurant. La cartographie fait des progrès considérables et se voit secondée par les techniques de télédétection. L'exploitation des données devient plus aisée maintenant que l'on dispose de procédures efficaces pour les traiter. Ces conceptions sont à l'origine de développements importants : l'espace de la nouvelle géographie des années 1960 ne prenait guère en considération que les faisceaux de relations économiques. Dans les années 1990, on s'intéresse aussi au rôle des relations sociales et politiques dans la constitution des réseaux de comunications et dans l'organisation de l'espace qui en résulte. La géographie sociale et la géographie politique arrivent à maturité (Claval, 1973, 1978). La logique des réseaux, ceux des villes en particulier (Claval, 1981), est mieux comprise. L'impact de la révolution des transports rapides et des télécommunications explique la mondialisation des échanges et la métropolisation qu'elle accélère. C'est en fonction des très grandes villes que s'ordonnent désormais toutes les activités. 107 b- L'espace a cessé, depuis les années 1960, d'être essentiellement appréhendé dans ses dimensions physiques ou naturelles. Pour bien saisir l'impact qu'il joue dans la vie des groupes, l'accent avait alors été mis sur la vie de relation, les réseaux de voies de transport et de communication qui la structurent et le rôle de la distance. La réflexion sur les dimensions spatiales de la vie collective s'enrichit. Le point de vue adopté cesse d'être purement fonctionnel. La dimension symbolique est prise en compte (Dardel, 1952; Gottmann, 1952) : l'espace n'est pas seulement un support pour les activités et un obstacle pour les relations. Il stimule l'imagination, alimente les rêves, devient signe. Les géographes se passionnent pour la manière dont les hommes s'approprient l'espace, y accrochent leurs identités et l'investissent de valeurs. La notion centrale est celle de territoire (Bonnemaison, 1981, 1986-1987, 1992; Piveteau 1995). La nature et l'étendue sont diversement conceptualisées et les symboles dont elles sont lestées diffèrent d'un groupe à l'autre. Certaines sociétés voudraient domestiquer complètement la nature. D'autres valorisent surtout les espaces vierges et voudraient les préserver à tout prix. Le territoire est un morceau d'espace naturel et social chargé de sens parce qu'il a une histoire qui est pour l'essentiel celle des gens qui l'habitent. Le point de vue de ceux qui s'attachent à lui est vertical, comme celui qu'adoptaient les écologistes, mais le point de départ n'est pas le même : pour l'histoire naturelle, les données de base sont physicochimiques ou biologiques. Pour celui qui s'intéresse au territoire, l'ancrage se fait dans la conscience des habitants. L'espace pris en compte est fait d'éléments naturels et biologiques, mais il a été modelé par les générations qui l'ont successivement occupé. Il se trouve associé à des éléments purement imaginaires, à d'autres mondes, d'où il tire souvent une partie de sa signification. Le territoire comporte des hauts lieux où parle l'histoire, des temples et des bois sacrés où affleurent des au-delàs religieux ou magiques (Bonnemaison, 1986-1987, 1992; Claval, 1984; Eliade, 1963, 1965, 1971), et des lieux de réunion où prennent place les cultes, et où la solidarité devient une réalité palpable. Le territoire est le support de la vie quotidienne, mais il ne prend tout son sens qu'aux jours où les tâches s'allègent et où tout le monde peut participer à de grandes cérémonies, à des fêtes, à des commémorations. Lorsqu'ils étudiaient la région géographique, au début du siècle, les chercheurs essayaient de voir comment les milieux naturels avaient été utilisés et transformés par les hommes. Aujourd'hui, l'étude des territoires part des hommes. C'est en les écoutant, en interrogeant leurs mythes, en leur demandant quels moments de leur histoire leur apparaissent comme essentiels, qu'il est possible de délimiter les espaces qu'ils chargent de signification et avec lesquels ils s'identifient. Il est alors aisé de décrire les strates dont l'étendue est faite, depuis celles qui résultent de l'action humaine jusqu'à celles qui sont purement naturelles. On découvre 108 comment chacune est conˆue, valoris†e et utilis†e pour inscrire l'existence de chacun sur la Terre. Eric Dardel (1952) le soulignait lorsqu'il donnait comme t‰che ‚ la g†ographie d'analyser la "g†ographicit†" des groupes humains, ce qu'ils doivent au fait de vivre dans tel milieu avec telles ou telles techniques et telles ou telles repr†sentations. Les enfants reˆoivent du milieu oŠ ils sont †lev†s les pratiques et les savoir-faire qui leur permettent d'agir sur leur environnement et de s'ins†rer dans le tissu des relations sociales. La personnalit† qu'ils acqui…rent refl…te ce qu'ils ont appris, les valeurs qu'on leur a inculqu†es, la mani…re dont les connaissances leur ont †t† transmises, et leur propre exp†rience (Erikson, 1972). Les gens se constituent ainsi un noyau de croyances qui donne un sens ‚ leur vie. Leur identit† est li†e au syst…me de repr†sentations auquel ils ont souscrit, et qui sont souvent intimement li†es ‚ l'espace. Sans les perspectives qu'ouvr† ainsi la g†ographie culturelle, l'int†rƒt nouveau pour le territoire s'expliquerait mal. c- L'espace est territoire. Cela veut dire aussi qu'il est porteur de sens : on peut ‚ ce titre le consid†rer comme un texte, qu'il importe de comprendre. Ce texte ne peut ƒtre p†n†tr† que parce qu'il coexiste avec d'autres textes, avec lesquels il entretient des rapports d'intertextualit† (Duncan, 1990, 1992). La g†ographie cesse de ne s'int†resser qu'aux r†alit†s tangibles. Elle devient science du discours. Elle s'attache aux messages dont les lieux sont lest†s, et †coute les lectures qu'en donnent les gens. Le territoire prend ainsi toute sa dimension culturelle. Le milieu a- Les mani…res classiques d'aborder le milieu ne disparaissent pas. Elles continuent ‚ s'enrichir. L'approche †cologique s'est g†n†ralis†e. Au lieu de ne s'int†resser qu'aux †quilibres ou d†s†quilibres des †cosyst…mes locaux, comme au d†but du si…cle, ou ‚ l'extension r†gionale de ceux qui se cr†ent autour des grandes agglom†rations, comme dans les ann†es 1960 ou 1970, c'est l'†chelle plan†taire globale qui retient aujourd'hui l'attention. La question des limites de l'environnement se pose en effet pour l'ensemble de la Terre : jusqu'‚ quel point l'augmentation des rendements qu'autoris† le recours syst†matique aux engrais et aux pesticides ne compromet-il pas les composantes les plus lointaines du milieu, nappes profondes ou haute atmosph…re? Dans quelle mesure les proc†d†s de l'agriculture moderne ne r†duisent-ils pas dangereusement la biodiversit† de l'œcoum…ne ? Y a-t-il une limite ‚ l'accroissement de la population dans un univers fini ? La g†ographie de nagu…re ne se pr†occupait que des situations normales. C'est au moment des catastrophes naturelles que les contraintes du milieu imposent pourtant aux institutions sociales les tensions les plus rudes, et r†v…lent que la mise en valeur de l'espace rencontre des limites 109 plus proches qu'on ne le pense généralement (White, 1961). Cela justifie l'attention aujourd'hui accordée à la géographie des risques et des catastrophes naturelles. Les rejets de gaz carbonique ne conduisent-ils pas à un effet de serre généralisé, à une augmentation sensible de la température de la planète, à la fonte d'une partie des glaces, et à une remontée générale des eaux marines ? La couche d'ozone n'est-elle pas menacée par les rejets de gaz comme les fréons, ce qui entraînerait une augmentation sensible de la fraction du rayonnement ultra-violet du soleil qui atteint la surface terrestre ? L'énergie nucléaire engendre des pollutions en grande partie irréversibles et constitue un danger permanent. b- Le milieu se définit aussi du point de vue social. Le géographe s'intéresse à l'environnement culturel dans lequel vivent les individus. La diffusion des connnaissances, des valeurs, des techniques et des artefacts est soumise à des contraintes spécifiques : elle conduit à les imposer sur de vastes espaces, ou génère des cellules discontinues. Le contenu culturel n'est pas seulement fait de techniques de production partagées. Il est riche de tout ce qui modèle la structure des sociétés et assure leur survie et leur cohérence, règles morales, idéologies qui légitiment et organisent le pouvoir, croyances et religions qui donnent un sens à la vie, à la mort et à la place de l'homme dans la nature. c- Dans l'optique culturelle, analyser le milieu, c'est aussi interroger les représentations que les hommes se bâtissent de la nature, de la société et de leurs rapports. La pensée occidentale a souvent opposé l'homme au reste du monde : il paraît radicalement différent des autres êtres vivants. Ailleurs, c'est plutôt la continuité entre l'inanimé, le vivant et le social qui est soulignée (Hayward, 1994; Pepper, 1996). La région a- Les études sur l'organisation de l'espace se poursuivent. Elles s'enrichissent en élargissant la place qu'elles accordent aux composantes sociales, politiques et culturelles des systèmes de relation. Les modèles de la région que l'on avait appris à définir se diversifient : la région polarisée, la région spécialisée, la région complexe permettaient de repérer les formes d'organisation de l'espace caractéristiques des pays développés. Pour les sociétés traditionnelles, le rôle des structures familiales plus ou moins étendues, des structures de caste, des relations de clientèle et des formes nonbureaucratiques de pouvoir est beaucoup plus grand. Cela veut dire que les centres y sont souvent plus nombreux et plus petits que dans les contextes développés (Bonnemaison, 1992). Chacun ne tient qu'une place modeste dans la vie collective. Les limites deviennent également plus floues là où la hiérarchisation des réseaux est faible, et où les aires qu'ils structurent se chevauchent. 110 b- L'approche r†gionale s'attache d†sormais beaucoup aux espaces investis de significations par les collectivit†s qui les habitent, ou par celles qui vivent autour. Toute unit† spatiale qui est reconnue et charg†e de valeurs par un groupe constitue un territoire (Piveteau, 1995). Chaque portion d'espace a des particularit†s qui viennent de la mani…re dont on la vit (Fr†mont, 1976) : la t‰che de la g†ographie r†gionale est ‚ la fois de saisir des structures objectives et des appr†ciations subjectives (Entrikin, 1991). L'†chelle des curiosit†s r†gionales s'†largit donc : les ensembles d'†tendue moyenne, de quelques centaines ‚ quelques dizaines de milliers de km2 cessent d'ƒtre privil†gi†s. La maison ou le quartier retiennent autant l'attention que les d†partements ou les provinces. Les aires dont les membres ont le sentiment de partager le mƒme patrimoine ou la mƒme culture doivent †galement ƒtre analys†es. Depuis le XVIII6"1" si…cle, les g†ographes faisaient profession de ne pas s'attacher aux aires administratives et aux espaces nationaux : ne s'agissait-il pas d'unit†s artificielles, fond†es sur l'arbitraire des souverains ou les hasards de l'histoire ? Les r†gions g†ographiques devaient leur ƒtre pr†f†r†es, puisqu'elles †chappaient ‚ tout arbitraire, enracin†es qu'elles †taient dans des cadres naturels. C'est vers ces †chelons que se tourne aujourd'hui de pr†f†rence l'attention, car ce sont eux qui sont les plus charg†s de sens : nationalisme, r†gionalisme, autonomisme, irr†dentisme secouent notre monde. Le paysage C'est peut-ƒtre dans le domaine de l'analyse des paysages que l'†volution contemporaine de la curiosit† g†ographique est la plus forte : les g†ographes s'attachent au sens que les hommes donnent ‚ leur exp†rience de l'espace. C'est ‚ travers les paysages qu'il est le plus facile de le mettre en †vidence (Pitte, 1983). a- Le paysage est analys† comme une sc…ne oŠ la soci†t† se donne ‚ voir (Goffman, 1973). Comme au th†‰tre, les acteurs apprennent des r‹les qu'ils jouent devant des spectateurs. Les †pisodes se d†roulent dans des d†cors qui situent les †v†nements et les placent dans un contexte charg† de sens. Une partie du message ne se dit pas, mais peut se lire dans le cadre oŠ l'action prend place. C'est pour cela que les paysages sont semblables ‚ des textes (Duncan, 1990, 1992), ou servent de supports ‚ des textes, et peuvent s'analyser en mettant en œuvre les proc†d†s de la critique litt†raire ou artistique. Qui dit sc…ne dit †galement coulisses et envers du d†cor : le paysage comporte des faˆades faites pour les moments oŠ les hommes se donnent en spectacle, et des zones oŠ ils †chappent au regard des autres et peuvent mener une vie personnelle ou familiale dans un cadre plus intime. 111 b- Les diff†rents participants ‚ la vie sociale ne comprennent pas la vie de la mƒme mani…re. Ils s'attachent ‚ des valeurs diff†rentes. Leurs int†rƒts mat†riels sont contradictoires. Le paysage n'est pas seulement la sc…ne oŠ se joue la com†die sociale. C'est l'ar…ne oŠ sont confront†s les groupes : il existe, pour chaque paysage, des interpr†tations diff†rentes et divergentes. C'est ‚ travers elles que l'on voit le mieux les id†ologies ‚ l'œuvre dans une cellule sociale (Berque et ai, 1994; Cosgrove, 1984). Les monuments qui dominent la ville sont conˆus pour donner de l'autorit† et de la majest† au pouvoir, ‚ l'†glise, aux classes dominantes. Ils r†pondent aux conceptions de la part de la population qu'elles favorisent, et qui les mettent en place pour conforter leurs positions. Les couches qui n'ont gu…re part au festin et sont r†duites ‚ l'ob†issance essaient de se cr†er, en marge des cadres officiels, des milieux oŠ vivre ‚ leur mani…re. Il leur arrive de se rallier aux contre-cultures qui essaient de saper le syst…me ‚ la base. L'analyse des paysages devient alors une des composantes essentielles de la critique de l'ordre spatial et de ses d†terminants culturels et sociaux. c- Le paysage qu'analysent ainsi les g†ographes n'est pas un cadre neutre et qui puisse ƒtre trait† sans †motion. Ceux qui y sont plong†s l'aiment ou le d†testent, s'y sentent †trangers ou en exil, ou au contraire parfaitement ‚ l'aise, chez eux. Mƒme s'ils n'en parlent gu…re, les primitifs ou les paysans des soci†t†s traditionnelles ne restent pas indiff†rents ‚ l'harmonie de certains paysages ou au sublime des sc…nes de montagne. Mettraient-ils autant de soin ‚ orner leurs habitations ou ‚ bien tenir leurs champs s'il en allait diff†remment ? Le besoin de consid†ration sociale les motive peut-ƒtre plus qu'une †motion purement esth†tique, mais on ne peut exclure celle-ci. Certaines soci†t†s vont plus loin que d'autres dans cette voie : le paysage devient pour elles l'objet d'une valorisation esth†tique, comme le montre la place qu'il tient d†sormais dans les repr†sentations artistiques, ou comme le prouve la mani…re dont on y dessine parcs et jardins selon les id†es que l'on se fait du pittoresque, du rustique ou du sublime (Berque, 1990, 1995; Roger, 1978, 1991; Roger et Gu†ry, 1991). Il existe donc une g†ographie des soci†t†s oŠ le paysage acc…de pleinement ‚ la dignit† esth†tique et de celles oŠ ce n'est pas le cas. Conclusion L'†volution qui explique les orientations dominantes de la g†ographie des ann†es 1990 compl…te le renversement de perspective r†alis† dans les ann†es 1960. La g†ographie a cess† d'ƒtre seulement une science naturelle. Conˆue comme une science sociale (c'est l'acquis des ann†es 1980), elle †tudie le sens que les hommes donnent ‚ leur exp†rience v†cue : elle s'attache d†sormais ‚ la g†ographicit† des soci†t†s humaines, comme le r†clamait Eric Dardel d…s 1952. 112 Ce renversement des tendances met au cœur de la g†ographie le territoire, †tendue de nature plus ou moins am†nag†e ‚ laquelle les hommes conf…rent du sens. Elle fait du paysage son champ pr†f†r† d'analyse. Les notions de milieu et de r†gion ne suscitent pas autant de curiosit†. Conclusion g†n†rale A la fin du XVIir"me si…cle, la cartographie sort de sa phase t‰tonnante. Elle repose d†sormais sur des techniques purement scientifiques. La conception de l'espace qu'elle implique, celle qui repose sur l'id†e que la Terre est une surface g†om†trique que l'on peut repr†senter sans trop de d†formations en deux dimensions, fait d†sormais partie de l'h†ritage g†ographique. Son d†veloppement est pour une bonne part ind†pendant de celui du reste de la discipline, mais le conditionne largement. La cartographie th†matique demeure plus directement au service de la g†ographie. La g†ographie historique, longtemps captive de la cartographie, devient autonome lorsque les cartographes n'ont plus besoin de consulter itin†raires ou r†cits de voyage pour appr†cier les longitudes. Elle poursuit son d†veloppement durant tout le XIX…me si…cle, mais se r†tracte alors faute de s'ƒtre renouvel†e, ou c…de la place ‚ une nouvelle mani…re de la concevoir : au lieu de se contenter de pr†ciser le d†cor des †v†nements, cette nouvelle faˆon de voir fait des milieux, et de la mani…re dont ils sont exploit†s et ouverts ‚ la circulation, des †l†ments explicatifs majeurs des tendances longues du devenir des peuples (Butlin, 1993). La g†ographie reˆoit ‚ deux reprises, ‚ la fin du XVIII6"1 " si…cle et ‚ tme la fin du XIX si…cle, l'impact des sciences naturelles. Mais la mani…re dont elles sont conˆues a chang† entre temps : on cherche, ‚ la fin du XVIir"1 "1 si…cle, ‚ †laborer une syst†matique du monde observable. Le paysage se trouve ainsi au cœur du dispositif th†orique; la r†flexion sur l'organisation de l'espace est stimul†e par la d†couverte de la r†gion naturelle. Le milieu et l'espace tiennent une place plus modeste dans la construction de la discipline. La g†ographie de la fin du XIX…me si…cle est repens†e en fonction de l'id†e de milieu que l'†cologie vient de d†finir. Celle-ci tarde ‚ se constituer en domaine scientifique, si bien que les g†ographes sont longtemps les seuls ‚ tirer pleinement profit de son inspiration. C'est ‚ partir de la notion d'environnement que les autres concepts sont b‰tis, qu'il s'agisse de l'espace (une juxtaposition de milieux), du paysage (la traduction sensible du milieu) ou de la r†gion g†ographique (la mise en œuvre par l'homme du cadre de milieux homog…nes que constitue la r†gion naturelle). Les quarante derni…res ann†es de notre si…cle ont conduit ‚ des remises en cause dramatiques. La premi…re, qui commence dans les ann†es 1960, fait de la g†ographie une science sociale, celle qui s'attache 113 ‚ comprendre l'inscription dans l'espace de la vie de relation : elle part des notions d'espace et de r†seau. Les †changes et d†placements conduisent ‚ des formes d'organisation que la g†ographie r†gionale appr†hende ‚ travers des cat†gories comme celles de r†gion polaris†e, de r†gion sp†cialis†e, de r†gion complexe. La place faite ‚ l'analyse du paysage est consid†rablement r†duite. Les vingt derni…res ann†es ont vu le recul des options positivistes qui dominaient la discipline : la mani…re dont l'espace et la nature sont lest†s de sens par les hommes retient d†sormais l'attention des g†ographes. Le territoire devient le concept-clef de la discipline. C'est ‚ travers le paysage conˆu comme th†‰tre ou comme ar…ne que se conduit l'analyse des valeurs dont l'espace est investi, autour desquelles les identit†s se structurent, et pour lesquelles les conflits se d†clenchent. L'analyse r†gionale se distingue mal de celle de l'espace, puisque l'une et l'autre reposent sur la cat†gorie fondamentale de territoire. La nouveaut† la plus marquante, c'est l'attention d†sormais attach†e ‚ des †chelles jusque-l‚ n†glig†es, celle du quotidien comme celle de la nation. L'†tude des milieux perd son r‹le central, mƒme si la comparaison des conceptions que s'en font les diff†rentes cultures appara‡t riche d'enseignement. A chaque †poque, un concept domine et informe les autres; il est g†n†ralement motiv† par des curiosit†s qui marquent toute l'†poque : le souci de saisir la nature ‚ travers sa physionomie, c'est-‚-dire ‚ travers le paysage, au tout d†but du XIX 6 ™ si…cle, l'id†e de milieu ‚ la fin de ce mƒme si…cle, l'espace comme cadre et obstacle ‚ la vie sociale aux alentours de I960, le paysage de nouveau dans l'optique humaniste contemporaine. Les profondes transformations que la g†ographie a connues au cours des deux derniers si…cles r†sultent de l'impact de pr†occupations †pist†mologiques import†es : vision naturaliste du Cosmos, conception †cologique du milieu, appr†hension du social comme produit de la vie de relations, r†flexion sur le sens que les groupes conf…rent ‚ leur exp†rience de la vie sur Terre. Les historiens de la g†ographie ont †videmment tendance ‚ souligner ces facteurs de transformation, puisque ce sont eux qui ont le plus largement contribu† ‚ ouvrir la discipline ‚ de nouvelles curiosit†s. Mais la part du d†veloppement autonome, par approfondissement de concepts d†j‚ accept†s, ne doit pas ƒtre minor†e : c'est parce que les g†ographes continuent ‚ utiliser, pour repr†senter leurs r†sultats, des cartes scientifiquement †labor†es de la surface terrestre, parce qu'ils excellent toujours ‚ tirer parti des approches †cologiques, et parce qu'ils savent combien il est f†cond de concevoir la soci†t† comme un faisceau de relations, que les travaux d'hier continuent ‚ ƒtre compr†hensibles aujourd'hui. Il serait faux de consid†rer qu'‚ partir du moment oŠ une id†e a †t† accept†e en g†ographie et y conna‡t un d†veloppement autonome, elle cesse d'apporter des r†sultats r†ellement neufs. La cartographie que nous 114 utilisons est infiniment supérieure à celle dont on disposait à la fin du siècle dernier, et la présentation des données qu'elle permet est d'autant plus parlante qu'elle a été précédée d'un travail de traitement et d'exploitation qui élimine les redondances et souligne les traits essentiels des distributions. Les visions naturalistes à la mode de la fin du XVIIIème siècle continuent à inspirer une bonne partie de la géographie physique : même si elles sont moins intimement liées que par le passé au corps principal de la recherche, les avancées de la géomorphologie, de la climatologie, de la pédologie ou de la géographie végétale aident à comprendre les milieux dans lesquels évoluent les hommes. La fécondité du point de vue écologique est plus évidente encore : les hommes sont toujours soumis à des contraintes environnementales, même si celles-ci ne se manifestent pas à la même échelle et ne prennent pas la même forme. La recherche sur la manière dont les relations qui se tissent entre les hommes contribuent à organiser l'espace ne s'est pas arrêtée au début des années 1970, lorsque les critiques radicales ont montré le conservatisme inhérent à certaines formes d'analyse économique. Une bonne partie de ce que nous savons du rôle des hiérarchies sociales et des formes d'exercice du pouvoir dans la mise en place de cadres territoriaux a été acquise dans les années 1970 et 1980. Le rôle de la réflexion épistémologique n'est pas d'imposer à la géographie des modèles venus d'ailleurs et qui seraient les seuls féconds. Le monde de la recherche n'est pas structuré en domaines dévolus chacun à une science. Il est fait de disciplines qui envisagent la même réalité, ou des réalités voisines, sous des points de vue différents. L'histoire des sciences est celle de la constitution d'ensembles cohérents de démarches ; chacune offre ainsi une perspective spécifique. Leur évolution résulte à la fois de l'effort de cohérence et de réflexion qui permet d'approfondir le point de vue déjà constitué, et de l'importation de perspectives nouvelles, qui bouleversent mais enrichissent à la fois ce qui était jusqu'alors pratiqué. C'est de l'image de la science comme mosaïque de territoires mitoyens que vient l'idéologie du pluridisciplinaire : il existerait, dans cette optique, des zones frontières négligées par les uns et par les autres. Pour les aborder, la combinaison des forces venues de plusieurs disciplines constituerait la meilleure solution. Il nous semble que la structure du savoir est différente : il est fait de disciplines, c'est-à-dire de moyens de mener le raisonnement, de tirer parti de certains types de documents et d'imaginer les preuves indispensables pour établir la validité des hypothèses émises. Ce n'est pas aux marges de ces disciplines que le progrès se développe le plus, mais dans leur noyau : il résulte à la fois de l'effort interne de rigueur, et de l'importation de solutions éprouvées ailleurs. L'image d'un univers scientifique où les disciplines se fondraient 115 peu à peu dans un contexte de mollesse d'esprit généralisée nourrit l'utopie scientifique de tous ceux qui ont peur de raisonner bien. Ce que la réflexion épistémologique enseigne, c'est bien plutôt la fécondité de la combinaison de rigueur et d'imagination qui permet de renouveler les perspectives sans les détruire et sans leur faire perdre leur cohérence. Bibliographie BARTELS, Dietrich, 1969, "Die Harmonie Begriff", Die Erde, vol. 100, p. 124-137. BERDOULAY, Vincent et Olivier SOUBEYRAN, 1992, "Lamarck, Darwin et Vidai : aux fondements naturalistes de la géographie", Annales de Géographie, vol. 100, n° 561-562, p. 517-634. BERLIN, Isaiah, 1976, Vico and Herder, Londres, Hogarth Press. BERQUE. 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