Sur l’application de la théorie des réseaux à la φιλία grecque Essai de reconstruction de réseaux de φιλία à la lumière des relations extérieures de Thasos (VIIe – Ier siècle a.C.) Mémoire David Jolin Maîtrise en études anciennes Maître ès arts (M.A.) Québec, Canada © David Jolin, 2016 Résumé La notion de φιλία, communément traduite par le terme amitié, constituait un enjeu important dans les sociétés grecques. Alors qu’elle était synonyme de vertu et de justice à la période archaïque, la φιλία devint, sous la plume des philosophes des Ve et IVe siècles, un gage de dévouement et de fidélité, ainsi qu’un concept complémentaire aux principes de l’utilité et du plaisir. Elle servit aussi, en particulier dans le contexte de la période hellénistique, à consolider et à renforcer les relations diplomatiques des cités, des monarchies et de Rome. En se fondant sur l’exemple de Thasos, ce mémoire propose d’approfondir les dimensions sociétale et internationale de la φιλία en regard des témoignages littéraires et épigraphiques. Dans le but d’apporter une contribution originale, la φιλία est étudiée sous l’angle de la théorie des réseaux, qui permet de comprendre la portée et les implications du concept dans les rapports extérieurs de Thasos. III Table des matières Résumé ................................................................................................................................... III Table des matières ................................................................................................................... V Liste des sources sur la φιλία thasienne ............................................................................. VII Liste des figures ......................................................................................................................IX Liste des abréviations .............................................................................................................XI Remerciements ..................................................................................................................... XV Introduction .............................................................................................................................. 1 Chapitre I : Usages et fondements de la φιλία dans les cités grecques : des origines à l’achèvement de la conquête romaine................................................................................... 15 1.1. Étude comparative de l’amitié moderne et de la φιλία antique .................................. 15 1.2. Les rapports entre personnes : termes et circonstances .............................................. 19 1.3. Les rapports entre cités : termes et circonstances ...................................................... 28 1.4. Remarques conclusives .............................................................................................. 39 Chapitre II : La φιλία dans les relations internationales de Thasos (VIIe-Ier s.) ............ 41 2.1. Les traditions littéraires sur l’histoire de Thasos ....................................................... 41 2.2. Un aperçu de la φιλία dans les inscriptions relatives à Thasos (VIIe-Ier s.) ............... 46 2.3. L’évolution de la φιλία dans les relations internationales de Thasos (VIIe-Ier s.) ...... 54 2.3.1. L’intervention d’Ekphantos (390/89)............................................................... 54 2.3.2. La seconde confédération athénienne (377) ..................................................... 55 2.3.3. Philippe V et Thasos (fin IIIe – début IIe s.) ..................................................... 57 2.3.4. Thasos sous l’amicitia romaine (196-78)......................................................... 58 2.3.5. Considérations sur l’institution des juges étrangers ......................................... 59 Les décrets de Samos (IIe s.) ............................................................................. 60 Le décret de Milet (seconde moitié du IIe s.) .................................................... 62 Le décret de Tralles (seconde moitié IIe – début Ier s.) ..................................... 63 Le décret de Smyrne (ca. Ier s.) ......................................................................... 64 V 2.3.6. Considérations sur le déploiement de citoyens thasiens à l’étranger ............... 65 Le décret de Samothrace (seconde moitié IIe ou début Ier s.) ........................... 65 Les décrets d’Assos et de Rhodes (seconde moitié IIe ou début Ier s.) .............. 66 2.4. Remarques conclusives .............................................................................................. 67 Chapitre III : Considérations sur le concept de réseau en études anciennes.................... 71 3.1. De la logique mathématique jusqu’à l’établissement de la SNA ................................ 71 3.2. La théorie des réseaux dans les recherches sur l’Antiquité grecque .......................... 77 3.3. À la recherche d’un équivalent pour le mot réseau en grec ancien ............................ 81 3.4. Examen comparatif des systèmes théoriques et méthodologiques ............................ 85 3.5. Thasos et la théorie des réseaux : vers la création d’un réseau thasien de φιλία ....... 87 3.6. Remarques conclusives .............................................................................................. 96 Conclusion ............................................................................................................................... 99 Bibliographie......................................................................................................................... 103 Annexe 1 : Carte suivie d’explications sur les établissements de la Pérée thasienne ..... 123 Annexe 2 : Tables sur le mouvement des Thasiens et des étrangers à Thasos ............... 131 VI Liste des sources sur la φιλία thasienne 1. Démosthène, Contre Leptine, 59-60 ................................................................................ 45 2. Polybe, XV, 24, 1 ............................................................................................................. 45 3. IG II2, 43 – Prospectus de la seconde confédération athénienne (377) ............................ 47 4. IG XII Suppl., 361 – Décret de Samos (seconde moitié du IIe s. ?) ................................. 50 5. IG XII 6.1, 153 – Décret de Samos (seconde moitié du IIe s. ?) ...................................... 50 6. SEG 29, 770 – Décret de Milet (seconde moitié du IIe s.) ............................................... 50 7. SEG 29, 772 : Décret de Tralles (seconde moitié du IIe – début Ier s.) ............................ 50 8. IG XII 8, 269 – Décret de Smyrne (ca. Ier s.) ................................................................... 51 9. Rech. II, no 169 – Décret de Samothrace (seconde moitié du IIe ou début du Ier s.) ........ 51 10. Rech. II, no 172 : Décret d’Assos (seconde moitié du IIe ou début du Ier s.) .................. 51 11. Rech. II, no 170 : Décret de Rhodes (seconde moitié du IIe ou début du Ier s.) .............. 52 12. Rech. II, no 175 : Lettre de Dolabella (80/78) ................................................................ 53 VII Liste des figures Figure 1 : Réseau de φιλία thasien, de la fin du IVe à la fin du Ier siècle, selon la mobilité internationale et les mentions honorifiques ...................................................................... 90 Figure 2 : Tableau statistique sur la mobilité internationale et les mentions honorifiques des Thasiens à l’étranger et des étrangers à Thasos ............................................................... 91 Figure 3 : Tableau statistique sur la mobilité internationale et les mentions honorifiques des Thasiens et des étrangers du point de vue des relations de φιλία ..................................... 91 IX Liste des abréviations I. Corpus épigraphiques Epigr. Oropou Hoi epigraphes tou Oropou IG Inscriptiones Graecae IScM Inscriptiones Scythiae Minoris Graecae et Latinae I. Smyrna Die Inschriften von Smyrna Lampsakos Die Inschriften von Lampsakos LGPN Lexicon of Greek Personal Names SEG Supplementum Epigraphicum Graecum II. Périodiques AC L’Antiquité classique AHB The Ancient History Bulletin AIV Atti dell’Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti. Classe di Scienze Morali, Lettere ed Arti Annuale AncPhil Ancient Philosophy ANWR Aufstieg und Niedergang der römischen Welt AWE Ancient West & East BCH Bulletin de correspondance hellénique Chiron Chiron : Mitteilungen der Kommission für Alte Geschichte und Epigraphik des Deutschen Archäologishchen Institut CRAI Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres Electrum Electrum. Journal of Ancient History Ethics Ethics : An International Journal of Social, Political, and Legal Philosophy Flux Flux Cahiers scientifiques internationaux Réseaux et territoires G&R Greece and Rome XI Historical Methods Historical Methods : A Interdisciplinary History HSPh Harvard Studies in Classical Philology Hyperboreus Hyperboreus : Studia Classica IRSH The International Review of Social History JS Journal des savants Ktèma Ktèma : civilisations de l’Orient, de la Grèce et de Rome antiques Mind Mind : A Quarterly Review of Philosophy P&P Past and Present : A Journal of Historical Studies Pallas Pallas : Revue d’études antiques Philosophy Philosophy : The Journal of the Royal Institute of Philosophy REA Revue des études anciennes REG Revue des études grecques RMeta The Review of Metaphysics RPh Revue de philologie, de littérature et d’histoire anciennes SCI Scripta classica Israelica : Yearbook of the Israel Society for the Promotion of Classical Studies TAPhA Transactions of the American Philological Association ZPE Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik XII Journal of Quantitative and À mes φίλοι et à ma famille. Ce mémoire est un hommage à la φιλία, qui rend la vie tellement plus agréable ! XIII Remerciements Je tiens d’abord à remercier mon directeur, M. Patrick Baker, de m’avoir guidé tout au long de mon parcours universitaire. Je le remercie d’avoir cru en moi et de m’avoir fait confiance, et ce, même si mon sujet lui était initialement bien inconnu. Je lui serai éternellement reconnaissant pour ses conseils et critiques avisés, ainsi que pour soutien moral dans mes moments de détresse. J’ai maintes fois douté de mes capacités, mais il a toujours su me rassurer à travers nos conversations. J’aimerais ensuite remercier M. Alban Baudou d’avoir accepté le rôle de prélecteur. Ses remarques ont constamment été des plus constructives et ont contribué à améliorer la qualité de mon mémoire. Je le remercie aussi pour son écoute attentive et pour sa grande générosité à mon égard. Je n’oublierai jamais mon périple à Marseille. Je souhaite encore remercier Mme Christel Freu pour ses commentaires rigoureux et pour ses judicieuses recommandations. Les précisions qu’elle a proposées m’ont aidé à mieux structurer et organiser mon argumentation. Il me tient à cœur de remercier mes parents et ma famille, qui m’ont appuyé dans tous mes projets et qui m’ont épaulé dans les instants difficiles. L’écriture de ce mémoire n’aurait pas été possible sans votre collaboration. Je profite enfin de cette occasion pour remercier mes φίλοι, mes amis. Vous êtes une source d’inspiration quotidienne. Votre soutien constant, vos encouragements et les nombreux moments précieux que nous avons partagés et que nous partagerons me permettent d’avancer et de me dépasser. XV Introduction Au cours de leur histoire, les cités grecques, soucieuses de maintenir un équilibre politico-économique et d’atteindre l’autarcie, furent appelées à s’ouvrir au monde extérieur et à ses influences1. La concrétisation de ces aspects découla d’un long processus initié à la période archaïque, où les Grecs, qui étaient en pleine recherche de cohésion sociale et culturelle, fondèrent des πόλεις et mirent en place des institutions communes. C’est dans ce climat et avec le concours subséquent des mouvements de colonisation que le système de relations entre cités commença à se développer2. L’efficacité de ce système fut constamment éprouvée par les puissances, à savoir l’empire achéménide, les ligues de Délos et du Péloponnèse, les dynastes argéades, les Diadoques, les royaumes hellénistiques, les ligues achéenne et étolienne, puis Rome. Les πόλεις eurent tôt ou tard besoin de négocier avec l’un ou l’autre de ces acteurs, car ce sont eux qui possédaient les ressources nécessaires à la défense et à la survie de leurs intérêts. Mais si la vitalité de la cité dépendait en grande partie du bon vouloir des centres dominants, elle dépendait aussi de sa capacité à diversifier ses activités économiques et à gérer son système de relations, sans quoi il lui était difficile de trouver une stabilité sur la scène internationale. Les processus enclenchés par les Grecs à la période archaïque, qui visaient l’établissement de liens tangibles avec les acteurs extérieurs, ne cessèrent de se complexifier au fil du temps. La notion de φιλία, qui est attestée dans les sources littéraires et épigraphiques entre le VIe et le Ier siècle, rend compte de cette réalité3. A priori, les origines du mot φιλία demeurent incertaines. Bien que sa racine étymologique soit la même que celle du mot φίλος, la provenance du radical φιλ- ne peut être clairement déterminée4. Plusieurs tentatives de restitutions, notamment celles de R. Loewe, 1 2 3 4 Selon K. Vlassopoulos, Unthinking the Greek Polis. Ancient Greek History Beyond Eurocentrism, Cambridge / New York, Cambridge University Press, 2007, p. 73, la traduction du terme αὐτάρκεια par « autosuffisance » ne reflète pas justement la pensée d’Aristote. Après avoir analysé quelques passages pertinents tirés des ouvrages du philosophe, K. Vlassopoulos a interprété l’αὐτάρκεια en tant que « the ability of one to provide for all their needs irrespective of the means employed ». À l’instar de ce que montrent les sources, l’auteur a affirmé que la πόλις pouvait procéder à des échanges commerciaux avec l’étranger dans le but de réaliser l’autarcie (p. 74). Étant donné la nature de la cité grecque à cette époque, l’expression « relations internationales » est également empruntée. Hormis la φιλία, le rapprochement entre les acteurs de la scène internationale résidait dans l’utilisation de plusieurs concepts dans les traités et les décrets, par exemple la ξενία, la συγγένεια et la συμμαχία, et par la diffusion de ces mêmes décrets à travers le monde grec. E. Boisacq, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, étudiée dans ses rapports avec les autres langues indo-européennes, Heidelberg, C. Winter, 1950 (1907), p. 1027, a qualifié l’étymologie du mot d’« obscure » ; P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque : Histoire des mots, Paris, Klincksieck, 2009 (1968), p. 1162, a reconnu qu’« il n’y a rien de comparable à φιλ- (ou φιλο-) dans les 1 qui a rapproché φίλος avec le premier terme d’anthroponymes germaniques, et de P. Kretschmer, qui a associé le sens possessif de φίλος à la locution lydienne bilis, ont été écartées par E. Benveniste5. J. Taillardat s’est prononcé sur la question en précisant que le terme φίλος est formé sur la racine indo-européenne bhei-, qui dénote l’idée de confiance. Il est arrivé à ce résultat en soulignant la proximité syntagmatique du mot φιλότης (φίλος, φιλεῖν, φιλία, etc.) avec πεποιθέναι (πίστις, πιστός, etc.) et en cherchant des explications sémantiques et morphologiques à φίλος en latin et dans les langues germaniques6. Pour ce qui est du grec ancien, le sémantisme du mot φιλία peut être remonté aux temps homériques. Chez Homère (ca. seconde moitié du VIIIe s.), le terme φίλος joue le rôle d’un adjectif possessif ou s’apparente au sens moderne d’« ami ». Parmi ses dérivés, la forme adjectivale passive signifie « aimé, chéri, cher » et l’active « aimant, bienveillant »; le verbe φιλέω « être ami, aimer, baiser »; les nominatifs τὸ φίλον ou τὰ φίλα « objet(s) d’amour »7. Quant aux idées d’« amitié », de « tendresse » et de « réconciliation », elles sont exprimées dans les récits homériques par le mot φιλότης et non pas φιλία, qui ne serait apparu qu’au VIe siècle 8. Théognis aurait été le premier à y référer en employant l’accusatif φιλίην (Poèmes élégiaques, v. 306), mais cette occurrence pourrait tout aussi bien appartenir à corpus alexandrin datant du Ier-IIe siècle de notre ère9. D’après Jamblique (ca. 242-325 p.C.), dans son ouvrage Vie de Pythagore, 229-30, la création du terme reviendrait à Pythagore (ca. 580-500). Cependant, 5 6 7 8 9 2 autres langues indo-européennes » ; R. Beekes, Etymological Dictionary of Greek. In two volumes, Leiden, Brill, 2010, p. 1574, a indiqué que son origine est « inconnue ». E. Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes : 1. économie, parenté, société, Paris, Éditions de Minuit, 1980 (1969), p. 338-353 ; E. Boisacq (p. 1027), P. Chantraine (p. 1162) et R. Beekes (p. 1574) ont de même rejeté ces théories étymologiques. J. Taillardat, « Φιλότης, πίστις et foedus », REG 95 (1982), p. 1-14, a traduit φιλότης par « pacte, hospitalité et amitié » et πίστις par « foi ». Sur φίλος et ses dérivés, cf. H. J. Kakridis, La notion de l’amitié et de l’hospitalité chez Homère, Thessalonique, Βιβλιοθήκη τοῦ Φιλολόγου, 1963, p. 3-22 et 38-45; E. Benveniste, p. 345-347; E. Boisacq, p. 1027; P. Chantraine, p. 1161-1162; R. Beekes, p. 1573-1574. D. Konstan, Friendship in the Classical World, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 28-31, a critiqué les modernes sur les restrictions sémantiques qu’ils ont accordées au mot φίλος. En général, ils n’ont pas songé à son application pour renvoyer à des parties du corps ou de l’âme, et même à un peuple ou à un groupe d’individus. L’Iliade et l’Odyssée auraient été composées entre le VIIIe et le VIIe siècle et mises par écrit au VIe siècle. Les termes φίλος et φιλότης prévoyaient un respect mutuel et des obligations entre les héros, par exemple des jurements, des sacrifices et des dons. À ce sujet, voir J. Taillardat, p. 1-14 ; G. Panessa, « La philia nelle relazioni interstatali del mondo greco », in G. Nenci et G. Thür (éd.), Symposion 1988 : Vorträge zur griechischen und hellenistischen Rechtsgeschichte (Siena-Pisa, 6-8 Juni 1988), Comunicazioni sul diritto greco ed ellenistico : (Siena-Pisa, 6-8 Giunio 1988), Cologne, Böhlau, 1990, p. 261-263 ; D. Konstan, Friendship, p. 25-26 et 31 ; Homère, Iliade. Introduction, par P. Mazon, avec la collaboration de P. Chantraine, P. Collart et R. Langumier, Paris, Les Belles Lettres, 2002 (1943), p. 260-266. L’authenticité des élégies fait encore l’objet de débats. Les poèmes publiés sous le nom de Théognis reposeraient sur un recueil antique (Ve s.), considéré véritable, et sur un recueil alexandrin. On consultera L. Pizzolato, L’idea di amicizia nel mondo antico classico e cristiano, Turin, Einaudi, 1993, p. 22-23 ; F. Frazier, « Eros et Philia dans la pensée et la littérature grecques. Quelques pistes, d’Homère à Plutarque », Vita Latina 177 (2007), p. 32. aucun écrit de cet auteur n’existe pour valider cette affirmation10. Du côté de l’épigraphie, le traité entre Anaitoi et Metapioi (ca. VIe-Ve s.) serait le plus ancien témoignage du concept11. Le mot φιλία (« amitié, inclination, amour ») a pour dérivés les adjectifs φιλιακόs (« amical ») et φίλιος (« amical, aimé, cher »), le nom masculin φιλιαστής (« conciliateur »), ainsi que les verbes φιλιαίνομαι (« devenir ami »), φιλιόω (« se faire ami de quelqu’un ») et φιλιάζω (« être l’ami de ») 12. En théorie, la φιλία coordonnait les relations des Grecs autour de la thématique de l’amitié, mais les usages et les fondements de la notion deviennent ambigus aussitôt que celle-ci est replacée dans ses dimensions littéraire et épigraphique. L’idée d’amitié dans le monde grec antique a pris plusieurs formes. Dans l’univers homérique, les actions des héros sont conditionnées par divers types de rapports complexes, dont les rapports entre φίλοι, entre ξένοι (« étranger » ou « hôte ») et entre ἑταῖροι (« compagnons »). Tout comme φίλος, si le sémantisme des deux derniers termes n’est pas toujours facile à saisir, ceux-ci définissent tôt ou tard les sentiments amicaux qui existent entre deux individus ou entre les membres d’un groupe : à certains moments, le mot ξένος est utilisé pour désigner un « ami d’un pays étranger », puis le mot ἑταῖρος, souvent traduit par « ami », est précédé ou suivi par l’adjectif φίλος 13 . Les relations de φιλότης, de ξενία et d’ἑταιρεία, qui surviennent dans un contexte militaire ou aristocratique, sont jugées inviolables et sacrées par l’ensemble des personnages ; les φίλοι, les ξένοι et les ἑταῖροι sont de la sorte considérés loyaux et dignes de confiance14. Les idéaux véhiculés dans l’Iliade et l’Odysée furent par la suite bousculés avec l’émergence et le développement de la πόλις, qui accentua les tensions entre les individus et les cités. À partir du VIIe siècle, les liens de φιλία sont une source de préoccupation, d’abord dans la poésie élégiaque et plus tard dans les tragédies, où le φίλος se révèle être parfois une figure imparfaite, qui trahit et qui agit avec 10 11 12 13 14 J.-C. Fraisse, Philia. La notion d'amitié dans la philosophie antique : Essai sur un problème perdu et retrouvé, Paris, Vrin, 1974, p. 59-60. G. Panessa, Philiai. L’amicizia nelle relazioni interstatali dei Greci : 1. Dalle origini alla fine della guerra del Peloponneso, Pisa, Scuola Normale Superiore, 1999, no 29 : « è il più antico trattato interstatale greco in cui la philia, termine attestato per la prima volta, costituisce il tema centrale dell’accordo, vratra ». Un traité antérieur existe, celui de Sybaris et des Serdaioi (no 28), mais il ne contient que le terme φιλότης. E. Boisacq, p. 1027 ; P. Chantraine, p. 1161-1162 ; R. Beekes, p. 1573-1574. La ξενία, c’est-à-dire l’hospitalité offerte à des individus en pays étranger, entraînait la création d’alliances entre l’hôte et son invité, puis entre leurs descendants respectifs. La proximité entre les concepts contradictoires de φίλος et de ξένος s’observe sans doute chez Homère dans le terme φιλοξενία, qui renvoie à la notion d’hospitalité, mais aussi à l’amitié ou l’amour envers les étrangers. Voir D. Konstan, Friendship, p. 28-37, ainsi que les analyses de H. J. Kakridis dans son ouvrage La notion de l’amitié et de l’hospitalité chez Homère. J. T. Fitzgerald, « Friendship in the Greek World Prior to Aristotle », Greco-Roman Perspectives on Friendship, Atlanta, Scholars Press, 1996, p. 20-26, cite quelques extraits où les arrangements entre héros ne sont pas respectés. C’est le cas de Pâris, qui transgresse les principes de la ξενία avec Ménélas en séduisant Hélène. Voir également les p. 27-30. 3 duplicité15. La perfidie des φίλοι de même que l’antithèse entre le φίλος et l’ἐχθρός demeurent des thèmes récurrents jusqu’à la période hellénistique, avec cette différence que les relations de φιλία sont circonscrites à l’intérieur d’un cadre théorique et idéologique dès l’époque classique avec Platon (428-347) et Aristote (384-322)16. La taxonomie proposée par Aristote, qui a distingué les φιλίαι fondées sur la vertu, sur l’utilité et sur le plaisir, a influencé plusieurs générations de penseurs et la manière dont les communautés philosophiques envisageaient et pratiquaient la φιλία. En parallèle au corpus littéraire, les traités et les décrets nous renseignent sur la portée et les implications du concept dans les rapports des πόλεις17. À cet effet, l’ancienne Thasos, cité insulaire située au nord de la mer Égée, en face de la Thrace, constitue un paradigme fort intéressant. Thasos fut fondée au début du VIIe siècle, par des gens venus de Paros. Après avoir conquis l’île, les arrivants implantèrent des colonies et des comptoirs sur le continent thrace. La phase d’expansion territoriale qui se déroula aux VIIe et VIe siècles entraîna la formation des premiers établissements de la Pérée thasienne, soit Galepsos, Oisymè, Néapolis et Strymè 18 . Les rapports étroits que Thasos maintenait avec ses colonies et comptoirs lui permirent d’accroître considérablement ses revenus et d’accéder à des ressources dont l’île était dépourvue. En plus de ses gisements locaux, la cité s’approvisionnait en or (Thasos, Skaptè-Hylè), en argent (Thasos, Pangée), en cuivre, en fer et en zinc (Thasos), de même qu’en divers produits agricoles (régions du Strymon et du Nestos). La période archaïque favorisa l’émancipation des relations extérieures de Thasos, mais ni la littérature ni l’épigraphie n’indiquent la proportion ou le type des liaisons que la cité avait tissées avec l’étranger. La prépondérance d’une assise économique et commerciale est toutefois corroborée par les trouvailles de monnaies, de céramiques, de bronzes et d’ivoires19. 15 16 17 18 19 4 C. de Oliveira Gomes, « Amis, ennemis, politique grecque archaïque », in J. Peigney (éd.), Amis et ennemis en Grèce ancienne, Pessac, Ausonius, 2011, p. 41-53 et surtout les p. 42-43. Sur la rhétorique du faux φίλος et de l’opposition entre le φίλος et l’ἐχθρός dans la littérature grecque, voir les articles réunis par J. Peigney dans Amis et ennemis en Grèce ancienne. En ce qui concerne l’évolution de la φιλία dans les relations diplomatiques, voir E. S. Gruen, The Hellenistic World and The Coming of Rome, Berkeley, University of California Press, 1984, p. 69-95. On consultera l’annexe 1 pour une carte sur l’emplacement de Thasos et de ses colonies et pour des spécifications géographiques et historiques sur chacun des établissements. Parmi les trésors découverts à l’étranger, les monnaies thasiennes furent largement répandues en Thrace et en Macédoine (VIe-Ier s.), puis passablement en Égypte (ca. 500-470) et en Asie Mineure (ca. 460-400). Au nombre des émissions recensées à Thasos, Abdère et Maronée semblent avoir été des partenaires privilégiés dès la période archaïque. L’Asie Mineure et les Détroits, de leur côté, seraient restés en contact avec la cité. Selon O. Picard, la présence régulière de la Thrace dans les trésors monétaires ne témoigne pas d’un commerce thasien à grande échelle comme le supposent les amphores, mais « d’un cabotage qui faisait de Thasos une escale très vivante le long des côtes égéennes ». À propos des trouvailles, cf. O. Picard, « Monnaies de fouilles et histoire grecque : l’exemple de Thasos », in K. A. Sheedy et Au début du Ve siècle, Thasos était prospère. Elle était dotée d’un rempart et d’une flotte de guerre20. La maîtrise de la Pérée et l’exploitation des mines, principalement celles de Skaptè-Hylè sur le continent et de Kinyra sur l’île, contribuèrent à en faire un centre d’activités économiques important au Nord de l’Égée, tant et si bien que les richesses de la cité furent rapidement convoitées par les acteurs du monde grec21. En 492, soit deux ans après avoir esquivé les assauts du tyran Histiée de Milet, les Thasiens furent subjugués par les troupes de Darius. En 480, ils tentèrent néanmoins de s’attirer les faveurs de la couronne achéménide en offrant un banquet à Xerxès et à son armée, qui se dirigeaient en Grèce continentale pour soumettre Athènes. Dans le sillage de la défaite perse, Thasos s’affilia à la ligue de Délos (477), mais la suprématie de la cité fut vite compromise par la politique impérialiste d’Athènes, qui, en 465, s’immisça dans la Pérée en installant des colons à Ennea Hodoi (Amphipolis). Au vu de cet affront, les Thasiens renoncèrent aussitôt à la ligue de Délos mais succombèrent aux attaques du général athénien Cimon, en 463. Ils perdirent ensuite le contrôle de la Pérée et restèrent attachés à la ligue jusque dans la dernière décennie du Ve siècle : en 411, alors que la révolution oligarchique des Quatre Cents ébranlait Athènes, Thasos restaura son rempart et sa flotte, puis elle orchestra, au cours de l’année suivante, sa défection avec l’aide de Sparte. Parmi les colonies thasiennes qui avaient souscrit à la ligue de Délos, Galepsos et Oisymé réintégrèrent la dépendance de la métropole, tandis que Néapolis demeura fidèle à Athènes. La seconde sécession de Thasos fut réprimée en 407, lorsque le général athénien Thrasybule assujettit la cité. À la fin de la guerre du Péloponnèse cependant, Thasos gravitait dans l’orbite de Sparte après l’intervention de Lysandre dans la cité (405)22. 20 21 22 Ch. Papageorgiadou-Banis (éd.), Numismatic Archaeology. Archaeological Numismatics, Proceedings of the International Congress Held to Honour Dr. Mando Oeconomides in Athens, 1995, Athènes, Oxbow Books, 1997, p. 36-39 ; et l’index dans M. Thompson, O. Mørkholm et C. M. Kraay, An Inventory of Greek Coin Hoards, New York, The American Numismatic Society, 1973, p. 408 ; Y. Grandjean et F. Salviat, Guide de Thasos, Athènes, École française d’Athènes, 2000 (1968), p. 25. Les vestiges du rempart ont été exhumés par les missions archéologiques de l’École française d’Athènes. Les résultats des fouilles ont été synthétisés dans Y. Grandjean, Le rempart de Thasos, Athènes, École française d’Athènes, 2011. En soi, l’enceinte demeure probablement la source la plus fiable pour retracer la chronologie de l’histoire thasienne. Y. Grandjean (p. 356-379) a judicieusement relevé, analysé et comparé les données des témoignages littéraires, épigraphiques et archéologiques. L’évolution du rempart peut être jalonnée en huit étapes : 1) édification du rempart dans les années suivant l’incursion d’Histiée de Milet (494-491) ; 2) démantèlements partiels dans l’enceinte (491) ; 3) première phase de réfections (entre 480-478 et 465) ; 4) seconde phase de démantèlements partiels dans l’enceinte (463) ; 5) seconde phase de réfections (411) ; 6) modifications apportées à la porte d’Héraclès (début du IV e s.) ; 7) divers travaux architecturaux (seconde moitié du IVe s.) ; 8) renforcement du système de fortification dans la plaine (III e s.) ; 9) remaniements architecturaux (IIe et Ier siècles). Le bilan dressé par Y. Grandjean vient nuancer le témoignage des sources. En effet, à l’inverse de ce qu’Hérodote (VI, 46-47) et Thucydide (I, 101, 3) ont rapporté, le rempart ne fut entièrement démoli ni en 491 ni en 463. Y. Grandjean et F. Salviat, Guide, p. 24-26. Ibid., p. 27-29. 5 Au IVe siècle, les Thasiens firent acte d’allégeance envers le roi de Sparte, Agésilas II. En 394, pendant que celui-ci cheminait en Thrace avec son armée, ils envoyèrent une ambassade à sa rencontre : les délégués annoncèrent au souverain que le peuple thasien avait l’intention de lui décerner les honneurs divins, mais il refusa ces prérogatives. La tutelle spartiate persista jusqu’en 389, au moment où le général athénien Thrasybule revint dans la cité et chassa les Lacédémoniens. En 375, les Athéniens resserrèrent leur emprise sur la cité, qui adhéra alors à la seconde confédération. Pour leur part, les Thasiens tirèrent parti de leur alliance avec Athènes afin de repousser les Maronitains de Strymè, en 361. Un an plus tard, ils fondèrent Krénidès près du Pangée, mais Philippe II envahit l’endroit en 356 et le rebaptisa en son honneur. Après la capitulation des Grecs à Chéronée (338), qui sonnait le glas de la seconde confédération, Thasos acquiesça aux termes de la κοινὴ εἰρήνη proposée par Philippe II23. Le parcours mouvementé de Thasos au IVe siècle n’empêcha pas son développement interne et externe. Les monuments découverts sur l’agora ont gardé les traces du passage d’artistes renommés, comme le tragédien Théodoros, le sculpteur Praxias, le joueur de flûte Ariston de Milet et l’acteur comique Philémon. À l’instar d’Hippocrate à la fin du Ve siècle, le philosophe Théophraste visita l’île dans la seconde moitié du IVe ou au début du IIIe siècle. Entre la première moitié du IVe et la fin du IIIe siècle, la cité poursuivit ses émissions monétaires, réorganisa ses archives et réaménagea ses infrastructures. Des citoyens thasiens furent honorés à l’étranger, tel un certain Archippos (texte IG II2, 336, ca. 334-332) et ses ancêtres (les documents IG II2, 24 et 25, ca. 389-386), qui furent remerciés de leur fidélité envers Athènes. Les restitutions opérées sur le décret IG II2, 336, supposent que son père avait été φίλος des Athéniens. Les Thasiens récompensèrent eux aussi des étrangers, entre autres des citoyens d’Abdère (ca. seconde moitié IVe s.), d’Athènes (ca. 345/4), d’Amphipolis ? (IVe-IIIe s. ?), et de Téroné (fin IVe – début IIIe s.) 24 . Malgré les vicissitudes du Ve et du IVe siècle, Thasos paraît florissante à la fin du IVe et au IIIe siècle. Les décrets pour des juges venus de Parion (IIIe s.) et de Cos (milieu du IIIe s.), ainsi qu’un affranchissement d’esclaves (ca. IIe s.), évoqueraient une période de troubles, mais l’histoire de Thasos au IIIe siècle est 23 24 6 Ibid., p. 29-30. Sur les Abdéritains, cf. J. Pouilloux, Recherches sur l’histoire et les cultes de Thasos : I. De la fondation de la cité à 196 av. J.-C., Paris, de Boccard, 1954, no 110, de même que J. Pouilloux et C. Dunant, Recherches sur l’histoire et les cultes de Thasos : II. De 196 av. J.-C. jusqu’à la fin de l’Antiquité, no 411 ; sur l’Athénien on se reportera au décret IG XII 5, 109 ; sur l’Amphipolitain, voir J. Pouilloux, Rech. I, no 112 ; sur la femme de Téroné, on se réfèrera au no 111. encore trop fragmentaire pour que des conclusions définitives soient tirées 25 . L’agression soudaine de Philippe V, en 202, et l’ingérence de Rome dans les affaires thasiennes, à partir de 196, ne gênèrent pas non plus l’essor de la cité26. Dans le droit fil de la défaite macédonienne à Cynocéphales, en 197, Thasos devint l’alliée de Rome, à laquelle elle semble être restée loyale jusqu’à la fin du Ier siècle. La relation de complicité entre les deux acteurs prouvée par maints témoignages de cette époque : le décret de Rhodes pour Dionysodôros, fils de Pempidès (ca. 130 ou début Ier s.) ; un décret pour Sextus Pompée, nommé patronus de la cité par ses ancêtres (Ie s. a.C.) ; le sénatus-consulte de Sylla (ca. 80) ; les lettres de Dolabella (ca. 80-78) et de L. Sestius Quirinalis (seconde moitié du Ier s.) aux Thasiens ; le récit d’Appien (Guerres civiles, IV, 106) sur le stationnement des troupes républicaines de Cassius et Brutus à Thasos (42). En contrepoint de l’influence romaine, Thasos recommença la frappe de ses monnaies d’argent (IIe s.) et élargit ses liens avec le monde extérieur27. Un dossier d’inscriptions hellénistiques révèle le prestige et la mobilité des Thasiens à l’étranger et des étrangers à Thasos. Les entrées de ce dossier, qui sont répertoriées en Annexe 2, structurent la présente étude, qui a pour objectif d’appréhender la nature et l’étendue de la φιλία dans les rapports des cités avec le monde extérieur. Dans cette perspective, les relations de φιλία thasiennes seront examinées selon la théorie des réseaux, qui est de plus en plus employée comme grille d’analyse dans le domaine des sciences humaines. Avec l’élan des services tels que Facebook et Twitter, les concepts de réseau et de réseau social gagnent en popularité et ouvrent de débouchés prometteurs aux savants de toutes les disciplines. Les historiens qui ont expérimenté la théorie des réseaux se sont d’ailleurs montrés très élogieux par rapport à cette approche, qui permet non seulement d’aborder des problématiques sous un angle original, mais aussi de renouveler et d’élargir les discussions sur des sujets qui ont été couverts28. Le recours à la théorie des réseaux en histoire comporte 25 26 27 28 Sur le décret de Parion, cf. IG XII, Suppl. 359 ; sur celui de Cos, cf. IG XII 4.1, 136 et C. V. Crowther, « Aus der Arbeit der "Inscriptiones Graecae" IV. Koan Decrees for Foreign Judges », Chiron 29 (1999), no 3 ; sur l’affranchissement d’esclaves, cf. J. Pouilloux, Choix d’inscriptions grecques, Paris, Les Belles Lettres, 2003, no 40 (= J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, no 173). Y. Grandjean et F. Salviat, Guide, p. 30-31. Ibid., p. 31-32. R. V. Gould, « Uses of Network Tools in Comparative Historical Research », in J. Mahoney et D. Rueschemeyer (éd.), Comparative Historical Analysis in the Social Sciences, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 241-242. En plus de R. V. Gould, B. H. Erickson, « Social Networks and History : A Review Essay », Historical Methods 30 (1997), p. 149-157, C. Wetherell, « Historical Social Network Analysis », IRSH 43 (1998), p. 125-144, et C. Verbruggen, « Literary Strategy during Flanders’ Golden Decades (1880-1914) : Combining Social Network Analysis and Prosopography », in S. B. Keats-Rohan 7 néanmoins de nombreux risques, notamment en raison de la disponibilité et de la qualité des sources. Dans les faits, tout chercheur se heurte rapidement à des contraintes méthodologiques s’il ne réussit pas à obtenir des données spatio-temporelles suffisantes sur les membres du réseau qu’il souhaite étudier. Compte tenu de l’état fragmentaire de la documentation, peu de spécialistes se sont appuyés sur la théorie des réseaux avant les années 2000. La dernière décennie marque cependant un tournant décisif avec le foisonnement de publications qui exploitent son potentiel heuristique29. En conformité avec les enquêtes qualitatives menées depuis le XXe siècle, le concept de réseau renvoie à un ensemble de liens, formels ou informels, entre des unités sociales (individus, groupes, collectivités, États, organisations, etc.), qui entretiennent des liaisons de natures diversifiées (affectueuses, utilitaires, politiques, économiques, etc.). Les réseaux sont essentiellement dynamiques et rarement statiques. Une fois institués, ils évoluent, se transforment et s’adaptent aux contextes ; certains sont destinés à durer, à disparaître et à reparaître, d’autres à s’associer ou à se concurrencer30. La théorie des réseaux sociaux, ou la social network analysis en anglais (SNA), distingue les réseaux relationnels (one-mode networks) des réseaux d’affiliation (two-mode networks). Un réseau relationnel détermine la nature, l’orientation et la magnitude des rapports entre deux unités au sein d’un même échantillon. Dans ce type de réseau, chaque particule est susceptible d’être reliée à toute autre avec laquelle elle possède des affinités communes. En revanche, un two-mode rassemble deux ensembles de données et vise généralement à déterminer l’affiliation d’un individu à un groupe, un événement ou une organisation par la comparaison de ces deux ensembles. Ce type de réseau expose donc les liens qui existent entre les cellules du premier et du second ensemble des données. Tout réseau est symétrique ou asymétrique et peut être schématisé par un graphe ou par une matrice : si un graphe englobe des noeuds, des lignes, et parfois des flèches pour marquer la direction, la matrice est divisée en colonnes et en rangées où le 29 30 8 (éd.), Prosopography Approaches and Applications : A Handbook, P&G, Oxford, 2007, p. 579-601, ont participé à l’implantation de la SNA en histoire. Quelques auteurs, par exemple C. Wetherell et C. Verbruggen, ont opté pour l’expression historical social network analysis (HSNA). B. H. Erickson (p. 149-157) a certes soulevé les complexités de la collecte et de la sélection des données, mais sa dissertation est avant tout destinée à préparer la transition des historiens vers la SNA. En dehors de l’accès aux sources, C. Wetherell (p. 125) a expliqué l’engouement tardif des historiens par le désintérêt porté aux théories sociales qui mûrissaient pendant les années 1970 et 1980, ainsi que par la venue soudaine du tournant postmoderniste dans les années 1990. C. Verbruggen (p. 579-580) a relevé que les historiens ont traditionnellement considéré des sujets à travers le prisme de la longévité temporelle, tandis que la SNA insiste sur l’état d’une structure à un instant spécifique. M. Forsé et S. Langlois, « Présentation – Réseaux, structures et rationalité », L’Année sociologique 47 (1997), p. 29-30 ; O. K. Mirembe, Échanges transnationaux, réseaux informels et développement local : Une étude au nord-est de la République démocratique du Congo, Thèse de doctorat, Louvain-la-Neuve, Presses Universitaires de Louvain, 2005, p. 61-63. chercheur inscrit ses valeurs mathématiques. Dans un modèle comme dans l’autre, les données peuvent exprimer la multiplexité d’un réseau, c’est-à-dire le chevauchement de plusieurs genres de relations, ou son dynamisme à travers le temps (méthode longitudinale). Les facteurs qui pèsent sur les rouages d’un réseau sont endogènes (les changements sont issus ou provoqués de l’intérieur) ou exogènes (les changements sont issus ou provoqués de l’extérieur)31. En sociologie, les travaux qui appliquent les principes de la théorie des réseaux ont été dominés par l’étude des relations interpersonnelles. Parmi les catégories de rapports analysables, l’amitié a suscité de nombreuses interrogations parce que les gens tendent à conférer un statut spécial aux amis32. Les impacts de l’amitié sur les réseaux d’amis ont été relativisés par le sociologue A. Graham : « here it is not simply a case that some new friends may be made through ties with existing friends, but rather that relationships may be affected by some of the other loyalties and antagonisms that exist within the network »33. À l’égal des autres types de filiations, l’amitié se construit, se développe et se modifie, puis elle risque d’être interrompue si elle n’est pas valorisée comme il se doit 34 . En études anciennes, la thématique des réseaux de φιλία ou de φίλοι a été abordée sous des angles assez variés. Selon M. Schofield, la φιλία était fermement ancrée dans les sociétés grecques, où elle était investie d’une forte valeur éthique et était modulée par tout un réseau de relations sociales35. Sur un vaste espace-temps, les écrits ou les correspondances privées de Pindare (518-438), d’Épicure (341-271) ou de Libanios d’Antioche (314-393 p.C.), témoigneraient de la façon dont un individu parvenait à consolider, à agrandir et à manipuler son réseau de φίλοι 36 . En se 31 32 33 34 35 36 I. Rutherford, « Network Theory and Theoric Networks », in I. Malkin, C. Constantakopoulou et K. Panagopoulou (éd.), Greek and Roman Networks in the Mediterranean, Londres / New York, Routledge, 2009, p. 27-35 ; Z. Maoz, Networks of Nations : The Evolution, Structure, and Impact of International Networks (1816-2001), Cambridge / New York, Cambridge University Press, 2010, p. 7-11 et 37-47 ; W. de Nooy, A. Mrvar et V. Batagelj, Exploratory Social Network Analysis with Pajek, New York, Cambridge University Press, p. 118-122 ; C. Prell, Social Network Analysis : History, Theory and Methodology, Londres / Thousand Oaks, Sage Publications, 2012, p. 8-18, 138-140 et 215. M. R. Parks, Personal Relationships and Personal Networks, Mahwah, Erlbaum, 2007, p. 38-55, a passé en revue les étapes indispensables au traitement des relations sociales sous la théorie des réseaux. A. Graham, Friendship : Developing a Sociological Perspective, Boulder, Westview Press, 1989, p. 44. R. G. Adams et A. Allan, « Contextualising Friendship », in R. G. Adams et A. Allan (éd.), Placing Friendship in Context, Cambridge / New York, Cambridge University Press, 1998, p. 1-17. M. Schofield, « Political Friendship and The Ideology of Reciprocity », in P. Cartledge, P. Millett et S. von Reden (éd.), Kosmos : Essays in Order, Conflict and Community in Classical Athens, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 38. Sur Pindare, Épicure et Libanios, cf. S. Goldhill, The Poet’s Voice : Essays on Poetics and Greek Litterature, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 130 ; C. Bégorre-Bret, L’amitié : de Platon à Debray, Paris, Eyrolles, 2012, p. 60 ; I. Sandwell, « Libanius’ Social Network : Understanding the Social Structure of the Later Roman Empire » ; I. Malkin, C. Constantakopoulou et K. Panagopoulou (éd.), Greek and Roman Networks in the Mediterranean, p. 129-143. 9 penchant sur le propos de Xénophon, V. Azoulay a décrit la façon dont certains dirigeants et politiciens, tels qu’Agésilas, Cyrus l’Ancien, Cyrus le Jeune, Alcibiade et Critobule, canalisaient et contrôlaient des réseaux de φιλία 37 . La proximité entre φιλία et pouvoir politique se perçoit de même dans les cours royales de la période hellénistique, où le poids des φίλοι pouvait servir de critère à la succession des prétendants au trône38. Au-delà des appréciations quantitatives, quelques spécialistes se sont occupés du volet qualitatif. Selon L. G. Mitchell, les réseaux de φιλία n’étaient pas l’apanage des citoyens, car un étranger pouvait y être agrégé sous la ξενία. L’échange de cadeaux symboliques (δῶρα) entre l’hôte et son invité assurait en effet l’intégration de l’étranger au sein du réseau, où il était reconnu en tant que ξένος39. Dans la société athénienne, les individus issus de groupes sociaux différents ne rejoignaient pas le réseau d’une autre personne sous une conjoncture homogène : « while non-kin entered into relationships of philia by choice, blood kin (and to a lesser degree, kin related by marriage) were philoi by default ». Les φίλοι étaient de la sorte séparés par des intervalles inégaux à l’intérieur d’un même réseau : « the innermost series of orbits is occupied by members of the nuclear family (parents and siblings), the next by more remote blood kin (grandparents, parents’ siblings, and first cousins), and thereafter distant blood kin (from second cousins outward), relations by marriage, and finally unrelated friends ». Ainsi, les acteurs qui se trouvent à faible distance de l’unité principale du réseau éprouveraient un sentiment de φιλία plus fort et seraient mieux disposés que les autres à répondre aux impératifs de la φιλία40. 37 38 39 40 10 V. Azoulay, Xénophon et les grâces du pouvoir. De la charis au charisme, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, p. 39 et 287-326. D’autre part, L. G. Mitchell, Greek Bearing Gifts : The Public Use of Private Relationships in the Greek World, 435-323 B.C., Cambridge / New York, Cambridge University Press, 1997, p. 44, a pensé aux répercussions des décisions politiques sur les réseaux de φιλία au temps de Périclès : « By withdrawing from his philoi and using state funds for jurors’ salaries and his building projects, Pericles was changing the range and the scale of his philia network but was not essentially changing the pattern of the relationship ». L. G. Mitchell, « The Rules of the Game : Three Studies in Friendship, Equality and Politics », in L. G. Mitchell et L. Rubinstein (éd.), Greek History and Epigraphy : Essays in Honour of P. J. Rhodes, Swansea, The Classical Press of Wales, 2009, p. 15. L. G. Mitchell, Greek Bearing Gifts, p. 17 : « So the ritualised-friend was the outsider who had been brought in, the xenos who had become philos and become part of the philia network ». À la page 12, l’auteure a défini la ξενία par guest-friendship ou ritualised-friendship. D’autres institutions subissaient aussi l’influence des réseaux de φιλία. À Athènes, par exemple, chacune des parties impliquées dans un procès s’attendait à ce que les φίλοι comparussent à la barre en sa faveur ; il arrivait parfois, dans ce contexte, que les témoins contrevinssent à leur serment de vérité, de manière à remplir leurs obligations de φιλία. À ce sujet, cf. D. D. Phillips, Avengers of Blood : Homicide in Athenian Law Court and Custom from Draco to Demosthenes, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2008, p. 26-27. D. D. Phillips, p. 26-29. C. Leduc, « L’adoption dans la cité des Athéniens, VIe siècle – IVe siècle av. J.-C. », Pallas 48 (1998), p. 192, a tracé un parallèle entre le processus d’adoption, le mariage et les réseaux de φίλοι : « Le cercle de l’adoption est le même que celui du mariage : comme un père donne sa fille d’abord Du côté des relations diplomatiques, E. Will a soutenu que les principes de la φιλία entre individus régissaient aussi les liens entre cités. Il peut dès lors être admis que les préceptes de la φιλία s’appliquaient à la fois aux réseaux d’« amis » présents à l’échelle de la société et à l’échelle internationale41. De son côté, I. Malkin a offert une vision simplifiée des réseaux de φιλία sous la thématique de la colonisation : « consideration of colonization in the Dorian Aegean should involve the historical role of a belief in a réseau of cross-links between mother cities and colonies, often expressed in (pre-hellenistic) terms of kinship (syngeneia) and friendship (philia) » 42 . Enfin, O. Picard a affirmé que les décrets honorifiques de Samothrace, de Lampsaque, d’Assos et de Rhodes, en l’honneur des fils de Pempidès, montrent comment ces notables ont tiré parti de leurs réseaux d’amitiés à dessein de renforcer leur position à Thasos et à l’étranger43. Comme il est possible de le constater, les explications sur les réseaux de φίλοι et de φιλία sont bien éparses. Néanmoins, aucun des chercheurs énumérés n’a mené une enquête détaillée sur ces types de réseaux. L’absence de tout modèle théorique et méthodologique spécifique à la théorie des réseaux justifie sans doute cette situation. Il faut pourtant noter que la théorie des réseaux est très vaste et complexe et que la sélection d’un procédé analytique ne s’effectue pas aisément. La world-system analysis (WSA), qui a d’abord été utilisée en études anciennes par K. Vlassopoulos, a été retenue comme modèle théorique et méthodologique44. Dans ses fondements, cette approche repose sur la reconnaissance de systèmes « mondiaux » de relations par la découverte de processus (déplacement de biens, de gens, d’idées ou de technologies), de centres (religieux, emporia, politiques, etc.) qui organisent et régentent ces 41 42 43 44 dans sa consanguinité (frère, fils de frère, fils de sœur) et son alliance (frère de sa femme), puis dans le réseau de ses amis (philoi), un homme sans enfant se fait donner un enfant par ceux qu’il classe parmi ses proches qu’ils soient liés à lui par la consanguinité, l’alliance ou l’amitié ». E. Will, « Syngeneia, Oikeiotès, Philia », RPh 69 (1995), p. 303 : « Nous verrons dans un instant que le couple philia / echthra, envisagé ici du point de vue des relations personnelles, conserve sa valeur pour les relations entre cités. Mais, avant de quitter les individus pour les cités, notons encore que ces réseaux d’« amis » peuvent certes inclure des syngeneis et des oikeioi […] et que, bien entendu, les philiai sociologiques peuvent conforter des affections réelles ». On se reportera encore à la p. 305, où l’opposition philia / echthra est reprise : « Dans la mesure où chacun de ces termes exclut l’autre, mais dans cette mesure seulement, la philia entre cités correspond à la philia entre personnes ». I. Malkin, « Categories of Early Greek Colonization : The Case of the Dorian Aegean », in C. Antonetti (éd.), Il dinamismo della colonizzazione greca : Atti della tavola rotonda "Espansione e colonizzazione greca di età arcaica : metodologie e problemi a confronto" (Venezia, 10-11/11/1995), Naples, Loffredo, p. 35. O. Picard, « Thasos et sa monnaie au IIe siècle : catastrophe ou mutation ? », in R. Frei-Stolba et K. Gex (éd.), Recherches récentes sur le monde hellénistique : Actes du colloque international organisé à l’occasion du 60e anniversaire de Pierre Ducrey (Lausanne, 20-21 novembre 1998), Berne / New York, Peter Lang, 2001, p. 282. K. Vlassopoulos, « Beyond and Below the Polis : Networks, Associations, and the Writing of the Greek History », in I. Malkin, C. Constantakopoulou et K. Panagopoulou (éd.), Greek and Roman Networks in the Mediterranean, 2009, p. 12-23 ; K. Vlassopoulos, « Between East and West : The Greek Poleis as Part of a World-System », AWE 6 (2007), p. 91-111. 11 processus, et de formes de changements. Puisque la WSA se consacre à l’analyse des relations internationales, il a paru approprié de l’emprunter pour comprendre la portée et les implications des réseaux de φιλία dans le contexte des échanges diplomatiques de Thasos. L’échantillonnage des sources a été accompli à partir des deux volumes Recherches sur l’histoire et les cultes de Thasos publiés en 1954, par J. Pouilloux, et en 1958, par J. Pouilloux et C. Dunant45. Les monographies ont fait l’objet d’une lecture assidue, car elles constituent les premières études sérieuses sur l’histoire de Thasos. Le Thesaurus Linguae Graecae de l’Université de Californie a quant à lui contribué à l’agencement du corpus littéraire : les lemmes du nom Θάσος et de l’adjectif θάσιος ont été saisis dans la base de données afin que les oublis soient limités. Depuis 1856, les fouilles archéologiques menées à Thasos ont mis au jour une grande quantité de matériel épigraphique, dont la majorité a été rendue accessible avec les publications de l’École française d’Athènes (EFA), qui dirige les chantiers de l’île depuis 1911. La consultation des collections éditées par l’EFA s’est donc avéré nécessaire en vue d’approfondir la question de la φιλία dans les relations extérieures de Thasos. L’investigation a dans un premier temps été orientée sur les articles parus dans le Bulletin de correspondance hellénique entre 1893 et 2015, de même que sur la série des Études thasiennes, qui comporte à ce jour 22 volumes. Le catalogue des Inscriptiones Graecae a ensuite été scruté : les fascicules XII, 8 et XII, Supplementum regroupent le matériel épigraphique repéré à Thasos jusqu’en 1939. En dernier lieu, la liste des découvertes effectuées entre 1958-2015 a été complétée au moyen de lectures secondaires. Dans le cadre de cette étude sur les réseaux de φιλία dans les cités grecques, l’argumentation a été divisée en trois parties. Le premier chapitre survole les usages et les fondements de la φιλία dans le monde grec antique. Il débute sur un essai comparatif de l’amitié moderne et de la φιλία antique, puis il traite des termes et des circonstances de la φιλία dans les sources littéraires et épigraphiques. Le second chapitre fournit un aperçu de la φιλία dans les relations diplomatiques de Thasos. Le recours aux sources littéraires et épigraphiques est encore une fois privilégié, à l’effet de contextualiser et d’explorer les 45 12 Les deux ouvrages ont suscité des critiques rigoureuses, notamment sur l’interprétation que les auteurs ont donnée des inscriptions. F. Chamoux a indiqué que les conclusions dégagées dans le premier volume doivent être accueillies avec prudence. H.-G. Pflaum s’est penché sur les liens entre Thasos et Rome dans le second volume. Il a implicitement reproché aux auteurs de ne pas avoir placé Rome au centre de leur analyse. Si M. Pflaum a attaché beaucoup d’importance à l’influence romaine dans les relations internationales de Thasos, la présente investigation atténuera sans aucun doute l’argument que, jusqu’en 31, « les relations avec Rome priment tout ». On se reportera à F. Chamoux, « L’île de Thasos et son histoire », p. 348-369 ; H.-G. Pflaum, « Histoire et cultes de Thasos », JS 2 (1959), p. 75-88. rapports de φιλία thasiens entre le VIIe et le Ier siècle. Ce chapitre comprend également trois sous-parties, qui portent sur les traditions littéraires de l’histoire de Thasos, les mentions de φιλία dans le corpus épigraphique et l’évolution de la φιλία dans les relations extérieures de la cité. Le dernier chapitre examine en profondeur les principes de la théorie des réseaux, puis il confronte les données recueillies dans les deux premières sections avant d’aboutir à une analyse des réseaux de φιλία thasiens. Deux hypothèses sont mises à l’épreuve dans cette partie du mémoire, soit qu’un réseau de φιλία thasien structurait et était structuré par d’autres types de rapports à l’intérieur d’un « système mondial » de relations, et que les transformations de ce même réseau peuvent être distinguées avec la théorie des réseaux. En sachant que Thasos dut fraterniser avec plusieurs pôles de pouvoir au cours de son histoire, il semble pertinent de s’interroger sur la dimension de son réseau de φιλία et sur les tactiques que la cité afin de le préserver et de le développer devant l’influence des centres dominants. Sauf indication contraire, les passages qui sont tirés du grec ancien sont accompagnés d’une traduction personnelle. Le cadre spatio-temporel couvre les siècles ante Christum natum. C’est pourquoi l’abréviation « a.C. » est souvent négligée pour alléger la lecture du texte. Lorsqu’il est question des siècles post Christum natum, l’abréviation « p.C. » est employée pour éviter toute confusion. 13 Chapitre I Usages et fondements de la φιλία dans les cités grecques : des origines à l’achèvement de la conquête romaine Dans les ouvrages modernes, le mot « amitié » sert fréquemment de substantif pour désigner la φιλία, mais une telle interprétation réduit à sa plus simple expression un concept qui, en réalité, s’avère complexe à appréhender. Comme l’activité de la φιλία s’est échelonnée sur les périodes archaïque, classique et hellénistique, l’adoption d’une définition qui réponde à l’ensemble des paramètres spatio-temporels rend la tâche délicate à tout chercheur46. De fait, ceux qui mentionnent la φιλία omettent souvent d’en analyser les usages et les fondements et prennent pour acquis que la notion antique équivaut en tous points à l’amitié moderne. L’analyse des conceptions antique et moderne aidera à corriger cette perception et à saisir les similitudes et les dissemblances entre les deux concepts. 1.1. Étude comparative de l’amitié moderne et de la φιλία antique Au cœur des sociétés actuelles, l’amitié occasionne la formation de liens entre des individus et des peuples qui partagent des affections sincères et réciproques. Une telle paraphrase peut paraître quelque peu rigide et abstraite, car tout un chacun, d’après ses expériences personnelles, est amené à construire sa propre conception de l’amitié 47 . À de rares exceptions près, les spécialistes s’entendent pour dire que la φιλία ne coïncide pas tout à fait avec l’idée moderne d’amitié. Quelques historiens, tels que B. C. Strauss, S. A. Schwarzenbach ou J. M. Cooper, ont établi que la notion détenait un sens plus profond que les mots amitié, friendship et Freundschaft 48 . J.-C. Fraisse a insisté sur les infléchissements sémantiques du concept : « de philia à amicitia, de amicitia à amitié, il y a 46 47 48 Des occurrences de φιλία se rencontrent sous le Haut-Empire et postérieurement, mais cette période sera peu abordée du fait qu’elle excède les balises chronologiques posées. Les dictionnaires modernes attribuent diverses acceptions au mot amitié. P. Robert (éd.), Le Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2010, p. 83 : « 1. Sentiment réciproque d’affection ou de sympathie qui ne se fonde ni sur les liens du sang ni sur l'attrait sexuel. 2. Marque d’affection, témoignage de bienveillance » ; Le Petit Larousse Illustré 2009, Paris, Larousse, 2008, p. 36 : « sentiment d’affection, de sympathie, qu’une personne éprouve pour une autre ; relation qui en résulte ». B. S. Strauss, Athens after the Peloponnesian War : Class, Faction and Policy, 403-386 B.C., Ithaca, Cornell University Press, 1987, p. 21, est allé plus loin dans sa réflexion : « friendship is a universal and variegated phenomenon. In English, the word usually connotes warmth and affection, but is also connotes mutual obligation. It is important to separate the two basic aspects : (a) the expressive or emotional and (b) the instrumental ». On consultera pareillement S. A. Schwarzenbach, « On Civic Friendship », Ethics 107 (1996), p. 99 ; J. M. Cooper, « Aristotle on the Forms of Friendship », RMeta 30 (1977), p. 620. 15 assurément des différences manifestes, comme celle que suggère, par exemple, la parenté entre amor et amicitia en Latin, qui ne correspond à rien de semblable en Grec » 49 . Conformément à ces perspectives, il semble inadéquat de traduire φιλία par « amitié », mais certains savants ne parviennent pas à s’en dissuader. J. Annas n’a trouvé aucune autre interprétation satisfaisante50, tandis que J. Powell a cherché une explication dans la résonance familière du terme : « the concept of friendship as defined in these works contains nothing essentially unfamiliar to a modern reader ; and I am inclined to think, though this is terribly unfashionable in our relativistic age, that the reason for this is that friendship in its essence is much the same for human beings in all societies »51. Malgré cela, la φιλία possède des traits originaux qui s’harmonisent moins bien avec les principes de l’amitié moderne. À travers leurs essais sémantiques, les modernes se sont surtout concentrés sur la dimension objective de la φιλία en examinant les types de relations qui suscitaient le rapprochement entre les individus. M. Pakaluk a soulevé que les sociétés religieuses, les liens familiaux, les affinités entre voyageurs, le civisme entre citoyens, les arrangements d’hospitalité et les ententes tacites s’inséraient dans le système de la φιλία52. J. R. Wilson a poursuivi dans la même lignée : « as an ethical principle, φιλία represents a continuum of attachment that extends in a stable system of relationships from the self to one’s immediate family and friends and then outwards to one’s polis and one’s race »53. D’autre part, quelques auteurs se sont penchés sur la dimension subjective de la φιλία. J. M. Cooper a relevé que, dans la pensée aristotélicienne, « friendship requires, at a minimum, some effective concern for the other person’s good (including his profit and his pleasure) out of regard for him »54. D. Konstan a rejoint le point de vue de J. M. Cooper : « I shall argue that […] "philia" refers to affectionate sentiments (not objective obligations) characteristic of a wide range of 49 50 51 52 53 54 16 J.-C. Fraisse, Philia, p. 19. Selon l’auteur, « il peut y avoir des inflexions de sens beaucoup plus insidieuses, et sur lesquelles une filiation de fait, voire délibérée, peut nous tromper. Ce n’est pas parce que les Romains épris de philosophie ont systématiquement traduit philia par amicitia, et pensé rester fidèles à leurs maîtres grecs, qu’ils n’ont pas eux-mêmes été dupes. A fortiori nos contemporains, lorsqu’ils traduisent l’un et l’autre terme par amitié, friendship ou Freundschaft, malgré leur parfaite conscience de rester dans l’à peu près ». On verra aussi D. Konstan, Friendship, p. 122-124, où l’auteur compare les notions d’amor et de φιλία. J. Annas, « Plato and Aristotle on Friendship and Altruism », Mind 86 (1977), p. 532. J. Powell, « Friendship and its Problems in Greek and Roman Thought », in D. Innes et al., Ethics and Rhetorics : Classical Essays for Donald Russell on his Seventy-Fifth Birthday, Oxford / New York, Clarendon Press / Oxford University Press, 1995, p. 45. M. Pakaluk, Other Selves : Philosophers on Friendship, Indianapolis, Hackett Pub. Co., 1991, p. xiv. L. S. Pangle, « Friendship and Human Neediness in Plato’s Lysis », AncPhil 21 (2001), p. 305, a appuyé ce constat : « In friendship, broadly and classically understood, we find a realm of bonds and obligations and generous deeds that are rooted in particulars, in passions as well as thought, which seem to prove the possibility of true concern for another that does not leave concern for one’s own good behind ». J. R. Wilson, « Shifting and Permanent Philia in Thucydides », G&R 36 (1989), p. 147. J. M. Cooper, « Aristotle on the Forms of Friendship », p. 643-644. relationships, not excluding friendship proper » 55 . L’auteur a de même montré que les acceptions positives du mot φιλία, soit celles d’« amour » et d’« amitié », étaient articulées sur les antonymes μῖσος (haine) et ἔχθρα (inimitié, haine de l’étranger)56. Dans leurs recherches, les modernes ont cependant négligé la sphère des relations extérieures au profit des théories philosophiques, attendu que le corpus littéraire fixe des contours concrets à la φιλία. Et pourtant, la sphère des rapports interétatiques s’avère tout aussi importante pour déterminer la nature de la φιλία. H. Hutter a spécifié que la φιλία entre deux cités « was a major cause of war and one of the strongest bonds between men » et que la vie politique « was conceived primarily in terms of friendship and enmity »57. À l’intérieur de son étude sur les instruments diplomatiques dans les mondes grec et romain, E. S. Gruen a pour sa part souligné le dynamisme de la φιλία dans les échanges internationaux : « it could attend arbitral agreements, isopoliteia, asylia, peace treaties, royal marriages, or military alliances ; it could apply to an equal partnership or a relationship between greater and lesser powers ; it could signify firm cooperation or slack bonds of amity »58. Les positions tenues par J. Annas et J. Powell minent ainsi la compréhension du concept en passant sous silence ses particularités. En bornant leur investigation aux théories d’Aristote et de Platon, les deux savants n’ont ni envisagé le rôle de la φιλία dans les rapports entre cités ni pris en compte les applications du concept à travers le temps et l’espace. Les repères spatio-temporels demeurent néanmoins essentiels, car ils permettent d’observer les transformations du concept. E. Will a précisé que, dans les inscriptions, la φιλία s’érigeait en « commun dénominateur de contenus qui varient selon les contextes (φιλία affective, sociopolitique, diplomatique) et dont il convient, dans chaque cas, de définir la nature et l’étendue »59. Selon J.-C. Fraisse, deux étapes ont ponctué le parcours de la φιλία. Une première couvrirait la période d’Homère à Pythagore (VIIIe-VIe s.), où se discerne « la volonté de considérer l’amitié comme un correctif des injustices ou des aberrations possibles, et le souci de lui assigner des principes de jugement plus exacts que ceux ordinairement suivis : être capable d’amitié devient par là synonyme d’être vertueux, et suppose une réforme personnelle aussi 55 56 57 58 59 D. Konstan, Friendship, p. 71. D. Konstan, « La haine et l’inimitié : les deux contraires de la philia », in J. Peigney (éd.), Amis et ennemis en Grèce ancienne, p. 217-221. Sur l’opposition entre amitié moderne et φιλία, cf. D. Konstan, Friendship, p. 14-18. H. Hutter, Politics as Friendship : The Origins of Classical Notions of Politics in the Theory and Practice of Friendship. Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, 1978, p. 25. E. S. Gruen, Hellenistic World, p. 95. E. Will, « Syngeneia, Oikeiotès, Philia », RPh 69 (1995), p. 305. 17 bien qu’une prise de recul »60. À la période archaïque, la cité était plongée dans une crise morale, sociale et économique. Les enjeux que les Grecs durent alors surmonter déformèrent la manière de pratiquer la φιλία61. Une seconde étape s’enclencha ensuite au Ve siècle : en s’appuyant sur la pensée d’Empédocle, les Anciens tâchèrent dorénavant d’élucider la place de l’homme dans l’univers. Puis, dans la mesure où la concorde civile était de plus en plus menacée et que les États gagnèrent en amplitude, ils expliquèrent les usages et les fondements de la φιλία62. Les balises posées par J.-C. Fraisse méritent l’insertion d’une troisième phase. En effet, à la période hellénistique, les normes élaborées par les penseurs classiques n’occupaient plus une place aussi essentielle qu’auparavant. D. Konstan a noté une rupture avec les époques antérieures : « for Aristotle and writers of the classical period, a man who is loyal to his friends is assumed to be a good citizen, as well as affectionate to his kin ; for Theophrastus and afterwards, friendship is posed as potentially antagonistic to civic or national obligations » 63 . Il a tenu pour responsable de ce changement l’émergence des États hellénistiques : « what enabled this transformation in the perception of friendship, its reduction to a personal as opposed to civic value, was at least in part of the Hellenistic state as the object of political loyalty »64. De son côté, G. Panessa a constaté une dégradation de la valeur archaïque de la φιλία, qui est complètement vidée de sens réel en termes de réciprocité dès le Ve siècle. Il poursuit en affirmant que les décrets de φιλία postérieurs à la guerre du Péloponnèse sont marqués par une intensification des concessions utilitaristes, quantitatives et diachroniques, puis que « l’esigenza stessa di procedere al rinnovo dell’amicizia come vediamo in numerosi decreti dell’età ellenistica è indicativa del carattere generico della philia »65. La fonction instrumentale de la φιλία est assez bien visible dans les rapports entre États : dans le contexte de l’époque hellénistique, de riches notables usèrent de leurs moyens et des liens de φιλία avec les puissances, en particulier Rome, afin d’assurer le bien-être de leur cité et pour renforcer leur position sociale. I. Savalli-Lestrade a conclu qu’un changement de relation s’opéra avec l’arrivée de Rome sur la scène internationale : « si les rois ont eu des 60 61 62 63 64 65 18 J.-C. Fraisse, Philia, p. 32. J. T. Fitzgerald, « Friendship in the Greek World Prior to Aristotle », p. 27-33. Selon l’auteur, la déloyauté était l’un des facteurs qui a mené à la crise de la cité grecque. J.-C. Fraisse, Philia, p. 32. L’auteur a seulement nommé la φιλία privée. Or, comme le même bilan peut être appliqué à la sphère publique, cette clarification a volontairement été omise. D. Konstan, « Friendship and the State : The Context of Cicero’s De amicitia », Hyperboreus 1.2 (1994/1995), p. 7. Idem. G. Panessa, « La philia nelle relazioni interstatali del mondo greco », p. 265. On verra aussi les notes 21, 22 et 23, où l’auteur cite des exemples de concessions utilitaristes, quantitatives et diachroniques. φίλοι, ou des φίλοι καὶ ξένοι, parmi les citoyens des villes sujettes, alliées ou amies, cette donnée n’a reçu aucune publicité avant le Ier s. av. J.-C. On est tenté de penser que, sur ce point, le caractère politique de l’amitié avec les dirigeants romains a influencé la représentation de l’amitié avec les rois »66. Du point de vue de la πόλις, l’attitude des Grecs, qui firent couramment appel à un ennemi pour contrer un autre ennemi, était décisive pour le sort de leur cité, qui tomberait dans les bonnes ou les mauvaises grâces du vainqueur67. La portée spatio-temporelle et les implications de la φιλία confirment son importance dans l’Antiquité. L’analyse des termes et des circonstances de la φιλία dans les sources littéraires et épigraphiques est susceptible d’apporter des clarifications sur les subtilités sémantiques du concept dans les rapports entre personnes et entre cités. 1.2. Les rapports entre personnes : termes et circonstances Dans la littérature antique, la φιλία inspira les réflexions sur les relations entre individus. Alors qu’aux temps homériques les rapports amicaux des héros étaient exclusifs et immuables, ils intégrèrent, avec l’organisation de la πόλις archaïque, de nouvelles couches de la société68. Aux époques classique et hellénistique, la φιλία gagna des perspectives inédites chez les Anciens, qui l’abordèrent davantage en fonction de ses aspects civique et politique. Étant donné l’envergure des théories littéraires, l’analyse ne se résumera qu’à quelques auteurs, qui ont été choisis en fonction de leur représentativité. Il faut cependant être prudent dans la compréhension des ouvrages et des styles littéraires qui seront étudiés. Ils contiennent tous une part de création et de fiction et ne révèlent donc pas des vérités absolues. Au sein de la société, les liens de s’avéraient φιλία bénéfiques ou néfastes pour tout un chacun. Sous les prémisses de la déloyauté, les Anciens alertèrent la collectivité contre le φίλος mal intentionné. Cette tendance trouva de virulents échos chez Théognis, qui fit de la 66 67 68 I. Savalli-Lestrade, « Des "Amis" des rois aux "Amis" des Romains. Amitié et engagement politique dans les cités grecques à l’époque hellénistique (IIIe-Ier s. av. J.-C.) », RPh 72 (1998), p. 67-85. On consultera également P. Veyne, « L’identité grecque devant Rome et l’empereur », REG 112 (1999), p. 520. J. Briscoe, « The Antigonids and the Greek States, 276-196 B.C. », in P. D. A. Garnsey et C. R. Whittaker (éd.), Imperialism and the Ancient World, Cambridge, Cambridge University Press, 1978, p. 147-148 ; P. Veyne, « L’identité grecque devant Rome et l’empereur », p. 517-530. Les écrivains postérieurs ne rompirent pas totalement avec le modèle homérique, mais des coupures s’opérèrent déjà chez Théognis avec l’introduction d’une φιλία hostile et fragile. À ce sujet, cf. J. T. Fitzgerald, « Friendship in the Greek World Prior to Aristotle », p. 24-30 ; W. Donlan, « Pistos, Philos, Hetairos », in J. T. Figueira et G. Navy (éd.), Theognis of Megara : Poetry and the Polis, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1985, p. 223-229 ; J.-C. Fraisse, Philia, p. 40-45 ; E. Benveniste, Vocabulaire, p. 338-342. 19 qualité des φίλοι l’une de ses principales préoccupations69. W. Donlan a réparti les extraits éloquents du poète en plusieurs catégories, mais il paraît pertinent de se reporter à trois d’entre elles : celle où Théognis condamne la défection des φίλοι, celle où il recommande de ne faire confiance à personne ou seulement à un nombre restreint d’individus, et celle où il indique que les φίλοι font défaut dans les instants critiques70. Les élégies sont empreintes d’une atmosphère par-dessus tout pessimiste, qui est décelable dès les premiers vers. Au début du poème, Théognis signale à Cyrnos que ses pairs ne méritent pas ses affections : Μηδένα τῶνδε φίλον ποιεῦ, Πολυπαίδη, ἀστῶν ἐκ θυμοῦ, χρείης εἵνεκα μηδεμιῆς ἀλλὰ δόκει μὲν πᾶσιν ἀπὸ γλώσσης φίλος εἶναι, χρῆμα δὲ συμμίξῃς μηδενὶ μηδ’ ὁτιοῦν σπουδαῖον· γνώσῃ γὰρ ὀϊζυρῶν φρένας ἀνδρῶν, ὥς σφιν ἐπ’ ἔργοισιν πίστις ἔπ’ οὐδεμία, ἀλλὰ δόλους τ’ ἀπάτας τε πολυπλοκίας τ’ ἐφίλησαν οὕτως ὡς ἄνδρες μηκέτι σῳζόμενοι71. Le portrait négatif que Théognis dresse des hommes, en les décrivant comme lamentables, prenant plaisir aux ruses, aux tromperies et aux trahisons, l’amène à repousser la sincérité d’autrui dans les rapports amicaux. Il déconseille à Cyrnos de s’engager dans des relations sérieuses avec les autres afin de minimiser le lot de déceptions. Il le prie d’être vigilant et de circonscrire la quantité de contacts, surtout quand ceux-ci incluent l’entourage immédiat : Πολλοὶ πὰρ κρητῆρι φίλοι γίνονται ἑταῖροι, ἐν δὲ σπουδαίῳ πράγματι παυρότεροι. Παύρους κηδεμόνας πιστοὺς εὕροις κεν ἑταίρους κείμενος ἐν μεγάλῃ θυμὸν ἀμηχανίῃ72. Théognis critique ici l’authenticité et la fidélité des φίλοι. Il est contrarié par leur défection, qui résulte en grande partie de leur égoïsme et de leur tempérament : 69 70 71 72 20 Comme la morale des textes comporte une structure cohérente et qu’aucun consensus n’est atteint sur l’origine des élégies, il n’est pas paru légitime de négliger l’apport du corpus véritable ou alexandrin. On consultera Théognis, Poèmes élégiaques, texte établi, traduit et commenté par J.-C. Carrière, 2003 (1948), p. 7-27 et p. 38-57 ; V. Cobb-Stevens, T. J. Figueira et G. Navy, « Introduction », in T. J. Figueira et G. Navy (éd.), Theognis, p. 1-5 ; L. Pizzolato, L’idea di amicizia, 1993, p. 21-22 ; D. Konstan, Friendship, p. 49-52. W. Donlan, « Pistos, Philos, Hetairos », p. 225. L’auteur a classé les passages de Théognis sur la φιλία sous trois grandes thématiques, soit celles des plaintes, des conseils et des observations. Le modèle de W. Donlan a été repris par J. T. Fitzgerald, « Friendship in the Greek World Prior to Aristotle », p. 29-30. Théognis, v. 61-68 : « Ne te fais aucun ami du fond du cœur parmi ces citoyens, Polypaedes, pour aucune nécessité. Mais feins d’être l’ami de tous en paroles, et ne t’associe avec personne pour quelque affaire sérieuse que ce soit ; tu connaîtras en effet les pensées de ces hommes lamentables, de telle sorte que tu sauras qu’aucune confiance ne se place en leurs actes, car ils se complaisent aux ruses, aux tromperies et aux trahisons, à tel point que ces hommes ne peuvent plus être sauvés ». Ibid., v. 643-646 : « Nombreux sont les chers compagnons près du cratère, mais ils sont peu dans une situation sérieuse. Tu trouveras chez tes compagnons peu de gens fidèles et consciencieux quand tu te trouveras avec le cœur en grande difficulté ». Μηδείς σ’ ἀνθρώπων πείσῃ κακὸν ἄνδρα φιλῆσαι, Κύρνε· τί δ’ ἔστ’ ὄφελος δειλὸς ἀνὴρ φίλος ὤν ; Οὔτ’ ἄν σ’ ἐκ χαλεποῖο πόνου ῥύσαιτο καὶ ἄτης, οὔτε κεν ἐσθλὸν ἔχων τοῦ μεταδοῦν ἐθέλοι73. Selon le poète, les hommes fallacieux n’extériorisent pas des sentiments véridiques, puisqu’ils manipulent leurs proches à des fins personnelles. Par opposition, l’homme de bien épaule son φίλος peu importe la nature des circonstances : Τοιοῦτός τοι ἀνὴρ ἔστω φίλος, ὃς τὸν ἑταῖρον γινώσκων ὀργὴν καὶ βαρὺν ὄντα φέρει ἀντὶ κασιγνήτου74. L’amertume de Théognis découlait de ses propres expériences : il avait lui-même été trahi par ses φίλοι75. La situation avec laquelle il dut composer rappelle celle d’Hésiode qui, après avoir perdu un procès contre son frère Persès, réalisa la précarité des liens familiaux76. Quoique les élégies théognidiennes ne constituassent pas des traités sur la φιλία ou sur le choix des φίλοι, elles incorporaient un univers dichotomique où la plupart des préceptes visaient à tenir l’homme à l’écart des compromissions et à lui assurer stabilité, quiétude et aisance77. Chez les dramaturges du VIe et du Ve siècle, le φίλος désigne à la fois l’ami, l’être aimé, un proche ou bien un membre de la famille immédiate. Le champ sémantique de la φιλία est ainsi régulièrement employé pour référer au lien qui unit parents et enfants78. Au sein des tragédies, les rapports entre individus sont construits sur la logique de l’amitié et de 73 74 75 76 77 78 Ibid., v. 101-104 : « Que personne parmi les hommes ne te persuade d’aimer un mauvais homme, Cyrnos. Quel avantage représente un mauvais homme en étant un ami ? Il ne te sauverait pas d’une épreuve difficile et de la ruine et ne voudrait pas, même en possédant une fortune, t’en donner une part ». Ibid., v. 1164a-c : « Un ami doit être un tel homme envers toi, celui qui, en connaissant le tempérament de son compagnon le supporte comme un frère, même lorsqu’il est insupportable ». Les discordes entre ἀγαθοί et κακοί renvoient aux différences sociales entre les aristocrates et la plèbe au VIe siècle. L’image des φίλοι qui s’entraident était encore véhiculée à la période hellénistique : dans Chéréas et Callirhoé, Polycharme abandonne sa famille pour épauler Chéréas, quand celui part à la recherche de sa femme, enlevée par des pirates. Voir J.-C. Carrière dans Théognis, Poèmes élégiaques, p. 29-30 ; L. Pizzolato, p. 22-23. D. Konstan, Friendship, p. 117. Théognis, v. 811-813 : Χρῆμ’ ἔπαθον θανάτου μὲν ἀεικέος οὔτι κάκιον, | τῶν δ’ ἄλλων πάντων, Κύρν’, ἀνιηρότατον· | οἵ με φίλοι προὔδωκαν […] ; « J’ai subi une affaire non plus mauvaise que la funeste mort, Cyrnos, mais la plus douloureuse de toutes les autres ; mes amis m’ont trahi ». Hésiode, TJ, v. 184 : [...] οὐδὲ κασίγνητος φίλος ἒσσεται, ὡς τὸ πάρος περ ; « […] ni un frère ne sera un ami, comme un frère était tout à fait autrefois ». Sur l’approche hésiodique des relations amicales, on consultera J.-C. Fraisse, Philia, p. 46-50 ; L. Pizzolato, p. 16-18 ; D. Konstan, Friendship, p. 42-44. J.-C. Carrière dans Théognis, p. 27. Selon L. Pizzolato, p. 18, une intention semblable se retrouve chez Hésiode. C’est notamment le cas de Clytemnestre et d’Oreste dans l’Orestie d’Eschyle, cf. P. Demont, « Christian Meier, Carl Schmitt, amis, ennemis et politique dans les Euménides d’Eschyle », in J. Peigney (éd.), Amis et ennemis en Grèce ancienne, p. 57-68. Au sujet de la représentation de la φιλία chez Eschyle, voir aussi M. Fartzoff, « “Amitié” et “inimitié” dans le drame eschyléen : l’Orestie », p. 69-82. 21 l’inimitié : le φίλος est confronté à l’ἐχθρός (« ennemi »), qui risque de nuire au bon fonctionnement de la φιλία. Les rebondissements de l’intrigue et l’opposition ami / ennemi obligent les protagonistes à reconsidérer le statut de φίλος. L’Ajax et l’Ulysse sophocléen « expriment tous deux que les sentiments changent, que les amis peuvent se transformer en ennemis et les ennemis en amis » : Ajax poursuit sa rancune contre son ancien φίλος, Ulysse, qui a remporté les armes d’Achille, et Ulysse finit par accorder la φιλία à Teucros, le frère d’Ajax, qui était son ἐχθρός 79 . En situation d’hostilité ou de guerre, la fidélité des φίλοι n’était aux jamais assurée. Dans le Rhésus, Hector remet en question sa φιλία avec Rhésus, le roi de Thrace, en raison de son entrée tardive dans la guerre de Troie. Bien qu’Hector reconnaisse le lien de ξενία qu’il a avec Rhésos, il lui semble difficile d’accepter sa demande de συμμαχία, puisqu’il juge que le roi a transgressé leur φιλία80. Parallèlement à la littérature tragique, les textes philosophiques fixent des contours concrets aux usages et aux fondements de la φιλία dans les rapports entre individus. Dans le Lysis de Platon, Socrate s’interroge sur la nature des contacts humains. Il avertit Lysis que seul le καλός possède des φίλοι et que la φιλία unit les ἀγαθοί. Il réfute plus tard cet argument lorsqu'il s’aperçoit que l’ἀγαθός n’éprouve pas le besoin d’avoir des φίλοι à cause de son caractère autarcique81. Le Lysis bute de la sorte sur l’aporie de Socrate. Le fait que ce dernier infirme toutes ses hypothèses sème la confusion et ne permet pas d’apprécier le dialogue à sa juste valeur. Parmi les auteurs modernes qui ont réagi favorablement ou défavorablement au Lysis, la position prise par J. Haden semble appropriée : « if one thinks that the main aim of the dialogue is a simple, univocal formulaic definition, the mistake is easy to make. But Plato is wide enough to see that philia is a subtle and complicated 79 80 81 22 D. Cuny, « Amis et ennemis dans l’Ajax de Sophocle », in J. Peigney (éd.), Amis et ennemis en Grèce ancienne, p. 83-99. M. Fantuzzi, « Hector between ξενία et συμμαχία for Rhesos (on [Eur.] Rhesus 264-453) », in J. Peigney (éd.), Amis et ennemis en Grèce ancienne, p. 121-136. Sur la conception de la φιλία chez Euripide, on consultera de même J. A. López Férez, « Amis et ennemis chez Euripide », p. 101-119. Le Lysis fait partie de dialogues dits de « jeunesse » ou « socratiques » et son objet concerne une recherche éthique de la φιλία. J. Haden, « Friendship in Plato's "Lysis" », RMeta 37 (1983), p. 332-333, s’est penché sur les technicités du document : « a major obstacle to arriving at a unified, positive view of the Lysis is the problem of bringing together two things said and apparently refuted in it. One is the proposal that friendship is between likes. This actually means two who are good, Socrates says, since those who are bad are so unstable that they are never even like themselves, much less like others (214C-D). But it is also asserted that the good, qua good, are self-sufficient, implying that they are free of needs and desires ; hence they do not need or want friends (215A-C) ». On se reportera également à Platon, Lysis, texte établi et traduit par A. Croiset, introduction et notes par J.-F. Pradeau, Paris, Les Belles Lettres, p. VII-X ; D. Wolfsdorf, « Φιλία in Plato’s "Lysis" », HSPh 103 (2007), p. 238-239 ; A. Tessitore, « Plato’s Lysis : An Introduction to Philosophic Friendship », Philosophy 28 (1990), p. 115. phenomenon, as the vast range of its Greek usages makes apparent » 82 . Il faut toutefois attendre Aristote avant d’entrevoir une doctrine philosophique mieux développée, où la φιλία est divisée en trois degrés d’importance. En premier lieu, la φιλία vertueuse est désignée comme la forme la plus pure des liaisons : Τελεία δ’ ἐστὶν ἡ τῶν ἀγαθῶν φιλία καὶ κατ’ ἀρετὴν ὁμοίων· οὗτοι γὰρ τἀγαθὰ ὁμοίως βούλονται ἀλλήλοις ᾗ ἀγαθοί, ἀγαθοὶ δ' εἰσὶ καθ’ αὑτούς. Οἱ δὲ βουλόμενοι τἀγαθὰ τοῖς φίλοις ἐκείνων ἕνεκα μάλιστα φίλοι· δι’ αὑτοὺς γὰρ οὕτως ἔχουσι, καὶ οὐ κατὰ συμβεβηκός83. D’après Aristote, la vertu inculque aux hommes une bienveillance naturelle, avec laquelle ils veillent à la félicité de leurs proches. L’atteinte de la φιλία vertueuse est toutefois réservée à un groupe de personnes qui détient une vertu commune et équivalente 84 . Le principe d’égalité est aussi présent dans les deux autres niveaux de φιλία, soit les φιλίαι fondées sur l’utilité et le plaisir, mais ces formes n’accordent aucune bonté instinctive aux individus : Οἱ μὲν οὖν διὰ τὸ χρήσιμον φιλοῦντες ἀλλήλους οὐ καθ’ αὑτοὺς φιλοῦσιν, ἀλλ’ ᾗ γίνεταί τι αὐτοῖς παρ’ ἀλλήλων ἀγαθόν. Ὁμοίως δὲ καὶ οἱ δι’ ἡδονήν· οὐ γὰρ τῷ ποιούς τινας εἶναι ἀγαπῶσι τοὺς εὐτραπέλους, ἀλλ’ ὅτι ἡδεῖς αὑτοῖς85. L’homme qui préfère l’utilité ou le plaisir à la vertu ne fait pas preuve d’altruisme, puisqu’il fait primer ses intérêts sur ceux de sa famille et de ses camarades86. Mais le φίλος vertueux ne vit pas non plus à l’abri de l’utile et de l’agréable, car ces valeurs sont instituées 82 83 84 85 86 J. Haden, « Friendship in Plato's "Lysis" », p. 354. Les contraintes structurelles de l’œuvre mènent certes à une impasse, mais Platon a tout de même transmis une vision novatrice de la φιλία. Selon J.-F. Pradeau (Platon, Lysis, p. XIX), Platon est parvenu à lever les ambigüités sur les notions de l’usage de l’ami et de la réciprocité en les faisant agir de concert pour « qu’elles puissent, toutes deux associées, donner lieu à la définition de l’amitié comme désir de trouver dans un autre que soi l’occasion d’un rapport avantageux à soi ». Sur la réception du Lysis, cf. D. Wolfsdorf, « Φιλία in Plato’s "Lysis" », p. 235 ; L. S. Pangle, p. 306307. Aristote, EN, VIII, 3, 1156b6-11 : « Mais l’amitié parfaite est celle des bons et des gens semblables dans la vertu ; ces gens-là veulent pareillement les bonnes choses les uns aux autres pour autant qu’ils sont bons, car ils sont bons en eux-mêmes. Mais ceux qui veulent les bonnes choses à leurs amis pour l’amour de ceux-là sont plus que tout des amis ; ils sont de cette manière par le fait d’eux-mêmes et non pas par accident ; par conséquent, leur amitié persiste aussi longtemps qu’ils sont bons, et que la vertu est stable ». S. Stern-Gillet, Aristotle’s Philosophy of Friendship, Albany (N.Y.), State University Press of New York Press, 1995, p. 39. F. M. Schroeder, « Friendship in Aristotle and Some Peripatetic Philosophers », in J. T. Fitzgerald (éd.), Greco-Roman Perspectives on Friendship, p. 45. Aristote, EN, VIII, 3, 1156a10-14 : « Donc, d’une part, ceux qui aiment à travers l’utilité ne s’aiment pas les uns les autres pour eux-mêmes, mais dans la mesure où un quelconque bien est accompli par eux auprès des uns des autres. D’autre part, [il en est] également de même pour ceux qui aiment à travers le plaisir ; en effet ce n’est pas parce qu’ils sont des individus de qualité et qu’ils apprécient les gens d’esprit, mais parce qu’ils leur sont agréables ». Selon L. S. Pangle, « Friendship and Human Neediness in Plato’s Lysis », p. 309, Socrate corrobore cette idée dans le Lysis : « even as he posits that all friendship is based on utility, he implicitly accepts the premise that truly loving a person means loving the other as an end and not as a means to something else that we want ». 23 chez l’homme comme des qualités qui, suivant le cours des émotions, changent selon le temps et l’espace87. L’utilité et le plaisir tendent dès lors à corrompre les liaisons entre individus, tandis que la vertu en incarne la forme la plus concrète et la plus authentique. La doctrine aristotélicienne de la φιλία devint par la suite le paradigme de toute une génération de penseurs. Théophraste d’Érèse, dans son Sur la φιλία, rend possible la répartition de la φιλία entre personnes de statut social inégal, mais de vertu identique (ex : un père et son fils). Quant aux gens dont la vertu est dissemblable, ils échangeraient avant tout une φιλία fondée sur l’utilité et le plaisir88. Chez Plutarque, la notion d’inégalité surgit chez les couples légendaires unis par la φιλία. Achille et Patrocle n’appartenaient certes pas au même rang social, l’un étant héros, l’autre mortel, mais tous deux étaient soudés par les liens du sang89. Au même titre que Théognis, Plutarque ne recommande pas la pluralité d’amis à dessein de préserver un équilibre dans les relations publiques et privées 90 . La morale de Plutarque se situe au confluent des théories de Platon et d’Aristote : une réciprocité de qualité n’existe que si la φιλία est partagée avec un entourage réduit 91 . Les enseignements péripatéticiens furent pareillement récupérés dans les communautés philosophiques. Dans les Maximes capitales (XXVIII, 2) d’Épicure, la φιλία est, parmi les désirs naturels et nécessaires, le plus grand bien que procure la sagesse pour parvenir à la tranquillité. Pour les 87 88 89 90 91 24 Aristote, EN, VIII, 3, 1156a19-21 : Εὐδιάλυτοι δὴ αἱ τοιαῦταί εἰσι, μὴ διαμενόντων αὐτῶν ὁμοίων· ἐὰν γὰρ μηκέτι ἡδεῖς ἢ χρήσιμοι ὦσι, παύονται φιλοῦντες ; « Ces amitiés-là sont évidemment faciles à dissoudre, puisque les hommes eux-mêmes ne demeurent pas semblables ; en effet, s’ils ne sont plus agréables ni utiles, ils cessent d’être amis ». Le Sur la φιλία n’a pas été retrouvé, mais quelques extraits de cet ouvrage ont été cités par les Anciens. À cet effet, cf. W. W. Fortenbaugh et D. Gutas, Theophrastus of Eresus Commentary Volume 6.1 : Sources on Ethics, Leiden / Boston, Brill, 2011, nos 532-546 ; sur les idéaux aristotéliciens et l’école péripatéticienne, voir F. M. Schroeder, « Friendship in Aristotle and Some Peripatetic Philosophers », p. 45-47 ; L. Pizzolato, L’idea di amicizia, p. 66-69. Plutarque (De la pluralité d’amis, 93d-e) a révélé que les couples de héros suivants avaient échangé une φιλία authentique : Thésée et Pirithoos, Achille et Patrocle, Oreste et Pylade, Phintias et Damon, Épaminondas et Pélopidas. Aristote a fait allusion à ces couples dans l’Éthique à Nicomaque (IX, 10, 1171a14-15). Sur la pensée de Plutarque, cf. E. N. O’Neil, « Plutarch on Friendship », in J. T. Fitzgerald (éd), Greco-Roman Perspectives on Friendship, p. 121-122 ; D. Konstan, Friendship, p. 93-98. Plutarque, De la pluralité d’amis, 94b : Ἐπεὶ δ’ ἡ ἀληθινὴ φιλία τρία ζητεῖ μάλιστα, τὴν ἀρετὴν ὡϛ καλόν, καὶ τὴν συνήθειαν ὡϛ ἡδύ, καὶ τὴν χρείαν ὡϛ ἀναγκαῖον· δεῖ γὰρ ἀποδέξασθαι κρίναντα καὶ χαίρειν συνόντα καὶ χρῆσθαι δεόμενον […] ; « Par suite, la vraie amitié exige avant tout trois choses, la vertu en tant qu’une bonne chose, l’intimité en tant qu’une chose plaisante, l’utilité en tant qu’une chose nécessaire ; car il faut accepter un ami en portant un jugement sur lui, se réjouir quand il est présent et se servir de lui lorsqu’on est en besoin […] ». Sur le danger de la pluralité des φίλοι, on se reportera à Plutarque, De la pluralité d’amis, 93e-f : Ὅθεν τὸ σφόδρα φιλεῖν καὶ φιλεῖσθαι πρὸς πολλοὺς οὐκ ἔστιν, ἀλλ’ ὥσπερ οἱ ποταμοὶ πολλὰς σχίσεις καὶ κατατομὰς λαμβάνοντες ἀσθενεῖς καὶ λεπτοὶ ῥέοισιν, οὕτω τὸ φιλεῖν ἐν ψυχῇ σφοδρὸν πεφυκὸς εἰς πολλοὺς μεριζόμενον ἐξαμαυροῦται ; « D’où aimer et être aimé excessivement n’existe pas du point de vue de plusieurs personnes, mais comme les fleuves divisés en nombreux clivages, qui tiennent de faibles incisions et qui coulent étroits, le fait d’aimer avec véhémence, qui a été placé dans l’âme, lorsqu’il est divisé vers de nombreuses personnes, s’affaiblit ». Épicuriens, la φιλία était une vertu de l’être. Ils acceptaient l’utilité et le plaisir, car ils envisageaient la φιλία comme un tout, qui procède selon les besoins de chaque personne92. En contraste aux Épicuriens, les Stoïciens associaient ἔρως et φιλία et considéraient que l’amour aboutissait à l’établissement d’une φιλία93. Enfin, la φιλία enchâssait l’univers cultuel chez les Pythagoriciens, qui célébraient la fidélité que Phintias et Damon avaient démontrée l’un pour l’autre94. Pour la collectivité, la φιλία véritable était somme toute durement atteignable, d’autant plus qu’elle exigeait la réciprocité dans les interactions entre individus, qui devaient prioriser une relation bilatérale et non unilatérale95. Les conventions sociétales de la φιλία s’adressaient aussi aux politiciens et aux citoyens qui s’acquittaient d’une charge administrative. Il était en effet sans doute préférable pour celui qui transitait vers les cercles du pouvoir de respecter les idéaux philosophiques de la φιλία. Les modes de gouvernance disséqués par Aristote – la royauté, l’aristocratie, la timocratie, la tyrannie, l’oligarchie et la démocratie – mettent à profit la distribution tripartite de la φιλία. Dans chacun de ces systèmes, la δικαία (justice) et la φιλία sont réparties de manière symétrique : Καθ' ἑκάστην δὲ τῶν πολιτειῶν φιλία φαίνεται, ἐφ' ὅσον καὶ τὸ δίκαιον, βασιλεῖ μὲν πρὸς τοὺς βασιλευομένους ἐν ὑπεροχῇ εὐεργεσίας· εὖ γὰρ ποιεῖ τοὺς βασιλευομένους, εἴπερ ἀγαθὸς ὢν ἐπιμελεῖται αὐτῶν, ἵν' εὖ πράττωσιν, ὥσπερ νομεὺς προβάτων96. Pour Aristote, la royauté remplit les conditions de la φιλία vertueuse, dès lors que le roi use de sa bienfaisance pour contenter ses sujets. Les deux autres principales formes de 92 93 94 95 96 Au sujet de la théorie épicurienne, voir J. Brun, Épicure et les épicuriens : Textes choisis, Paris, Presses Universitaires de France, 2010 (1961), p. 11-26 ; D. Konstan, Friendship, p. 108-110 ; J. Powell, « Friendship and its Problems in Greek and Roman Thought », p. 38 ; J.-C. Fraisse, Philia, p. 297 et p. 314 ; A. Banateanu, La théorie stoïcienne de l’amitié : Essai de reconstruction, Fribourg / Paris, Éditions Universitaires de Fribourg / Éditions du Cerf, 2002, p. 48-49 ; F. Frazier, « Eros et Philia dans la pensée et la littérature grecques. Quelques pistes, d’Homère à Plutarque », p. 40. F. Frazier, p. 40. Damon avait accepté de servir d’otage à la cour du tyran Denys le Jeune à la place de Phintias, qui, condamné à mort, avait besoin de temps pour mettre en ordre ses affaires personnelles. Phintias revint à la cour du roi dans le délai fixé pour subir sa sentence. Au sujet du pythagorisme, on consultera D. Konstan, Friendship, p. 114-115 ; J.-C. Fraisse, Philia, p. 57-67 ; J. C. Thom, « "Harmonious Equality" : The Topos of Friendship in Neopythagorean Writings », in J. T. Fitzgerald (éd.), Greco-Roman Perspectives on Friendship, p. 77-90. D. Konstan, « Reciprocity and Friendship », in C. Gill, N. Postlethwaite et R. Seaford (éd.), Reciprocity in Ancient Greece, Oxford, Clarendon Press, 1998, p. 279-281. La maxime ὁ φίλος ἄλλος αὐτός (Aristote, EN, IX, 4, 1166a31-32), ou « l’ami est un autre moi-même » en français, implique l’idée de réciprocité : ce que l’individu veut pour lui-même, il le veut aussi pour son ami. Aristote, EN, VIII, 11, 1161a10-14 : « Dans chacune de ces formes de gouvernement, l’amitié apparaît en égale proportion à la justice. D’une part, [l’amitié] d’un roi pour ceux qu’il gouverne réside dans la supériorité de sa bienfaisance ; car il fait le bien pour ceux qu’il gouverne, s’il est vrai qu’il prend soin d’eux en étant bon, pour qu’ils fassent le bien, comme fait un berger pour ses brebis […] ». Au sujet des types de gouvernement, cf. Aristote, Pol., III, 5-8 et IV, 2-10. 25 gouvernement, soit l’aristocratie et la timocratie, sont quant à elles plus propices à l’utilité et au plaisir : attendu que les partisans de l’aristocratie ou de la timocratie obéissent à leurs impulsions, ils ne peuvent présider adéquatement aux affaires de la cité. Dans l’Alcibiade de Platon, Socrate avise Alcibiade que l’acquisition de la vertu est préalable à une juste gestion de la cité97. Or, la timocratie, contrôlée par l’aristocratie, engendre des hommes d’ambition qui courent après les honneurs ; ceux-ci renferment par conséquent une vertu imparfaite à cause de leur avidité pour les richesses et les récompenses98. Les fondements de l’aristocratie et de la timocratie détonnent avec ceux de la royauté du moment que ces régimes encouragent des rapports de force plutôt qu’une symbiose entre le pouvoir et la société. Les sympathisants de ces systèmes sont dépouillés de toute bonté originelle dans la mesure où ils chérissent les reconnaissances sociales99. De la royauté à la timocratie, la φιλία perd progressivement de son authenticité. Il en va de même chez leurs avatars, où la φιλία et la δικαία subsistent en petite quantité100. La tyrannie, soit l’avatar de la royauté, symbolise la pire constitution, puisqu’elle réfrène les démonstrations de φιλία101. Le tyran est non moins que le roi associé à une figure monarchique, mais il n’agit pas en vrai philanthrope, parce qu’il travaille avant tout pour ses intérêts personnels. Il ne s’entoure ni d’amis ni d’ennemis, car l’un comme l’autre est susceptible de menacer la stabilité de son règne. Le tyran ne jouit ainsi jamais d’une vraie φιλία et est dépourvu de vertu 102. À l’encontre d’Aristote, Platon fait de la démocratie le dérivé de la tyrannie et non pas de la royauté. Il juge en effet que la démocratie promeut la 97 98 99 100 101 102 26 Platon, Alc., 134 b-c : ΣΩ. Εἰ δὴ μέλλεις τὰ τῆς πόλεως πράξειν ὀρθῶς καὶ καλῶς, ἀρετῆς σοι μεταδοτέον τοῖς πολίταις. ΑΛ. Πῶς γὰρ οὐ ; Socrate : « Certes, si tu es destiné à gouverner les affaires de la cité justement et raisonnablement, ce sera en donnant une part de ta vertu aux citoyens. Alcibiade : En effet, comment cela ne serait-il pas ? ». On verra encore J.-C. Fraisse, Philia, p. 174-175 ; L. Pizzolato, L’idea di amicizia, p. 46. La frontière entre l’aristocratie et la timocratie est atténuée dans la République. On se reportera à Platon, Rép., VIII, 545c-550b. J. M. Cooper, « Political Animals and Civic Friendship », in G. Patzig, Aristoteles’ ʻPolitikʼ : Akten des XI. Symposium Aristotelicum Friedrichshafen / Bodensee, 25.8.-3.9.1987, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1990, p. 234, renvoie à la hiérarchie des systèmes politiques : « the way or ways in which the government seeks to promote the citizens’ good as a common good will depend upon the specific character of the friendship that forms the political bond within it ». Aristote, EN, VIII, 11, 1161a30-32 : Ἐν δὲ ταῖς παρεκβάσεσιν, ὥσπερ καὶ τὸ δίκαιον ἐπὶ μικρόν ἐστιν, οὕτω καὶ ἡ φιλία, καὶ ἥκιστα ἐν τῇ χειρίστῃ ; « Mais dans les déviations des formes constitutionnelles, comme la justice existe même en petite quantité, l’amitié aussi existe de cette façon, et moindrement dans la pire forme ». Aristote, EN, VIII, 10, 1160a36-1160b3 : Παρέκβασις δὲ βασιλείας μὲν τυραννίς· ἄμφω γὰρ μοναρχίαι, διαφέρουσι δὲ πλεῖστον· ὁ μὲν γὰρ τύραννος τὸ αὑτῷ συμφέρον σκοπεῖ, ὁ δὲ βασιλεὺς τὸ τῶν ἀρχομένων ; « Cependant, la déviation de la royauté est la tyrannie ; en effet toutes deux sont des monarchies, mais elles diffèrent grandement ; car le tyran n’a en vue que ce qui lui est avantageux et le roi que ce qui est avantageux pour ceux qu’il gouverne ». Plusieurs passages de Platon attestent cette réalité : Rép., IX, 567b, 576a, 576d-e et 579c-580c. liberté, alors que la tyrannie la dénature, jusqu’à conduire la société vers l’esclavage103. La qualité des législateurs est ensuite critiquée dans l’oligarchie, soit l’infléchissement de l’aristocratie104. Selon Aristote, les oligarques s’arrogent les meilleures possessions et sont motivés par l’argent ; sous leur autorité, les charges politiques se retrouvent toujours entre les mains des mêmes familles. À travers leurs faits et gestes, ils s’éloignent de la φιλία vertueuse et sont dépouillés d’amis 105 . Bien que les altérations des gouvernements soient d’emblée discréditées par les philosophes, la démocratie surpasse la timocratie et la tyrannie par rapport à la place qu’elle consent à la φιλία et à l’égalité des citoyens106 : Ἐπὶ μικρὸν δὴ καὶ ἐν ταῖς τυραννίσιν αἱ φιλίαι καὶ τὸ δίκαιον, ἐν δὲ ταῖς δημοκρατίαις ἐπὶ πλεῖον· πολλὰ γὰρ τὰ κοινὰ ἴσοις οὖσιν107. La démocratie gagne les faveurs d’Aristote pour la simple raison que, au sein de ce système politique, les fonctions publiques sont accomplies par la communauté civique et les notions d’égalité et de réciprocité spécifiques à la φιλία vertueuse régissent les liaisons entre individus. Dans la République cependant, la démocratie vient après l’oligarchie sur l’échelle platonicienne des types de gouvernements108. Si la démocratie est admirée de tous compte tenu de la liberté, de l’égalité et du franc-parler qui y règnent, ces critères représentent aussi sa principale faille : comme le chef d’un tel État combine dans son être toutes les formes constitutionnelles et arbore des centaines de caractères différents, celui-ci projette une image 103 104 105 106 107 108 Sur la liaison entre démocratie et tyrannie, cf. Platon, Rép., VIII, 562a-564c. Aristote, EN, VIII, 10, 1160b12-15 : Ἐξ ἀριστοκρατίας δὲ εἰς ὀλιγαρχίαν κακίᾳ τῶν ἀρχόντων, οἳ νέμουσι τὰ τῆς πόλεως παρὰ τὴν ἀξίαν, καὶ πάντα ἢ τὰ πλεῖστα τῶν ἀγαθῶν ἑαυτοῖς, καὶ τὰς ἀρχὰς ἀεὶ τοῖς αὐτοῖς, περὶ πλείστου ποιούμενοι τὸ πλουτεῖν ; « De l’aristocratie on se dirige vers l’oligarchie par le vice des gouvernants, qui distribuent les affaires de la cité en comparaison de la valeur, qui attribuent l’entièreté ou la plus grande partie des biens à eux-mêmes, et qui donnent toujours les magistratures aux mêmes personnes, car ils regardent avec grande importance le fait de s’enrichir ». Dans son Hiéron, Xénophon met en scène un tyran privé d’amis. Comme celui-ci est entouré d’un nombre élevé d’ennemis, il prend part à la φιλία d’une manière refrénée. Xénophon, au contraire d’Aristote et de Platon, n’écarte pas la possibilité d’un tyran en tant que chef idéal : en effet, si le tyran parvient à susciter la reconnaissance chez ces sujets, il serait disposé à recevoir la φιλία par ces derniers. On verra Xénophon, Hiéron, III, 1-9 ; Platon, Rép., VIII, 550e-551a et 554a-554e ; L. S. Pangle, « Friendship and Human Neediness in Plato’s Lysis », p. 84 ; J.-C. Fraisse, Philia, p. 114-115 ; Xénophon, Constitution des Lacédémoniens – Agésilas – Hiéron. Suivi de Pseudo-Xénophon, Constitution des Athéniens, traduit et annoté par M. Casevitz, préface par V. Azoulay, Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. IX-XXII. Aristote, EN, VIII, 10, 1160b16-21 : Ἐκ δὲ τιμοκρατίας εἰς δημοκρατίαν· σύνοροι γάρ εἰσιν αὗται· […] Ἥκιστα δὲ μοχθηρόν ἐστιν ἡ δημοκρατία· ἐπὶ μικρὸν γὰρ παρεκβαίνει τὸ τῆς πολιτείας εἶδος ; « Mais de la timocratie on se dirige vers la démocratie ; en effet ces formes-là sont limitrophes ; […] Toutefois la démocratie est en moins mauvaise condition ; en effet elle s’écarte en petite quantité de la forme du gouvernement républicain ». Aristote, EN, VIII, 11, 1161b8-10 : « Même dans les tyrannies les amitiés et la justice existent en petite quantité, mais dans les démocraties elles existent en grande quantité ; car nombreuses personnes, en étant égales, ont (partagent) des rapports communs ». Platon (Rép., IX, 580a-b) a classé les régimes du plus vertueux au plus malsain selon cet ordre : la royauté, la timocratie, l’oligarchie, la démocratie et la tyrannie. L’aristocratie ne fait pas partie de cette échelle. 27 d’instabilité qui affecte l’efficacité de son raisonnement 109 . En définitive, la φιλία sert à distinguer les régimes justes et injustes : de son dynamisme au sein de la royauté, de l’aristocratie et de la démocratie, celle-ci s’esquive partiellement ou totalement de la tyrannie, de l’oligarchie et de la timocratie. Au plan des cercles du pouvoir, les dirigeants qui satisfaisaient aux besoins de la société et aux idéaux de la φιλία étaient mieux préparés à exercer leur mandat et à assurer la prospérité de leur cité. Les φίλοι étaient indispensables au succès de la vie publique, puisqu’ils constituaient des appuis fidèles. Platon avait de la sorte renoncé à prendre part aux affaires athéniennes, car ses φίλοι l’avaient abandonné et il n’était pas apte à en acquérir des nouveaux110. Le rôle crucial qu’il accorde aux φίλοι vient du fait qu’ils pourvoyaient au bon fonctionnement des rouages politiques. Leur influence se faisait sentir à plusieurs échelons du pouvoir : à l’intérieur des cours monarchiques de l’Asie hellénistique, les φίλοι, qui étaient employés dans les activités administratives du royaume, avaient une forte incidence sur les prises de décisions du législateur111. En compagnie de la φιλία, d’autres principes, tels que la justice, la sagesse, l’égalité, la liberté et la concorde, concouraient à l’élaboration de l’État idéal. Parmi ce groupe, l’ὁμονοία est sans doute la plus importante, car là où elle règne tous les éléments cohabitent en parfaite harmonie112. La situation interne de la πόλις risquait d’avoir des conséquences sur sa manière de pratiquer la diplomatie avec les acteurs extérieurs. Par conséquent, l’analyse de la φιλία dans les rapports entre cités s’avère nécessaire afin d’offrir un panorama complet sur les usages et les fondements du concept dans le monde grec antique. 1.3. Les rapports entre cités : termes et circonstances L’usage de la φιλία dans les rapports entre cités est documentée par deux familles d’inscriptions : celle où elle se rencontre sans coordonnant et celle où elle est liée à un autre mot par la conjonction καί. L’accord entre Anaitoi et Metapioi (VIe-Ve s.), qui appartient au premier groupe, prévoyait la mise en place d’une φιλία « simple » : 109 110 111 112 28 Voir Rép., 557c-558c et 559d-561e. H. Hutter, Politics, p. 25 ; I. Savalli-Lestrade, Les Philoi royaux dans l’Asie hellénistique, Genève, Droz, 1998, p. 337. I. Savalli-Lestrade, Philoi royaux, p. 355 : « les Amis étaient employés soit au Palais, étant placés à la tête de certains services de la "maison du Roi", soit dans les divers secteurs de l’administration du royaume (militaire, civile, judiciaire) ». H. Hutter (p. 25-30) a montré l’importance de l’ἑταιρεία, qu’il a défini comme une « union of friends » dans la vie des individus et dans la gestion des affaires de la cité. Voir J.-C. Fraisse, Philia, p. 52, 168 et 174. L’auteur a entre autres affirmé que « la vertu d’une cité dépend directement de ceux qui la dirigent. S’il est vrai que la vertu de ces derniers elle-même dépend d’un progrès moral où la philia a sa part, on voit en quel sens la philia et l’homonoia dans les cités restent subordonnées ». L. Pizzolato, L’idea di amicizia, p. 8 et 45-46, a avancé qu’Alcibiade, « nel dialogo platonico ominimo, stabilisce un’equivalenza tra la philía e l’homónoia (126c), cioè la "concordia" che fa prosperare la città ». Ἀ Ϝράτρα τὸς Ἀναίτο[ς] καὶ τὸ[ς] Μεταπίο[ς]. φιλίαν πεντάκοντα Ϝέτεα. κὀπόταροι μἐνπεδέοιαν, 4 ἀπὸ τo͂ βομo͂ ἀποϜελέοιάν καὶ τοὶ πρόξενοι καὶ τοὶ μάντιερ. αἰ τὸ[ν] ὅρκον παρβαίνοιαν, γνo͂μαν τὸρ ἱ[α]ρομάορ τὀλυμπίαι. vacat113 Les dispositions de l’entente amènent à envisager que les négociations se produisirent à la suite d’un contentieux en vertu de l’attention portée aux sanctions qui accompagneraient le non-respect des clauses114. Les Anaitoi et les Metapioi ratifièrent une φιλία de cinquante ans et officialisèrent leur coopération en jurant l’ὅρκος (serment). En revanche, si l’ὅρκος venait à être transgressé, la φιλία serait automatiquement rendue caduque. Dans le cas contraire, celle-ci se terminerait au bout de cinquante ans 115 . Exception faite du présent traité, il demeure que le mot φιλία est plus souvent accolé à un autre concept, dont la juxtaposition expose la nature de la liaison entre les acteurs116, comme c’est le cas dans cette inscription de Téos : ἀννεώμεθα μὲν τὰν ὑπάρχωσαν ἁμῖν [ποτ’] α̣ὐτος συγγένειαν καὶ φιλίαν καὶ εὔνοιαν· ἀν[αγρά][ψαν]τες δὲ καὶ τὰ προεψαφισμένα τίμια περὶ τᾶ[ς] 20 [καθι]ερώσιος τᾶς πόλιος καὶ τᾶς χώρας αὐτῶν [τῶι] [ἀρχα]γέται Διονύσωι καὶ τὰν ἀσυλίαν εἰς τὸ ἱε[ρὸν τὸ] [τᾶς Ἀ]θαναίος συντηρησίομεν καὶ εἰς τὸ λοιπ[ὸν] [καθὼ]ς <ἂν> ἁμὲ παρακαλίοντι· ὅπαι δὲ συμβαί[νηι τὰν] 24 [ποτ’ ἀ]λλήλους οἰκειότητα καὶ φιλίαν ἐπὶ πλ[εῖον] [αὔξ]εσθαι κατὰ πάντα τρόπον, ἁμίων ΕΥ̣ ou ΕΧ [---]117 113 114 115 116 117 « Accord entre les Anaitoi et les Metapoi. Amitié pour cinquante ans. Et celui des deux qui ne s’y conforme pas, les proxènes et les devins le tiendront à l’écart de l’autel. S’ils transgressent le serment, que décident les hiaromaoi d’Olympie ». Pour les particularités linguistiques et les éolismes de l’inscription, cf. S. Minon, Les inscriptions éléennes dialectales (VIe-IIe siècle avant J.-C.), Volume I : Textes. Volume II : Grammaire et vocabulaire institutionnel, Genève, Droz, 2007, no 14, puis les p. 289, 360, 373, 408, 418, 429-430, 486, 491 et 511 ; G. Panessa, Philiai, p. 102-107. S. Minon, Textes, p. 101 : « Ce traité d’"amitié" laisse supposer que les deux parties n’ont pas toujours été dans les meilleurs termes et qu’elles s’efforcent de remédier à cette situation, soit de leur propre initiative, soit encouragées par leur voisine Élis, qui aurait pu favoriser l’apaisement entre des communautés qu’elle projetait de fondre avec elle à l’intérieur d’une nouvelle grande cité ». S. Minon (Textes, p. 102-103) et G. Panessa (Philiai, p. 103-105) se sont interrogés sur la transgression, à savoir si elle s’adressait aux cités, aux proxènes ou aux devins. Selon A. Giovannini, Les relations entre États dans la Grèce antique : du temps d’Homère à l’intervention romaine (ca. 700-200 av. J.-C.), Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2007, p. 230, la « φιλία ne se rencontre que très rarement pour désigner un traité ou le contenu d’un traité ». En regard de la quantité de témoignages qui entrent dans la seconde catégorie, seules les locutions les plus courantes seront examinées. « […] que même nous renouvelons la parenté, l’amitié et la bienveillance qui existent avec eux depuis jadis ; que, gravant les privilèges qui furent auparavant décrétés au sujet de la consécration de la cité et du territoire à notre protecteur Dionysos, nous conserverons à l’avenir l’inviolabilité pour le sanctuaire d’Athéna comme ils (les Téiens) nous le demandent ; que, de la façon qu’il arrive un jour d’accroître les uns les autres l’intimité et l’amitié de toute manière [---] ». Pour le grec, cf. Y. Béquignon et A. Laumonier, « Fouilles de Téos (1924) », BCH 49 (1925), p. 303-305 ; O. Curty, Les Parentés légendaires entre les cités grecques : Catalogue raisonné des inscriptions contenant le terme SUGGENEIA et analyse critique, Genève, Droz, 29 Le document est daté entre 204 et 202, à l’instant où les Téiens dédièrent leur ville et leur territoire à Dionysos. L’origine de la parenté légendaire, évoquée par le terme συγγένεια, ne peut être cernée, car l’identité de la cité crétoise avec laquelle elle fut réclamée demeure inconnue. En règle générale, la συγγένεια que Téos revendiquait avec les autres villes crétoises n’apporte aucun éclaircissement. Après avoir sondé les inscriptions de ce corpus, O. Curty a inféré que « les Téiens devaient se prétendre parents avec l’ensemble des Crétois et ne pas établir de distinction entre les cités de l’île, même si les réponses de ces cités ne contiennent pas toutes le mot συγγένεια » 118 . En dépit de l’impossibilité à déterminer la συγγένεια du cas téien, certains lignages, qui remontent la plupart du temps à la guerre de Troie, sont parfois détectés. Dans les études modernes, le concept de la kinship diplomacy renvoie au processus d’interdépendance qui liait les États selon le principe d’une descendance commune. La validation de la συγγένεια avantageait les cités lors de conflits et les obligeait à s’entraider en situation de besoin 119 . La notion de φιλία vient ainsi renforcer l’idée de réciprocité entre les acteurs : « lorsque deux cités se reconnaissent syngeneis, elles sont nécessairement en état de philia, dans la mesure où la syngeneia n’est jamais invoquée (avec ou sans mention de philia) que pour justifier l’existence ou la demande d’actes de coopération "amicale" »120. Outre la mention de συγγένεια, l’inscription emploie deux autres dyades qui seront brièvement expliquées. À la ligne 24, il est question d’une « οἰκειότητα καὶ φιλίαν », qui a été traduite en note par « intimité et amitié ». Il est important de clarifier que, même si le terme οἰκειότης comprend une logique de rapport intime ou de relation étroite, sa signification se rend difficilement en français. Quant à la jonction avec le mot φιλία, E. Will a affirmé que l’οἰκειότης œuvrait en filigrane de la φιλία et non pas l’inverse121. Pour sa part, le binôme 118 119 120 121 30 1995, no 43p. Les auteurs s’entendent pour dire que la particule <ἂν> ne supporte pas le temps du verbe utilisé. O. Curty, p. 105 et 106. La συγγένεια devait être attestée par les ouvrages poétiques et historiques. Elle unifiait la cité à l’ensemble des autres villes et non pas à chacune séparément. Cette donnée pourrait légitimer les nombreux témoignages crétois qui soulignaient une συγγένεια avec les Téiens. On consultera C. P. Jones, Kinship Diplomacy in the Ancient World, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1999, p. 17-35 ; L. E. Patterson, Kinship Myth in Ancient Greece, Austin, University of Texas Press, 2010, p. 1-44 ; O. Curty, p. 254-258. E. Will, « Syngeneia, Oikeiotès, Philia », p. 309. D’après E. Will (p. 310), « l’oikeiotès n’est pas un statut, mais un état de fait qui suppose, exprime et conforte la philia, sans laquelle elle ne saurait exister » ; puis l’oikeiotès « ne se négocie pas comme un traité : elle se construit empiriquement jusqu’à être constatée et érigée en une "valeur" idéologique, sinon à proprement parler politique ». L’auteur a de même critiqué O. Curty sur le fait que la junctura οἰκειότης καὶ φιλία était moins utilisée dans les inscriptions. On se reportera à E. Will, p. 318-319 ; O. Curty, Parentés légendaires, p. 237-241. « φιλία καὶ εὔνοια » suppose l’idée d’un respect mutuel entre les peuples, par exemple entre les Cnossiens et les Milésiens dans cette inscription du IIIe siècle : ὑπολαμβάνο12 μεν γάρ ὑμῖν πάντα τὰ φιλάνθρωπα γίνεσθαι παρ’ ἡμῶν καὶ διαφυλάξομεν τὰμ φιλίαν καὶ τὰν εὔνοιαν τὰν ὑπαρχουσαν ἐκ τῶν πρότερον χρόνων πρὸς ἀλλήλους καθάπερ δίκαιόν ἐστιν122 L’entente se trouvait sur une stèle comportant trois décrets d’ordre judiciaire, lesquels interdisaient la réduction en esclavage des citoyens milésiens. L’extrait relate que les Milésiens, après la destruction de leur temple par un incendie et la perte de la gravure originale, envoyèrent une ambassade à Cnossos pour renouveler l’accord. Les Cnossiens acceptèrent leur requête et réitérèrent la φιλία et l’εὔνοια. La présence des notions de φιλανθρωπία, de φιλία et d’εὔνοια donne un ton d’amabilité au décret et autorise à penser que la bienveillance était une attitude coutumière dans les rapports entre cités 123 . Les risques d’oppositions et d’affrontements étaient manifestement amenuisés pour les cités entre lesquelles une φιλία καὶ εὔνοια avait été entérinée, puisqu’elles vivaient alors dans un climat de paix 124 . La réponse des Cnossiens envers les Milésiens prouve que les deux peuples partageaient des affections sincères et qu’ils se souciaient mutuellement de leur bien-être. Les expressions analysées jusqu’ici reflètent de réelles préoccupations sociales et politiques : sous le couvert de la φιλία, les πόλεις ne pouvaient pas vraiment refuser de soutenir la cause de leur « amie » ou « parente » bienveillante. Cette conjoncture était encore plus apparente dans le contexte d’une συμμαχία, où les Grecs étaient liés par un serment solennel. Les Grecs profitèrent des situations épineuses pour forger des alliances militaires. En état de paix comme de guerre, la συμμαχία garantissait la sécurité des États et la protection des institutions civiques. En se fondant principalement sur Thucydide et sur quelques sources épigraphiques, A. Giovannini a identifié deux types d’alliances : une défensive, « lorsque les parties [s’engageaient] à se prêter mutuellement assistance au cas où l’une d’elles [était] attaquée », et une offensive, « lorsque les parties [s’engageaient] à mener activement en 122 123 124 « [...] car nous accueillons toutes les bonnes dispositions que vous avez envers nous et nous maintiendrons l’amitié et la bienveillance qui existent depuis des temps antérieurs envers les uns et les autres comme ce qui est juste ». Sur le document, voir H. H. Schmitt, Die Staatsverträge des Altertums, Bd. 3 : Die Verträge der griechisch-römischen Welt von 338 bis 200 v.Chr., Munich, Beck, 1969, no 482 ; E. S. Gruen, Hellenistic World, p. 72 ; A. Cassayre, La justice sur les pierres. Recueil d’inscriptions à caractère juridique des cités grecques de l’époque hellénistique, http://pascal.delahaye1.free.fr/aude.cassayre, 2009, no 16. Dans ce recueil A. Cassayre a fait l’édition, la traduction et la critique des textes pour son ouvrage La Justice dans les cités grecques. A. Les relations entre États, p. 62. E. Will, p. 305. 31 commun des guerres entreprises par l’une d’elles ou à la suite d’une décision commune »125. Enfin, une autre forme d’alliance émanait des ligues et était conduite contre un ou plusieurs ennemis. Le jumelage entre φιλία et συμμαχία n’indique rien de surprenant : pour une cité, la « φιλία καὶ συμμαχία » permettait d’endiguer les actes de représailles parmi les alliés et de réfréner les attaques du monde extérieur. L’intégrité d’une « φιλία καὶ συμμαχία » pouvait toutefois être compromise si l’un des alliés exploitait les autres126. Une brève inscription de Trézène du IIe siècle éclaire sur les enjeux politiques de la φιλία : [Γ]ό[ργ]ιππον Ἐχ……ονα εὐεργέταν ἁ πόλι[ς] ἀνέθη[κε] ἀγορανομήσαντα καὶ πρε[σβεύ]σαντα εἰς ‘Ρώμαν ὑπὲρ φ[ιλίας καὶ] 5 συμμαχίας καὶ ὑπὲρ τᾶς [ὁμολογίας] ποθ’ Ἑρμιονεῖς ἑπτάκι[ς].127 Un certain [G]o[rg]ippos, dépêché à Rome ὑπὲρ φ[ιλίας καὶ] συμμαχίας, « allait solliciter pour sa ville natale, après la chute de l’indépendance hellénique, le titre et les privilèges de civitas libera et foederata » (cité libre et unie par l’alliance ou alliée) 128. Le passage ὑπὲρ τᾶς [ὁμολογίας] ποθ’ Ἑρμιονεῖς ἑπτάκι[ς] stipule que cet ambassadeur avait été mandaté sept fois auprès des Romains par les Trézéniens, afin d’entamer des pourparlers en leur nom et en celui d’Hermione. Alors que le résultat de l’expédition de Gorgippos est inconnu, les circonstances laissent penser que les Romains avaient reçu les délégations de Trézène et peut-être d’Hermione, puisque le Sénat avait accueilli diverses ambassades grecques à la même époque 129 . Dans tous les cas, les relations diplomatiques avec les Romains sont à replacer dans le contexte particulier de la période hellénistique. Avec la prise du monde grec par Philippe II de Macédoine (338), l’apparition des royaumes hellénistiques 125 126 127 128 129 32 A. Giovannini, p. 241 ; F. E. Adcock et D. J. Mosley, Diplomacy in Ancient Greece, Londres, Thames and Hudson, 1975, p. 189-193. Sur les types d’alliances et de leurs impacts, cf. A. Giovannini, p. 240-245 ; S. Carlsson, Hellenistic Democraties : Freedom, Independance and Political Procedure in Some East Greek City-States, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2010, p. 102-107. A. Giovannini, p. 98-103. La combinaison « φιλία καὶ συμμαχία » était régulièrement utilisée dans l’épigraphie et la littérature. À ce sujet, cf. E. S. Gruen, Hellenistic World, p. 69 ; A. Giovannini, p. 230 ; G. Panessa, Philiai, p. XXXII. « La cité a érigé cette statue honorifique pour [G]or[gi]ppos (...) évergète ayant occupé la charge d’agoranome et ayant été ambassadeur à Rome pour la septième fois pour une amitié, une alliance et un accord envers (avec) les Hermionéens ». La version grecque est tirée de S. L. Ager, Interstate Arbitrations in the Greek World, 337-90 B.C., Berkeley / Los Angeles / New York, University of California Press, 1996, no 151. L’auteure a restitué le terme ὁμολογίας à la ligne cinq plutôt que εἰράνας, pour lequel Fränkel avait opté dans IG IV, 791. Selon elle, l’inscription daterait de la deuxième moitié du II e s. P.-E. Legrand, « Inscriptions de Trézène », BCH 24 (1900), p. 200. S. L. Ager, Interstate Arbitrations, p. 413, note 2, a avancé l’idée que les Romains avaient entendu les ambassades de Melitaia et Narthakion et celles de Samos et Priène. On verra de même E. S. Gruen, Hellenistic World, p. 738, P.-E. Legrand, « Inscriptions de Trezène », p. 200-201. (fin du IVe s.) et l’émergence de Rome (IIIe s.), la φιλία, qui avait jusque-là été l’apanage des Grecs, fut accommodée aux besoins des acteurs internationaux. Avant toute chose, il convient de rappeler que les contacts de φιλία avec les monarques remontaient bien au-delà de la période hellénistique. Les Cariens en auraient fait l’expérience avec Minos (XXe s.), puis Mennès avec les colonies fondatrices de Phocée (Xe s.) 130 . Les rapports avec les rois s’intensifièrent à l’époque archaïque 131 , mais l’événement le plus significatif pour l’histoire de la cité reste la victoire grecque contre l’Empire perse. À ce moment crucial de leur histoire, les Grecs n’avaient pourtant pas été totalement solidaires contre la menace étrangère : les sources révèlent en effet que certains d’entre eux avaient noué une φιλία avec Xerxès132. En réalité, les cités ne trouvèrent jamais un terrain d’entente absolu, parce qu’elles cherchaient à faire primer leurs intérêts personnels sur ceux de leurs pairs. Les Grecs, qui étaient habitués à négocier avec les royautés depuis des générations, offrirent parfois une résistance efficace aux rois, à l’instar de ce que montre une épigramme des Phocidiens en l’honneur de l’Élatéen Xanthippos (fin IIIe s. a.C.) : Δὶς μὲν γὰρ σφετέρας ἀπὸ δ[ούλ]ια δ[εσμ]ὰ τυράννων 4 λῦσαί φατι, καμὼν ἄλκιμ[α πολλά, πάτ]ρας, ἁνίκα δῖα Ἐλάτεια κατεχε[το], τὸμ [μὲν ἐν] ἀρχ[ᾶι], τὸν δὲ μέσαι τελάσας μόχ[θο]ν ἐν ἁλ[ικίαι]. Οὗτος καὶ βασιλῆα Μακη[δονίας] φρεσὶ [πεί]σας 8 τὰν ἄδολον κείναν ὥρμισεν εἰ]ς φιλίαν Λυσ[ίμα]χον, χρυσὸν δὲ τὸν ἄ[στ]εα καὶ τὰ πατρῶια ἄγαγεν [Ὀ]ρνυτιδᾶν ῥυσάμενον δάπεδα.133 Le dossier de Xanthippos incorpore les éléments des théories philosophiques sur les liaisons entre individus. Tout au long de sa vie, le citoyen pouvait contribuer au développement des relations interétatiques de sa cité natale ou d’exil. Xanthippos libéra sa 130 131 132 133 A. Giovannini, Les relations entre États, nos 5 et 10. Les Cariens prétendaient que leur φιλία avec les Crétois datait du temps de Minos. Au contraire de Pausanias, les récits d’Hérodote et de Thucydide relatent des rapports antagoniques et non très amicaux entre ces deux peuples. Ibid., nos 13, 16, 17, 19, 22, 23, 24, et 26. Ibid., nos 32 et 33. « En effet, on dit qu’il délivra sa patrie deux fois contre les liens serviles des tyrans, après avoir déployé plusieurs courageux efforts, au temps où Élatée était occupée, et qu’il accomplit cela par son autorité, alors qu’il était à moitié dans la fleur de l’âge. Celui-ci a persuadé dans ses pensées le roi de Macédoine, Lysimaque, et l’a mené vers une amitié loyale, en rapportant de l’or pour les villes et en sauvant les territoires ancestraux des Ornytidai ». L’édition complète de l’inscription se trouve chez J. Bousquet, « Inscriptions de Delphes », BCH 84 (1960), p. 174-175. Certains changements ont été apportés par W. Ameling dans K. Bringmann et H. von Steuben (éd.), Schenkungen hellenistischer Herrscher an griechische Städte und Heiligtümer. 1. Zeugnisse und Kommentare, Akademie Verlag, Berlin, 1995, no 102, mais la version de J. Bousquet a été retenue. I. Savalli-Lestrade, « Des "Amis" des rois aux "Amis" des Romains », p. 70, n. 18, s’est ralliée à W. Ameling pour la restitution δ[έσμ]ια δ[ειν]ὰ à la l. 3, qui avait initialement été rejetée par J. Bousquet (p. 173) puisque δέσμια ne ressort que dans une épigramme de l’Anthologie Palatine. 33 patrie, Élatée, à deux reprises : une fois en 304, contre Cassandre et ses garnisons, l’autre en 285, contre les troupes d’Antigone Gonatas 134. Il avait même obtenu l’aide de Lysimaque pour affronter le second. Les conditions de la rencontre entre Xanthippos et le roi sont certes méconnues, mais il ne devait pas avoir eu trop de difficulté à le diriger sur la voie d’une φιλία : pour les Diadoques, qui s’efforçaient de sceller leur supériorité sur la scène internationale après la mort d’Alexandre, les rapports de φιλία avec les Grecs diminuaient le pouvoir de leurs adversaires. Les succès militaires et diplomatiques de Xanthippos confirment par ailleurs que la πόλις était toujours en mesure de rivaliser avec les rois, mais cet exemple n’annonce pas une tendance générale. La ferveur patriotique des notables s’accentua à la période hellénistique. Philippidès, ami de Lysimaque, avait soutiré des dons alimentaires, monétaires et matériels de la part du roi. Il avait par la suite eu droit aux reconnaissances d’Athènes : « qu’on le couronne de la couronne d’or légale […]. Qu’on le nourrisse au prytanée ainsi qu’à jamais l’aîné de ses descendants. Qu’on lui accorde la proédrie dans tous les concours organisés par la cité. […] »135. L’action des notables sur la scène extérieure révèle que les institutions permettaient encore aux Grecs de maîtriser leur destin. En parallèle aux efforts diplomatiques de ces personnages, la concession de bienfaisances faisait partie du langage politique des monarchies hellénistiques. L’excellence des rois était en effet déterminée au nombre des générosités qu’ils octroyaient aux cités. En retour, les Grecs exprimaient leur gratitude en conférant des honneurs publics et cultuels aux dynastes. L’édification de ces liens bilatéraux, c’est-à-dire de la cité vers le roi et du roi vers la cité, engendrait la formation de sentiments authentiques et profonds, qui pouvaient excéder la simple utilité ou le calcul politique 136 . La πόλις, qui aspirait à l’ὁμόνοια et souhaitait son maintien, était appelée à s’aventurer dans le jeu des 134 135 136 34 Après son premier exploit, Xanthippos se vit décerner une statue sur laquelle il fut gravé « The Phokians dedicated to Apollo this statue of Xanthippos, son of Ampharetos, the Phokian who liberated Elateia ». En ce qui a trait au second évènement, W. Ameling, I. Savalli-Lestrade et J. Bousquet ont situé l’expulsion d’Antigone Gonatas entre 284 et 281. Dans son ouvrage plus récent sur l’histoire de la Phocide, J. McInerney a toutefois préféré l’année 285. Voir J. Bousquet, « Inscriptions de Delphes », p. 174 ; I. Savalli-Lestrade, « Des "Amis" des rois aux "Amis" des Romains », p. 70 ; W. Ameling dans Schenkungen, no 102 ; J. McInerney, The Folds of Parnassos : Land and Ethnicity in Ancient Phokis, Austin, University of Texas Press, 1999, p. 241-242. Le cas de Philippidès est commenté par A. Bielman, Retour à la liberté : Libération et sauvetage des prisonniers en Grèce ancienne. Recueil d’inscriptions honorant des sauveteurs et analyse critique, Athènes / Lausanne-Dorigny, École Française d’Athènes / Université de Lausanne, 1994, no 20. Les cités préservèrent les cultes civiques de certains souverains après leur mort et en étendirent même l’application à leurs citoyens évergètes. De plus, certains φίλοι royaux furent hautement prisés par les monarques, par exemple Aristote par Alexandre, Héliodôros par Séleucos IV et Aristoménès par Prolémée V. À ce sujet, on verra P. Gauthier, Les cités grecques et leurs bienfaiteurs, Athènes, École française d’Athènes, 1985, p. 40-49 ; I. Savalli-Lestrade, Philoi royaux, p. 342-353. entités plus puissantes qu’elle. Le décret de Chrémonidès (ca. 268 a.C.) témoigne de ces tendances : ὅπως ἂν οὖν κοινῆς ὁμονοίας γενομένης τοῖς Ἕλλησι πρός τε τοὺς νῦν ἠδικηκότας καὶ παρεσπονδηκότας τὰς πόλεις πρόθυμοι μετὰ τοῦ βασιλέως Πτολεμαίου 34 καὶ μετ’ ἀλλήλων ὑπάρχωσιν ἀγωνισταὶ καὶ τὸ λοιπὸν μεθ’ ὁμονοίας σώιζωσιν τὰς πόλεις·vacat ἀγαθῆι τύχει· δεδόχθαι τῶ[ι δ]ήμωι τὴν μὲν φιλίαν καὶ τὴν συμμαχίαν εἶναι Ἀθηναίοις κ[αὶ] Λακεδαιμονίοις κτλ.137 En 268, le monde grec était confronté aux ambitions d’Antigone Gonatas et de Ptolémée II Philadelphe. Alors que le premier visait à asseoir son autorité par l’installation de gouvernements et de garnisons à des endroits stratégiques en Grèce continentale138, le second opta pour une politique d’ouverture et de prudence 139 . Les cités, principalement Sparte et Athènes, cherchaient à défendre et préserver leur ἐλευθερία et leur αὐτονομία 140 . Les pourparlers avec l’Égypte furent facilités par l’attitude répressive d’Antigone Gonatas, car Ptolémée était enclin à abandonner toute revendication sur les acquis ancestraux des deux cités. La φιλία καὶ συμμαχία avec le souverain fut orchestrée sur le souvenir des guerres médiques. À compter de leur victoire sur Xerxès et son armée, les Grecs envisageaient la liberté et l’autonomie en tant qu’un droit constitutionnel141 . Le discours diplomatique des 137 138 139 140 141 « [...] de sorte que, comme une concorde commune s’est établie entre les Grecs, ils combattent plein d’ardeur ensemble et avec le roi Ptolémée contre ceux qui font maintenant tort aux cités grecques et qui les trahissent et qu’ils protègent à l’avenir les cités dans la concorde. À la bonne fortune : plaise au peuple que l’amitié et l’alliance existent entre les Athéniens et les Lacédémoniens [...] ». La version grecque du décret est tirée de H. H. Schmitt, Staatsverträge, no 476. Antigone Gonatas désirait sauver les possessions qu’il avait héritées de son père, soit Corinthe, le Pirée, Chalcis et Démétrias. L’attitude du roi a été qualifiée de « répressive » par N. G. L. Hammond, du fait que celui-ci imposa des gouvernements promacédoniens et des garnisons aux cités, et de « modérée » par E. Will et M. I. Rostovtseff, puisqu’il ne paraissait pas vouloir dominer la Grèce. On se reportera à E. Will, Histoire politique du monde hellénistique, 323-30 av. J.-C., t. 1 : De la mort d’Alexandre aux avènements d’Antiochos III et de Philippe V, Paris, Éditions du Seuil, 2003 (1966-1967), p. 164, 220-221 et 338 ; N. G. L. Hammond, The Macedonian State : Origins, Institutions and History, Oxford, Clarendon Press, 1989, p. 308-309 ; M. I. Rostovtseff, Histoire économique et sociale du monde hellénistique, Paris, R. Laffont, 1989 (1941), p. 25. En 268, le royaume lagide était la plus grande puissance sur la scène internationale et contrôlait les principales routes commerciales maritimes. À la différence d’Antigone Gonatas, Ptolémée limitait ses interventions militaires sur le continent et mêlait les cités à ses projets. Il suscitait entre autres la participation des représentants de l’hellénisme lors de ses Ptolemaia. Voir M. I. Rostovtseff, Histoire économique, p. 20 ; E. Will, Histoire politique, p. 167, 202 et 207 ; H. Heinen, « Aspects et problèmes de la monarchie ptolémaïque », Ktèma 3 (1978), p. 187. L’attitude bienfaitrice de Ptolémée est exaltée aux l. 13-18 dans le décret de Chrémonidès. Voir les l. 70-74. Pour la signification de l’ἐλευθερία et de l’αὐτονομία, cf. A. Mastrocinque, « L’eleutheria e le città ellenistiche », AIV 135 (1977), p. 1-23 ; E. Levy, « Autonomia et éleuthéria au Ve siècle », RPh 57 (1983), p. 249-270 ; A. Giovannini, Les relations entre États, p. 90-103 ; S. Carlsson, Hellenistic Democracies, p. 61-99 et surtout les p. 84-99. Aux l. 7-13 du décret, il est dit qu’Athènes et Sparte s’allièrent en se promettant de ne pas se retirer la liberté et l’autonomie. Les autres peuples de Grèce continentale qui étaient φίλοι καὶ σύμμαχοι sont énoncés aux 35 acteurs extérieurs devait donc favoriser la pérennité de ces idéaux 142. De par leurs stratégies militaires et diplomatiques, les monarchies hellénistiques concurrencèrent la φιλία traditionnellement gérée par les Grecs. Néanmoins, l’arrivée de Rome sur la scène internationale modifia davantage les pratiques diplomatiques du monde grec. Les filiations de φιλία entre les Grecs et les Romains s’amorcèrent au terme de la première guerre d’Illyrie, en 229/8, quand les Corcyréens et les Épidamniens devinrent amici des Romains. Avant cette date, Rome avait déjà formé des liens cordiaux avec d’autres peuples, mais l’amicitia qu’elle entretenait avec eux n’était pas destinée à assouvir des prétentions hégémoniques. Lorsque les Romains entrèrent en contact avec la Grèce, ils furent exposés à une population qui avait consolidé un système de relations plus sophistiqué que le leur, si bien qu’ils lui laissèrent le soin d’élaborer et de diffuser les décrets143. Par le biais de cette relation, Rome commença à s’imprégner de la culture grecque, dont l’influence se perçoit notamment dans la littérature latine au IIIe siècle, alors que l’Odyssée est adaptée en latin par Livius Andronicus 144 . Après avoir exploré les réminiscences hellénistiques de la φιλία sous l’Empire romain, P. Veyne a soutenu que « les Grecs, eux, étaient fiers d’être euxmêmes et leur identité a traversé, intacte et sans se cacher, les siècles de domination romaine » 145 . Or, l’analyse de la φιλία débouche sur un tout autre constat, puisque les processus exploités par les Grecs pour sympathiser avec Rome conduisirent à des changements sur les usages et les fondements de la φιλία. Dans la circonstance où les Romains appartenaient au monde des Barbares aux yeux des Grecs, l’aménagement d’une liaison mythologique entre les deux peuples était indispensable 142 143 144 145 36 l. 21-25 et 36-40. Il s’agit des Éléens, des Achéens, des Tégéates, des Mantinéens, des Orchoméniens, des Phigaliens, des Caphyéens et des Crétois. Parmi les quelques traités de φιλία ou de φιλία καὶ εἰρήνη décrétés à la fin de conflits, certains incluaient la mention ἐλευθέρια καὶ αὐτονομία ou seulement l’une des deux notions. Pour des extraits où la φιλία et l’εἰρήνη sont citées et où il n’y a aucune allusion à l’ἐλευθέρια ou à l’αὐτονομία, cf. S. L. Ager, Interstate Arbitrations, no 109 ; les documents IG II2, 477 et IG II2, 1304. Pour un décret où apparaissent la φιλία et l’εἰρήνη et où l’ἐλευθέρια ou l’αὐτονομία sont nommées, cf. S. L. Ager, no 127 ; S. Carlsson, p. 84-97. Pour un exemple où se retrouvent la φιλία, l’εἰρήνη, l’ἐλευθέρια et l’αὐτονομία, on se réfèrera au traité IG II2, 34. Polybe, II, 11, 2-6. D’autres peuples bénéficièrent du support de Rome. À l’encontre de ce qu’a affirmé E. S. Gruen, Polybe n’a pas décrit cette relation en termes de φιλία. Avant l’expédition d’Illyrie, Pyrrhos avait sollicité une φιλία avec les Romains, mais ceux-ci l’avaient refusée. Il se peut que la φιλία ait fait partie de l’entente entre Alexandre le Molosse et Rome, en 332, mais cela ne peut être dit avec certitude. Dans les faits, les Romains eurent très peu besoin, voire pas du tout, d’exploiter leur amicitia. Ils se virent plutôt offrir la φιλία par les Grecs. Il ne sera pas question d’analyser l’étymologie et la sémantique de l’amicitia. À ce sujet, on consultera E. S. Gruen, Hellenistic World, p. 55-69 76-80 ; D. Konstan, Friendship, p. 122-148. H. Zehnacker et J.-C. Fredouille, Littérature latine, Paris, Presses Universitaires de France, 2005 (1993), p. 19-20 ; D. Konstan, Friendship, p. 122. Les années de vie de Livius Andronicus sont incertaines, mais les sources permettent d’assurer qu’il vécut dans le cours du III e siècle. P. Veyne, « L’identité grecque devant Rome et l’empereur », p. 567. si les cités désiraient tirer parti de la puissance romaine et si Rome souhaitait gagner la solidarité des cités. Les assises de la συγγένεια entre les deux peuples ont été élaborées par les Grecs et reposaient sans doute sur la logique d’une descendance troyenne146. Les objectifs de cette initiative étaient avant tout politiques et stratégiques : il s’agissait pour les Grecs de conserver un rôle actif sur l’échiquier international tout en étant libres et autonomes, puis pour les Romains de resserrer l’emprise des rois147. Au même titre que la φιλία de Phillipidès avec Lysimaque, la φιλία καὶ συμμαχία entre Rome et Maronée (première moitié du IIe s.) fournit des renseignements importants sur la manière dont la notion était instrumentalisée à des fins politiques et stratégiques. L’entente donnait en effet un accès direct aux Romains à une route côtière, puis garantissait la « liberté » et l’« autonomie » (ἐλευθέρους καὶ πολιτευομένους) aux Maronitains148. Ainsi, le sort des cités dépendait à la fois de leurs efforts diplomatiques et des intentions des puissances. Les amici des Romains étaient d’ailleurs gratifiés par rapport à ceux qui ne l’étaient pas : aucune redevance ne leur était imposée et leur aide n’était sollicitée que sur une base volontaire149. À la fin du IIIe siècle, les fonctions de la φιλία commencèrent à se modifier avec l’ingérence de Rome dans les affaires grecques. Devant le déclin des monarchies, les cités dépêchèrent de plus en plus d’émissaires vers le Sénat. Cependant, à l’opposé de ce qui avait été appliqué avec les souverains hellénistiques, les φίλοι ne résidaient pas à Rome. L’inscription de Polémaios (ca. dernier tiers du IIe s.) reflète cette situation : 146 147 148 149 Comme pour le cas de Téos, l’origine de la συγγένεια n’est pas toujours explicitée et il faut souvent la déduire. Le décret de Délos IG XI 4, 756 signale l’envoi d’une ambassade à Rome dans le but de renouveler l’οἰκειότης καὶ φιλία, mais le lien de descendance n’est pas spécifié dans le texte. S. Elwyn, « Interstate Kinship and Roman Foreign Policy », TAPhA 123 (1993), p. 274, a émis l’hypothèse que « it is not unlikely that the Delians were alluding to the Greek tales of Roman descent from Odysseus or the Achaeans ». Selon C. P. Jones, Kinship Diplomacy, p. 67 et 88, la συγγένεια entre Rome et les cités encadrait la politique extérieure des deux acteurs. Pendant la période hellénistique, « the Romans passed from being "barbarians" comparable to the Persians of the fifth century to "descendants of Aeneas (Aeneadae)" whose Trojan descent made them the natural protectors of the Greeks rather than their natural ennemies ». L’auteur a de même admis qu’une συγγένεια avait été invoquée avec les monarchies (p. 36-44). Voir aussi T. Homolle, « Les Romains à Délos », BCH 8 (1884), p. 87; L. E Patterson, Kinship Myth, p. 7 ; S. Elwyn, p. 272. S. Elwyn (p. 261) a nuancé l’importance de la συγγένεια dans le processus d’expansion romaine dans le monde grec : « interstate kinship apparently played only a small role in Rome’s expansion and foreign policy. This cannot be taken as an indication, however, that the Romans were unaware of or uninterested in matter of kinship, their own origins, or their relations to other peoples ». Voir J. Stern, « Le traité d’alliance entre Rome et Maronée », BCH 111 (1987), p. 503-508. E. S. Gruen, p. 95 : « Roman propaganda moved in other directions – proclamations of Greek freedom and autonomy, resistance to agressors – rather than the discharge of moral obligations toward amici. Rome did not discharge assistance from Greeks by citing duties incumbent upon them by that relationship. Aid for Roman wars in the East was voluntered or declined, solicited but not commandeered ». 37 24 ἐνέτυχεν μὲν τοῖς ἡγουμένοις ‘Ρωμαίοις καὶ φανεὶς ἄξιος τῆς ἐκείνων φιλίας τὸν ἀπὸ ταύτης καρπὸν 28 τοῖς πολείταις περιεποίησεν πρὸς τοὺς ἀρίστους ἄνδρας τῆι πατρίδι συνθέμενος πατρωνείας150 Polémaios avait établi des liens de patronat (πατρωνείας) pour Colophon, sa patrie, après s’être montré digne de l’amicitia des Romains 151 . Après son intervention, le Sénat ordonna aux gouverneurs en Asie de mettre fin au pillage que connaissait Colophon152. À la période du décret, l’idée de πατρωνεία venait à peine d’être introduite dans le langage diplomatique des cités. Les enjeux reliés à ce concept ont été dégagés par J.-L. Ferrary : « les cités grecques ont très vite compris la nécessité de se ménager des protecteurs au sein du Sénat en entrant dans la clientèle de grands personnages, ressenti aussi le besoin de souligner la spécificité de ces nouveaux rapports en utilisant une terminologie latine hellénisée plutôt que de leur appliquer des mots du vocabulaire grec traditionnel »153. J.-L. Ferrary a ajouté que, dans l’inscription honorant Polémaios, « patronage is clearly perceived in a positive way : not as a form of dependance, but as an instrument giving access to Roman authorities on behalf of the city » 154 . Les études de l’auteur évaluent les retombées générées par la réussite des expéditions diplomatiques auprès du Sénat. L’ambassadeur qui avait triomphé à Rome acquérait une notoriété publique au sein de sa patrie. L’exemple de Polémaios tend à donner raison à P. Veyne sur l’idée que les notables cherchaient en premier lieu à défendre leurs intérêts de classe en sacrifiant à l’amicitia romaine155. En contrepartie, l’installation de Romains en Grèce ne pouvait que stimuler la coopération des amici aux desseins de Rome. 150 151 152 153 154 155 38 « Il obtint audience des dirigeants romains et, étant paru digne de leur amitié, il procura le fruit de celle-ci à ses concitoyens, en ayant établi pour sa patrie des liens de patronat avec les meilleurs hommes ». La version grecque a été tirée de J. et L. Robert, Claros I : Décrets hellénistiques. Fascicule 1, Paris, Éditions Recherches sur les Civilisations, 1989, col. II, l. 24-31. Sur l’utilisation politique de la φιλία et le contexte de l’inscription, cf. J. et L. Robert, Claros, p. 5-36 ; E. Will, Histoire politique, p. 384 ; J.-L. Ferrary, « Le statut des cités libres dans l’Empire romain à la lumière des inscriptions de Claros », CRAI 135 (1991), p. 557-558. Les problèmes de pillage et les actions prises par Rome pour les résoudre sont évoqués à la col. II, l. 31-51 et commentés par les Robert aux p. 36-38 de Claros. J.-L. Ferrary, p. 558-559, a apporté des clarifications sur l’analyse de J. et L. Robert. J.-L. Ferrary, p. 560. J.-L. Ferrary, « The Hellenistic World and Roman Political Patronage », in P. Cartledge, P. Garnsey et E. S. Gruen (éd.), Hellenistic Constructs : Essays in Culture, History and Historiography, Berkeley, University of California Press, 1997, p. 108. En ce qui concerne le poids des φίλοι pendant les siècles de domination romaine, on se réfèrera à P. Veyne, « L’identité grecque devant Rome et l’empereur », p. 520 ; I. Savalli-Lestrade, « Des "Amis" des rois aux "Amis" des Romains », p. 81-85. La relation Rome-cité, à l’image de celle qui liait la cité au roi, était instaurée sur une inégalité de puissance. L’attitude que les Romains prônèrent à l’égard des Grecs, qui se distançait de la manière dont les monarques les avaient encadrés, avait abouti à l’organisation d’un rapport de confiance : bien qu’elle fût interpellée à plusieurs reprises pour régler les différends des cités, Rome évita de s’interposer directement dans les affaires grecques 156 . D’autre part, à la création des provinces romaines, la plupart des amici assumaient la gestion de leurs institutions 157 . Tout revient à cette propagande dont Rome s’était fait le porteétendard. Au lendemain de la proclamation de Flamininus (196), qui consacra une liberté permanente aux cités, les Romains avaient alloué une place centrale à l’ἐλευθέρια dans leur politique extérieure. En agissant de la sorte, ils s’étaient attiré un capital de sympathie de la part des Grecs. La fréquence de φιλία sur la scène internationale n’est pas surprenante, puisqu’elle coordonnait le rapprochement avec les centres dominants. En perte de liberté et d’autonomie, les Grecs multiplièrent les décrets et envoyèrent des agents vers l’étranger dans le but de protéger leur patrimoine et leurs institutions. Le jeu diplomatique des cités et de Rome montre bien que l’identité grecque n’est pas demeurée intacte aux siècles de domination romaine, comme le prouve, par exemple, la création d’un équivalent pour le mot latin patronus en grec. 1.4. Remarques conclusives L’apport conjugué des sources littéraires et épigraphiques permet de constater que les rapports entre individus et entre cités amènent des pistes de réflexion importantes sur la valeur que les Grecs octroyaient à la φιλία. Si le terme « amitié » paraît s’apprêter aux traductions littéraires, tout chercheur doit prendre en considération le contexte dans lequel la notion a progressé avant de s’arrêter sur une définition. La φιλία comportait deux dimensions distinctes et complémentaires. La dimension sociétale, d’une part, concerne les rapports entre individus et se discerne principalement dans les témoignages littéraires. La φιλία incitait les citoyens à se conformer à certains impératifs moraux, sans quoi la vertu s’avérait difficilement accessible. L’individu était guidé par les idéaux philosophiques de la φιλία tout au long de son existence. S’il entreprenait une carrière politique, la vertu était la direction à emprunter, sinon il risquait 156 157 S. L. Ager, Interstate Arbitrations, a réuni un nombre élevé de témoignages où Rome fut impliquée dans l’arbitrage de conflits dans le monde grec (nos 59, 60, 72, 73, 76, 77, 78, 84, 86, 88, 94, 95, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 106, 112, 113, 114, 120, 122, 123, 131, 134, 135, 136, 140, 141, 142, 143, 144, 148, 149, 150, 151, 152,155, 156, 158, 159, 160, 162, 163, 164, 169). I. Savalli-Lestrade, « Des "Amis" des rois aux "Amis" des Romains », p. 85. 39 d’avoir une prédilection pour les φιλίαι fondées sur l’utilité ou le plaisir, qui se manifestent surtout dans les régimes tyranniques, oligarchiques et timocratiques. Au sein de la société, la φιλία s’exerçait entre les personnes qui honoraient ces préceptes et qui vivaient dans un système politique adéquat. La dimension internationale, d’autre part, s’applique aux rapports bilatéraux des cités, des représentants des cités avec les acteurs extérieurs, des cités avec les ligues, des cités avec les rois et des cités avec Rome. La φιλία intégrait le langage diplomatique des États, la plupart du temps en compagnie de concepts tels la συγγένεια (« parenté »), l’οἰκειότης (« intimité »), l’εὔνοια (« bienveillance »), la συμμαχία (« alliance ») et l’εἰρήνη (« paix ») 158 , et était modulée par le contexte sociopolitique de la cité. À la période hellénistique, tandis qu’ils n’étaient définitivement plus en position de pouvoir, les Grecs durent pactiser avec les puissances dominantes. Le sort de la cité dépendait parfois de l’action des notables, qui usèrent de leur φιλία avec les rois et le Sénat afin d’obtenir des avantages. Les missions diplomatiques avaient pour but de sauvegarder et de servir les intérêts des divers acteurs. Il reste néanmoins que si les exigences de la φιλία n’étaient pas satisfaites, celle-ci pouvait être révoquée à tout moment. En regard de ses attributs philosophiques, la φιλία sociétale peut être répartie en trois catégories, soit celles de la vertu, de l’utilité et du plaisir. La φιλία internationale, de son côté, n’est pas aussi bien définie que la φιλία sociétale, mais les inscriptions distinguent tout de même plusieurs catégories de φιλία, qui sont notamment exprimées par les dyades φιλία καὶ συγγένεια, φιλία καὶ οἰκειότης, φιλία καὶ εὔνοια, φιλία καὶ συμμαχία et φιλία καὶ εἰρήνη. Dans les deux types de dimensions, la φιλία est porteuse d’un contenu affectueux, instrumental, sociopolitique, économique ou diplomatique. À la lumière de cette typologie, il semble approprié d’interpréter la φιλία comme une variété de liens dont les fondements et les usages reposent sur l’échange de relations amicales entre les individus et entre les acteurs de la scène extérieure, et dont la portée et les implications fluctuent selon la conjoncture locale ou internationale. La φιλία créait chez les acteurs un affect objectif et subjectif, qui raffermissait ou endommageait les interactions entre ces derniers. Cette tentative sémantique aidera à mieux saisir le développement de la φιλία dans les relations extérieures de Thasos. 158 40 Le couple φιλία καὶ εἰρήνη est évoqué en note 142 et sera analysé un peu plus loin. Chapitre II La φιλία dans les relations internationales de Thasos (VIIe-Ier s.) Après avoir réfléchi à la nature et aux fondements de la φιλία, il convient à présent d’expliquer les fonctions du concept dans le développement des relations d’une cité. Le cas de Thasos, qui passa successivement sous la domination des Perses, d’Athènes, de Sparte, de la Macédoine et de Rome, sera examiné de plus près. La cité noua, de gré ou de force, des contacts avec ces divers acteurs, tout en cultivant des liens diplomatiques avec le monde grec. Il sera donc question, à partir des sources littéraires et épigraphiques, de tirer des enseignements sur l’usage de la φιλία dans les rapports extérieurs de Thasos. 2.1. Les traditions littéraires sur l’histoire de Thasos Les Anciens considéraient Thasos comme une fondation de Cadmos, des Phéniciens ou de Paros. L’association avec Cadmos relevait d’une épopée mythologique, qui est retracée par Apollodore (ca. Ier-IIe s. p.C.) dans sa Bibliothèque. L’auteur raconte qu’Agènor, fils de Libyè et de Poséidon, gagna la Phénicie et y épousa Tèléphassa. De leur union naquirent trois fils, Cadmos, Phoïnix et Cilix, et une fille, Europe, mais certains prétendaient qu’elle avait été engendrée par Phoïnix. Lorsqu’Europe fut emportée en Crète par Zeus, les membres de sa famille partirent à sa rescousse sur l’ordre d’Agènor. Incapables de la retrouver, tous s’établirent là où ils s’étaient arrêtés. Cadmos et Tèléphassa s’installèrent en Thrace, puis Thasos, fils de Cilix ou de Poséidon, dans l’île qui prit par la suite son nom159. Nonnos de Panopolis (fin IVe – Ve s. p.C.) s’est inspiré de cette histoire dans ses Dionysiaques. Au deuxième chant (l. 660-698), Zeus s’adresse à Cadmos et lui annonce qu’il souhaite louanger sa descendance. Le Cronide l’incite à oublier le souvenir de son père et l’informe que ses proches sont toujours vivants. Il dévoile entre autres que Θάσος ἐς Θάσον ἦλθεν (l. 684). Dans le poème, Phinée atteint toutefois la Thrace à la place de Tèléphassa et de Cadmos et reçoit des mines de la part de Zeus dans la région. Apollodore n’a pas cité ce personnage dans l’épisode d’Europe et n’a donné aucune indication sur les domaines qu’il aurait acquis. Phinée figure au premier livre de la Bibliothèque, où il incarne un devin 159 L’identité de l’auteur de la Bibliothèque est inconnue. À ce sujet, voir J.-C. Carrière et B. Massonie, La Bibliothèque d’Apollodore, traduite, annotée et commentée, Besançon / Paris, Annales littéraires de l’Université de Besançon / Les Belles Lettres, 1991, p. 7-19. Le récit est fondé sur Apollodore, III, 1, 1-4 (trad. de J.-C. Carrière et B. Massonie). 41 habitant en Thrace. Selon les traditions, certains érudits en faisaient le fils d’Agènor, d’autres de Poséidon. Il fut affligé de cécité soit par les dieux, car il prédisait l’avenir aux mortels, soit par Borée et les Argonautes, puisqu’il avait rendu ses fils aveugles160. L’aspect phénicien de la colonisation est clarifié par Photius (ca. 820/7-891/7 p. C) dans la Bibliothèque (186, 37), mais les précisions que l’auteur fournit proviendraient des Histoires du mythographe Conon, contemporain d’Auguste161. L’ouvrage renvoie à des éléments déjà évoqués, c’est-à-dire que Thasos reçut son nom de Thasos et qu’Europe fut enlevée par Zeus. Par contre, Thasos n’aurait pas accédé à l’île de son propre chef, mais y aurait été déposé par son frère Cadmos162, puis Cadmos aurait été dépêché en Europe par le roi des Phéniciens, qui avait mis la main sur des territoires en Asie et qui avait fait de Thèbes d’Égypte sa capitale. Le rapt d’Europe aurait ainsi servi de prétexte à Cadmos pour s’implanter en Europe et cette entreprise aurait été cautionnée par les Phéniciens. L’ascendance avec ce peuple est confirmée par Hérodote (ca. 484-430/420), qui a visité le temple d’Héraklès Thasien à Tyr et celui construit par les Phéniciens à Thasos163, et par Pausanias (ca. 100-175 p.C.), qui a mentionné l’expédition d’Europe et la consécration d’une statue d’Héraklès à Olympie par les Thasiens164. En somme, le lien qui rattachait Thasos à la Phénicie était a priori mythologique et religieux. Malgré la présence phénicienne au Nord de l’Égée à la période archaïque, c’est Paros qui fonda Thasos au début du VIIe siècle. Le mouvement de Pariens vers Thasos fut incité par les prophéties de l’oracle de Delphes, qui somma Télésiklès, père d’Archiloque, d’aller conquérir l’île brumeuse 165 , et Archiloque de chapeauter une seconde mission 166 . Les allées et venues d’ambassades à Delphes pour obtenir l’assentiment de la Pythie avant d’envoyer des colons à l’étranger étaient courantes. Le peintre thasien Polygnote (milieu du Ve s.) avait par ailleurs reproduit, sur la Lesché des Cnidiens à Delphes, la geste de Tellis, grand-père d’Archiloque, et de la prêtresse Cléobée, qui auraient inauguré le culte de Déméter à Thasos167. La filiation avec 160 161 162 163 164 165 166 167 42 Apollodore, I, 9, 21 (selon la traduction de J.-C. Carrière et B. Massonie). S. Saïd, M. Trédé et A. Le Boulluec, Histoire de la littérature grecque, Presses Universitaires de France, Paris, 2004 (1997), p. 486. En note 154, R. Henry a signalé que Thasos était le fils d’Agènor. Hérodote, II, 44 et VI, 47. Pausanias, Description de la Grèce, V, 25, 12. Archiloque, Fragments, A13 (édition F. Lasserre et A. Bonnard). Ibid., fr. 265. Archiloque fut accompagné à Thasos par son ami Glaucos, fils de Leptine, dont l’épitaphe funéraire a été analysée par J. Pouilloux, « Glaucos, fils de Leptine, Parien (Planche III) », BCH 79 (1999), p. 76-78. Pausanias, X, 28, 2-3. Paros, qui se remarque encore chez Thucydide (ca. 460-395) 168 et Strabon (ca. 64/63 a.C.-24/25 p.C.)169, se rapportait aussi à Heraklès170. Au-delà des fragments d’Archiloque, Hérodote est la seule autre source disponible sur l’histoire de Thasos à la période archaïque. Il révèle qu’Histiée de Milet fit campagne contre Thasos, en 494, et qu’il leva le siège en laissant la cité intacte, car il avait appris que les Phéniciens s’apprêtaient à mener des attaques en Ionie 171 . À la fin de la révolte ionienne (492), Mardonios, l’un des généraux de Darius, fut chargé de prendre Érétrie et Athènes et de soumettre le plus grand nombre de cités sur son chemin. Thasos n’offrit apparemment aucune résistance et paya le prix de son abstention. Dans la seconde année de la première guerre médique (491), elle fut accusée par Abdère de planifier une rébellion contre les Perses. Elle reçut peu de temps après une lettre de Darius qui lui ordonna d’abattre son enceinte et de transférer ses navires au port voisin, ce à quoi elle se conforma172. Hérodote a déterminé que cette dénonciation était due aux importants revenus de deux ou trois cents talents que la cité percevait annuellement de ses mines et avec lesquels elle s’était employée à renforcer son rempart et à reconstruire sa flotte173. Les Thasiens, désireux de garder le contrôle sur leurs possessions continentales, décidèrent d’organiser un banquet pour les troupes de Xerxès, en 480. À cette occasion, les frais avaient été couverts par un riche citoyen, Antipater, fils d’Orgès, qui avait déboursé quatre cents talents d’argent174. Thasos surgit ensuite à l’époque classique, lors de la guerre du Péloponnèse. Dans son enquête sur les causes de la guerre, Thucydide a rappelé que la sécession thasienne de ligue de Délos (465-463) avait été encouragée par les différends sur les emporia de Thrace et sur l’exploitation des mines, mais aussi par l’installation des Athéniens à Ennea Hodoi. Après avoir remporté une bataille navale, Cimon débarqua dans la cité avec ses effectifs175. Affaiblis 168 169 170 171 172 173 174 175 Thucydide, IV, 104, 4. En 424, Thucydide exerça la charge de stratège en Thrace. Par l’héritage de son père, il aurait détenu des mines d’or près du Strymon. Il fut exilé d’Athènes après avoir laissé Brasidas s’emparer d’Amphipolis et séjourna vraisemblablement à proximité de ses mines pendant son expatriation. Il connaissait donc bien la situation de Thasos et les événements qui affectèrent la région pendant la guerre du Péloponnèse. On consultera Thucydide, La Guerre du Péloponnèse. Tome I : Livre I, texte établi et traduit par J. de Romilly, Paris, Les Belles Lettres, 1958 (1953), p. VII-XIII ; S. Saïd, M. Trédé et A. Le Boulluec, Histoire de la littérature grecque, p. 194-197. Strabon, X, 5, 7. H. Seyrig, « Quatre cultes de Thasos », BCH 51 (1927), p. 192 : « Une tradition voulait que le fils d’Alcmène eût chassé les Thraces barbares de Thasos pour la donner à Sthénélos et à Alcée, les deux fils d’Androgène, roi de Paros ». Hérodote, VI, 28. Ibid., VI, 43-44. Ibid., VI, 46-47. Ibid., VII, 118. Thucydide, I, 100, 2-3. 43 par les attaques des Athéniens, les Thasiens comptèrent sur le secours des Lacédémoniens, mais ceux-ci ne purent leur prêter assistance. Ils furent forcés de traiter avec les Athéniens durant la troisième année de siège et, au terme des pourparlers, ils durent abattre leur rempart et livrer des navires, ainsi que payer des indemnités et un tribut176. Au fort de la guerre du Péloponnèse, les colonies thasiennes s’étaient à nouveau trouvées au cœur des visées hégémoniques d’Athènes et de Sparte. Galepsos fut occupée à deux reprises, une fois par le général spartiate Brasidas, en 424, et une autre par l’Athénien Cléon, en 423. À l’égal de Galepsos, Oisymè capitula devant Brasidas177. En 411, dans le droit fil de la révolution des Quatre Cents, Athènes délégua des émissaires dans certaines cités sujettes en vue d’instaurer des régimes oligarchiques. Diitréphès se précipita alors à Thasos pour y abolir la démocratie. Plusieurs partisans de ce régime se réfugièrent chez les Péloponnésiens, où ils fomentèrent la défection de leur cité. Les Thasiens, qui espéraient récupérer leur liberté avec le soutien de Lacédémone, se mirent à fortifier leur ville, puis ils renversèrent l’oligarchie et ramenèrent la démocratie178. Deux mois plus tard, avec l’aide de Timolaos de Corinthe, ils orchestrèrent leur séparation et redressèrent leur rempart, partiellement démoli depuis 463179. La situation de la cité dans les dernières années de la guerre du Péloponnèse est discutée par Xénophon. Au cours de l’année 410, une rébellion éclata à Thasos et les laconisants, dont l’harmoste Étéonikos, furent expulsés180. Thrasybule encercla ensuite la cité (408/7) et la contraignit à accueillir les exilés proathéniens, à s’allier avec Athènes et à accepter une garnison 181. Mais après avoir vaincu les troupes athéniennes à Aigos Potamos (405), le navarque spartiate Lysandre vint à Thasos et regroupa les partisans d’Athènes dans le sanctuaire d’Héraklès et, ayant promis qu’ils ne subiraient aucun préjudice, il manqua à sa parole et les fit exécuter182. Après la Guerre du Péloponnèse, Thasos réapparaît chez Démosthène. Le Contre Polyclès (ca. 359) soulève les enjeux politico-économiques sur la position favorable de Thasos au Nord de l’Égée. Démosthène rapporte entre autres que le général athénien Timomachos avait transporté un convoi de blé et des peltastes de Thasos vers Strymè dans l’intention d’envahir l’endroit183. L’auteur fait allusion aux événements de 390-389 dans sa 176 177 178 179 180 181 182 183 44 Ibid., I, 101, 1-3. Thucydide, IV, 107, 3 et V, 6, 1. Ibid., VIII, 64, 2-5. Selon les fragments des Helléniques d’Oxyrhynchus. À ce sujet, on consultera Y. Grandjean et F. Salviat, « Décret d’Athènes, restaurant la démocratie à Thasos en 407 av. J.-C. : IG XII 8, 262 complété », BCH 112 (1988), p. 254 ; F. Chamoux, « L’île de Thasos et son histoire », REG 17 (1959), p. 354. Xénophon, Helléniques, I, 1, 32. Ibid., I, 4, 9 ; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIII, 72, 1-2. Polyen, Ruses de guerre, I, 45, 4. Demosthène, Contre Polyclès, 21-22. défense contre la loi de Leptine (354), qui révoquait toutes les immunités octroyées aux Athéniens dans le passé et les déclarait illégales pour le futur : 1. Démosthène, Contre Leptine, 59-60 Τοῦτο μὲν τοίνυν Θασίους τοὺς μετ' Ἐκφάντου πῶς οὐκ ἀδικήσετε, ἐὰν ἀφαιρῆσθε τὴν ἀτέλειαν, οἳ παραδόντες ὑμῖν Θάσον καὶ τὴν Λακεδαιμονίων φρουρὰν μεθ' ὅπλων ἐκβαλόντες καὶ Θρασύβουλον εἰσαγαγόντες καὶ παρασχόντες φίλην ὑμῖν τὴν αὑτῶν πατρίδα αἴτιοι τοῦ γενέσθαι σύμμαχον τὸν περὶ Θρᾴκην τόπον ὑμῖν ἐγένοντο184. Il s’agit de l’unique occasion où Thasos est directement qualifiée de φίλη des Athéniens. La seconde occurrence du concept de φιλία dans la littérature ne surgit qu’à la fin du IIIe siècle, chez Polybe, qui a abordé les relations de la cité avec Philippe V : 2. Polybe, XV, 24, 1 [Ὅτι] Φίλιππος κατὰ τὸν ἀνάπλουν ἕτερον [ἐφ’] ἑτέρῳ παρασπόνδημα μεταχειριζόμενος προσέσχε περὶ μέσον ἡμέρας πρὸς τὴν τῶν Θασίων πόλιν καὶ ταύτην φιλίαν οὖσαν ἐξηνδραποδίσατο185. D’après Polybe, Philippe s’était rué vers Thasos et l’avait réduite en esclavage, et ce, malgré leur entente tacite de φιλία. Les Thasiens dirent au général de Philippe, Métrodore, qu’ils abandonneraient leur ville au roi si celui-ci était prêt à les laisser se gouverner selon leurs propres lois et à les exempter de garnison, de tribut et de troupes. Philippe agréa à ces conditions et les Thasiens l’autorisèrent à entrer dans leur enceinte 186 . La mainmise de Philippe sur Thasos fut cependant très brève. En 196, toutes les cités grecques furent déclarées libres et autonomes par les Romains et le Sénat commanda à Philippe de retirer ses garnisons des cités187. Des représentants romains furent dépêchés à travers le monde grec afin d’officialiser les clauses prononcées par Flamininus à Corinthe. C’est dans ces circonstances que Lucius Stertinius parvint à Thasos188. Les récits de Démosthène et de Polybe, ainsi que les autres sources littéraires examinées, permettent de suivre le développement de Thasos sur la scène extérieure et 184 185 186 187 188 « En premier lieu, ne serez-vous pas injustes envers les Thasiens partisans d’Ekphanthos, si vous leur retirez de quelque manière l’atélie – ceux qui vous ont livré Thasos, qui ont chassé la garnison des Lacédémoniens avec les armes, qui ont admis Thrasybule et qui vous ont fait l’amie de leur patrie, ils ont fait en sorte pour vous que la région autour de la Thrace devienne votre alliée ». Ce passage doit être mis en relation avec le document IG II2, 33, dans lequel Ekphanthos et des exilés thasiens recevaient l’atélie. « Lors de son retour, Philippe, après avoir manié l’un sur l’autre les abus de confiance, se dirigea au milieu du jour du côté de la cité des Thasiens et il la réduisit en esclavage, bien qu’elle fût son amie ». Ibid., XV, 24, 2-3. Ibid., XVIII, 44, 1-2. Polybe, XVIII, 44, 3-4. Ibid., XVIII, 48, 2. 45 d’entrevoir les types d’interactions que la cité entretenait avec les acteurs. Cette esquisse de l’histoire thasienne sera parachevée au moyen des données épigraphiques. 2.2. Un aperçu de la φιλία dans les inscriptions relatives à Thasos (VIIe-Ier s.) La sélection des inscriptions a été opérée sur la reconnaissance des termes φιλία et φίλος et de leurs dérivés. Parmi les décrets subsistants, aucun témoignage ne contient les occurrences recherchées. Au premier abord, les sources exposent les liens qui unissaient Thasos à Paros. Hormis les épodes d’Archiloque, au moins deux documents appartiennent à la période archaïque : l’épitaphe du Parien Glaucos, fils de Leptine, (le texte SEG 14, 565-ca. seconde moitié du VIIe s.), et la dédicace pour l’armateur Akératos, fils de Phrasiéridès (le texte IG XII Suppl., 412 – ca. 520), qui aurait simultanément exercé l’archontat à Thasos et à Paros 189 . L’implication directe de la cité-mère dans les affaires thasiennes ne s’observe qu’à l’époque classique, quand elle supervisa, en compagnie de Delphes, la réconciliation de Thasos avec sa colonie Néapolis (début du IV e s.) 190 . L’intervention provoqua la reprise de contacts formels entre les deux communautés, qui s’accordèrent l’atélie. Les Thasiens concédèrent de même une exemption fiscale aux Néapolitains et le droit de cité à ceux d’entre eux qui étaient issus de mères thasiennes191. 189 190 191 46 L’empreinte de Paros à la période archaïque se perçoit dans les autres domaines d’études, par exemple la céramique et la religion. Sur les deux inscriptions et les liens entre Thasos et Paros, voir J. Pouilloux, « Glaucos, fils de Leptine, Parien (Planche III) », p. 75-86 ; L. Ghali-Kahil, La céramique grecque (Fouilles 1911-1956), Paris, de Boccard, 1960, p. 139-142 ; Y. Grandjean et F. Salviat, Guide de Thasos, Athènes, École française d’Athènes, 2000 (1968), p. 24-25 ; J. Pouilloux, Rech. I, p. 45-46 ; D. Berranger, Recherches sur l’histoire et la prosopographie de Paros à l’époque archaïque, Clermont-Ferrand, Association des Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Clermont-Ferrand, 1992, p. 184-203. On consultera le traité IG XII 5, 109, dont la datation est toujours débattue. M. Brunet l’a placé au début du IVe s., après l’avoir comparé avec le texte IG XII 8, 262 (rétablissement de la démocratie à Thasos, ca. 407406). Elle rejoint J. Pouilloux et O. Picard, qui l’ont situé vers 390. Y. Grandjean et F. Salviat ont préféré l’année 407, tandis que J. Moretti a songé à une périodisation plus large en s’abstenant de fixer une date. L’origine de l’inscription a été contestée par H. Bengtson, mais D. Berranger-Auserve est allée dans la direction de J. Pouilloux pour l’attribuer à Paros. On consultera M. Brunet, « Thasos et son Épire à la fin du Ve et au début du IVe s. avant Jésus-Christ », p. 241-242, et surtout la note 53 ; O. Picard, « Un remblai thasien du IVe siècle : C. Les monnaies », BCH 109 (1985), p. 749-750 ; J. Pouilloux, Rech. I, p.178-192 et 212-213 ; Y. Grandjean et F. Salviat, « Décret d’Athènes, restaurant la démocratie à Thasos en 407 av. J.-C. : IG XII 8, 262 complété », p. 272-274 ; J. Moretti, « Une vignette de traité à Delphes », BCH 111 (1987), p. 162-163, et spécialement la note 14 ; M. B. Walbank, « An inscription from the Athenian Agora : Thasian Exiles at Athens (Plate 16) », Hesperia 64 (1995), p. 63-64 ; D. Berranger-Auserve, Paros II : Prosopographie générale et étude historique du début de la période classique jusqu’à la fin de la période romaine, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2000, p. 94. Voir l’inscription IG XII 8, 264 (début du IVe s.) et à sa version améliorée dans IG XII Suppl., p. 152 ; édition, commentaires et traduction par J. Pouilloux dans Rech. I, p. 204-212 ; M. Brunet, p. 241-242. Les rapports avec Paros sont assurés par l’épigraphie jusqu’au IVe siècle. Selon le document IG XII 5, 114, les Pariens allouèrent la proxénie au stratège athénien Képhisophôn en leur nom et en celui de Thasos 192. Les liens que Thasos maintenait avec sa métropole pourraient avoir conditionné la présence des deux cités à l’intérieur des ligues qui ont successivement dominé l’Égée. Les stèles sur lesquelles fut transcrit le tribut infligé aux cités de la ligue de Délos portent les prélèvements exigés à Thasos et Paros entre 454 et 416/5193. Si le décret constitutif de la ligue de Délos a toutefois disparu, celui de la seconde confédération a été trouvé. Il prévoyait une συμμαχία et possiblement une εἰρήνη καὶ φιλία entre les membres : 3. IG II2, 43 – Prospectus de la seconde confédération athénienne (377) Ἀριστοτέλης εἴ[πεν· τύχ]ηι ἀγαθῆι τῆι Ἀ8 θηναίων καὶ [τ]ῶν [συμμ]άχων τῶν Ἀθηναίων. ὅπως ἂν Λακεδ[αιμό]νιοι ἐῶσι τὸς Ἕλληνας ἐλευθέ[ρ]ος [καὶ] αὐτονόμος ἡσυχίαν ἄγειν, τὴ[ν χώραν] ἔχοντας ἐμ βεβαίωι τὴ12 [ν ἑαυτῶν πᾶσαν, [[καὶ] [ὅπ]ω[ς κ]υ[ρ]ία ἦι κ[α]ὶ δι[αμένηι ἥ τε εἰρήνη καὶ ἡ φιλία ἣν ὤμοσ]α[ν οἱ Ἕλληνες] καὶ [βα]σιλεὺς κατὰ τὰ[ς σ]υν[θήκας] (...)194. Thasos et Paros, qui apparaissent parmi la liste des membres aux lignes 100 et 89, restèrent dans l’organisation jusqu’à sa dissolution, en 338 195 . Il y a tout lieu de penser qu’elles collaborèrent ensuite à la κοινὴ εἰρήνη de Philippe II, mais seule Thasos est nommée196. En dehors du dossier épigraphique sur Paros, l’intégration de Thasos à la ligue de 192 193 194 195 196 On consultera le texte SEG 48, 1135 ; P. Brun, Impérialisme et démocratie à Athènes : Inscriptions de l’époque classique (c. 500-317 av. J.-C.), Paris, A. Colin, 2005, no 71f ; D. Berranger-Auserve, Paros II, p. 108 ; Y. Grandjean et F. Salviat, « Décret d’Athènes, restaurant la démocratie à Thasos en 407 av. J.-C. : IG XII 8, 262 complété », p. 258. Paros payait l’un des tributs les plus importants, qui s’élevait à 16 talents en 454 et à 30 à compter de 425. Thasos connut une hausse significative : de 447 à 446, son tribut totalisait 3 talents, mais il passa à 30 talents en 444/443. On se reportera aux listes de tributs (IG I3, 259 à IG I3, 289) ; D. Berranger-Auserve, Paros II, p. 88 ; C. Pébarthe, « Thasos, l’empire d’Athènes et les emporia de Thrace », ZPE 126 (1999), p. 131. « Aristotélès fait la proposition : À la bonne fortune des Athéniens et des alliés des Athéniens. Afin que les Lacédémoniens laissent les Grecs être libres et autonomes et en paix, possédant en sûreté tout leur territoire, et afin que la paix et l’amitié que les Grecs et le roi ont jurées aient autorité et persistent selon les conventions […] ». La version grecque est fondée sur l’édition de P. J. Rhodes et R. Osborne (éd.), Greek Historical Inscriptions : 404-323 BC, New York, Oxford University Press, 2003, no 22, l. 7-15, qui ont opéré des restitutions sur le document IG II2, 43. J. L. Cargill, The Second Athenian League : Empire or Free Alliance ?, Berkeley, University of California Press, 1981, p. 35-42, ne s’entend pas sur l’endroit où il faut restaurer Θάσιοι. Voir le document IG II2, 236 et P. J. Rhodes et R. Osborne, Greek Historical Inscriptions, no 76. J. Pouilloux, Rech. I, p. 432, a envisagé la mention de Paros aux côtés de celle de Thasos, au lieu de celle de Samothrace proposée par A. Wilhelm. D. Berranger-Auserve, Paros II, p. 109, a rejoint le point de vue de J. Pouilloux. Elle a pareillement avancé un argument convaincant qui justifierait l’énonciation de Paros dans le décret. Après Chéronée, Paros entra dans la sphère d’influence macédonienne. La cité recouvra une certaine stabilité 47 Délos et à la seconde confédération amène à constater la prépondérance d’Athènes dans sa sphère d’influence et, par extension, dans celle de ses colonies. Néapolis fut honorée par Athènes, car elle avait résisté aux attaques de Thasos (411) et avait aidé les Athéniens à assiéger sa métropole (407). La situation ne laissa pas Thasos indifférente : la seconde loi sur la dénonciation (ML 83, 408) anticipait une compensation financière et la liberté à tous ceux qui lui signaleraient les complots fomentés contre elle. La convention visait les colonies et il est probable qu’elle vint en réponse à l’attitude des Néapolitains. La création de « commissaires chargés du continent » dans la deuxième loi sur le commerce du vin (IG XII 8, 347 II, ca. 390/89) aurait été destinée à l’affermissement du contrôle thasien sur les possessions continentales197. En revanche, les retentissements de cette mesure sur Néapolis ne sont pas décelables. La médiation de Paros et de Delphes encouragea certes la réitération des contacts avec Thasos, mais cela ne mit pas un terme aux relations entre Néapolis et Athènes, avec laquelle une alliance persistait en 356/5198. La fin de la guerre du Péloponnèse n’interrompit pas non plus les rapports entre Thasos et Athènes. Au IVe siècle, quelques Thasiens reçurent des privilèges de la part des Athéniens. Quatre inscriptions – IG II2, 6 (403/2), IG II2, 33 (ca. 390/89), IG II2, 24 (387/6) et IG II2, 193 (après 353/2) – leur attribuaient l’hospitalité publique (ξενία). La teneur des interactions ne s’évaluerait qu’à partir des textes IG II2, 24 et IG II2, 193, car les autres concerneraient des exilés politiques 199 . Entre 355 et 348/347, Thasos et Paros exprimèrent leur gratitude au peuple athénien, puisque quatre offrandes thasiennes et une parienne furent enregistrées dans les archives d’Athènes au cours de cet intervalle200. Le contexte des relations de Thasos avec Paros, Néapolis et Athènes, témoigne à la fois d’un climat d’amitié et d’hostilité. De l’entrée des Thasiens dans la κοινὴ εἰρήνη jusqu’au début du IIIe siècle, les inscriptions demeurent 197 198 199 200 48 économique par l’émission de nouvelles monnaies. Le long cheminement des cités à l’intérieur des mêmes ligues viendrait consolider les hypothèses de J. Pouilloux et de D. Berranger-Auserve. Pour la datation des documents, cf. M. Brunet, « Thasos et son Épire à la fin du Ve et au début du IVe s. avant Jésus-Christ », p. 238-242. On verra le document IG II2, 128. Aux l. 15-16, il est question de πόλεως συμμαχίδος. On consultera les addenda pour les inscriptions IG II², 6, Add. (pt. 1.2, p. 655) ; IG II², 33 Add. (pt. 1.2 p. 656) ; IG II², 24 Add. (pt. 1.2 p. 656). D’autres Thasiens furent récompensés par Athènes. En 394, le devin Sthorys reçut le droit de cité (inscription IG II2, 17) Les Thasiens nommés dans le décret IG II², 24 obtinrent la citoyenneté athénienne après 387/6 (texte IG II2, 25). En plus de l’hospitalité publique, qui est énoncée dans les documents IG II2, 6, l. 17 ; IG II2, 33, l. 4 ; IG II2, 24, l. 17 ; et IG II2, 193, l. 3, certains Thasiens acquirent la proxénie (IG II2, 6, l. 13-14). On se reportera à J. Pouilloux, Rech. I, p. 195-204 ; M. B. Walbank, « An inscription from the Athenian Agora : Thasian Exiles at Athens (Plate 16) », p. 61-66. Il faut cependant noter que le nouveau témoignage étudié par M. B. Walbank est trop fragmentaire pour être pris en compte. Pour les couronnes d’or consacrées par Thasos et Paros, cf. les textes IG II2, 1441, l. 14-15 et IG II2, 236. Pour les offrandes, cf. les textes IG II², 1436, l. 35 ; IG II², 1437, l. 11 ; IG II², 1438, l. 15 ; on se reportera aussi à J. Pouilloux, Rech. I, p. 430-432 ; D. Berranger-Auserve, Paros II, p. 108. néanmoins muettes sur les liens de Thasos avec les cités grecques et les rois hellénistiques. Le décret SEG 43, 486 (après 359) constitue le seul autre document où Thasos traite avec un monarque, alors qu’un successeur de Kotys Ier promit de ne pas s’interposer dans les activités marchandes de l’ἐμπόριον de Pistiros, où des commerçants de Thasos, d’Apollonia et de Maronée s’étaient implantés201. Du IIIe au Ier siècle, les mots φιλία ou φίλος sont absents des décrets où Thasos encense des étrangers, mais ils sont attestés dans le corpus des décrets de cités étrangères pour des Thasiens202. L’action des juges thasiens sur la scène internationale s’avère le dossier le plus riche en la matière. Au nombre des villes qui ont sollicité leur intervention, Smyrne, Milet sont identifiées avec certitude, Samos a été discernée à deux reprises, Tralles une seule fois, puis trois cités n’ont pas été différenciées203. Dans leur forme intégrale, les textes présentent de fortes analogies et sont approximativement structurés de la manière suivante : proposition du peuple, énumération des motions votées à l’assemblée, nom et origine du ou des personnages envoyés, raisons des honneurs, description des privilèges, élection d’un ambassadeur à l’assemblée pour accompagner le ou les Thasiens dans leur voyage de retour, proclamation des éloges consentis au(x) représentant(s) et au peuple de Thasos, puis gravure d’une ou plusieurs stèles. Sur les huit documents, les mots φιλία ou φίλος se rencontrent à l’intérieur de cinq d’entre eux. En premier lieu, les deux inscriptions de Samos empruntent au vocabulaire de l’intimité, de la parenté et de la bienveillance : 201 202 203 Depuis la parution de l’editio princeps par L. Domaradzka et V. Velkov (1994), plusieurs hypothèses ont émergé sur le texte. Les chercheurs ont entre autres tenté d’élucider les emplacements de sites d’Apollonia et de Pistiros. Pour la première, ils ont retenu qu’il pouvait s’agir de l’Apollonia Pontique (l’actuelle Sozopol) ou bien la colonie de Thasos située sur la côte piérienne ; pour la seconde, ils ont évoqué qu’elle pouvait se rapporter à la Pistyros d’Hérodote, qui était vraisemblablement un ἐμπόριον de Thasos, ou encore la Pistiros en Bulgarie, près de Vetren. Les études menées au cours des dernières années ont toutefois voulu montrer que l’inscription localisée à Pistiros était une copie de la Pistiros côtière. Les spécialistes ont également essayé de déterminer l’autorité émettrice entre les fils de Kotys Ier, c’est-à-dire Kersobleptès, Bérisadès et Amadokos II. À l’avenant, ils ont opté pour l’un des trois candidats ou ont décidé que le décret fut écrit en coopération par les trois. D. Graninger s’est récemment interrogé sur l’intention du document, en admettant qu’il aurait été étrange pour un dynaste odryse de limiter son pouvoir sur son propre territoire. Il a précisé que le témoignage avait pour but de restreindre les activités d’un tiers parti, dont l’identité reste inconnue, à Pistiros. Voir A. et V. Chankowski, « La présence grecque en Thrace intérieure : l’exemple de "Pistiros" », p. 275-290 ; D. Graninger, « Documentary Contexts for the "Pistiros Inscriptions" », Electrum 19 (2012), p. 99-110 ; D. Demetriou, « Pistiros and a North Aegean Trade Network », p. 77-93. On consultera l’annexe 2 pour un aperçu des deux corpus. F. Salviat et P. Bernard, « Inscriptions de Thasos », BCH 91 (1967), no 36. Les auteurs ont réussi à placer l’inscription au IIIe siècle, datation à laquelle Y. Grandjean (p. 386) a souscrit. Le document SEG 29, 769 a été situé au plus tard dans le milieu du II e siècle, et SEG 29, 771 dans la seconde moitié du IIe siècle. On consultera encore Y. Grandjean, « Décrets pour des juges thasiens », nos 1 et 3. 49 4. IG XII Suppl., 361 – Décret de Samos (seconde moitié du IIe s. ?) ἐπει τοῦ δήμου πέμψαντος] πρὸς Θασίους ψήφισ[μα καὶ πρεσβευτὴν τὸν αἰτησόμενον δικασ]12 τὰς καὶ γραμματέα Θά[σιοι οἰκεῖοι ὑπάρχοντες καὶ φίλοι τοῦ] δήμου καὶ βουλόμεν[οι τὴν εὔνοιαν204 Le premier texte (IG XII Suppl., 361) restitue la construction « Θάσιοι οἰκεῖοι ὑπάρχοντες καὶ φίλοι », tandis que le second décret, soit le témoignage no 167 inventorié par J. Pouilloux et C. Dunant, adopte la formule « φιλίαν καὶ εὔνοιαν » à la ligne 21 : 5. IG XII 6.1, 153 – Décret de Samos (seconde moitié du IIe s. ?) [ εἰδότας ὅτι ταῦτα πρ]άξαντες χαριοῦνταί τε τῶι δήμ[ωι] 20 [καὶ διαφυλάσσουσιν τὴν ὑπάρχουσαν ταῖς πόλε]σιν πρὸς ἑαυτὰς ἐκ παλαιῶν [χρόνων φιλίαν καὶ εὔνοιαν205. Au cours de la même période, Milet désigna les Thasiens de « συγγενεῖς καὶ φίλοι » : 6. SEG 29, 770 – Décret de Milet (seconde moitié du IIe s.) ἐπειδὴ Θάσιοι 4 [συγγε]νεῖς ὄντες καὶ φίλοι τῆς πόλεως κα[ὶ] [εὐνόως δ]ιακείμενοι τῶι πλήθει ἐξαπέστε[ι][λαν δικαστὰς ἄνδ]ρας καλοὺς καὶ ἀγαθοὺς206 Milet ne fut pas la seule à remémorer la συγγένεια qui la soudait à Thasos depuis des temps reculés. En effet, l’idée se remarque dans un décret de Tralles issu dans les mêmes années ou peu après : 7. SEG 29, 772 : Décret de Tralles (seconde moitié du IIe – début Ier s.) [ ἐπῃνῆσθ[αι μὲν] [τὸν Θασ]ίων δῆμον ὄντα συγγενῆ καὶ φίλον ἐπὶ τε τῆι εὐνο[ίαι ἧι] 12 [ἔχων δια]τε[λ]εῖ ἐμ παντὶ καιρῶι εἰς τὴv ἡ[με]τέραν πό[λιν207 204 205 206 207 50 « [...] attendu que le peuple a envoyé le décret et un émissaire auprès des Thasiens pour demander des juges et un secrétaire, les Thasiens, parents et amis du peuple, souhaitant la bienveillance [...]. Le texte IG XII Suppl., 361 = IG XII 6.1, 152. « […] alors qu’ils arrivent en sachant ces choses-là et qu’ils seraient gratifiés par le peuple, ils maintiennent la convention d’amitié et de bienveillance qui existe depuis des temps anciens avec les mêmes cités […] ». IG XII 6.1, 153 = J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, no 167. À la ligne 3 du document, J. Pouilloux et C. Dunant ont rétabli l’expression « φιλίαι καὶ εὐνοίαι », mais le passage comporte trop de mutilations pour qu’une traduction soit effectuée. « […] attendu que les Thasiens, qui sont parents et amis de notre cité et bien intentionnés envers notre population, ont envoyé comme juges des hommes de bien […]. SEG 29, 770 = Y. Grandjean, « Décrets pour des juges thasiens », no 2. « [...] que le peuple des Thasiens, qui est parent et ami, soit loué pour la bienveillance qu’il continue d’avoir en tout temps envers notre cité [...]. SEG 29, 772 = Y. Grandjean, no 4 = O. Curty, Parentés légendaires, no 30. Après le décret de Tralles, l’idée de συγγένεια n’apparaît plus dans les inscriptions de φιλία qui concernent Thasos. Vers le Ier siècle, la cité de Smyrne attribua sans doute au peuple de Thasos les qualificatifs « φίλος » et « εὔνους », et peut-être « συγγενής », qui comblerait la lacune de la ligne 5 selon une hypothèse émise par P. Hamon208 : 8. IG XII 8, 269 – Décret de Smyrne (ca. Ier s.) ἐπειδή,] το[ῦ δήμου πέ]μψαντος εἰς Θάσο[ν] 4 [δικασταγωγὸν Ἀθήναιον (?) τοῦ δεῖνος αἰτησόμε]ν[ον] δικ[ασ]τήριον, ὁ δ[ῆ][μος ὁ Θασίων, – – – – καὶ φίλος καὶ εὔνους] ὑπάρχων τῶι δήμω[ι] [καὶ προαιρούμενους ἀπὸ παντὸς τοῦ βελτίστ]ο[υ] συντελεσθῆναι τὰ[ς] κρ[ί][σεις, τὴν πᾶσαν σπουδὴν καὶ φιλοτιμίαν] ποιησάμενος περὶ τὴν αἵρεσι[ν] 8 [τῶν δικαστῶν ἀπέστειλε]ν δικαστ[ὰ]ς ἄνδρας καλοὺ[ς κ]αὶ ἀγα[θοὺς209 Le décret de Smyrne clôt le dossier sur les juges thasiens qui furent dépêchés à l’étranger. Quatre stèles découvertes sur l’Agora de Thasos exaltent les mérites de deux citoyens, fils de Pempidès. Le premier, Hestiaios, fut nommé φίλος par Samothrace : 9. Rech. II, no 169 – Décret de Samothrace (seconde moitié du IIe ou début du Ier s.) ἐπειδὴ Ἑστιαῖος Πεμπίδου Θάσι4 ος φίλος ἐστὶν τῆς πόλεως καὶ πρὸς τοὺς θεοὺς εὐσεβῶς ἔχων διατελεῖ τοῖς τε παρατυγχάνουσιν τῶμ πολιτῶν εὔχρηστον ἑαυτὸν καὶ φιλότιμον ἐμ παντὶ καιρῶι παρέ8 χεται210 Il s’agit de l’unique inscription où Hestiaios est mentionné. Par contre, son frère Dionysodôros fut honoré par quatre cités. À la faveur des succès de Dionysodôros à Assos, un ambassadeur fut dépêché auprès des Thasiens, φίλους ὄντας καὶ εὔνους, pour remettre une copie du décret : 10. Rech. II, no 172 : Décret d’Assos (seconde moitié du IIe ou début du Ier s.) χειρίσαι ἐν 28 τῆι ἐκκλησίαι πρεσβευτὴν πρὸς Θασίους ὅστις ἀποδημήσας ἀσπάσεται αὐτοὺς παρὰ τοῦ δήμου καὶ ἐπελθὼν ἐπ’ ἐκκλησί208 209 210 P. Hamon, « Juges thasiens à Smyrne : I. Smyrna 582 complété », BCH 123 (1999), p. 182. « […] attendu que le peuple, ayant envoyé vers Thasos (untel [Athénaios?] fils d’untel) pour demander au tribunal, le peuple des Thasiens, qui est ---- ami et bienveillant envers notre peuple et qui choisit délibérément de contribuer aux jugements de la meilleure façon possible, en ayant fait dépêcher, avec tout leur zèle et ambition, comme juges des hommes de bien […] ». IG XII 8, 269 = I. Smyrna 282. Voir P. Hamon, « Juges thasiens à Smyrne : I. Smyrna 582 complété », p. 178, frag. A. « [...] attendu qu’Hestiaios, fils de Pempidès, Thasien, est ami de la cité et qu’il continue d’agir pieusement à l’égard des dieux et qu’il s’est lui-même montré serviable et zélé en toute occasion envers ceux des citoyens qui sont présents [...]. 51 αν παρακαλέσει φίλους ὄντας καὶ εὔνους 32 τοῦ δήμου ἀποδέξασθαι τὴν τοῦ πλήθους προαίρεσιν211 Dionysodôros récolta ensuite les éloges de Lampsaque, mais les mots φιλία ou φίλος ne sont pas cités dans le décret sanctionné en son honneur 212 . Dans le décret de Rhodes, l’adverbe φιλικῶς est toutefois utilisé pour caractériser la conduite du Thasien : 11. Rech. II, no 170 : Décret de Rhodes (seconde moitié du IIe ou début du Ier s.) φιλι]κῶς οὖν αὐτοῦ ποτιφερομένο[υ ποτὶ] [τοὺς] ἐκπεμπομένους ὑπὸ τοῦ δά[μου], [θέλο]μεν καὶ ὑμῖν διαμαρτυρῆσαι [τὰν τοῦ] 16 [ἀνδρὸ]ς καλοκἀγαθίαν213 À l’image de Rhodes, les décrets de Samothrace, d’Assos, de Lampsaque auraient été édictés dans la seconde moitié du IIe (ca. 130) ou au début du Ier siècle 214 . À cette liste s’ajoutent les textes IG XII Suppl., 354, sur le Thasien Nossikas, fils d’Héras, qui porta assistance à Lampsaque ; IG VII, 348, sur Stombichos, fils d’Agathoclès, qui reçut la proxénie d’Oropos (240-180) ; IG XII Suppl., 360, où Larisa aurait loué un Thasien (IIe ou Ier s.)215 ; et le no 166 répertorié par J. Pouilloux et C. Dunant, sur un certain A[lex?]andros (?) qui fut salué en raison des lectures publiques qu’il avait prononcées dans une cité étrangère, possiblement Paros216. Bien que ces témoignages ne contiennent aucun des termes recherchés, 211 212 213 214 215 216 52 « [...] qu’un ambassadeur soit élu en assemblée auprès des Thasiens, lequel, rendu là-bas, les saluera au nom de notre peuple et s’approchant à l’assemblée il exhortera ceux qui sont amis et dévoués envers notre peuple à accepter les intentions de notre population [...] ». J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, no 171 = J. Tréheux, « Décret de Lampsaque trouvé à Thasos », BCH 77 (1953), p. 426-443. « […] puisqu’il s’est ainsi comporté amicalement envers les envoyés du peuple, nous souhaitons aussi vous témoigner de la noblesse et de la bonté de cet homme […] ». H.-G. Pflaum, « Histoire et cultes de Thasos », p. 78, a avancé que « c’est pour avoir aidé leurs ambassadeurs dans leurs rapports avec L. Aurelius, proconsul romain, que les Rhodiens ont eu à cœur d’honorer Dionysodore de Thasos ». C’est à partir de cet exemple qu’il affirme la primauté de Rome dans les relations internationales à la basse période hellénistique. Il faut toutefois tenir compte du document IG XII 1, 93, pour lequel J. Pouilloux, Rech. I, p. 437, n. 3, a approuvé la restitution Θασίων de F. Hiller v. Gärtringen à la l. 1. Le peuple thasien aurait alors conféré de son propre chef une couronne aux Rhodiens dans le courant du Ier siècle. Il est pertinent de recouper cet événement avec les prérogatives accordées aux juges de Thasos et ainsi de ne pas surestimer l’influence de Rome dans les échanges entre les deux cités. Depuis l’étude de J. Pouilloux et C. Dunant, l’historiographie a de concert retenu le début du I er siècle, et plus spécifiquement la période des guerres mithridatiques, en tant que moment où les décrets furent émis. En revanche, des études récentes ont replacé ces décrets vers la fin du II e siècle, qui aurait été la période où vécut le magistrat Lucius Aurelius cité dans l’inscription de Rhodes. À ce sujet, cf. W. Mack, Proxeny and Polis : Institutional Networks in the Ancient Greek World, Oxford, Oxford University Press, p. 84-85, et en particulier la n. 206. L’attribution à Larisa découle d’une analyse linguistique et reste incertaine. On verra L. Robert, « Études d'épigraphie grecque », RPh 62 (1936), p. 129, no 2 ; J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, p. 11. Ce cas aurait été écarté sans l’article de P. Hamon, « Études d'épigraphie thasienne I. Décret pour un historien thasien (fin du IIe s. ou début du Ier s. av. J.-C.) », BCH 132 (2008), p. 389-401, qui a nettement amélioré l’étude préliminaire menée par C. Dunant et J. Pouilloux. P. Hamon a voulu reconnaître Paros ils s’inscrivent tout de même dans le registre des rapports interétatiques de Thasos à l’époque hellénistique. Entre le IIIe et Ier siècle, la cité semble avoir eu une assez bonne réputation pour que les services de ses citoyens soient sollicités à travers le monde grec. Les relations avec Rome se développèrent en parallèle à ce contexte. Au cours du Ier siècle, une ambassade thasienne entra au Sénat durant la dictature de Lucius Sylla et obtint le renouvellement de la χάρις, de la φιλία et de la συμμαχία217. Parmi les nombreuses restitutions apportées au sénatus-consulte de Sylla (80), les mentions de φιλία en C, 5 et D, 2 appartiennent au texte original, tandis que les mentions de φίλος en D, 4 et 5 ont été restituées. Les Thasiens se concertèrent sur le fait que les ennemis des Romains devenaient leurs propres ennemis. Au nom de la φιλία (C, 5), ils s’engagèrent à rester fidèles aux Romains en combattant à leurs côtés jusqu’au dernier souffle (C, 2-6). La décision du Sénat dut sans doute être appliquée par le gouverneur romain de Thessalonique, Cn. Cornelius Dolabella, qui avait accueilli des ambassadeurs thasiens, dont un Micas, fils de Micas (col. I, l. 2) : 12. Rech. II, no 175 : Lettre de Dolabella (80/78) ων·Μικᾶς Μικᾶ υἱός, Σα[– – – καθ’ υἱοθεσία]ν Εὐρυμενίδου, φύσει δὲ Λυήτου, πρεσβευταὶ ὑμέτεροι, ἄνδρες κα[λοὶ καὶ ἀγαθοὶ καὶ φίλοι παρὰ δήμου κα]λοὺ τε καὶ ἀγαθοῦ καὶ φίλου συμμάχου τε ἡμε4 τέρου218. Les lacunes de la stèle sur laquelle la lettre fut gravée obligent à paraphraser les passages, puisque toute traduction se montre hasardeuse. Tout comme le sénatus-consulte de Sylla, il est ici question de la φιλία entre Thasos et Rome219. La lecture du nominatif pluriel φίλοι (col. I, l. 3) et de l’accusatif singulier φιλίαν (col I, l. 12) est supposée, tandis que celle du génitif singulier φίλου (col. I, l. 3) et du nominatif pluriel φιλίαι (col. II, l. 3) est confirmée. En dehors des attestations de φιλία, les rapports avec les Romains se constatent 217 218 219 comme étant la cité du décret et, bien que son argumentation demeure spéculative, elle rend tout de même plausible cette déduction. Les trois termes sont successivement répétés entre les lignes D, 2 et D, 5. Comme les mêmes formulations sont employées à cet endroit, le grec n’a pas été retranscrit. Pour l’inscription, J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, no 174 = R. K. Sherk, Roman Documents From the Greek East : Senatus Consulta and Epistulae to the Age of Augustus, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1969, no 20. « [...] Micas, fils de Micas, Sa... fils adoptif d’Euryménidès, à la naissance fils de Lyètos, vos ambassadeurs, hommes nobles et bons, amis venant d’un peuple noble et bon, notre ami et notre allié [...] ». J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, no 175 = R. K. Sherk, Roman Documents, no 21. On regardera aussi la col. I, l. 12 : [...] χάριτα [φιλίαν συμμαχίαν ἀνανεώσασθαι [...] ; « [...] renouveler la bienveillance, l’amitié et l’alliance […] ; ainsi que la col. II, l. 3 : [...] αἵτινες ἐν τῆι φιλίαι τοῦ δήμου τοῦ Ῥωμαίων ἔμεινα[ν [...]. « [...] celles qui restent dans l’amitié du peuple des Romains [...]. 53 dans la lettre de L. Sestius Quirinalis (seconde moitié du Ier s.) 220 . Enfin, une dédicace dégagée au port de Thasos indique que deux membres des Pompée, soit Sextus Pompée, mort en 118, et Sextus Pompée, fils de Quintus, avaient été titularisés patronus de la cité221. Le matériel étudié dans cette section a servi à retracer les liens de Thasos avec sa métropole, ses colonies et comptoirs, les autres cités grecques, les rois et Rome. Au vu de l’apport conjoint des données littéraires et épigraphiques, le parcours de la φιλία dans les relations extérieures de Thasos peut être analysé dans le détail. 2.3. L’évolution de la φιλία dans les relations internationales de Thasos (VIIe-Ier s.) Le sondage des sources a jusqu’à ce point aidé à appréhender les circonstances générales entourant l’utilisation de la φιλία dans les rapports extérieurs de Thasos. Pendant que la littérature apporte des précisions sur les périodes archaïque et classique et fournit peu de renseignements sur l’époque hellénistique, l’épigraphie atteint un paroxysme aux Ve et IVe siècles, puis aux IIe et Ier siècles. Le peu d’informations disponibles au sujet de la φιλία à l’intérieur des œuvres contraste largement avec ses multiples occurrences dans les inscriptions. Il va sans dire que les données relevées concourent à nuancer les impacts de la φιλία sur les relations de Thasos. Dans cette optique, chacune des entrées répertoriées dans les parties précédentes sera replacée dans son contexte. 2.3.1. L’intervention d’Ekphantos (390/89) L’intervention du Thasien Ekphantos s’inscrit dans le droit fil des vieilles rivalités entre Sparte et Athènes au Ve siècle. Aux dires de Démosthène (no 1), celui-ci avait orchestré le retour de Thasos dans le giron d’Athènes. Il avait planifié l’ensemble des opérations à partir d’Athènes, qu’il avait rejoint en 404/3, à cause des sympathies oligarchiques qui avaient subjugué sa cité. Grâce à l’action des partisans d’Ekphantos à Thasos, Thrasybule put cheminer dans la cité et chasser les Lacédémoniens (389). Le document IG II2, 33 laisse entendre qu’Ekphantos revint dans sa patrie entre 390 et 385, puisqu’il fut nommé proxène des Athéniens durant cet intermède222. Selon A. Gerolymatos, ce geste n’avait rien d’inusité : 220 221 222 54 Ibid., no 176. J. Pouilloux et C. Dunant ont proposé les années 44/42 ou 23 pour la datation de la lettre. Seules les cinq premières lignes ont survécu. Deux ambassadeurs thasiens ont été identifiés : Hikésios, fils de Pythion et Kt[ési-] l’Ancien. J.-Y. Empereur et A. Simossi, « Inscriptions du port de Thasos », BCH 118 (1994), no 3, l. 3-4 ; Y. Grandjean et F. Salviat, Guide, p. 31. Une autre dédicace, relevée dans IG X 2.1, 1040 (=J. Pouilloux, Rech. II, no 114), nomme un certain Gaius Agellios, fils de Gaius, ce le statut de ce personnage est inconnu. J. Pouilloux a fait remonter la datation du document IG II2, 33 aux années 404-403, mais les études postérieures ont privilégié un moment entre 390 et 380. Voir J. Pouilloux, Rech. I, p. 201-203 ; « we can surmise from this that the Athenians expected that the exiled Thasians would one day return to Thasos and pursue the interest of the Athenians, as had Ekphantos »223. Le repli de Thasos dans la sphère d’influence d’Athènes favorisait la reprise de la φιλία, qui fut officiellement ratifiée dans le prospectus de la seconde confédération athénienne. 2.3.2. La seconde confédération athénienne (377) La seconde confédération athénienne fut constituée en 377 et démantelée en 338, à la suite de la victoire de Philippe II à Chéronée. D’après la rhétorique du prospectus (no 3), l’adhésion fonctionnait sur une base volontaire, mais les autres sources dévoilent qu’elle s’effectuait principalement par recrutement ou par application224. À son commencement, la συμμαχία ne comptait que six membres, auxquels d’autres s’ajoutèrent jusqu’en 375/3225. Les Athéniens promirent la liberté et l’autonomie à tous les alliés, ainsi qu’une exemption de garnison, de gouverneur et de tribut 226 . Ils s’engagèrent à restituer les propriétés qu’ils possédaient sur le territoire des participants tout en interdisant à leurs citoyens d’en acquérir de nouvelles 227 . L’entente instaurait une alliance défensive à l’intérieur de laquelle les coalisés acceptaient de se porter secours, par terre ou par mer, lorsqu’ils seraient assaillis par un ennemi228. Les clauses du prospectus renvoient enfin à l’attitude impérialiste d’Athènes au Ve siècle et stipulent que les erreurs du passé ne seraient pas répétées. Dans son contexte immédiat, la seconde confédération se plaçait en continuité des tendances hégémoniques d’Athènes et de Sparte lors de la guerre du Péloponnèse. Sortie victorieuse du conflit, Sparte avait établi en mer Égée et en Asie Mineure des hommes et des régimes politiques favorables à sa cause. Elle reproduisit le comportement d’Athènes pendant la ligue de Délos et bafouait la liberté et l’autonomie des cités. Les opérations militaires que Sparte entreprit en Asie Mineure, qui visaient l’agrandissement de son influence dans la région, entraînèrent la mobilisation des Perses et de leur roi, Artaxerxès II. Celui-ci raviva en 223 224 225 226 227 228 A. Gerolymatos, Espionage and Treason : A Study of the Proxenia in Political and Military Intelligence Gathering in Classical Greece, Amsterdam, J. C. Gieben, 1986, p. 51, n. 15 ; C. Kremmydas, Commentary on Demosthenes’ Against Leptines : With Introduction, Text, and Translation from Christos Kremmydas, Oxford / New York, Oxford University Press, 2012, p. 295. A. Gerolymatos, Espionage and Treason, p. 52. On consultera les p. 50-52 et C. Kremmydas, Commentary on Demosthenes, p. 294-296, pour une analyse sur le contexte et des témoignages disponibles. J. Cargill, Second Athenian League, p. 99-102 ; P. Brun, Impérialisme, no 46 ; P. J. Rhodes et R. Osborne, Greek Historical Inscriptions, no 22. J. Cargill (p. 61-67) et P. Brun (p. 96) ont considéré des ajouts tardifs (373), tandis que P. J. Rhodes et R. Osborne (p. 104-105) ont retenu des additions jusqu’en 375. D’après la traduction de P. J. Rhodes et R. Osborne, no 22, l. 15-25. Ibid., l. 25-31. Ibid., l. 46-51. 55 Grèce les sentiments « anti-spartiates » et sollicita des appuis du côté d’Athènes et chez d’anciens alliés de Sparte, en particulier Thèbes et Corinthe. Le contentieux entre Locriens et Phocidiens en Grèce centrale avait servi de prémices à la guerre de Corinthe (395-387), où Sparte était opposée à Athènes, Thèbes, Corinthe et Argos, qui étaient soutenues par Artaxerxès. Les succès d’Athènes ranimèrent la politique perse du Ve siècle : il s’agissait d’affaiblir les belligérants grecs en rétablissant le contrôle des Perses sur le territoire asiatique229. La paix conclue entre Artaxerxès et le général Antalcidas (386) marqua le retour de Sparte dans les faveurs de la couronne achéménide. Nonobstant quelques discordes, les modalités de la paix furent accueillies par les États impliqués et Sparte fut chargée de faire respecter les clauses du traité230. La cité profita de ce climat propice pour asseoir son autorité en Grèce continentale. Les mesures qu’elle adopta furent en effet dirigées vers cette fin : interdiction de toute confédération, destruction des murailles à Mantinée, expédition contre Olynthe (382-379), prise de Cadmée et attaque nocturne de Sphodrias en Attique (378)231. Par conséquent, la seconde confédération positionnait les cités à la fois contre Sparte, parce qu’elle n’avait pas honoré la paix du Roi, et contre toutes les puissances qui brimaient la liberté et l’autonomie des cités232. P. Brun a relevé que, parmi les membres de la seconde confédération, les cités du nord de la mer Égée composaient le nombre le plus élevé, car la zone des détroits et les régions de ravitaillement en bois constituaient un atout essentiel pour Athènes 233 . C’est dans ces conditions que les Thasiens joignirent la confédération, en 375, un an après les Pariens, mais il est impossible de déterminer la méthode par laquelle ils le firent. Le bagage littéraire pourrait certes servir à expliquer les motifs de l’affiliation, si ce n’est que les sources ne commentent pas le contexte des années 377 à 375234. Il a lieu de penser, par rapport aux 229 230 231 232 233 234 56 Selon le passage de Xénophon, Helléniques, V, 1, 31, les Perses jugeaient que l’Asie, la cité de Clazomènes et l’île de Chypre tombaient dans leur dépendance naturelle, et que les îles de Lemnos, Imbros et Scyros revenaient de droit aux Athéniens. On verra aussi P. Brun, Le monde grec à l’époque classique : 500323 av. J.-C., Paris, A. Colin, 2003, p. 49. Ibid., V, I, 32-36. Les députés avaient juré de ratifier la paix mais, une fois les négociations terminées, Agésilas refusa de recevoir les serments des Thébains si ceux-ci ne reconnaissaient pas l’autonomie des cités béotiennes, qui étaient alors soumises à leur contrôle. Devant l’éventualité d’une confrontation avec Sparte, ils décidèrent de se conformer aux ordres du roi. Une situation semblable se produisit pour les Argiens et les Corinthiens : sous les avertissements d’Agésilas, qui menaçait de porter la guerre contre les deux peuples si les Corinthiens ne repoussaient pas la garnison argienne de leur territoire et si les Argiens ne rentraient pas chez eux, Corinthe recouvra son indépendance. P. Brun, Le monde grec, p. 50-51 ; J. Cargill, Second Athenian League, p. 9-10. Ibid., p. 47-52, et Impérialisme, p. 95-96 ; P. J. Rhodes et R. Osborne, Greek Historical Inscriptions, p. 100-101. P. Brun, Impérialisme, p. 96. J. Cargill, Second Athenian League, p. 7-13 et 189-196 ; P. J. Rhodes et R. Obsorne, p. 98-105. Aucun des ouvrages consultés ne décrit la manière par laquelle Thasos et Paros intégrèrent la confédération. fondements des alliances, que Thasos était préoccupée par une menace extérieure et qu’elle nécessitait le soutien de la seconde confédération ou même que sa métropole, Paros, avait influencé sa décision. À bien des égards, le dessein de la seconde confédération athénienne ne différait pas de celui de la ligue de Délos. Thasos représentait toujours un enjeu stratégique et son intégration dans l’alliance assurait le rétablissement de l’hégémonie d’Athènes au Nord de l’Égée, en facilitant la circulation de ses escadres entre la Chalcidique et l’Hellespont et en lui donnant accès aux ressources continentales235. Pour leur part, les Thasiens tirèrent parti de la présence athénienne pour sécuriser leurs activités commerciales, renforcer leur flotte et repousser leurs rivaux de la Pérée. Ils bénéficièrent entre autres de l’aide de Timomachos pour écarter les Maronitains de Strymè et le conflit se solda par un arbitrage supervisé par les Athéniens236. 2.3.3. Philippe V et Thasos (fin IIIe – début IIe s.) Les premiers contacts entre Thasos et Philippe V ne sont pas expliqués par la littérature ou l’épigraphie, puisque le témoignage de Polybe (no 2) sous-entend qu’une φιλία était déjà en vigueur lorsque le roi avait envahi la cité, en 202. Philippe accéda au trône en 221 et ne devint actif sur la scène extérieure qu’à cet instant. L’échange initial de φιλία avec Thasos pourrait ainsi s’être produit dans ces années, mais les sources ne soulignent la participation de Thasos ni à la guerre des Alliés (220-217), ni à la première guerre de Macédoine (215-205)237. Or, peut-être ne faut-il pas trop s’appuyer sur l’argumentum e silentio ? La documentation disponible sur les relations de Thasos avec le royaume de Macédoine depuis la conquête de Philippe II ne fournit pas non plus une réponse. L’entreprise de Philippe II à Krènides (356) ne pouvait qu’avoir envenimé les rapports avec Thasos 238. Il se peut que l’île passât dans la sphère d’influence macédonienne à l’issue de la bataille de 235 236 237 238 J. Fournier et P. Hamon, « Les orphelins de la guerre de Thasos : un nouveau fragment de la stèle des Braves (ca. 360-350 av. J.-C.) », p. 372. J. Pouilloux, Rech. I, p. 429 ; Y. Grandjean et F. Salviat, Guide, p. 30. Selon O. Picard, « Monnaies de fouilles et histoire grecque : l’exemple de Thasos », p. 37-39, les trésors monétaires trouvés à Thasos et provenant du Nord de l’Égée reflèteraient la fidélité des Thasiens à la seconde confédération jusqu’en 338. Cette loyauté découlerait notamment de l’asile offert aux bannis qui fuyaient alors Phillippe II et de l’importance des liens avec Chersonnèse de Thrace. Sur le contexte politique à la fin du IIIe s., cf. E. Will, Histoire politique du monde hellénistique, 323-30 av. J.-C., t. 2 : Des avènements d’Antiochos III et de Philippe V à la fin des Lagides, Paris, Éditions du Seuil, 2003 (1979), p. 71-100. O. Picard, « Monnaies de fouilles et histoire grecque : l’exemple de Thasos », p. 33-34. Les bronzes d’Amphipolis découverts à Thasos confirmeraient que les Thasiens avaient résisté à l’influence macédonienne entre 360 et 338. D’ailleurs, dans sa Lettre aux Athéniens, Phillippe II se plaignait que ces derniers lui étaient hostiles, puisqu’ils accueillaient des ennemis du roi dans leur port. Ainsi, la cité n’aurait pas été occupée par les Macédoniens entre 360 et 323, ni à la basse époque hellénistique. 57 Chéronée (338), mais les témoignages sont tout aussi muets à ce sujet. Du point de vue des séries monétaires et des timbres amphoriques, l’activité économique de Thasos s’était périodiquement maintenue dans la deuxième partie du IVe et tout au long du IIIe siècle. La cité construisit de nouveaux monuments et se munit de nouvelles fortifications. Il convient alors de rejeter l’hypothèse d’une tutelle macédonienne et d’opter pour la potentielle neutralité de l’île239. Dans tous les cas, il est peu probable que la φιλία évoquée par Polybe provenait de temps antérieurs au règne de Philippe V et même avant 202. Le sort de la cité est en effet bien connu de 202 à 196. Les concepts de liberté et d’autonomie, qui appuyèrent d’abord les revendications de Thasos avec Philippe, furent plus tard instrumentalisés par Flamininus pour faire entrer Rome dans les bonnes grâces de Thasos. 2.3.4. Thasos sous l’amicitia romaine (196-78) Le sénatus-consulte de Sylla et la lettre de Cn. Cornelius Dolabella (no 12) suggèrent l’idée que Thasos avait conservé ses statuts de ciuitas libera et d’amicus depuis 196 et qu’elle entretint des relations continues avec Rome. La stèle honorifique décernée à Sextus Pompée, gouverneur de Macédoine et patronus de Thasos par ses ancêtres, suppose que l’installation d’un gouverneur romain à Thessalonique structura le développement de leurs contacts. Les bonnes dispositions de Thasos envers Rome semblent par ailleurs lui avoir permis d’esquiver les affrontements qui survinrent en Thrace sous le règne de Mithridate240. Durant la première guerre mithridatique, Thasos ne succomba pas aux promesses du roi, qui s’était engagé à libérer les cités du joug romain. Elle résista aux attaques de l’armée pontique et subit un dur siège, qui entraîna la perte de nombreuses possessions territoriales. La cité fut aussi affectée par les représailles des populations thraces, qui avaient sauté sur l’occasion pour saccager ses établissements. Sylla arriva en Thrace au cours de l’année 87, où il dérouta les effectifs de Mithridate et punit les peuplades qui s’étaient adonnées au pillage. Les opérations militaires se terminèrent par une victoire romaine (85) et les Thasiens, qui avaient juré de périr au nom de la République, furent plus tard remerciés pour leur allégeance et leur témérité (80). La φιλία (amicitia) et la συμμαχία (fœdus) furent renouvelées et Thasos fut nommée ciuitas libera et immunis. Elle récolta des récompenses pécuniaires et regagna ses anciens domaines enlevés. Dolabella, gouverneur de Macédoine entre 80 et 78, avait informé les îles de 239 240 58 J. Pouilloux, Rech. I, p. 433-437 ; J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, p. 5-11 ; O. Picard, « Thasos et la Macédoine au IVe et au IIIe siècle », CRAI 4 (1985), p. 762-765 et 774-776 ; Y. Grandjean et F. Salvitat, Guide, p. 30-31. O. Picard, « Thasos et sa monnaie au IIe siècle : catastrophe ou mutation ? », p. 282 et 287 ; Y. Grandjean et F. Salviat, Guide, p. 31. O. Picard est d’avis que l’absence de Thasos dans les conflits militaires signifie qu’elle prônait la neutralité tout en se montrant méfiante envers les entreprises extérieures. Péparéthos et de Skiathos qu’elles dépendaient dorénavant de Thasos, puis il ordonna la restauration des possessions continentales. Les ambassadeurs thasiens évoqués dans la lettre pourraient bien avoir été les ἄνδρες καλοὶ καὶ ἀγαθοὶ καὶ φίλοι qui se rendirent à Rome sous Sylla pour défendre les intérêts de leur patrie241. En plus de Rome, plusieurs Thasiens furent glorifiés pour leurs bienfaits à l’étranger entre le IIIe et le Ier siècle. 2.3.5. Considérations sur l’institution des juges étrangers L’institution des juges étrangers émergea vers la fin du IVe siècle avec le concours des Diadoques. Le corpus des inscriptions qui reconnaissent les services de ces personnages avoisine trois cents attestations et s’étend du IIIe au Ier siècle, avec quelques cas isolés sous le Haut-Empire romain 242 . Les juges, qui étaient généralement accompagnés d’un ou de plusieurs secrétaires, intervenaient pour trancher des différends locaux ou internationaux. Au moins un ambassadeur, souvent le dikastagogue, était élu à l’assemblée et député dans une cité pour y mobiliser des citoyens aptes à accomplir la tâche exigée 243. Les meilleurs hommes (ἄνδρες καλοὶ καὶ ἀγαθοί) étaient choisis parmi la communauté. Leur nombre variait, mais les candidats sélectionnés constituaient habituellement un corps impair pouvant totaliser cinq délégués. Dans le cas où une cité envoyait un, deux ou quatre juges, cela signifiait que ces derniers étaient jumelés à d’autres collèges commissionnés par la cité. Les tribunaux composites, ou panachés, tels que L. Robert les a qualifiés 244 , garantissaient un degré d’impartialité supérieur par rapport à un litige qui était réglé localement. Le temps requis pour réunir les ressources nécessaires s’étalait sur plusieurs semaines et il en fallait davantage pour regrouper des gens venant de diverses régions. 241 242 243 244 Pour la paraphrase ἄνδρες καλοὶ καὶ ἀγαθοὶ καὶ φίλοι, cf. R. K. Sherk, Roman Documents, no 21, col. I, l. 3. Pour les éditions critiques des deux sources, voir les nos 20 et 21 et les commentaires aux p. 121-123. On se reportera aussi à J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, nos 174 et 175 et les p. 37-55. On notera de plus que les îles de Péparéthos et Skiathos ne restèrent entre les mains des Thasiens que pour peu de temps. À l’issue de la bataille de Philippes en 42, Antoine les remit aux Athéniens. Au point de vue de la littérature, seuls Polybe et Plutarque mentionnent l’institution des juges étrangers. Le corpus épigraphique s’est élargi depuis les recherches de L. Robert, qui comptait plus de 200 inscriptions sur les juges en 1971. A. Cassayre en dénombrait environ 300 en 2010. Sur les prémices de l’institution des juges et sur la contribution des Diadoques, cf. L. Robert, « Les juges étrangers dans la cité grecque », in Choix d’écrits, Paris, Les Belles Lettres, 2007, p. 301-302 et 312-313 ; A. Cassayre, La Justice dans les cités grecques : De la formation des royaumes hellénistiques au legs d’Attale, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 127 et p. 129-130. Le dikastagogue détenait plusieurs charges. En plus de sa responsabilité de mobiliser des juges à l’étranger et de les ramener dans sa cité, il devait pourvoir à leur sécurité au cours de leur séjour, puis décourager toute tentative de corruption de leur part. On se reportera à L. Robert, « Les juges étrangers dans la cité grecque », p. 304 ; A. Cassayre, p. 172 ; P. Hamon, « Juges thasiens à Smyrne : I. Smyrna 582 complété », p. 192-193. L. Robert, « Les juges étrangers dans la cité grecque », p. 305. 59 Une fois le verdict rendu, la cité qui avait sollicité de l’aide votait un décret dans lequel elle remerciait les juges et, s’il y a lieu, leur(s) secrétaire(s), puis elle leur décernait les honneurs et les éloges. Un émissaire raccompagnait ensuite les juges dans leur patrie, où il remettait une copie du document à l’assemblée245. Les raisons qui justifiaient l’envoi de juges demeurent obscures, mais lorsqu’une cité les invitait, c’est parce qu’elle souhaitait surmonter une crise sociale qu’elle ne pouvait résoudre par elle-même246. Dans son étude sur la justice dans les cités grecques, A. Cassayre a recensé et classé les inscriptions qui référaient à des juges à l’intérieur de tableaux. Pour la moitié des cas où le contexte est connu, elle a observé que les questions financières et sociales avaient stimulé la réquisition de tribunaux étrangers (ξενικὸν δικαστήριον) 247 . Dans la mesure où ces derniers n’étaient pas informés de la situation intérieure de l’État étranger, leur objectivité risquait d’être plus élevée. La fonction de ces tribunaux reposait avant tout sur le rétablissement de l’ὁμόνοια248. Les décrets pour des juges et secrétaires thasiens s’alignent sur ce canevas et relèvent de cités localisées dans la partie orientale du monde grec : Samos, Milet, Tralles et Smyrne. Les décrets de Samos (IIe s.) Le premier des deux décrets de Samos (no 4) a été découvert par G. Daux, en 1922, et publié par L. Robert, en 1926 ; le second (no 5), composé de trois fragments, a été édité par J. Pouilloux et C. Dunant, en 1950. Dans les deux cas, le nom de la cité qui a réclamé des juges n’a pu être lu. À partir du formulaire, L. Robert a fait des comparaisons avec l’épigraphie de l’Asie Mineure et a inféré qu’il était question de Samos249. J. Pouilloux et C. Dunant ont envisagé la même alternative pour leur document : le mot χιλιαστύς et le passage où il se rencontre, [ἐ]πί τε φυλὴν καὶ χιλιασ[τύν] (l. 15), étaient typiques dans les inscriptions de la région. Les auteurs ont constaté que, si les gravures ne pouvaient appartenir 245 246 247 248 249 60 En ce qui a trait à la procédure de recrutement et l’octroi de privilèges, voir L. Robert, « Les juges étrangers dans la cité grecque », p. 304-308 ; A. Cassayre, p. 170-172 ; P. Hamon, « Juges thasiens à Smyrne : I. Smyrna 582 complété », p. 192-193. A. Cassayre, p. 131-154. Malgré l’efficacité de son classement, l’auteure a reconnu la précarité de ses résultats (p. 160). À dire vrai, le nom de la cité qui demandait ou de celle qui envoyait des juges a souvent disparu des stèles. Ainsi, ses tableaux pourraient nécessiter des changements en vue de nouvelles trouvailles. Ibid., p. 162-168 et 354-355. Pour appuyer son argumentation, A. Cassayre a cité le décret d’Iasos pour des juges rhodiens, qui furent convoqués à Iasos après que les troupes du dynaste Olympichos eurent détruit des récoltes et des habitations sur le territoire iasien. Voir aussi L. Robert, « Les juges étrangers dans la cité grecque », p. 307-308. Dès l’instant où l’ὁμόνοια est interrompue, la cité ne peut plus assurer le fonctionnement de la justice d’une manière adéquate. On se réfèrera à L. Robert, « Les juges étrangers dans la cité grecque », p. 308 ; A. Cassayre, p. 128 et 168. L. Robert, « Inscription trouvée à Thasos », p. 250-259. Le manque de sources fait en sorte que cette hypothèse est encore retenue par l’historiographie. L. Robert a préféré la restitution οἰκεῖοι à la ligne 12 plutôt que συγγενεῖς, car rien ne permet de justifier une συγγένεια entre Thasos et l’autre cité. à une seule pierre, elles pouvaient toutefois correspondre au même événement. En effet, il arrivait souvent que des stèles individuelles soient érigées pour chacun des commissaires. L’hypothèse avancée par les trois spécialistes, que deux juges fussent honorés avec un secrétaire, nécessite une rectification250. En raison de l’état lacunaire des textes, le nombre de personnages impliqués ne peut être déterminé avec certitude. Un chiffre pair pose problème, attendu qu’il serait alors question d’un tribunal mixte et que plusieurs cités auraient dû être sollicitées251. Le nom incomplet Κύριος Ἀποδήμου pourrait dès lors référer à un juge et non pas à un citoyen, comme l’ont présumé J. Pouilloux et C. Dunant252. Au demeurant, il faudrait entrevoir l’intervention de trois juges pour obtempérer à la notion d’impartialité. L. Robert, J. Pouilloux et Y. Grandjean n’ont pas fourni d’éclaircissements sur les relations de Samos avec Thasos. J. Cargill a exclu la participation de Samos à la seconde confédération 253 . Une attache économique peut être décelée à travers les recherches de L. Ghali-Kahil. Selon l’auteure, les céramiques de type mélien rassemblées à Thasos pourraient tirer leur origine de Samos, mais rien n’est confirmé254. Au début du IIIe siècle, Samos dut subir d’importants troubles sociaux pour que des gens de Myndos, de Milet et d’Halicarnasse viennent régler des conflits entre concitoyens (281)255. Il semble néanmoins que la cité fut peu attaquée par les puissances extérieures, même lorsque celles-ci s’efforçaient de conquérir l’Asie Mineure. La suprématie ptolémaïque pourrait expliquer que la cité échappa aux entreprises militaires des royaumes hellénistiques, mais elle ne fut pas épargnée par Philippe V, qui s’en empara en 200. À la paix d’Apamée (188), Samos fut placée sous l’influence des Attalides. Tout comme Thasos, elle fut convoitée par les acteurs 250 Ibid., p. 253. L. Robert avait relevé la présence de deux juges et d’un secrétaire, mais n’arrivait pas expliquer le fait qu’un seul juge avait été honoré : « […] car on voit que la ville dont émane le décret avait demandé des juges et un secrétaire […]. Pour une raison qui nous échappe, ce décret a été rendu en l’honneur d’un seul juge ; un ou plusieurs autres décrets ont dû accorder les honneurs ordinaires au peuple de Thasos, au second juge et au secrétaire ». J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, p. 17, ont attribué le décret no 167 au second juge et à son secrétaire : « […] la stèle déjà publiée aurait porté les décrets honorant la ville de Thasos et le premier juge, et la stèle nouvelle, ceux pour le second juge et le secrétaire ». 251 Tout au plus, une autre cité dont le nom est inconnu aurait pu être impliquée, mais tout porte à penser, selon le classement d’A. Cassayre (p. 145), qu’elle jugea une cause différente. 252 J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, p. 16. 253 J. Cargill, Second Athenian League, p. 148-150. Samos était une dépendance d’Athènes et non pas son alliée. 254 L. Ghali-Kahil, La céramique grecque, p. 23 et 141-142 : « Il ne nous appartient pas ici de discuter de l’origine du mélien ; parmi les dernières théories il en est qui s’efforcent de rattacher la fabrique à Paros ou à Samos, ce qui impliquerait des relations de commerce fort étroites de ces îles et de Thasos […] ». Quelques pistes des relations économiques entre Thasos et Samos au Ve s. sont soulevées dans l’article de F. Blondé, A. Muller et D. Mulliez, « Le comblement d’un puits public à Thasos », BCH 115 (1991), p. 229-230, mais les données se montrent trop évasives et isolées pour pouvoir en tirer des enseignements utiles. Les auteurs ont dénombré huit amphores samiennes parmi le matériel acquis à Thasos. 255 Sur les relations diplomatiques de Samos avec Thasos et avec d’autres cités, cf. G. Shipley, A History of Samos, 800-188 BC, Oxford / New York, Clarendon Press / Oxford University Press, 1987, p. 217 et p. 223 ; A. Cassayre, Justice, p. 427-429. 61 de la scène internationale par le fait de sa position géographique près de l’Asie Mineure et de sa Pérée continentale. Les circonstances historiques ne permettent donc pas de saisir les motifs de l’envoi. A. Cassayre a déterminé que les documents coïncidaient avec la seconde moitié du IIe siècle256. À cette période, Rome fut appelée pour gérer un arbitrage entre Samos et Priène au sujet de disputes territoriales (avant 135). La cité fut peu après prise de force par Aristonicos, qui s’était soulevé contre le legs du royaume de Pergame aux Romains (133-129) et fut contrainte à son autorité jusqu’à ce qu’il soit vaincu par les légions257. Le décret de Milet (seconde moitié du IIe s.) La stèle a été retrouvée au port de Liménas en 1969. Elle a d’abord été datée du IIe siècle, mais A. Cassayre a réduit les balises chronologiques aux années 150-125258. Seuls l’entête, qui atteste la provenance de Milet, et les six premières lignes sont lisibles. Les lacunes rendent les noms de personnes impossibles à déchiffrer. À tenir compte des sept couronnes décernées, la mission thasienne à Milet devait être composée de cinq juges et d’un secrétaire, puisque l’une d’entre elles revenait sans aucun doute au peuple de Thasos 259 . Aucun indice ne permet de cibler les origines de la συγγένεια (no 6), mais O. Curty a indiqué que les parentés revendiquées par Milet reposaient sur les mythes fondateurs avec la Crète et la branche ionienne. Même si le recours à cette histoire demeure spéculatif, il est opportun de rattacher la συγγένεια à la tradition voulant que Sarpédon, fils d’Europe, et donc cousin de Thasos, ait emmené une colonie de Crétois à Milet260. Les rapports entre Thasos et Milet auraient surtout été économiques. À la période archaïque, Milet aurait servi de relais commercial entre la Thrace et l’Égypte, mais les contacts avec Thasos ne sont pas attestés pour sûr261. Outre l’incursion d’Histiée à la période 256 257 258 259 260 261 62 A. Cassayre, p. 145. Sur le contexte, cf. G. Shipley, History of Samos, p. 185-201 ; M. Sartre, L’Anatolie hellénistique : de l’Égée au Caucase (334-31 av. J.-C.), Paris, A. Colin / VUEF, 2003, p. 198 ; A. Cassayre, p. 114 ; P. Briant, P. Brun et E. Varinglioğlu, « Une inscription inédite de Carie et la guerre d’Aristonicos », in A. Bresson et R. Descat (éd.), Les cités d’Asie Mineure occidentale au IIe siècle a.C., Bordeaux / Paris, Ausonius / de Boccard, 2001, p. 255-256. Y. Grandjean, « Décrets pour des juges thasiens », no 2 et O. Curty, Parentés légendaires, no 59 ont situé le document au IIe siècle. Une périodisation dans la seconde moitié du IIe siècle a été proposée dans SEG 29, 770, tandis que les années 150-125 ont été fixées par celle-ci. Les raisons qui justifient la réduction du cadre temporel ne sont point indiquées par A. Cassayre. À la n. 140 de la page 175, il est écrit qu’« un seul petit fragment, daté d’environ 150-125 av. J.-C. (BCH Suppl. V, 1979, p. 391-394) mentionne des juges thasiens venus à Milet, mais on ignore leur mission ». Y. Grandjean n’a pourtant pas fait cette distinction. Y. Grandjean, « Décrets pour des juges thasiens », p. 393-394 ; O. Curty, Parentés légendaires, p. 145. O. Curty, p. 145-146. J. Pouilloux, Rech. I, p. 51-52. La présence de Thasiens en Égypte est attestée dès la période archaïque par la découverte de monnaies thasiennes en sol égyptien, mais aussi par les graffitis de deux ou trois Thasiens au archaïque, la carte Lieux de provenance des monnaies étrangères trouvées à Thasos, employée par J. Pouilloux et C. Dunant, montre que des Milésiens avaient peut-être visité Thasos durant la période hellénistique262. À cette époque, Milet essuyait de grandes difficultés sociales et financières. En 211-210, au lendemain d’une disette, la cité lança un emprunt public à cause du mauvais état des revenus 263. Entre le IIIe et Ier siècle, elle était entrée à plusieurs reprises en guerre contre Priène, Héraclée du Latmos, Pidasa et Magnésie du Méandre pour des possessions territoriales264. Du côté diplomatique, elle déploya des juges à l’extérieur et n’en reçut qu’une seule fois265. Le décret de Tralles (seconde moitié IIe – début Ier s.) Le document a été repéré en 1965. Le nom de la cité qui a sollicité n’apparaît pas sur la pierre. Y. Grandjean a effectué un rapprochement avec Tralles, car les inscriptions de la cité utilisent des termes et des expressions identiques 266 . Les premières lignes se rapportent à l’ambassadeur mandaté à Thasos pour y déposer le décret honorant un juge et un secrétaire (no 7), mais la partie sur les privilèges alloués aux Thasiens n’a pas été récupérée. O. Curty s’est penché sur la mention de συγγένεια. Au même titre que Milet, ses explications demeurent hypothétiques. Il a pris pour point de départ un passage de Strabon, où il est dit que les Argiens et la peuplade thrace des Tralliens auraient fondé Tralles. Il a recoupé ces informations avec le fait que Thasos abritait à l’origine des éléments thraces et a proposé l’idée que cette tradition pouvait servir à établir la parenté entre les deux acteurs 267 . À l’exception du présent décret, les relations de Tralles avec Thasos restent inconnues. Aux IIe et Ier siècles, Tralles éprouvait des ennuis d’ordre judiciaire, car elle convoqua des citoyens de Mylasa, de Phocée et de Ténos 268. Les causes de ces requêtes ne peuvent être élucidées par le contexte historique. Depuis la paix d’Apamée, la cité était sous tutelle attalide. Lorsque le royaume de Pergame fut légué aux Romains, elle épaula Aristonicos dans 262 263 264 265 266 267 268 Ramesseum de Thèbes (IVe-IIIe s.). À ce sujet, cf. C. A. La'da, Prosopographia Ptolemaica. Tome X : Foreign Ethnics in Hellenistic Egypt, Louvain, Peeters, 2002, nos E630-632. J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, entre les p. 10-11. A. Bresson, « La conjoncture du IIe siècle a.C. », in A. Bresson et R. Descat (éd.), Les cités d’Asie Mineure, p. 12. Sur l’histoire de Milet à la période hellénistique, cf. P. Hermann, « Milet au IIe siècle a.C. », in A. Bresson et R. Descat (éd.), Les cités d’Asie Mineure, p. 109-116 ; A. M. Greaves, Miletos : A History, Londres / New York, Routledge, 2002, p. 134-137 ; M. Sartre, L’Anatolie hellénistique, p. 116-117, 184 et 205-206. D’après la recension d’A. Cassayre, Justice, p. 131-154, Milet aurait député des juges à Stratos, Érétrie, Larisa, Gonnoi, Byzance, Smyrne, Samos et dans une cité éolienne. Sur les différents points de comparaison, voir Y. Grandjean, « Décrets pour des juges thasiens », p. 404-406. O. Curty, Parentés légendaires, p. 64. Ibid., p. 406 ; A. Cassayre, p. 147. 63 sa rébellion contre Rome. Elle se rangea plus tard du côté de Mithridate VI, dont le portrait apparaît sur certaines de ses émissions d’or. Les Romains qui l’habitèrent furent conséquemment massacrés par l’armée pontique. L’intervention du Thasien pourrait répondre à l’un de ces deux événements. Il convient de souligner que les guerres exigeaient la mobilisation de ressources financières importantes et que les cités d’Asie Mineure étaient obérées à la suite des deux conflits269. Le décret de Smyrne (ca. Ier s.) Le décret de Smyrne est composé de deux fragments : le premier (l. 1-23) a été découvert par C. Fredrich, en 1904, au port de Thasos, et publié en 1909, dans le corpus IG XII 8, 269, tandis que le second (l. 26-51) a été découvert par M. Sgourou, en 1997, dans un sondage de la rue Mégalou Alexandrou. Par son écriture et son style, le document a été daté dans le courant du Ier siècle. Il intègre un dossier de sept inscriptions smyrniennes pour des juges étrangers 270 . Le peuple de Thasos et les cinq juges, dont deux sont connus - Bacchios, fils d’Aristodémos, et Démétrios, fils d’Archias - reçurent les éloges de Smyrne et des couronnes d’or dans le cadre des Dionysies. Les émissaires se virent concéder la proédrie et l’accès au Conseil en tout temps, ainsi que le droit de cité pour eux et leurs descendants. Les espaces sur la pierre ont incité P. Hamon à envisager la restitution de la junctura συγγενὴς καὶ φίλος καὶ εὔνους (no 8). Le texte laisse entendre que les juges thasiens s’étaient dirigés à Samos pour y rétablir la concorde, mais la nature de la discorde n’est toutefois pas évoquée271. Lors de la révolte d’Aristonicos, Smyrne, qui était libre depuis Apamée, résista aux attaques qui furent menées contre elle. À la création de la province d’Asie, elle devint l’un des principaux centres de la politique romaine : elle logeait des troupes républicaines et accueillait 269 270 271 64 On consultera l’entrée « Tralles » dans M. Grant, A Guide to the Ancient World : A Dictionary of Classical Place Names, Bronx, H. W. Wilson, 1986, p. 665 ; G. M. Cohen, The Hellenistic Settlements in Europe, the Islands, and Asia Minor, Berkeley, University of California Press, 1995, p. 265-268 ; I. Savalli-Lestrade, « Les Attalides et les cités grecques d’Asie Mineure au II e siècle a.C. », in A. Bresson et R. Descat (éd.), Les cités d’Asie Mineure, p. 82-84 ; M. Sartre, L’Anatolie hellénistique, p. 214-219 et 226-229. Hormis Thasos, les autres documents couvrent un cadre chronologique qui s’étend du III e au Ier siècle. On consultera L. Robert, « Note d’épigraphie hellénistique. Inscriptions relatives à des juges étrangers », BCH 48 (1924), p. 331 ; P. Hamon, « Juges thasiens à Smyrne : I. Smyrna 582 complété », p. 175-176. A. Cassayre, p. 143-144. On verra P. Hamon, « Juges thasiens à Smyrne : I. Smyrna 582 complété », p. 180-181 pour une traduction de l’inscription, et p. 182 pour l’apparat critique qui concerne la junctura. Pour Astypalaia, cf. A. Cassayre, p. 451. C. J. Cadoux, Ancient Smyrna : A History of the City from the Earliest Times to 324 A.D., Oxford, Blackwell, 1938, p. 152-154, a étudié les documents en question. Il admet l’improbabilité que les deux événements soient survenus en même temps, mais les analogies syntaxiques supposent qu’ils n’ont pas été séparés par un grand intervalle de temps. des légats pour traiter des litiges. Elle avait également fourni des effectifs à Rome durant la guerre sociale de 90-87 et lutta à ses côtés contre Mithridate. Les Smyrniens allèrent même jusqu’à se dépouiller de leurs vêtements pour les remettre à l’armée de Sylla qui était mal équipée pour affronter l’hiver (Tacite, Annales, IV, 56)272. Le décret des juges thasiens serait à insérer dans ce contexte, mais il ne peut être associé à l’un de ces événements. L’Anatolie et le nord de l’Égée furent régulièrement visités par les Phéniciens à la période archaïque. Il se pourrait dès lors que des liens commerciaux entre Smyrne et Thasos aient été consolidés à ce moment273. Jusqu’à ce jour, des céramiques de type mélien ont été localisées à Thasos et des timbres amphoriques thasiens à Smyrne. J. Pouilloux et C. Dunant ont inscrit Smyrne sur leur carte des monnaies étrangères inventoriées à Thasos274. 2.3.6. Considérations sur le déploiement de citoyens thasiens à l’étranger Parmi les occurrences dénombrées, trois textes attestent l’action de citoyens, qui n’agirent visiblement pas en qualité de juges. Les deux fils de Pempidès furent dépêchés vers des cités alors que celles-ci traversaient une crise. En outre, les décrets votés en leur faveur possèdent un vocabulaire similaire à celui des inscriptions pour des juges. Le décret de Samothrace (seconde moitié IIe ou début Ier s.) Le nom de la cité qui a demandé des juges n’est pas précisé, mais les allusions au temple d’Athéna, dans lequel la publication du décret fut recommandée, et au titre de basileus concédé au magistrat éponyme, s’apparentent à l’épigraphie samothracienne. L’origine des honneurs consentis à Hestiaios, soit la proxénie et le droit de cité, ne peut être saisie à cause du peu d’informations qui subsistent sur Samothrace. À la basse époque hellénistique, la cité passa sous protectorat romain après la bataille de Pydna (168) et conserva sa liberté275. Les relations avec Thasos recouvraient a priori un aspect religieux. À plusieurs reprises aux IIe et Ier siècles, des théores thasiens s’étaient déplacés à Samothrace276. Selon S. Guettel Cole, le thasien Hestiaios, loué pour sa piété envers les divinités (εὐσέβεια), devait avoir été initié aux 272 273 274 275 276 Sur la situation de Smyrne entre la révolte d’Aristonicos et la guerre de Mithridate, cf. C. J. Cadoux, p. 149-160 ; M. Sartre, L’Anatolie hellénistique, p. 210-212 et 228-229 ; S. Dmitriev, City Government in Hellenistic and Roman Asia Minor, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 248-249. C. J. Cadoux, p. 52. On se reportera à L. Ghali-Kahil, La céramique grecque, p. 141, pour ce qui est de la céramique, et à A.-M. et A. Bon, Les timbres amphoriques de Thasos, Paris, de Boccard, 1957, p. 538, pour ce qui est des amphores. P. Hamon, « Juges thasiens à Smyrne : I. Smyrna 582 complété », p. 194, n. 81, a indiqué que « des liens commerciaux sont formellement attestés par le témoignage des monnaies trouvées sur le site de Thasos : O. Picard relève, en effet, que les monnaies d’Éolide et d’Ionie sont particulièrement bien représentées ». Ce constat est consolidé grâce à l’apport des céramiques et des timbres amphoriques. M. Grant, Guide to the Ancient World, « Samothrace », p. 560. On consultera la section 2.1. de l’annexe 2 pour une liste des théores thasiens à Samothrace. 65 mystères de Samothrace 277 . Samothrace importait régulièrement du marbre thasien et possiblement du vin, mais un seul timbre amphorique a été relevé par A.-M. et A. Bon à Samothrace278. De son côté, O. Picard a extrait douze bronzes dans le corpus des monnaies étrangères recensées à Thasos279. Les décrets d’Assos et de Rhodes (seconde moitié IIe ou début Ier s.) Peu de renseignements ont subsisté sur Assos. Tout comme Thasos et Samothrace, elle avait adhéré à la ligue de Délos. À l’exception du décret pour Dionysodôros, les relations entre Thasos et Assos sont méconnues. À la ligne 6, des temps difficiles (καιροὶ ἀναγκαῖοι) sont évoqués, mais les fondements de la crise ne peuvent être ciblés. Entre 241 et 133, la cité avait successivement intégré le domaine des Séleucides, de Pergame, puis de Rome à l’instauration de la province d’Asie. Après 166, elle avait envoyé des juges à Mylasa, à Alabanda et à Stratonicée 280 . Pour ses services, Dionysodôros obtint la proxénie et la citoyenneté avec tous les privilèges qui en découlaient, entre autres l’immunité et la liberté. Le moment du décret d’Assos dépend de celui de Rhodes, dans lequel le gouverneur romain Lucius Aurelius et la prêtrise d’un certain Thersandros sont cités. Néanmoins, ces renseignements se révèlent de peu d’utilité. Eu égard à l’impossibilité de choisir entre le cognomen Cotta ou Orestes, J. Pouilloux et C. Dunant ont montré que le Lucius Aurelius dont il est question pouvait désigner au moins sept personnages différents. D’autre part, la liste des prêtres rhodiens avec l’homonyme Thersandros est trop grande pour qu’une solution convaincante soit proposée281. Le plus ancien Lucius Aurelius avait été mandaté en Orient de 163 à 162 et le plus récent avait assumé des charges à Rome entre 70 et 67, mais celui-ci n’aurait pu être gouverneur de Macédoine qu’en 69 ou 68. Si l’historiographie a longtemps retenu une date dans la première moitié du Ier siècle pour le décret, plus précisément au temps des guerres mithridatiques, les dernières études tendent à replacer Lucius Aurelius dans la seconde moitié du IIe siècle, ce qui impliquerait que les décrets de Samothrace, d’Assos, de Lampsaque et de Rhodes appartiendraient à cette époque (supra, note 214). 277 278 279 280 281 66 S. Guettel Cole, Theoi Megaloi : The Cult of the Great Gods at Samothrace, Leiden, E. J. Brill, 1984, p. 51 et 120, n. 356. A.-M. Bon et A. Bon, Les timbres amphoriques, p. 537. Voir J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, no 169, pour une traduction complète du décret de Samothrace et un commentaire critique. O. Picard, « Monnaies de fouilles et histoire grecque : l’exemple de Thasos », p. 38. M. Grant, « Assus », p. 77 ; A. Cassayre, p. 149-150. C. Habicht, « Rhodian Amphora Stamps and Rhodian Eponyms », REA 105 (2003), p. 559, a inventorié des poignées d’amphores qui portaient le nom de Thersandros, mais elles ne peuvent, à son avis, servir d’indice pour concilier la chronologie. L’histoire de Rhodes n’apporte pas plus d’indices pour circonscrire un cadre temporel. La cité aida les Romains contre Philippe V (200-197) et contre Antiochos III (191-188). Elle fut récompensée à la paix d’Apamée pour sa fidélité en se voyant offrir la Carie et la Lycie, qu’elle perdit en 167-166 pour ne pas avoir soutenu Rome dans sa lutte contre le roi Persée (171-168). Les Romains répliquèrent de même en déclarant Délos port franc, ce qui nuisit aux activités commerciales de Rhodes282. L’île prit par la suite le parti de Rome contre Mithridate en fournissant des navires aux Romains et en résistant à l’armée pontique. Au même titre que les alliés, elle conserva son autonomie et réintégra l’amicitia romaine. Elle récupéra également la Carie 283 . À l’inverse d’Assos, les liens entre Thasos et Rhodes sont bien affirmés : économiques, avec la découverte d’un nombre important d’amphores thasiennes à Rhodes, puis diplomatiques, en regard des honneurs que les Thasiens décernèrent aux Rhodiens 284 . À Rhodes, Dionysodôros avait reçu la proxénie, car il avait introduit des ambassadeurs rhodiens auprès du gouverneur romain de Thessalonique et s’était acquitté des frais de leur retour vers Amphipolis285. 2.4. Remarques conclusives Par l’entremise des sources littéraires et épigraphiques, il a été possible de constater l’importance de Thasos sur la scène internationale du monde grec. Malgré les inégalités et les complexités des données relevées, les textes exposent l’étendue des rapports extérieurs de la cité. À la période archaïque, les interactions de la cité reposaient d’abord sur des assises économiques. Avec le soutien des Pariens qui étaient venus coloniser l’île, les Thasiens allèrent sur le continent thrace et fondèrent des comptoirs commerciaux et des colonies à proximité des mines. En ce sens, les établissements de la Pérée avaient pour vocation première d’assurer l’épanouissement économique de leur métropole, mais Néapolis représente un cas paradoxal à ce sujet. Les entreprises continentales des Thasiens et des Pariens 282 283 284 285 Les débats sur la situation économique de Rhodes après que Délos fut déclarée port franc ne seront pas discutés ici. Les dernières tendances historiographiques reflètent que la cité continua à soutenir une certaine vie économique. À ce sujet, cf. J. Lund, « Rhodian Amphorae in Rhodes and Alexandria as Evidence of Trade », in V. Gabrielsen et al., (éd.), Hellenistic Rhodes : Politics, Culture, and Society, Aarhus / Oakville, Aarhus University Press, 1999, p. 187-204 ; G. Finkielsztejn, « Politique et commerce à Rhodes au IIe siècle a.C. : le témoignage des exportations d’amphores », in A. Bresson et R. Descat (éd.), Les cités d’Asie Mineure, p. 181-196 ; M. Sartre, L’Anatolie hellénistique, p. 159. Sur le contexte, E. Will, Histoire politique, t. 2, p. 478-487 ; M. Grant, « Rhodes », p. 538-540 ; M. Sartre, p. 228 ; A. Cassayre, p. 175-180. A.-M. Bon et A. Bon, Les timbres amphoriques, p. 537 ; J. Pouilloux, Rech. I, p. 427-436. Rhodes est aussi nommée dans le prospectus de la seconde confédération athénienne (P. J. Rhodes et R. Osborne, Greek Historical Inscriptions, no 22, l. 82). J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, no 170 ; R. Merkelbach, Die Inschriften von Assos, Bonn, R. Habelt, 1976, no 11a ; A. Cassayre, p. 309. 67 marquèrent les débuts d’une collaboration qui persista probablement jusqu’à la basse époque hellénistique. À l’inverse, les liens avec la Phénicie semblent s’être estompés durant la période classique, alors que seul Hérodote témoigne de leur patrimoine religieux commun. La dimension religieuse demeure récurrente dans les relations de Thasos, comme le prouve l’octroi des privilèges dans le cadre des Dionysies ou l’initiation de Thasiens aux mystères de Samothrace. Quoique les sphères économique et religieuse ne catalysaient pas formellement la φιλία, il reste qu’elles en offraient les prémices ou qu’elles en intégraient la matrice. Dans le langage des relations internationales, la φιλία combinait des aspects politiques et diplomatiques. Le cas de Thasos présente des particularités intéressantes. À l’intérieur des sources, la φιλία est tantôt octroyée au peuple ou à la cité, tantôt aux individus qui ont rendu des services. À cet effet, le lien entre Hestiaios et Samothrace est particulier, puisqu’il s’agit de la seule inscription dans le corpus où un individu est désigné φίλος d’une cité. Le décret de Rhodes pour Dionysodôros est également unique ; contrairement aux autres inscriptions, c’est l’attitude amicale du Thasien qui est soulignée dans le texte et non pas le statut de φίλος ou de φίλη généralement accordé au peuple ou à la cité. Il se pourrait que les deux fils de Pempidès soient intervenus de leur propre chef ou qu’ils aient été envoyés à Samothrace et à Rhodes par le peuple thasien, mais les informations ne sont pas assez suffisantes pour arriver à des conclusions sûres. En ce qui concerne l’ensemble du corpus, s’il n’existe aucune attestation de φιλία à la période archaïque et seulement trois pour la période classique286, il en va tout autrement pour la période hellénistique. En dépit de la faible représentativité des sources sur les rapports de φιλία thasiens à la période classique, quelques explications peuvent tout de même être données sur le développement spatio-temporel du concept. Comment justifier, en effet, par-delà la concentration inéluctable des documents épigraphiques à l’époque hellénistique, que les rapports de φιλία thasiens n’aient été proéminents qu’à compter du IIe siècle ? Au sein de la seconde confédération, Thasos bénéficiait de la protection procurée par l’ensemble des membres. En théorie, elle ne partageait pas seulement une φιλία avec Athènes, mais aussi avec toutes les cités alliées. À l’époque hellénistique, Thasos reçut très peu de juges ou de citoyens comparativement au nombre de Thasiens qui se déplacèrent à l’étranger. Les considérations sur l’institution des juges étrangers supposent que la cité maintenait une concorde interne et qu’elle possédait une bonne réputation à l’international. Il est 286 68 La φιλία citée en introduction pour le thasien Archippos est prise en compte. vraisemblable, dans cette conjoncture, qu’elle ne sentit pas l’obligation de solliciter des rapprochements avec les autres cités. La φιλία avec Philippe V et l’amicitia avec Rome n’entrava pas les rapports étroits avec le monde grec. Les données relevées dans ce chapitre corroborent qu’elle disposait d’un important réseau de relations internationales. Dans tous les cas, il s’avère difficile, pour ne pas dire impossible, de reconstituer la progression de la φιλία de Thasos avec chacun des acteurs, mais la théorie des réseaux paraît propice à apporter quelques éclaircissements. Il sera question de déterminer dans quelle mesure et de quelle manière le concept moderne de « réseau » peut être appliqué à l’histoire grecque et servir à parfaire les connaissances sur les usages et les fondements de la φιλία. 69 Chapitre III Considérations sur le concept de réseau en études anciennes La théorie des réseaux a réuni deux écoles de pensée diamétralement opposées en études anciennes : les « primitivistes », qui tendent à proscrire le mot réseau par peur de l’anachronisme, et les modernistes, qui s’efforcent de dépasser ce stade en abordant l’histoire au moyen de concepts modernes287. Les antagonismes entre ces deux groupes se perçoivent encore mieux dans la façon dont les spécialistes ont examiné les sources, c’est-à-dire en acceptant ou en contestant que la notion de réseau puisse effleurer métaphoriquement les textes. En dépit de leurs divergences d’opinions, tous se sont entendus sur le fait que l’analyse des réseaux sociaux améliore les connaissances sur la société grecque antique. À la lumière de ces positions, des réflexions seront proposées par rapport aux questionnements qui ont conditionné la présente recherche : Comment les idées de réseau et de réseau social se sontelles concrétisées à travers le temps ? Sont-elles apparentes dans les témoignages littéraires ou épigraphiques ? Est-ce possible d’envisager des réseaux de φιλία au vu des informations colligées jusqu’à maintenant ? Dans l’éventualité d’une réponse positive, de quelle manière se manifestaient-ils dans les relations internationales de Thasos ? 3.1. De la logique mathématique jusqu’à l’établissement de la SNA D’un point de vue scientifique, la théorie des réseaux a été édifiée sur la théorie des graphes et sur l’application de l’algèbre linéaire aux données relationnelles288. La théorie des graphes repose sur l’observation systématique des graphes qui composent et qui organisent le monde. Un graphe correspond à une représentation de nœuds (ou points), qui symbolisent des acteurs, et de lignes (ou arcs), qui annoncent un lien entre deux nœuds. Même si le mathématicien suisse L. Euler (1707-1783) fut le premier à utiliser une reproduction graphique pour élucider un problème (1736), l’application concrète de la notion de graphe ne commença qu’au XIXe siècle. En 1857, A. Cayley (1821-1895) décomposa des équations algébriques en dessinant des arbres mathématiques. Le modèle fut récupéré dans le secteur des sciences naturelles, où A. Cayley travailla lui-même sur une théorie des isomères. Jusqu’au XXe siècle, les graphes visèrent surtout à résoudre des opérations mathématiques. 287 288 I. Malkin, A Small Greek World : Networks in the Ancient Mediterranean, New York / Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 41. P. Mercklé, La sociologie des réseaux sociaux, Paris, Découverte, 2011 (2005), p. 21. 71 En 1936, l’Allemand D. König (1884-1944) publia le premier livre sur la théorie des graphes, Theorie der endlichen und unendlichen Graphen, mais ce sont les travaux de W. T. Tutte (1917-2002) qui lancèrent la discipline. Dans le domaine des sciences sociales, F. Harary (1921-2005), R. Z. Norman (1924-) et D. Cartwright (1915-2008) rattachèrent la théorie des graphes à la théorie des groupes (1953) 289. La jonction méthodologique entre les sciences appliquées et les sciences humaines ne s’exerça donc qu’au XXe siècle, lorsque les instruments façonnés dans les premières (statistiques, tableaux, graphiques, formulations et vérification d’hypothèses) furent graduellement incorporés dans les secondes. En lien avec la théorie des réseaux, l’approche qui déconstruit les relations et les interactions est qualifiée de « structurelle » et se nomme analyse des réseaux sociaux 290 . À dessein de maîtriser les principes la SNA, il est nécessaire de se pencher plus en détail sur les avancements de la recherche. Les origines de l’analyse des réseaux sociaux n’ont pas atteint un consensus auprès de la communauté scientifique. Les chercheurs en ont reporté les débuts au XIXe ou au XXe siècle, en priorisant G. Simmel (1858-1918), J. L. Moreno (1889-1974) ou H. C. White (1930-) comme précurseurs 291 . Dès lors que ce débat ne trouvera pas ici une solution satisfaisante, le parcours historiographique de la SNA sera synthétisé. L. C. Freeman, dans The Developement of Social Network Analysis (2004), a insisté sur les particularités de l’analyse des réseaux sociaux : « 1. Social network analysis is motivated by a structural intuition based on ties linking social actors, 2. It is grounded in systematic empirical data, 289 290 291 72 D. Parrochia, « Quelques aspects historiques de la notion de réseau », Flux 62 (2005), p. 17, a octroyé un rôle pivot à A. Cayley, mais il va de soi que les recherches sur les polyèdres de T. P. Kirkman (1908-1985) et de W. R. Hamilton (1805-1865), sur les arbres dans les circuits électriques de G. Kirchhoff (1824-1887), sur les isomères de J. J. Sylvester (1814-1897) et de G. Pólya (1887-1985), sur le théorème des quatre couleurs d’A. de Morgan (1806-1871) et de F. Guthrie (1831-1899), ont grandement contribué à la théorie des graphes. À ce sujet, cf. R. J. Wilson, « 1.3. History of Graph Theory », in J. L. Gross et J. Yellen (éd.), Handbook of Graph Theory, Boca Raton, CRC Press, 2004, p. 29-49 ; P. Mercklé, p. 21-27 ; D. Parrochia, p. 16-18 ; C. Prell, Social Network Analysis, p. 23 ; D. Schaps, « Systems Network Analysis and the Study of the Ancient World », SCI 29 (2010), p. 92-93. P. Mercklé (p. 97-98) a évoqué le structuralisme et le déterminisme structural : l’analyse des réseaux découle « d’un postulat classique, celui de la dimension coercitive des phénomènes sociaux, qui définit l’approche sociologique depuis Durkheim [1894]. Mais elle spécifie ce postulat en recherchant les causes de faits sociaux dans les caractéristiques des environnements structuraux dans lesquels ils s’insèrent. La forme des réseaux peut être prise comme un facteur explicatif des phénomènes sociaux analysés, parce que, par exemple, elle détermine l’accessibilité à certaines ressources comme le prestige, l’amitié, le pouvoir… ». Sur la théorie des réseaux, on s’en remettra à I. Malkin, C. Constantakopoulou et K. Panagopoulou, « Introduction », in I. Malkin, C. Constantakopoulou et K. Panagopoulou (éd.), Greek and Roman Networks, p. 1-7 ; W. de Nooy, A. Mrvar et V. Batagelj, Exploratory Social Network Analysis with Pajek : Revised and Expanded Second Edition, New York, Cambridge University Press, 2011 (2005), p. 5-8 ; L. C. Freeman, The Development of Social Network Analysis : A Study in the Sociology of Science, Vancouver, Empirical Press, 2004, p. 2-5 ; O. K. Mirembe, Échanges transnationaux, p. 63 ; P. Mercklé, p. 3-5 ; D. Schaps, p. 91. C. Prell, p. 19-20 ; L. C. Freeman, p. 7-8 ; P. Mercklé, p. 14. 3. It draws heavily on graphic imagery, and 4. It relies on the use of mathematical and / or computational models »292. Il a repris chacun de ces critères et en a repéré les traces dans les études modernes. Il a attiré l’attention sur le philosophe français A. Comte (1798-1857), qui a témoigné de l’interconnexion entre les composantes de la société 293 . L’interprétation structuraliste de ce savant a ensuite été cautionnée par les sociologues G. Simmel et E. Durkheim (1893-1964). G. Simmel a entre autres saisi que les formes sociales (institutions officielles, cercles et groupes sociaux, etc.) émergeaient des interactions entre individus. Non moins que G. Simmel, E. Durkheim estimait que tout phénomène social ne se comprend que s’il est mis en interaction avec son environnement et avec le contexte social élargi. Un des étudiants de G. Simmel, L. von Wiese (1876-1969), a raisonné en termes de « systèmes de relations » et de « réseaux »294. Du côté des recherches empiriques, il faut attendre l’anthropologue L. H. Morgan (1818-1881) avant de rencontrer des compilations sur des sujets humains. J. A. Hobson (1894-1954), qui a prôné une approche pour distinguer les liens à l’intérieur d’organisations, et J. C. Almack (1883-1953), qui a peaufiné une méthode pour recueillir de l’information par des entrevues (1922), ont réalisé des percées majeures dans la branche. Pour sa part, B. Wellman (1895-1952) s’est fiée à ses observations afin d’identifier les partenaires de jeux dans une cour d’école. Les deux stratégies, entrevues et observations, ont été conciliées en 1933 par E. P. Hagman (1908-) 295 . En matière d’images, L. H. Morgan et A. Macfarlane (1851-1913) ont ouvert la voie aux analystes des réseaux, mais leurs diagrammes n’épousaient pas parfaitement les contours d’un graphe 296 . Le modèle sophistiqué de J. A. Hobson, l’« hypergraphe », serait le plus ancien exemple imitant un enchevêtrement de structures sociales297. Avant J. L. Moreno, qui a formalisé le concept de réseau social dans Who Shall Survive ? (1934), aucun chercheur n’avait coordonné les quatre paramètres dégagés par L. C. Freeman. 292 293 294 295 296 297 L. C. Freeman, p. 3. Ibid., p. 10-14. M. Forsé et S. Langlois, « Présentation – Réseaux, structures et rationalité », p. 27 ; L. C. Freeman, p. 11-16 ; P. Mercklé, p. 14-16 ; C. Prell, p. 36-38. L. C. Freeman, p. 16-21. Ibid., p. 25-26. A. Macfarlane se servit de variables qualitatives, comme c (child), p (parent) ou cc (grandchild), en vue de différencier les filiations dans le système de familles anglaises. D’après C. Klapisch-Zuber (2000), les reproductions graphiques exposant les liens de parenté entre des individus seraient apparues au IXe siècle. Sur l’imagerie et l’hypergraphe, voir L. C. Freeman, p. 21-25 ; Z. Maoz, Networks of Nations, p. 40. 73 Pendant ses études, J. L. Moreno s’est intéressé à la psychologie Gestalt, à partir de laquelle il a montré comment le bien-être psychologique des individus dépendait de leurs fréquentations. En collaboration avec H. H. Jennings (1905-), il a inauguré la sociométrie ; son instrument, le sociogramme, renseigne sur l’emplacement de chaque unité et de ses rapports avec les autres dans un groupe 298 . Dans son ouvrage Social Network Analysis : History, Theory & Methodology (2012), C. Prell a inclus J. L. Moreno dans la trajectoire « (sociale) psychologique », en compagnie de personnages qui jouirent aussi d’une forte notoriété. K. Lewin jugeait que chaque comportement intégrait un champ, concept qu’il a défini comme « the totality of coexisting facts which are conceived of as mutually interdependant », et qu’il fallait replacer ces faits coexistants dans leur contexte de façon à pouvoir cerner une perception ou un comportement299. A. Bavelas (1920-) a créé l’indice de centralité : établi sur la notion de distance, celui-ci sous-entend qu’un sujet x est relativement situé à proximité des sujets y. Du fait de sa position centrale, ce dernier serait mieux placé que quiconque pour recevoir et filtrer les informations des parties disloquées300. Le second héritage signalé par C. Prell, celui de l’« anthropologie sociale », compte parmi ses membres A. R. Radcliffe-Brown (1881-1955), E. Bott (1924-) et J. A. Barnes (1918-2010). Selon A. R. Radcliffe-Brown, les réseaux complexes de relations dont dispose chaque société sont déchiffrables par des calculs mathématiques. À défaut de mentionner les formules auxquelles il faudrait recourir, l’auteur s’est cependant contenté d’énoncer quelques arguments pratiques et méthodologiques. En 1957, E. Bott (1924-) a instauré la notion de connexité, qui mesure un réseau sur le principe de la densité301. En plus de son support pour fixer les fondements de la connexité, J. A. Barnes (1918-2010) a inventé l’expression « réseaux sociaux »302. 298 299 300 301 302 74 P. Mercklé, p. 16-19 ; C. Prell, p. 21-23 ; L. C. Freeman, p. 31-42. C. Prell, p. 24. C. Prell, p. 24-26 ; L. C. Freeman, p. 66-75. P. Mercklé, p. 53-54, a touché aux sortes de centralité développées par L. C. Freeman, soit celles de degré, de proximité et d’intermédiarité. La connexité et la densité s’avèrent deux propriétés distinctes de l’analyse des réseaux sociaux. Pour P. Mercklé (p. 26), la connexité d’un réseau résulte des liaisons entre les sommets d’un graphe : « on dira qu’un graphe est connexe si pour chaque couple de sommets, il existe une chaîne permettant de les relier, ce qui signifie qu’il n’existe aucun sommet isolé des autres ». À la même page, il a expliqué la densité : « Un graphe se caractérise […] par son ordre, c’est-à-dire par son nombre de sommets. […] Dans le langage de la théorie des graphes, la densité […] est le rapport (variant entre 0 et 1) entre le nombre d’arcs observés et le nombre maximum d’arcs possibles dans ce réseau ». Le concept de densité vit le jour chez E. Durkheim (1897) : « généralement, nous définissons la densité d’un groupe en fonction, non du nombre absolu des individus associés (c’est plutôt ce que nous appelons volume), mais du nombre d’individus qui, à volume égal, sont effectivement en relation » (M. Forsé et S. Langlois, p. 27-28). Pour de plus amples renseignements sur la connexité ou la densité, cf. P. Mercklé, p. 26 et 59-61 ; C. Prell, p. 33-34 et 166-171. C. Prell, p. 32-35 ; L. C. Freeman, p. 104-105 ; P. Mercklé, p. 11-13. Le dernier apport souligné par C. Prell est celui de la sociologie. Malgré le concours d’E. Durkheim et de G. Simmel, H. White s’est imposé en tant que figure emblématique dans le domaine. Sous sa direction, le département de sociologie d’Harvard s’est érigé en centre spécialisé sur l’analyse des réseaux sociaux. Au fil de leurs travaux, H. White et ses étudiants se sont peu à peu détachés de l’école anthropologique en préférant l’exploration de réseaux complets. À l’opposé de l’approche ego, qui examine les relations directes entre un individu et les membres de son réseau, l’approche des réseaux complets consiste à couvrir la totalité des relations qui raccordent les unités d’un réseau 303 . Les réflexions entamées à Harvard donnèrent le ton aux investigations subséquentes et stimulèrent l’épanouissement de l’analyse des réseaux sociaux. La volonté de consolider et de promouvoir la SNA se dévoila d’ailleurs dans les mêmes années. En 1977, Barry Wellman (1942-) fonda l’INSNA (International Network for Social Network Analysis), une association dont l’intention est d’encourager les interactions entre les chercheurs. Dans le giron de l’organisation, les revues Connections (1978-) et Social Networks (1978-) furent lancées, ainsi qu’un congrès annuel, le Sunbelt Social Network Conference (1981-) 304 . En parallèle à ces initiatives, on assiste à une multiplication des protocoles d’analyse sous la théorie des réseaux. Le phénomène du petit monde (small-world effect en anglais), popularisé par D. J. Watts et S. H. Strogatz en 1998, a polarisé les études au cours des dernières décennies. La communauté scientifique reconnaît S. Milgram (1933-1984) comme le pionnier de ce mouvement, mais L. C. Freeman a émis l’hypothèse que ce titre reviendrait à I. de Sola Pool (1917-1984) et M. Kochen (1928-1989). La théorie du petit monde de S. Milgram postule que, dans une société de masse, une même personne serait connectée à toutes les autres par l’entremise de cinq intermédiaires305. 303 304 305 P. Mercklé, p. 30-35, a critiqué chacune des méthodes en soupesant leurs avantages et leurs désavantages. Selon lui, l’approche des réseaux complets peut « faire passer pour isolés des individus qui sont en fait liés l’un à l’autre par une relation indirecte passant par un individu qui n’appartient pas à l’ensemble retenu », tandis que, dans l’approche des réseaux ego, la réciprocité ou l’asymétrie des relations « échappent largement aux analyses des réseaux personnels, qui n’accèdent qu’à une perception unilatérale […], et non bilatérale, des relations dyadiques ». On se reportera aussi à W. de Nooy, A. Mrvar et V. Batagelj, p. 73 et 166-168 ; Z. Maoz, p. 47-53. Au sujet d’H. White et de ses étudiants, ou encore des autres sociologues, cf. C. Prell, p. 36-45 ; L. C. Freeman, p. 121-128. Pour ce qui est de outils mis sur pied au XXe siècle, on se reportera à P. Mercklé, p. 4-5 ; L. C. Freeman, p. 129-158 ; C. Prell, p. 45 et 61 ; M. Forsé et S. Langlois, p. 28-29. L. C. Freeman (p. 108, n. 42) a rappelé que T. Braun a fait du romancier hongrois F. Karinthy (1887-1938) le prédécesseur de l’effet des petits mondes. Le manuscrit d’I. S. Pool et de M. Kochen sur la théorie des petits mondes, complété en 1958, n’a été publié qu’en 1978. On sait que S. Milgram s’en était inspiré pour écrire sa thèse. En 1967, il avait demandé à des personnes, choisies aléatoirement aux États-Unis, d’envoyer une lettre à un individu-cible, soit directement ou en sollicitant l’aide de leurs contacts. Sur les deux cent dix-sept dossiers qui furent expédiés, soixante-quatre se rendirent jusqu’à l’individu-cible, en étant passés 75 Dans le sillage de S. Milgram, D. J. Watts, A.-L. Barabási et M. Buchanan ont développé la théorie des six degrees of separation, selon laquelle toute paire d’individus est reliée par une chaîne de connaissances atteignant en moyenne six personnes 306 . En 1989, A. Rapoport et Y. Yuan avaient toutefois déterminé un intervalle plus élevé : d’après leurs simulations, il faudrait dix ou douze nœuds pour raccrocher un individu à n’importe quel autre dans le monde entier307. En 2003, M. Granovetter a introduit la strenght of weak ties : « our acquaintances (weak ties) are less likely to be socially involved with one another than are our close friends (strong ties). […] The weak ties exist in a “low-density network” and become, therefore, a crucial link between the densely knit clumps (or “clusters” in some network parlance, i.e., at least three interlinked nodes) of close friends »308. La théorie du petit monde, des six degrees of separation et de la strenght of weak ties coordonnent les notions de distance et de proximité : deux cellules annexées au même réseau peuvent être séparées par plusieurs arcs tout en étant étroitement liées. En dernier lieu, il faut noter que certains programmes informatiques jumèlent les aspects théoriques et méthodologiques de la SNA à des modèles computationnels et statistiques. Ces logiciels modifient la manière de compiler, de manipuler et de commenter les données, en permettant d’illustrer graphiquement des réseaux et de quantifier leurs paramètres structuraux (centralité, connexité, densité, etc.)309. Le projet Pajek, élaboré par W. de Nooy, A. Mrvar et V. Batagelj, réunit entre autres ces deux aspects. L’ouvrage des auteurs, Exploratory Social Network Analysis with Pajek, dont la deuxième édition est parue en 2011, est scindé en cinq parties (principes fondamentaux, cohésion, canaux d’échanges, rang et rôles sociaux). Chacune des sections comporte des subdivisions thématiques, dans lesquelles les assises conceptuelles sont sondées, puis une démonstration pratique sur l’interface Pajek est présentée. Les spécialistes ont privilégié l’exploratory social network analysis. Cette approche renonce à une hypothèse de départ et considère que la structure ou le schéma relationnel d’un réseau social est significatif pour ses membres et pour le chercheur. Malgré la clarté de la présentation, l’inconvénient de cette technique réside dans le temps qu’il faut 306 307 308 309 76 préalablement entre les mains de 5,2 intermédiaires. Voir à P. Mercklé, p. 12-14 ; C. Prell, p. 1 et 46 ; L. C. Freeman, p. 107-108 et 164-165 ; W. de Nooy, A. Mrvar et V. Batagelj, p. 6 ; Z. Maoz, p. 10-12 ; I. Malkin, A Small Greek World, p. 26-27. I. Malkin, A Small Greek World, p. 26-27 ; D. H. Cline, « Six Degrees of Alexander : Social Network Analysis as a Tool for Ancient History », AHB 26 (2012), p. 59. P. Mercklé, p. 13-14. I. Malkin, A Small Greek World, p. 26-27. Sur les progrès technologiques, cf. C. Prell, p. 45-50. consacrer à son apprentissage avant de pouvoir en tirer efficacement parti310. Il convient enfin de remarquer que la théorie des réseaux est très étendue et qu’il est ainsi impossible de relater tous les procédés d’analyse disponibles. Il est pertinent de retenir que les ouvrages de L. C. Freeman, de C. Prell et de P. Mercklé initient les néophytes aux notions élémentaires de l’analyse des réseaux sociaux311. Il reste cependant à décider si la théorie des réseaux et ses indicateurs sont compatibles avec l’histoire antique. 3.2. La théorie des réseaux dans les recherches sur l’Antiquité grecque À l’instar de ce qui a été discuté en introduction, les chercheurs en études anciennes ont peu songé au concept de réseau avant les années 2000. Les quelques historiens qui s’étaient jusque-là exprimés en fait de réseaux s’étaient majoritairement bornés à une analyse descriptive et superficielle. C’est le cas de F. Braudel, qui a dépeint la Méditerranée en tant qu’une zone de routes, « routes de terre et de mer, routes des fleuves et des rivières, immense réseau de liaisons régulières et fortuites, de distribution pérenne de vie, de quasi-circulation organique »312. Il en est de même pour R. D. Sullivan, qui a esquissé un tableau synthétique sur les réseaux de mariages dynastiques en délaissant le cadre conceptuel du terme réseau 313. Au sein de la communauté scientifique, F. Braudel s’est néanmoins démarqué en échelonnant des réseaux sur la longue durée (1958), plus exactement sur un temps et sur un espace multidimensionnels314. En regard des avancements de la recherche, la présente section vise à établir les frontières de la théorie des réseaux dans la discipline historique en suivant trois lignes directrices : Quels en sont les antécédents dans les recherches sur l’Antiquité grecque ? Existe-t-il des mots propres au grec ancien qui véhiculaient l’idée de réseau ? Les Grecs concevaient-ils leur monde comme un espace propice à la formation de réseaux ? 310 311 312 313 314 W. de Nooy, A. Mrvar et V. Batagelj, p. 5-6. S. Langlois et M. Forsé (p. 28) ont cité divers travaux de synthèse sur l’analyse des réseaux sociaux, tels que ceux de Scott (1991), Degenne et Forsé (1994), Waserman et Faust (1994) et Powell et Smith-Doerr (1995). F. Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II. Tome 1, La Part du milieu, Paris, A. Colin, 1966 (1949), p. 253-254. L’image d’une Méditerranée sous les allures d’un réseau se décèle dans les deux volumes. En 1979, F. Braudel a abouti à un postulat semblable pour le système des échanges marchands de l’Europe du XVIe-XVIIIe siècle : « tout réseau marchand lie ensemble un certain nombre d’individus, d’agents, appartenant ou non à la même firme, située en plusieurs points d’un circuit, ou d’un faisceau de circuits. Le commerce vit de ces relais, de ces concours et liaisons qui se multiplient comme d’eux-mêmes avec le succès grandissant de l’intéressé ». On consultera F. Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe – XVIIIe siècle. Tome 2, Les jeux de l’échange, Paris, A. Colin, 1979, p. 125. R. D. Sullivan, « Papyri Reflecting the Eastern Dynastic Network », ANRW II 8 (1977), p. 908-939 ; R. D. Sullivan, « Thrace in the Eastern Dynastic Network », ANRW II 7.1 (1979), p. 186-211. F. Braudel, « Histoire et Sciences sociales : La longue durée », Annales (HSS) 4 (1958), p. 725-753. 77 En 2003, J. Ma s’est appuyé sur la peer polity interaction (PPI) dans le but de relever l’étendue et la teneur symbolique des réseaux de contacts à la période hellénistique315. Conçue par C. Renfrew et J. F. Cherry (1986), la PPI se focalise sur le fonctionnement et le développement des structures sociétales. Elle scrute la gamme des transactions (l’imitation, l’émulation, la compétition, la guerre, l’échange de biens matériels et d’information) qui assuraient la convergence entre des unités sociopolitiques autonomes et géographiquement rapprochées. Elle évite aussi les distinctions entre noyau et périphérie ou entre rapports de domination et de subordination. En outre, elle traite les organes d’un réseau en tant que des entités interconnectées et non pas strictement isolées316. La PPI se trouve au croisement des approches qui se préoccupent des facteurs endogènes ou exogènes. Les peer polities sont jugés « structurally homologous, […] where changes occur across the board rather than in top-down diffusionist waves »317. En raison de son bagage archéologique, la PPI a nécessité quelques ajustements méthodologiques. J. Ma a tenté de l’agencer aux recherches à caractère historique en passant des sources matérielles aux témoignages écrits et en mettant l’accent sur les agents de stabilité plutôt que sur les agents de changement. Il a avancé l’idée que la PPI aide à visualiser l’extension des réseaux d’interactions sur la scène internationale hellénistique. Il a de même soulevé le fait que la duplication et le déplacement des décrets instituaient la parité et créaient des liens concrets, symboliques et réciproques entre πόλεις. En étant éclairé par les circonstances historiques et géographiques, il a quelque peu dérogé au modèle de C. Renfrew et J. Cherry et conclu que les réseaux de contacts n’étaient pas parfaitement homogènes318. C. Michels a récemment contesté certains arguments de J. Ma, à savoir que le terme « hellénisation » ne décrit et n’explique rien, et que le concept de la PPI ne convient pas à la cité d’Hanisa, un cas de figure sur lequel les deux se sont penchés, attendu qu’elle n’était pas pleinement autonome. Dans sa section sur la Cappadoce, celui-ci a en effet prouvé qu’Hanisa 315 316 317 318 78 J. Ma, « Peer Polity Interaction in the Hellenistic Age », P&P 180 (2003), p. 9-39. C. Renfrew, « Introduction : Peer Polity Interaction and Socio-Political Change », in C. Renfrew and J. F. Cherry (éd.), Peer Polity Interaction and Socio-Political Change, Cambridge, Cambridge University Press, 2009 (1986), p. 1-18 ; J. F. Cherry and C. Renfrew, « Epilogue and Prospect », Peer Polity Interaction and Socio-Political Change, p. 149-158. Les articles de J. F. Cherry, « Polities and Palaces : Some Problems in Minoan State Formation », p. 19-45, et d’A. Snodgrass, « Interaction by Design : The Greek City State », p. 47-58, appliquent la peer polity interaction à l’histoire grecque. J. Ma, « Peer Polity Interaction », p. 23. J. Ma (p. 23-33) a aussi mentionné que la cité n’entretenait pas de relations exclusives, car son réseau de communication était à la fois ouvert aux autres πόλεις et aux acteurs dominants. Les grandes puissances, d’autre part, encourageaient et sollicitaient la peer polity interaction en valorisant la culture grecque et en s’appropriant le langage diplomatique des cités. La πόλις nourrissait donc des réseaux pluridimensionnels. a adopté des éléments de la culture grecque grâce à ses contacts régionaux et à ses élites319. Mis à part le collectif de C. Renfrew et J. F. Cherry, puis des articles de J. Ma et de C. Michels, la PPI semble avoir bien peu éveillé la curiosité des chercheurs comparativement à la SNA. En 2006 est organisé à Rethymno le colloque Networks in the Greek World, où les participants ont été invités à se prononcer sur la pertinence du concept de réseau en études anciennes. Les communications, parues une première fois en 2007 dans deux cahiers spéciaux de la revue Mediterranean Historical Review (vol. 22), ont été publiées sous forme d’actes en 2009 par le collectif Greek and Roman Networks in the Mediterranean. En introduction, les éditeurs ont dressé un court bilan historiographique de l’analyse des réseaux sociaux, dont ils posent ensuite les fondements et les limites. Les deux auteurs ont bien noté que la SNA renferme deux volets d’enquête, l’un portant sur une analyse systématique ou empirique, l’autre sur des illustrations, mais l’ouvrage souffre étonnamment de l’absence d’articles utilisant ces instruments : sur les dix-huit participants, seul I. Rutherford a combiné ses interprétations à des sociogrammes. Les articles de K. Vlassopoulos, M. Sommer, I. Sandwell, A. Collar et P. N. Doukellis exposent toutefois diverses dimensions de la SNA, tandis que, même s’ils ne l’évoquent pas, les autres textes transmettent néanmoins des données pratiques, répondant au mandat qui avait été confié aux orateurs320. Parmi les auteurs, K. Vlassopoulos a soutenu que le concept de réseau permet de se détacher des analyses historiques traditionnelles, où l’évolution de la πόλις est envisagée selon une phase d’ascension, d’apogée et de déclin. Le recours au concept amènerait en effet le chercheur à discerner les interactions sociales, économiques, politiques et culturelles qui survenaient en aval et en amont de la cité. K. Vlassopoulos s’est rangé du côté de la worldsystem analysis (WSA) afin de contempler la sphère des relations internationales. Dans sa conclusion, il a milité en faveur de cette approche pour étudier l’histoire grecque : « this 319 320 C. Michels, « The Spread of Polis Interaction in Hellenistic Cappadocia and the Peer Polity Interaction Model », in E. Stravrianopoulou (éd.), Shifting Social Imaginaries in the Hellenistic World, Leiden / Boston, Brill, 2013, p. 294-302. Une meilleure connaissance de la SNA aurait mené plusieurs chercheurs à des conclusions nuancées, voire opposées, sur la nature ou la présence de réseaux en regard de leur sujet. Les reproches adressés au collectif concordent avec le compte-rendu de D. Schaps (p. 94-97). D’après lui, l’événement n’était pas le véhicule adéquat pour débattre de la question, puisque la SNA fait défaut à la plupart des textes. Il justifie sa position en étayant qu’un nombre limité de conférenciers étaient accoutumés avec la SNA. À l’inverse, les habitués ont mis tant de temps à en découper les contours qu’ils ont révélé peu de résultats. D. Schaps a admis que ce type de projet est mieux adapté à un doctorat ou à une recherche subventionnée qu’à un article de colloque. On ne saurait toutefois partager l’avis de l’auteur. Nonobstant les imperfections du vecteur par lequel les informations ont été acheminées, ce genre d’activité est l’occasion parfaite pour engager la discussion sur de nouvelles thématiques. 79 article has tried to show that we need to study Greek history as the history of a world-system of networks and centres and, at the same time, to insert Greek history within the history of the larger Mediterranean and Near Eastern world »321. Sur les traces du collectif qu’il a édité avec C. Constantakopoulou et de K. Panagopoulou, I. Malkin a enrichi ses réflexions dans A Small Greek World : Networks in the Ancient Mediterranean (2011)322. Il a examiné le phénomène de la colonisation, de la fin de l’âge du fer au IVe siècle a.C., du point de vue de la théorie des réseaux et du small-world effect, avec pour objectifs de dégager les caractéristiques et les implications des réseaux sans prétendre démontrer que tout était connecté, et de jauger les incidences des réseaux sur l’affirmation d’une identité et d’une civilisation grecques. L’introduction survole les fondements de la recherche et les spectres d’analyses potentiels, mais l’auteur n’invoque pas les raisons qui l’ont motivé à écarter des concepts analogues au small-world effect, tels que les “zones de contacts” et la peer polity interaction. Les chapitres deux à six sont voués aux études de cas. I. Malkin a articulé la connectivité entre les acteurs sur des niveaux (local, régional, national ou international), des perspectives (religieuse, la middle ground323 et les cartes cognitives 324 ) et des rapports dualistes divers (entre métropole et colonie(s), entre colonies, entre Grecs et non-Grecs 325 ). Il a défendu l’idée que c’est la distance – non pas géographique, mais entre les unités – et les dynamiques des réseaux qui ont facilité l’enracinement territorial et communautaire de la civilisation grecque. Le monde grec aurait aussi évolué dans le sens d’un microcosme, où la proximité spatiale et les flux de matériaux et de culture auraient présidé à la construction d’une identité et d’une ethnicité collectives. À tous les égards, I. Malkin s’est livré à des analyses fructueuses et est devenu une référence incontournable sur l’usage de la théorie des réseaux en études anciennes. 321 322 323 324 325 80 K. Vlassopoulos, « Beyond and Below the Polis : Networks, Associations, and the Writing of the Greek History », p. 12-23 ; K. Vlassopoulos, « Between East and West : The Greek Poleis as Part of a World-System », p. 91-111. I. Malkin, A Small Greek World, 284 p. Le terme middle ground a été introduit par l’historien R. White et touche aux liens entre colons et les populations locales ou natives (I. Malkin, p. 46). Z. Maoz, p. 37 : « A group of methods typically not associated with SNA per se concern studies of cognitive maps […]. These approaches attempt to systematically caracterize and explain cognitive structures – for example the beliefs systems of individuals or debates within decision-making groups. A cognitive map [is] a logical network consisting of causal links between concepts ». En plaçant l’institution de la πόλις et le phénomène de la colonisation au sein d’un processus unique, I. Malkin (p. 505-553) s’est distancié du modèle traditionnel selon lequel la Grèce continentale formerait le noyau des cartes cognitives et les marges ou les colonies la périphérie. D. H. Cline (2012) s’est alignée sur le canevas des six degrees of separation, à l’effet de reconstituer le réseau personnel de certains dirigeants326. Selon l’auteure, la SNA aide à déterminer la manière dont le pouvoir d’un souverain a prospéré durant son règne, ou encore à constater l’emprise qu’un personnage autre que le roi exerçait à la cour par l’étendue de ses fréquentations. Dans la partie sur les généraux partisans de Philippe II, elle a parcouru les étapes nécessaires à la collecte et à l’enregistrement des données. Après avoir ordonné le graphe des relations entre Philippe II et sa garde, puis celui de ses officiers, elle a découvert que, structurellement, le monarque n’avait pas préséance sur son réseau, car l’information pouvait circuler sans qu’il ait servi d’intermédiaire. Le cas de Périclès a par la suite été abordé : les données sur sa vie sociale, qui ont été recueillies dans la Vie de Périclès de Plutarque puis saisies sur l’interface NODEXL, font état du poids de son entourage, par exemple du rôle des femmes en tant que ciment de son réseau social. La même opération a finalement été répétée à l’endroit d’Alexandre le Grand. Pour clore ce rapide survol des études, on citera au passage le Hestia Project327 et le Berkeley Prosopography Services328, qui retracent des réseaux dans le monde grec antique, en prenant respectivement comme laboratoire d’analyse les Histoires d’Hérodote et un corpus de tablettes cunéiformes sur la Mésopotamie hellénistique. 3.3. À la recherche d’un équivalent pour le mot réseau en grec ancien Les principaux modèles théoriques et méthodologiques utilisés par les spécialistes supposent que le concept de réseau s’harmonise avec la réalité du monde grec antique. Le risque d’anachronisme est toutefois flagrant dès lors que le vocabulaire moderne et le vocabulaire du grec ancien sont considérés. Le mot « réseau » découle de résel, attesté en 1180 chez la poétesse Marie de France, et constitue une variante, avec un autre suffixe, de l’ancien français réseuil (du latin retiolus, diminutif de retis, -is, « filet »). Vers 1240, la tournure « entrelacs » s’ajouta à son registre sémantique. Le sens « filet », qui tire son origine de rete, is et de reticulum (retis et retiolus apparurent plus tard), resta présent dans le langage commun jusqu’au XVIIe siècle. À cette époque, les tisserands et les vanniers désignaient par « réseau » un entrecroisement de fibres textiles ou végétales, ou bien une pièce de tissu ou de soie. Ils référaient ainsi à la toile qui 326 327 328 D. H. Cline, « Six Degrees of Alexander : Social Network Analysis as a Tool for Ancient History », p. 59-69. http://hestia.open.ac.uk/ http://www.berkeleyprosopography.org/ 81 servait de piège aux chasseurs (« rets ») ou qui ornait la coiffe des dames (« résille »)329. Au XVIIIe siècle, le terme entra dans le vocabulaire des usages médicaux chez Diderot en caractérisant les systèmes sanguins et nerveux. C’est durant cette période que son cadre conceptuel surgit, sous l’action de la cristallographie (Haüy, Delafosse et Bravais), des travaux de fortifications (Vauban et Cormontaingne) et des investigations des géomètres (Abbé la Caille, Cassini). À la fin du XVIIIe et au XIXe siècle, il indiqua la somme des infrastructures routières d’une région ou d’un pays. Au XXe siècle, avec l’expansion des technologies de communication, puis avec l’invention et le développement d’Internet, il perdit de sa signification primaire et gagna une extension générique 330. En 2013, le Petit Robert consignait trois acceptions à « réseau » : 1. un tissu (à mailles très larges, filet) ; 2. un ensemble de lignes entrecroisées ou de voies joignant des points entre eux ; 3. un ensemble d’éléments reliés entre eux 331 . Les clarifications étymologiques et sémantiques amènent à constater que le sens moderne du mot réseau jaillit au XIXe siècle. V. Gabrielsen et P. N. Doukellis ont sondé les sources afin de vérifier si le concept de réseau peut être repéré, mais aucun de leurs essais n’a apporté une réponse décisive. À partir de leur démonstration, il sera possible d’appréhender les limites de la théorie des réseaux en études anciennes. Quand bien même ils n’ont pas confirmé qu’ils étaient affiliés à un réseau, V. Gabrielsen a reconnu que les Grecs étaient conscients de l’importance et du poids de leurs relations sociales332. L’auteur a toutefois rejeté les acceptions modernes de la notion dans le vocabulaire du grec ancien : δίκτυον signifie « filet » et, par extension, « filet de pêche ou de chasse » ; δικτυώδης, δικτυοειδής et δικτυωτόν désignent tout objet en forme de filet ; δικτυόομαι veut dire « être pris dans un filet » ; δικτυαρχοῦντες renvoie aux officiers d’une 329 330 331 332 82 Rets (« filet » – XIIIe siècle, d’abord écrit rois / roiz ou rais / rois en 1130) vient de retis et se situe dans le champ lexical de « réseau » ; rétine (XIVe s.) et résille (XVIIIe s.) procèdent de rete ; rétiaire (XVIe s.) de retiarius ; réticulaire (XVIIe s.) de reticulum ; réticulé et réticule (XVIII-XIXe s.) de reticulatus. Sur l’historique du mot et de ses dérivés, cf. P. Mercklé, Sociologie des réseaux, p. 7 ; D. Parrochia, « Quelques aspects historiques de la notion de réseau », p. 10-11. P. Mercklé, p. 7-8 ; D. Parrochia, p. 11-19. On consultera l’entrée « réseau » dans J. Picoche, Dictionnaire étymologique du français, avec la collaboration de J.-C. Rolland, Paris, Dictionnaires le Robert, 2009, p. 464 ; J. Dubois, H. Mitterand et A. Dauzat, Grand Dictionnaire étymologique et historique du français, Paris, Larousse, 2011, p. 859 ; et « rets » dans O. Bloch et W. Von Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, Presses Universitaires de France, 1986, p. 552 ; J. Dubois, H. Mitterand et A. Dauzat, p. 863. Quant au latin, voir « rete, is n. » dans A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine : Histoire des mots, Paris, Klincksieck, 2001, p. 572. J. Rey-Debove et A. Rey (dir.), Le Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Le Robert, 2012, p. 2211-2212. V. Gabrielsen, « Brotherhoods of Faith and Provident Planning : The Non-public Associations of the Greek World », Greek and Roman Networks, p. 176-203. association de « pêcheurs » et non pas à un réseau (p. 177) 333 . Dans son article, P. N. Doukellis (p. 286) a concédé que δίκτυο (« mailles », « filet », « filet de pêche ») et σαγήνη (« seine », « filet », « grand filet de pêcheur ») symbolisaient métaphoriquement l’idée de réseau334. Cette position contredit le propos de Diodore de Sicile : celui-ci atteste, au livre cinq de la Bibliothèque historique (76, 3-4), que δίκτυον et ses composés étaient réservés au champ lexical de la pêche et de la chasse335. Selon P. N Doukellis, un glissement de sens se serait produit chez Galien (130-200/210 p.C.), qui aurait décrit les fonctions des parties du corps humain sous les aspects d’un réseau. À cet effet, il a distingué comme paradigme l’adjectif neutre δικτυοειδές en citant le De usu partium de Gallien : τὸ δὴ καλούμενον ὑπὸ τῶν ἀνατομικῶν δικτυοειδὲς πλέγμα μέγιστον θαῦμα τῶν ἐνταυθοῖ τέτακται […]336. Il appert cependant que, si l’on respecte la transcription littérale, la jonction entre δικτυοειδὲς et πλέγμα annonce un « enlacement semblable à un filet » et non pas un réseau. Une interprétation métaphorique paraîtrait plausible en contexte médical, mais un dépouillement minutieux des occurrences de δίκτυον et de σαγήνη chez Galien serait requis. Il serait alors judicieux de confronter la fréquence de ces termes dans le corpus hippocratique et de vérifier s’il y a des ambiguïtés sémantiques337. En ce qui a trait à σαγήνη, P. N. Doukellis a émis des hypothèses beaucoup plus audacieuses. Il a établi qu’Hérodote (VI, 31, 4-9) liait le mot à l’expansion du pouvoir politique et militaire (p. 286) : 333 334 335 336 337 Le mot δικτυαρχοῦντες apparaît au IIe s. p.C. dans une inscription de Parion. À ce sujet, cf. V. Gabrielsen, « Brotherhoods of Faith and Provident Planning », p. 177 et p. 192, n. 5. On lira aussi l’entrée δίκτυον dans P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, p. 284 ; A. Bailly, Dictionnaire Grec-Français-Le Grand Bailly. Rédigé avec le concours de E. Egger. Édition revue par L. Séchan et P. Chantraine avec, en appendice, de nouvelles notices de mythologie et religion par L. Séchan, Paris, Hachette, 2000 (1894), p. 512. P. N. Doukellis, « Hadrian’s Panhellenion : A Network of Cities ? », Greek and Roman Networks, p. 285-298. Ν. Π. Ανδριώτη, Ετυμολογικό λεξικό της κοινής νεοελληνικής, Thessalonique, Ινστιτούτο Νεοελληνικών Σπουδών, 1995 (1951), p. 84, a vu dans la forme δίκτυο l’emploi moderne de δίκτυον. La variante stylistique δίκτυ / δίχτυ (P. Chantraine, p. 284 ; Ν. Π. Ανδριώτη, p. 86) serait une abstraction de grammairien. On notera que certains dictionnaires ou ouvrages répertorient parfois δίκτυον et ses composés avec un χ plutôt qu’un κ. Sur « σαγήνη » et ses dérivés, on se reportera à P. Chantraine, p. 983-984 et à l’entrée « σαγηνεύω » dans Ν. Π. Ανδριώτη, p. 313. Le chroniqueur a raconté le récit de la déesse Βριτόμαρτις. Née en Crète de l’union de Zeus et de Karmè, Βριτόμαρτις fut appelée Δίκτυννα, sous prétexte d’avoir inventé les filets (δίκτυα) pour la chasse. Ce fut à cette divinité, Δίκτυννα, que les Crétois élevèrent des temples et accomplirent des sacrifices. Diodore de Sicile rejeta la narration de Callimaque, selon laquelle Βριτόμαρτις aurait été dénommée Δίκττυνα puisqu’elle était tombée, en sautant d’une falaise pour échapper à Minos, dans les filets de pêcheurs. P. N. Doukellis, p. 295, n. 3. Le Thesaurus Linguae Graecae dénombre quatorze occurrences pour le lemme de δίκτυον chez Galien et aucune pour celui de σαγήνη. Il ne détecte rien chez Hippocrate (ca. 460-360). Les textes portant le nom d’Hippocrete relèveraient de plusieurs physiciens et non pas d’un seul individu. On verra L. N. Magner, A History of Medicine, Boca Raton, Taylor&Francis, 2005, p. 93-98. 83 Ὅκως δὲ λάβοι τινὰ τῶν νήσων, ῶς ἑκάστην αἱρέοντες οἱ βάρβαροι ἐσαγήνευον τοὺς ἀνθρώπους. Σαγηνεύουσι δὲ τόνδε τὸν τρόπον. ἀνὴρ ἀνδρὸς ἁψάμενος τῆς χειρὸς ἐκ θαλάσσης τῆς βορηίης ἐπὶ τὴν νοτίην διήκουσι καὶ ἔπειτα διὰ πάσης τῆς νήσου διέρχονται ἐκθηρεύοντες τοὺς ἀνθρώπους338. D’après le chercheur, la stratégie déployée par les Perses en sol ennemi évoque l’idée de réseau : « in this way, they were able to state that the power of the Persian king had de facto spread across the recently conquered territory like a sagene, or mesh »339. Or, cette affirmation peut être nuancée par les paraphrases de la même anecdote dans la littérature ancienne. Au troisième livre de ses Lois (698d, 4-5), Platon raconte que les soldats de Datis, en se tenant les mains, avaient pris au filet (σαγηνεύσαιεν) toute l’Érétrie. Strabon (X, 1, 10, 19-22) a renchéri sur la destruction de la cité en citant Hérodote. Il emploie le participe aoriste σαγηνεύσαντες pour indiquer que les Perses avaient pris les habitants au filet. Enfin, Plutarque (63, 977e) fait une comparaison entre la puissance des Perses et l’attitude des pêcheurs340. Les mentions de σαγηνεύω dans ces passages incitent à revenir sur l’explication de P. N. Doukellis, à savoir que les Perses étaient en mesure de déclarer que le pouvoir du roi s’était étendu comme un σαγήνη. La juxtaposition des extraits n’autorise pas une telle déduction. L’analogie poursuivie par Hérodote vaut strictement pour une tactique militaire et ne sous-entend en rien le concept de réseau. Une étude complète et approfondie des occurrences de δίκτυον et de σαγήνη dans les témoignages littéraires et épigraphiques serait cependant nécessaire afin de valider cette affirmation, mais le nombre d’entrées relevées sur le TLG est trop élevé pour que ce travail soit accompli dans le cadre de la présente recherche341. 338 « Et toutes les fois qu’elle (antécédent : ὁ ναυτικὸς στρατός) saisit l’une des îles, les Barbares, en s’emparant de chacune, attrapaient les habitants comme dans un filet. Ils procèdent de la manière suivante : en se tenant l’un l’autre par la main, ils s’étendent depuis la mer septentrionale jusqu’à la mer méridionale, et ensuite ils avancent à travers l’île entière en capturant les hommes ». 339 P. N. Doukellis, p. 286. La tactique militaire est similairement décrite au livre III des Histoires d’Hérodote (149, 1-3) : Τὴν δὲ Σάμον σαγηνεύσαντες οἱ Πέρσαι παρέδοσαν Συλοσῶντι ἔρημον ἐοῦσαν ἀνδρῶν. ; « Quant à Samos, les Perses, après avoir pris [les habitants] au filet, [la] remirent dépourvue d’hommes à Sylôson ». 340 Οἱ δὲ ἁλιεῖς συνορῶντες ὥσπερ ἀλεξήμασι παλαισμάτων τὰ πλεῖστα διακρουόμενα τὰς ἀπ’ ἀγκίστρου βολὰς ἐπὶ βίας ἐτράπησαν, καθάπερ οἱ Πέρσαι σαγηνεύοντες […] ; « Et les pêcheurs, en comprenant que la plupart des poissons, au moyen de manœuvres semblables à celles d’un lutteur pour vaincre un adversaire, évitaient le jet de l’hameçon, se sont tournés vers la force, exactement comme les Perses qui prenaient [les habitants] au filet […] ». 341 Le TLG en repère 1800 pour de δίκτυον et plus de 500 pour celui de σαγήνη. Du côté épigraphique, le Packhard Humanities Institute Inscriptions ne recense que sept inscriptions pour le lemme de δίκτυον et aucune pour celui de σαγήνη. Après avoir sommairement vérifié les documents, on peut stipuler que δίκτυον ou ses dérivés n’y recouvrent jamais le sens de réseau. Le Packhard Humanities Institute Inscriptions n’est toutefois pas un outil sans failles et une recherche rigoureuse dans les corpus papier serait indispensable. 84 3.4. Examen comparatif des systèmes théoriques et méthodologiques En association avec la théorie des réseaux, six cadres analytiques – l’analyse des réseaux sociaux, la small-world analysis, les six degrees of separation, l’exploratory social network analysis, la peer polity interaction, la world-system analysis – et une simulation informatique – le projet Pajek – ont été présentés dans les sections précédentes. La small-world analysis et les six degrees of separation ont en premier lieu été abandonnés, car il n’est pas question de démontrer que Thasos était liée aux acteurs de la scène internationale par un nombre restreint d’intermédiaires. Il en est allé pareillement pour l’exploratory social network analysis, qui étudie des réseaux sans hypothèses de départ. Entre la PPI, la WSA et la SNA, le choix s’est avéré beaucoup plus difficile. D’une part, certaines assises de la peer polity interaction ne se marient pas parfaitement avec la nature des φιλίαι discutées dans le deuxième chapitre. Si la matrice instaurée par C. Renfrew et J. F. Cherry dévie de l’explication « centre contre périphérie », celle-ci ne peut s’appliquer au cas de la seconde confédération, où Athènes compose le centre et les participants la périphérie342. Un autre volet de la peer polity interaction prévoit que chaque unité d’un réseau soit socialement et politiquement autonome, mais cette réalité reste somme toute difficile à prouver compte tenu du manque de sources. Par ailleurs, selon J. Ma, les interactions interpersonnelles et interétatiques propres à une cité, en plus du fait qu’elles fortifiaient les filiations entre individus et entre πόλεις, débouchaient sur la création de cartes cognitives et symboliques 343 . On se souviendra cependant que les cartes cognitives ne sont pas intrinsèquement liées à la théorie des réseaux (supra, note 324). Et même si la φιλία pourrait se conceptualiser en tant que processus cognitif, il pourrait s’avérer délicat d’en mesurer les propriétés structurales, étant donné qu’on serait contraint d’utiliser une banque de formules mathématiques appartenant à l’algèbre cognitive 344 . J. Ma a habilement contourné toute 342 343 344 Athènes a été qualifiée de « centre », car elle dominait la confédération et assoyait son autorité sur les autres membres, et les participants de « périphérie ». Il est toutefois primordial de prendre du recul par rapport au paradoxe capitaliste d’I. Wallerstein (1974), selon lequel le système mondial obéit à des critères économiques et à une division du travail. Les États dans le centre exploitent les États qui siègent dans la semipériphérie et dans la périphérie. La semipériphérie agit en guise d’intermédiaire entre le centre et la périphérie. Les États du centre importent les matières premières de la périphérie pour ensuite les exporter, à un prix supérieur, aux États du centre, de la semipériphérie et de la périphérie. Athènes soutirait manifestement de l’argent aux cités de la seconde confédération, mais la scène internationale du monde grec antique ne fonctionnait pas sur une division du travail. Voir K. Vlassopoulos, « Beyond and Below the Polis : Networks, Associations, and the Writing of Greek History », p. 16-18 ; K. Vlassopoulos, « Between East and West : The Greek Poleis as Part of a World-System », p. 93-95 ; Z. Maoz, p. 298-299 ; W. de Nooy, A. Mrvar et V. Batagelj, p. 34-36. J. Ma, p. 15-26. Z. Maoz, p. 37. 85 logique mathématique, mais il place toutes les cités dans une même catégorie de pairs. La πόλις perd ainsi de son originalité et le monde grec de son caractère composite345. Tout comme la PPI, la SNA et la WSA pénètrent la sphère des relations internationales. La différence majeure entre ces deux modèles réside dans leur champ d’investigation. Comme la SNA a été conçue par des sociologues et non par des politologues, elle a initialement pris pour point de mire la société. Les sociologues ne se sont pas pour autant empêchés d’ausculter la dimension des relations internationales. Leurs recherches ont contribué au développement de la WSA, notamment en ce qui concerne les distinctions entre centre, périphérie et semipéripherie. Mais les premiers qui ont appliqué la SNA aux relations internationales se sont vite heurtés à des problèmes conceptuels et ont négligé plusieurs implications empiriques associées aux théories des systèmes mondiaux. Contrairement à la SNA, la WSA privilégie l’analyse de réseaux dynamiques, où les relations, l’envergure et la nature d’un réseau changent à travers le temps. La SNA possède ainsi un inventaire incomplet d’outils théoriques et méthodologiques pour étudier des réseaux internationaux. En contraste, la WSA est devenue une théorie à part entière que lorsque les politologues se sont intéressés à la SNA. C’est pourquoi certains concepts et instruments mis en pratique dans la WSA dérivent de la SNA346. Avant la lecture des articles publiés par K. Vlassopoulos, la WSA n’avait pas été envisagée comme une alternative viable, car cette théorie est fondée sur les assertions du sociologue et économiste I. Wallerstein, pour qui le système des relations internationales reposait sur une stratification économique des États et sur une division du travail (supra, note 342). Abstraction faite des impasses théoriques et méthodologiques que Z. Maoz a attribuées à la WSA, K. Vlassopoulos offre une solution novatrice pour analyser les relations internationales de Thasos347. Ce dernier a affirmé que les systèmes mondiaux de l’Antiquité grecque ne répondaient pas en tous points au paradigme d’I. Wallerstein. Il est aussi allé à l’encontre de la conception selon laquelle on ne peut parler de système mondial que si un acteur maintient des contacts directs avec ses pairs. Il a de la sorte soutenu qu’un système mondial n’englobe pas obligatoirement le monde entier et peut cohabiter avec d’autres sur la 345 346 347 86 C. Michels, « The Spread of Polis Interaction in Hellenistic Cappadocia and the Peer Polity Interaction Model », p. 297. Z. Maoz, p. 17-18 et p. 26-27 ; W. de Nooy, A. Mrvar et V. Batagelj, p. 34. Z. Maoz, p. 303-305. Le chercheur a déploré que les théoriciens des systèmes mondiaux ne traitent pas des implications behaviorales qui déterminent la position des États dans un réseau. Il a mentionné que la binarisation des données issue des démonstrations empiriques conduit à une grande perte d’informations, par exemple sur la portée des relations entre deux acteurs, et que l’étalement de données sur de longues périodes peut entraîner de grands biais méthodologiques et des problèmes de fond, en occultant des réalités essentielles à la compréhension d’un réseau. scène internationale ; que son étendue peut changer de période en période et être historiquement reconstruite ; et qu’il peut exister sans être très structuré ou même cohérent348. Comme on peut le voir, aucune des méthodologies n’est exempte d’inconvénients, mais le choix de la WSA comme modèle d’analyse principal paraît approprié, attendu que cette approche est spécialement destinée au domaine des relations internationales et qu’elle peut aussi permettre d’étudier le cas de la seconde confédération. Les éléments des autres systèmes théoriques ne seront pas pour autant écartés et permettront d’étoffer la démonstration. 3.5. Thasos et la théorie des réseaux : vers la création d’un réseau thasien de φιλία Dans les sections précédentes, il a été montré que, pour les Grecs, la φιλία symbolisait plus qu’une simple formalité : elle figurait parmi les valeurs morales positives qui assuraient la sécurité et la stabilité des États et stimulait, seule ou en conjonction, la ratification d’accords bilatéraux ou multilatéraux. Il semble opportun de penser que les modalités et les circonstances de coopération internationale ont concouru à la création de réseaux de φιλία et que ces réseaux ont progressé à l’intérieur d’un système complexe de relations internationales, mais aussi que les contours peuvent être saisis grâce à la théorie des réseaux. Le regard que les spécialistes en études anciennes ont posé sur la théorie des réseaux n’est pas sans importance pour l’analyse de la φιλία dans les relations internationales de Thasos. L’enquête réalisée au premier chapitre a prouvé que la φιλία a évolué dans un contexte dynamique, où chaque acteur pouvait et savait profiter d’une relation érigée sur celle-ci. Il faut toutefois spécifier qu’à elle seule la φιλία catalysait rarement les missions à l’étranger et que les πόλεις recherchaient et structuraient des rapports de φιλία en simultanéité avec d’autres types de relations. Il a également été constaté que la notion suscitait des échanges formels et informels : elle consolidait et encourageait les efforts diplomatiques, en protégeant et en promouvant les intérêts des Grecs et des acteurs dominants. Selon ses assises conceptuelles, il peut être admis que le mot φιλία correspond à un réseau et que des réseaux de φιλία peuvent être découverts par l’analyse des rapports extérieurs de Thasos. Il est fort probable que les premiers réseaux de φιλία aient émergé au Ve siècle avec la Ligue de Délos ou la Ligue du Péloponnèse ; néanmoins, comme les décrets constitutifs de ces organisations ont disparu, il est inévitable de se reporter au prospectus de la seconde 348 K. Vlassopoulos, « Beyond and Below the Polis : Networks, Associations, and the Writing of Greek History », p. 16-18 ; « Between East and West : The Greek Poleis as Part of a World-System », p. 93-95. 87 confédération. Il est nécessaire d’observer que l’idée dominante du texte n’était pas la φιλία, mais bien la συμμαχία, et que l’εἰρήνη et la φιλία ne s’avéraient effectives et permanentes que dans le cadre de cette συμμαχία. La mention de φιλία ne doit pas être marginalisée pour autant. La seconde confédération permettait aux Athéniens d’honorer et d’actualiser les engagements de φιλία entre certaines cités, puis entre les Grecs et Artaxerxès II 349 . Les empreintes de φιλία antérieures à la seconde confédération invitent à ne pas sous-estimer la pertinence et la signification du concept dans le document. Pour Thasos, la φιλία s’inscrivait dans le prolongement de l’intervention d’Ekphantos. À la lecture du prospectus, il pourrait être affirmé que Thasos se trouvait techniquement en état de συμμαχία, d’εἰρήνη et de φιλία avec au moins une soixantaine d’alliés350. D’un point de vue structurel cependant, la seconde confédération appartient à la catégorie des réseaux d’affiliation. Par conséquent, les membres n’auraient entretenu une φιλία que par l’entremise d’Athènes, qui canalisait et contrôlait la συμμαχία, l’εἰρήνη et la φιλία. Les échecs successifs de Thasos et de quelques autres cités à se dissocier de la Ligue de Délos ou de la seconde confédération renseignent effectivement sur la position dominante d’Athènes au Ve et au IVe siècle. En conformité avec la théorie des réseaux, Athènes accaparait le centre du réseau de συμμαχία, εἰρήνη et φιλία, tandis que les cités-membres étaient reléguées à la périphérie. Il est toutefois essentiel de délaisser l’approche athénocentriste pour examiner le réseau de φιλία thasien. Au plus fort de sa puissance, la ligue de Délos cumulait approximativement trois cent trente membres et la seconde confédération soixante-dix. Si les cités ont déploré l’attitude impérialiste d’Athènes au Ve siècle, au moins trente-neuf d’entre elles se côtoyaient à nouveau au IVe siècle351. À l’exclusion d’Athènes, de Paros, de Néapolis, de Rhodes et de Samothrace, il n’est pas certain que Thasos ait maintenu des contacts directs avec les autres 349 350 351 88 L’εἰρήνη καὶ φιλία sont déclarées dans le traité d’alliance entre Athènes et Chios (384/3), où il est encore question des anciens accords entre les Grecs et avec Artaxerxès II (P. J. Rhodes et R. Osborne, Greek Historical Inscriptions, no 20, l. 9). Les συμμαχίαι de Méthymne (378/7), de Corcyre, d’Acarnanie et de Céphallénie (375/4), stipulent que des ambassadeurs avaient juré les mêmes serments que les autres alliés, mais sans que la φιλία ait été évoquée (P. J. Rhodes et R. Osborne, nos 23-24). Sur le total des entrées repérées par les chercheurs sur la pierre, huit demeurent indéchiffrables. Voir C. A. Baron, « The Aristoteles Decree and the Expansion of the Second Athenian League », Hesperia 75 (2006), p. 379-395, a expliqué que l’effacement de la ligne 111 visait à corriger une erreur de répétition. Pour cibler les participants de la ligue de Délos, on se réfèrera aux trois volumes de B. D. Meritt, H. T. Wade-Gery et M. F. McGregor, The Athenian Tribute Lists, Cambridge, Harvard University Press, 1939-1950 ; à l’ouvrage de R. Meiggs, The Athenian Empire, Oxford, Clarendon Press, 1972, p. 234-254 et p. 524-561 ; à l’article de B. Paarmann, « Geographically Grouped Ethnics in the Athenian Tribute Lists », in T. H. Nielsen (éd.), Once Again : Studies in the Ancient Greek Polis, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2004, p. 77-109. En ce qui a trait à ceux de la seconde confédération, voir P. J. Rhodes, Greek Historical Inscriptions, no 22. membres de la confédération, puisqu’elles dépendaient avant tout de l’autorité d’Athènes. Les traces matérielles amènent à penser que certaines d’entre elles ont tôt ou tard collaboré avec Thasos ou avec ses citoyens352. Les relations de Thasos avec Maronée et Abdère ont déjà été abordées quelque peu dans le second chapitre. La période archaïque fut caractérisée par un climat de dissension : Thasos et Maronée s’étaient disputé la possession de Strymè et Abdère avait dénoncé l’île aux Perses. Les querelles entre Thasos et Maronée ne s’étaient pas non plus estompées au IVe siècle, lorsqu’Athènes dut leur imposer un règlement à l’amiable à propos de Strymè353. Les deux cités paraissent malgré tout s’être réconciliées par la suite. Au IIe siècle, des similitudes frappantes se remarquent entre les effigies de Dionysos sur les tétradrachmes maronitains et thasiens. C. Dunant et J. Pouilloux ont exprimé l’idée que « s’adressant à la même clientèle, les deux cités, pour faciliter les échanges, avaient adopté un monnayage apparenté »354. Les contacts entre Thasos et Abdère semblent eux aussi s’être raffermis au fil du temps. En sus de la fréquence élevée de bronzes abdéritains à Thasos et les trouvailles d’anses d’amphores, l’épigraphie atteste la venue d’au moins trois Abdéritains dans l’île : Hermothestos (ca. 350), Tharsynôn (ca. 350) et Philippe (époque impériale)355. De plus, Abdère est énoncée aux côtés de Thasos dans la lettre de Dolabella (80-78)356. À n’en pas douter, l’aboutissement de la 352 353 354 355 356 On consultera l’annexe 2 sur la mobilité internationale des Thasiens et des étrangers à Thasos. De même, la numismatique, bien qu’équivoque sur la tenue de rapports commerciaux, éclaire sur la dispersion des monnaies thasiennes à l’international et sur la provenance des monnaies étrangères à Thasos. À ce sujet, on consultera les cartes « Dispersion des monnaies thasiennes hors de Thasos » et « Lieux de provenance des monnaies étrangères trouvées à Thasos » élaborées par C. Dunant et J. Pouilloux, Rech. II, entre les p. 8-9 et 10-11. Outre Athènes, seule Ténédos se rencontre sur les deux cartes. On sait d’ailleurs que des pièces de l’Héraklès sôter thasien ont été surfrappées à Ténédos au I er siècle (J. Pouilloux, Rech. I, p. 426). Pour ce qui est des autres membres de la seconde confédération, les monnaies de quinze d’entre eux ont circulé à Thasos, sans démarcation temporelle stricte : Érésos, Méthymne, Byzance, Périnthe, Mytilène, Chios, Ténos, Chalcis, Ainos, Rhodes, Samothrace, Néapolis, Abdère, Maronée et Péparethos. Parmi ce groupe, Thasos avait entretenu des relations tendues avec Ainos à l’époque archaïque, au moment où des Thasiens furent expulsés de cette cité. Par ailleurs, le fait que Thèbes pratiquait le culte d’Athéna Propylaia la reliait possiblement à Thasos, où la déesse a reçu cette épithète (C. Dunant et J. Pouilloux, p. 229-230). À l’égard de Chios, il ne serait pas surprenant qu’elle ait effectué des échanges commerciaux avec Thasos, à l’image des liens que cette dernière avait forgés avec les autres îles (Paros, Cos, Rhodes, Samothrace, Samos, Lesbos, etc.). Démosthène, Lettre de Philippe, 17. Sur Maronée, cf. J. Pouilloux, Rech. I, p. 221-223 ; C. Dunant et J. Pouilloux, Rech. II, p. 5-6 et 10. D’après leurs stèles commémoratives, Tharsynôn aurait reçu les honneurs à Thasos et Philippe y aurait été enterré. Quant à Hermothestos, on ne connaît pas la raison de son voyage sur l’île. Au sujet d’Abdère, voir J. Pouilloux, p. 57 et 316-317, no 110 ; C. Dunant et J. Pouilloux, p. 10, 174, et 234-235, no 411. C. Dunant et J. Pouilloux, Rech II, no 175, col. 1, l. 12 ssq. Aux pages 49-55, les auteurs ont suggéré que la mention d’Abdère coïncide avec les honneurs et privilèges que Sylla avait promis aux cités restées loyales à la cause de Rome contre le roi de Cappadoce, Ariarathe IX. Dès lors, la lettre de Dolabella informerait des concessions accordées à Thasos et à Abdère. 89 seconde confédération redonna une plus grande souplesse aux relations internationales de Thasos, comme le révèle le graphique357 : Istros Macédoine Philippes Amphipolis Thessalonique Olynthe Rome Néapolis Thasos Ainos Téroné Épire Larisa Spalauthra Érésos Lysimacheia Parion Lampsaque Samothrace Assos Mytilène Delphes Achaïe Phrygie? Galatie Smyrne Béotie Oropos Athènes Tralles Samos Rhénée Milet Délos Paros? Éphèse Cos Rhodes Mallos Alexandrie Thèbes Wadi Abou Diyeiba Figure 1 : Réseau de φιλία thasien, de la fin du IVe à la fin du Ier siècle, selon la mobilité internationale et les mentions honorifiques La figure 1 appartient à la catégorie des réseaux relationnels et schématise les relations internationales de Thasos, à l’époque hellénistique, selon trois ensembles de couleurs 358. Le groupe rouge rassemble les acteurs avec lesquels la cité partageait une φιλία depuis la période classique (Rhodes et Samothrace) ou seulement à la période hellénistique359. Le groupe bleu complète le dossier des juges et des citoyens qui ont prêté main-forte à des cités en s’y rendant ou à partir de leur lieu de résidence. Dans un cas comme dans l’autre, les Thasiens obtinrent les éloges et des privilèges de la cité qu’ils avaient tirée d’affaire, mais pas la φιλία. Enfin, le groupe jaune réunit les entrées où la φιλία n’est pas nommée et où les raisons qui ont entraîné le mouvement ou l’octroi de distinctions ne sont pas connues. Les unités de ces 357 358 359 90 Il n’a pas été question de façonner un graphique pour le réseau de la seconde confédération, car les variantes spatio-temporelles et le corpus des sources sont trop vastes et complexes pour arriver à une représentation « fidèle » de la réalité. On consultera l’annexe 2 pour bien comprendre toutes les statistiques qui seront étudiées et qui serviront à l’analyse de la figure 1. Il est entendu par « Thasiens » ou « étrangers » tous les individus venant d’une région donnée, qu’ils soient citoyens dans leur cité ou esclaves. Athènes a été exclue de ce groupe, car aucun document ne prévoit l’extension de la φιλία avec Thasos après la seconde confédération. Il en est allé de même pour les autres membres (Paros, Ainos, Érésos et Mytilène), puisqu’on ne peut véritablement saisir l’étendue des relations entre ces cités et Thasos durant la seconde confédération. Thessalonique a été coloriée en rouge sur le seul fait des liens de φιλία entre Thasos et Rome, qui impliquait dans le processus les autorités romaines installées à Thessalonique. ensembles peuvent être scindées en deux catégories : (1) les endroits où des Thasiens sont allés ou ont été loués ; (2) les origines des étrangers qui sont venus à Thasos ou y ont été loués. En chiffres, la combinaison des informations compilées dans l’annexe 2 et reproduites par la figure 1 a mené aux résultats suivants : IIIe-IIe s. IIe-Ier s. Datation floue Total Thasiens à l’étranger ou loués à l’étranger >10 / 11 >41 2 >53 / 54 Étrangers à Thasos ou loués à Thasos Total >14 26 5 >45 >24 / 25 >67 7 >98 / 99 Figure 2 : Tableau statistique sur la mobilité internationale et les mentions honorifiques des Thasiens à l’étranger et des étrangers à Thasos Au premier abord, les chiffres transcrits tiennent compte de la disponibilité et de la fiabilité des sources littéraires et épigraphiques. Leur importance ne doit néanmoins pas être surestimée, d’autant plus que les cités énumérées dans l’annexe 2 n’ont pas forcément entretenu des relations continues avec Thasos. Les signes « > » dénotent une incapacité à évaluer le nombre exact d’individus concernés par les textes, mais on sait que là où ils sont employés, leur somme est supérieure à celle qui est avancée. La figure 2 illustre le fait que le mouvement des Thasiens à l’étranger ou des étrangers à Thasos s’était accru à la basse époque hellénistique. Il en est de même pour les titres décernés aux Thasiens ou aux étrangers. Le déséquilibre flagrant entre les cas inventoriés pour la haute et la basse époque hellénistique se traduit par le manque de renseignements sur Thasos entre 323 et 196. La même réalité est reflétée dans le prochain tableau : IIIe-IIe s. IIe-Ier s. Total Thasiens à l’étranger ou loués à l’étranger 1 >31 >32 Étrangers à Thasos ou loués à Thasos Total >2 >10 >12 >3 >41 >44 Figure 3 : Tableau statistique sur la mobilité internationale et les mentions honorifiques des Thasiens et des étrangers du point de vue des relations de φιλία La figure 3 vise à situer la φιλία dans les processus de mobilité internationale et d’attribution des honneurs. En comparant les totaux des deux dernières figures, il est possible de voir que le corps des Thasiens ou des étrangers s’étant déplacés ou ayant été loués constitue presque la moitié de tous les cas. Il semble ainsi que les Thasiens furent plus actifs 91 sur la scène extérieure que les étrangers à la basse époque hellénistique, mais aussi que les fonctions assumées par ceux-là inspiraient et animaient les relations de φιλία. Parmi les décrets qui confirment l’octroi de la φιλία, les chercheurs ont partiellement ou entièrement restitué le nom de deux délégués chargés d’en apporter une copie à Thasos. À l’égard de la φιλία / amicitia entre Thasos et Rome, on ne connaît à ce jour qu’une seule ambassade de nombre indéterminé qui s’est adressée au Sénat sous Sylla et au moins cinq Thasiens qui ont côtoyé les autorités romaines de Thessalonique. Les Thasiens profitèrent de chaque occasion pour réitérer leurs liens de φιλία et firent en sorte que les décisions prises par le Sénat soient appliquées à la lettre par les autorités romaines de Thessalonique. Après la déclaration de Flamminus et la venue de Lucius Sterninus à Thasos en 196, deux Pompée furent élus patronus par la cité et un certain Gaius Agellios fut honoré. Enfin, lors de la bataille de Philippes, Thasos avait hébergé les troupes républicaines de Brutus et Cassius avant que Marc-Antoine ne débarque dans la cité. Les résultats enregistrés dans cette dernière sous-partie découlent essentiellement de la théorie des réseaux. Les aspects méthodologiques de la SNA ont été accentués par la configuration de graphes et de tableaux-matrices. Le réseau conçu pour la figure 1 appartient à la catégorie des réseaux relationnels en établissant le type de relation qui rattachait Thasos aux cités. Les flèches qui y sont dessinées indiquent la direction des individus ou des honneurs. Les interprétations de ce réseau considèrent la multiplexité des rapports, par exemple le recoupement de relations politiques, diplomatiques, économiques et religieuses. En association avec les informations amassées sur la seconde confédération, la SNA aide à appréhender les dynamiques du réseau de φιλία thasien à travers le temps. Les facteurs qui en définissent et modifient les contours sont par-dessus tout exogènes, puisque la φιλία fut plus souvent offerte à Thasos que le contraire. Les analyses peuvent être poussées un peu plus loin en soulevant les trois caractéristiques inhérentes à l’existence d’un système mondial, soit la présence de processus, de centres et de formes de changements. Dans ses fondements théoriques, la seconde confédération fut établie sur les principes de la συμμαχία, de l’εἰρήνη et de la φιλία, mais il est impossible de jauger la portée de la φιλία. Après que Thasos eut rejoint la κοινή εἰρήνη de Philippe II, un amenuisement des liens entre Thasos et les membres de la seconde confédération se perçoit. Entre la fin du IVe et le Ier siècle, seulement quatre cités auraient reçu des Thasiens (Athènes, Paros ?, Rhodes et Samothrace), alors que Thasos aurait accueilli des individus originaires d’Ainos, d’Athènes, d’Érésos, de Mytilène, de Néapolis et de Rhodes. À la période hellénistique, les rapports de 92 Thasos avec l’étranger augmentèrent. La plupart des cités où des Thasiens s’étaient déplacés ou auxquelles ils avaient porté secours avaient en retour conféré ou renouvelé la φιλία. Mais les motifs qui conduisirent les Thasiens à l’étranger ne se restreignaient pas à ces personnages. On discerne notamment un négociant, [P]isistrate, fils de Mnésistratos, à Istros (début IIIe s.) ; un [A]rotès, fils d’Arotos, vainqueur aux Eleutheria de Larisa (début IIe s.) ; des théores-proxènes et des initiés aux Mystères de Samothrace (IIe-Ier s.) ; et peut-être un A[lex]andros, qui aurait été historien-conférencier à Paros (fin IIe ou début Ier s.). Le prestige de riches notables thasiens se constate encore chez Nossikas, fils d’Héras (300 a.C.) ou les fils de Pempidès, Hestiaios et Dionysodôros (IIe-Ier s.). Pour ce qui est des étrangers à Thasos, deux frères, Symmachos et Satyriôn, achetèrent la citoyenneté thasienne (début IIIe s.) ; des juges venus de Parion (IVe-IIIe s.) et de Cos (IIIe s.) ; des ambassadeurs chargés d’apporter des décrets à Thasos ([Zénodot]e, fils d’Aristomaque, vraisemblablement dans la seconde moitié du IIe siècle, et Thémistos, fils de Phanodikos, au Ier siècle) ; et plusieurs épitaphes. Même si les sources demeurent muettes à ce sujet, le cabotage de navires marchands dans les eaux thasiennes doit être considéré. En dernier lieu, il faut noter les incursions du roi Philippe V et de son général Métrodore (202), de Lucius Stertinius (196), des armées pontiques de Mithridate VI Eupator (entre 88-85), et des troupes de Brutus et Cassius lors de la bataille de Philippes (42). Les allées et venues ou les services des Thasiens et des étrangers incitaient les échanges de biens. Thasos avait exporté du marbre à Samothrace et de ses timbres amphoriques ont été découverts à Samothrace, à Smyrne et à Rhodes. À l’inverse, de la céramique mélienne provenant de Smyrne et de Samos a été trouvée à Thasos. La circulation des séries monétaires thasiennes et des monnaies étrangères à Thasos pourrait tout aussi bien révéler les zones d’activités mercantiles. Nossikas et Dionysôdoros auraient usé de leurs moyens financiers pour venir en aide aux cités de Lampsaque, Assos et Rhodes. Le premier avait par exemple acquitté la rançon de prisonniers capturés durant un combat naval ainsi que les frais de leur retour à Lampsaque. Par ailleurs, il va de soi que la bataille de Philippes (42) avait nécessité un transport de marchandises, puisque les troupes républicaines avaient utilisé Thasos comme base de ravitaillement. En synchronisme avec ces mouvements de personnes et de biens, des mouvements d’idées peuvent être décelés. Selon l’argumentation de J. Ma, l’application, la diffusion et l’exposition des décrets dans un lieu public favorisait l’enracinement de liens durables entre les acteurs de la scène internationale, tout en garantissant la perpétuité et le renforcement des valeurs et des idéaux 93 grecs. L’échange de φιλία était accompagné et soutenu par les concepts de συγγένεια (Tralles et Milet), d’οἰκειότης (adjectif oἰκεῖος dans les textes de Samos), d’εὔνοια (Samos, Milet, Smyrne, Tralles et Assos) et de συμμαχία (Rome). Les contacts directs avec le Sénat et les autorités romaines de Thessalonique ne pouvaient qu’optimiser la transmission bilatérale de connaissances : les Thasiens participaient à l’exportation de la culture grecque vers Rome et à l’importation de la culture romaine vers le monde grec. Le titre de patronus accordé aux deux Pompée et l’hospitalité allouée aux troupes républicaines de Brutus et Cassius témoignent d’une ouverture à la culture et aux stratégies militaires romaines. Le sondage sur les mouvements de personnes, de biens et d’idées permet d’apprécier le rôle des centres. La figure 1 montre que les puissances de la scène internationale avaient été visitées par des Thasiens ou qu’elles leur avaient octroyé les honneurs à la période hellénistique. Les relations entre Thasos et Alexandrie (centre religieux, culturel, scientifique, académique, politique et économique) sont restées plutôt limitées à la période hellénistique, et ce, même si Alexandrie s’était érigée comme l’un des principaux centres de pouvoir en mer Égée. Les notions de distance et de proximité expliquent cette situation. Tandis qu’Alexandrie était séparée de Thasos par une forte distance géographique, Rome (centre politico-économique) s’était rapprochée de l’île en installant des légats à Thessalonique. La proximité entre Thasos et Rome avait sans doute entravé les correspondances entre Thasos et Alexandrie, puisqu’aucune trace de Thasiens en Égypte à la basse période hellénistique n’est relevée. Au-delà d’Alexandrie et de Rome, on remarque le mouvement de Thasiens vers les centres religieux (Samothrace, Delphes, Oropos et Délos), économiques (Délos, Cos, Rhodes, Amphipolis et Thessalonique), politiques (Amphipolis, Thessalonique et Larisa), ainsi que culturels, scientifiques et académiques (Cos, Rhodes et Athènes) 360 . Pour leur part, les 360 94 Delphes et Oropos abritaient des sanctuaires oraculaires : l’oracle à Apollon et l’oracle d’Amphiaraos. Le sanctuaire d’Apollon à Délos était l’un de plus influents dans le monde grec et avait contribué à la fondation de l’oracle delphique. À compter de 167, Délos devint un centre économique majeur, après que les Romains l’eurent déclaré port franc. Au cours de la période hellénistique, Cos avait noué une alliance avec les Lagides. La cité était utilisée comme base militaire pour les escadres ptolémaïques et comme centre de formation académique pour les princes de la dynastie. Elle possédait une école médicale réputée et son vin était renommé. Rhodes, de son côté, avait noué une alliance avec les Lagides, ce qui lui avait permis de contrôler les échanges marchands dans la mer Égée. Tout comme Athènes, Rhodes était reconnue pour ses écoles de philosophie, de science, de littérature et de rhétorique, où furent éduqués Grecs, Romains et familles royales. Amphipolis et Thessalonique, toutes deux traversées par la Via Egnatia, représentaient des artères commerciales au nord de l’Égée. Après la victoire de Rome sur Persée (168), elles devinrent les capitales de merides, soit des districts régionaux institués par les Romains. À la création de la province de Macédoine en 146, Thessalonique fut désignée capitale et les autorités romaines s’y installèrent. Quant à Larisa, elle était la métropole de la ligue thessalienne. Dès le IIe s., elle organisa, aux deux ou quatre ans, des jeux en l’honneur de Zeus Eleutherios (les Eleutheria). Sur les cités à l’époque hellénistique, cf. N. Wilson (éd.), Encyclopedia of Ancient Greece, New York, Routledge, 2010 (2006), p. 42 (Amphipolis), p. 112 (Athènes), p. 189 (Cos), p. 209-210 (Délos), p. 210-211 (Delphes), p. 335-336 (Oropos), p. 627-628 étrangers rencontrés à Thasos provenaient des centres dominants (Macédoine et Rome), religieux (Délos), économiques (Rhodes, Amphipolis et Thessalonique) et politiques (Amphipolis, Thessalonique, les ligues béotienne et achéenne), ainsi que culturels, scientifiques et académiques (Athènes et Rhodes). Les impacts de ces divers centres sur le réseau de φιλία thasien peuvent être relativisés en explorant les types de changements. K. Vlassopoulos a répertorié trois catégories de changements : l’actor change porte sur « the nature of the actors or diverse entities that compose an international system » ; le control change est « a change in the form of control or governance of an international system » ; et le interaction change, « a change [that] may take in the form of regular interactions or processes among the entities in an ongoing inernational system » 361 . Les transformations qui sont survenues sur le réseau de φιλία thasien peuvent être envisagées en regard de ces trois formes. Entre la fin du IVe et le Ier siècle, le passage progressif d’Athènes et des royaumes hellénistiques vers la périphérie, puis l’émergence de Rome comme centre dominant, ont influé sur l’évolution du réseau de φιλία thasien. Alors que Thasos ne détenait pas une grande marge de manœuvre sous la seconde confédération et qu’elle fut peu subordonnée à l’emprise des rois, la cité semble avoir amorcé une phase de repli diplomatique et militaire dans les années postérieures à la bataille de Chéronée. À la fin du IVe et dans la première moitié du IIIe siècle, elle entama une série de constructions publiques, qui manifestent la prospérité et la vitalité interne de la cité362. En contraste avec l’« atonie » du IIIe siècle, Thasos reprit la frappe de ses émissions monétaires après 196363. La déclaration de Flamininus marqua ainsi un tournant pour la cité, qui recouvra une certaine autonomie. C’est à partir de cet instant et avec les faveurs de Rome qu’elle commença à moderniser son système de relations internationales. S’ensuivit un changement de contrôle. La préséance des monarchies ne contraria pas totalement le jeu politique des cités. Thasos put en effet dicter ses conditions à Philippe V avant de le laisser pénétrer dans son enceinte. Le même bilan convient à la période romaine. Les décrets de φιλία avec les cités grecques attestent que Thasos maîtrisait son réseau de φιλία. Sur l’ensemble des témoignages recensés, la cité reçoit toujours en don la φιλία pour les services de ses citoyens à l’étranger. Le poids de Rome n’est certes pas à négliger, car les 361 362 363 (Rhodes), p. 701 (Thessalonique). Sur Larisa, on se reportera à D. Graninger, Cult and Koinon in Hellenistic Thessaly, Leiden / Boston, Brill, 2011, p. 74-78. On verra aussi l’analyse sur Délos et Rhodes de K. Vlassopoulos, « Between East and West », p. 105 et n. 81. K. Vlassopoulos, « Beyond and Below the Polis », p. 19-20. O. Picard, « Thasos et la Macédoine au IVe et au IIIe siècle », p. 766-776. O. Picard, « Thasos et sa monnaie au IIe siècle : catastrophe ou mutation ? », p. 283-287. 95 intérêts de Thasos obligeaient la tenue de rapports cordiaux avec la puissance. Un changement d’interaction est ainsi perceptible. Au demeurant, la φιλία καὶ συμμαχία conclue avec le Sénat coïncide avec l’expansion du système de relations internationales thasien. Si les sources de la haute période hellénistique corroborent un ralentissement sur les activités diplomatiques de Thasos, il en va autrement pour la basse période hellénistique. L’affermissement de la φιλία constitue le principal changement d’interaction, opéré par la bonne entente avec les autorités romaines. Au contraire d’Athènes et des royaumes hellénistiques, Rome avait confié une plus grande liberté d’action aux cités qui avaient fait preuve de loyauté envers elle. En plus de la période de repli, cette conjoncture pourrait expliquer la très faible fréquence de la φιλία thasienne à la période classique et à la haute époque hellénistique. À la basse époque hellénistique, les accords de φιλία occupèrent une place importante dans les affaires extérieures de Thasos. Le recours à la φιλία dans les décrets instituait une nouvelle manière pour Thasos de pratiquer sa diplomatie internationale, notamment dans ses contacts avec Rome, les cités d’Asie Mineure et les îles grecques. Par l’existence de processus, de centres et de formes de changements, on peut déduire qu’un réseau de φιλία encadrait et fortifiait le système de relations internationales thasien. 3.6. Remarques conclusives L’analyse du cas thasien au moyen de la WSA a prouvé que la φιλία évoluait à l’intérieur d’un système complexe de relations internationales. À titre de centre politico-économique, Thasos avait capté l’attention du monde grec et des acteurs dominants, notamment en raison de l’importante zone d’influence qu’elle s’était créée 364 . Les renseignements sur le sort et les limites de la Pérée thasienne à la période hellénistique sont cependant très restreints, si ce n’est que les lettres de Sylla et de Dolabella apprennent que les rois thraces Rhoemétalcas, Tiouta et Abloupris avaient enlevé des possessions continentales à Thasos pendant la guerre de Mithridate et que les biens et les territoires dérobés furent restitués par Sylla365. L’emplacement privilégié de la cité au Nord de l’Égée lui avait permis de développer ses rapports avec le monde extérieur. À la période hellénistique, les liens qu’elle entretint avec les centres de pouvoir coïncidèrent avec l’émergence du réseau de φιλία thasien. La φιλία avec Philippe V et la φιλία καὶ συμμαχία avec Rome l’avait effectivement aidée à bâtir 364 365 96 K. Vlassopoulos a discuté des centres qui possédaient des zones d’influence dans « Between East and West », p. 104. C. Dunant et J. Pouilloux, Rech. II, p. 44 et 50. des relations solides avec le reste du monde grec sans que ces acteurs se soient sentis menacés. Le mouvement des Thasiens ou encore les mentions honorifiques qu’ils avaient reçues avaient engendré des mouvements de biens, puis d’idées ou de technologies. Les analyses précédentes ont clairement montré l’évolution spatio-temporelle de ces trois types de processus et les points de convergence qui existaient entre eux. En ce qui concerne les changements, les modifications qui ont affecté le réseau de φιλία thasien peuvent être récapitulées. La φιλία surgit d’abord dans les relations de Thasos à la période classique et s’affirme à la basse époque hellénistique, grâce aux missions diplomatiques ou aux services rendus par les Thasiens à l’étranger. Les analyses attestent par ailleurs qu’un réseau de φιλία thasien appuyait la mobilité internationale, ainsi que la transmission de ressources matérielles et de cadeaux symboliques vers et hors de Thasos. 97 Conclusion La documentation littéraire et épigraphique montre bien l’importance du concept de φιλία au sein des des cités grecques, mais aussi sa prégnance dans les relations que ces sociétés entretenaient entre elles : au sein de la πόλις, la notion s’accorde avec les idées de justice, de sagesse, d’égalité, de liberté et de concorde, tandis que sur la scène extérieure, elle légitime les interactions entre États. La φιλία venait donc renforcer ou renouveler les rapports de συμμαχία, de συγγένεια, d’εὔνοια et d’εἰρήνη. Lors de la seconde confédération, des règles déterminées par Athènes régissaient la φιλία, qui restait effective tant et aussi longtemps que durait la confédération ; les cités-membres connaissaient de la sorte les exigences et les devoirs liés à leur participation. En revanche, avec l’éclatement de la seconde confédération et l’effacement progressif des monarchies avaient permis à plusieurs cités de recouvrer une certaine liberté d’action et Thasos bénéficia naturellement de cette conjoncture. La φιλία thasienne se révèle ainsi beaucoup plus dynamique à l’époque hellénistique. À l’instar du cas thasien, une cité pouvait disposer d'un réseau de relations fondé sur la φιλία par le truchement des mouvements de personnes, de biens, d’idées ou de technologies pour gagner les faveurs de l’étranger. Bien qu’il soit difficile, dans la majorité des cas, de savoir si la φιλία échangée entre les acteurs était formelle, réelle ou factice, il est possible de réfléchir à la portée et aux implications du concept. L’argumentation a cherché à dégager deux axes complémentaires, qui aident à mieux comprendre les changements sur les usages et les fondements de la φιλία entre les époques archaïque, classique et hellénistique. Au premier chef, la φιλία s’opérait par intégration horizontale, dont les contours ont été examinés sous les angles sociétal et international. Aux périodes archaïque et classique, les philosophes ont surtout abordé la φιλία en fonction de ses aspects sociétaux. En vue d’enrayer le problème de l’infidélité des φίλοι, dont Théognis se fit le dénonciateur au VIe siècle, les penseurs des Ve et IVe siècles se proposèrent de fixer des préceptes et des obligations morales à la φιλία. Aristote distingua trois catégories de φιλία : la φιλία vertueuse, la φιλία utilitaire et la φιλία avantageuse. Dans leur traitement analytique de la φιλία, les auteurs anciens positionnèrent la φιλία vertueuse comme l’incarnation parfaite des liaisons et comme l’état que le φίλος se devait de poursuivre. Et s’ils considéraient les deux autres modèles comme des formes imparfaites de φιλία, ils concédèrent que la φιλία vertueuse s’exerçait avec le concours de l’utilitaire et de 99 l’avantage. Dans leur ensemble, les idéaux développés par les philosophes étaient non seulement destinés aux rapports entre individus, mais aussi aux rapports entre cités. Le dossier des citoyens thasiens à la période hellénistique constitue sans aucun doute le meilleur exemple sur l’articulation implicite des idéaux aristotéliciens et platoniciens dans les rapports entre cités. Puisqu’ils s’étaient montrés dignes de confiance, plusieurs Thasiens avaient reçu des privilèges de la cité qu’ils avaient épaulée. La plupart d’entre eux avaient récolté le titre de φίλος et avaient conséquemment gagné la φιλία de la cité étrangère pour Thasos. Il serait donc tentant d’apercevoir, à travers la bonne réputation des Thasiens, la manifestation de la φιλία vertueuse. Mais les liens de φιλία promettaient bien plus qu’une φιλία de principe. Ils excédaient souvent, pour ne pas dire toujours, le domaine moral en incluant les dimensions de l’utilitaire et de l’avantage. Ils débouchaient effectivement sur la distribution de ressources, qui se produisaient en aval et en amont de la cité (mouvements de biens, puis d’idées et de technologies). Dès lors, la πόλις avait tout intérêt à entretenir des relations cordiales avec ses pairs, car ces liens pouvaient contribuer au bien-être de la cité tout en s’avérant lucratifs. Cette conjoncture s’appliquait également à l’intégration verticale, c’est-à-dire la transition de la φιλία à partir du cadre sociétal (de l’individu vers les élites politiques) vers le cadre international (de l’individu et des élites vers la cité), puis de la cité vers les acteurs dominants. Selon les théories philosophiques, les φιλίαι concernaient la sphère interpersonnelle de l’individu et jalonnaient son parcours politique. Tout au long de sa carrière, l’homme politique était tenu de privilégier la φιλία vertueuse, sans quoi il ne pourrait assurer une juste gestion de sa cité. Le régime auquel il adhérait indiquait la direction qu’il prendrait en regard de la φιλία. Alors que la royauté, l’aristocratie et la démocratie étaient susceptibles de donner libre cours à la φιλία, la tyrannie, la timocratie et l’oligarchie tendaient à en limiter les expressions. Au point de vue des réseaux d’affiliation, les cités qui avaient rejoint les ligues gouvernées par Athènes et Sparte s’étaient vu imposer des régimes favorables à la cause de l’une ou de l’autre. La φιλία mentionnée dans le prospectus ne peut donc pas servir à établir une corrélation directe entre le genre de régime politique qui était en vigueur dans les cités et le type de φιλία qui prévalait entre les membres. À la période hellénistique, le régime des cités avec lesquelles Thasos entretenait des relations ne paraît pas avoir été un critère préalable à l’octroi de la φιλία. Une étude plus poussée sur le statut politique des acteurs internationaux est pour le moins essentielle afin de tirer des conclusions définitives366. 366 Il va de soi que le royaume de Macédoine, Rome et Thessalonique ne sont pas visés par cette perspective. 100 À l’image des rapports horizontaux entre cités, les rapports verticaux avec les acteurs dominants dépendaient de la conduite des notables et des ambassades (mouvements de personnes). Il faut cependant attendre la période hellénistique avant d’observer l’affermissement et les implications de la φιλία. Les traités de φιλία reposaient avant tout sur l’usage des mécanismes traditionnels, ainsi que sur la capacité des Grecs à en accommoder les fondements dans leurs interactions avec les puissances. Outre le recours aux concepts de συμμαχία, de συγγένεια, d’οἰκειότης, d’εὔνοια et d’εἰρήνη avec les monarques et les autorités romaines, les inscriptions attestent l’introduction du mot πατρωνεία dans le langage diplomatique grec, qui visait tout aussi bien à faciliter les interactions des cités avec Rome. Ces ajustements étaient nécessaires dans l’optique où les Grecs s’efforçaient de préserver leurs intérêts personnels et de s’assurer un rôle sur la scène extérieure hellénistique. Les intégrations horizontale et verticale de la φιλία ont été envisagées dans les relations internationales de Thasos : d’abord dans ses correspondances avec Samos, Milet, Tralles, Smyrne, Samothrace, Assos et Rhodes ; ensuite dans celles avec Athènes, Philippe V et Rome. Le cas thasien amène à constater la grande proximité des deux facettes. Mais les interprétations avancées doivent être nuancées. En effet, Thasos reste pour l’instant un cas de figure pragmatique. Par conséquent, il se pourrait que l’analyse des quelques occurrences de φιλία recensées ne soient pas représentatives de l’ensemble des cités. Il n’en demeure pas moins que les données recueillies fournissent des renseignements originaux sur les usages et fondements de la φιλία dans le monde grec antique. Il importe de noter que peu de recherches se sont penchées à la fois sur les considérations sociétales et internationales de la φιλία. Pourtant, ces deux sphères étaient intimement liées et agissaient de concert sur la manière de percevoir et de pratiquer la φιλία. Les études ont de même négligé la théorie des réseaux sociaux ou se sont abstenues de l’emprunter. Malgré l’absence du concept de réseau dans les sources littéraires et épigraphiques, on a tenté de démontrer que la théorie des réseaux introduisait des éléments nouveaux sur la φιλία. La WSA permis de dégager deux tendances sur le réseau de φιλία thasien : (1) entre la seconde confédération athénienne et la fin de la haute période hellénistique, les mouvements de personnes, de biens, puis d’idées ou technologies, s’étaient réalisés sans gage réel de φιλία ; (2) à la basse période hellénistique, ces mêmes mouvements étaient davantage effectués avec le concours de la φιλία. La schématisation des relations internationales de Thasos sous forme de graphique et la construction de tableaux a permis de replacer la φιλία dans son contexte immédiat et de visualiser concrètement l’étendue du réseau de φιλία thasien à l’époque 101 hellénistique. Les réseaux de φιλία soutenaient et étaient soutenus par un éventail de relations (économiques, politiques, diplomatiques, etc.), qui intégraient un système complexe de relations internationales. Il reste à vérifier, pour de futures recherches, si des réseaux de φιλία existaient ailleurs dans le monde grec. Avec le dépouillement de nouveaux corpus de sources, la figure 1 pourrait vite se complexifier par l’addition de liens de φιλία. Il serait ainsi possible de déterminer si Thasos était véritablement un cas unique. 102 Bibliographie I. Sources 1.1. Auteurs anciens APPIEN. Histoire romaine. Tome XI, Livre XVI : Guerres civiles, Livre IV. Texte établi et traduit par D. Gaillard-Goukowsky, présenté et annoté par P. Goukowsky, Paris, Les Belles Lettres, 2015, 164 p. en partie doubles. ARCHILOQUE. Fragments. Texte établi par F. Lasserre, traduit et commenté par A. Bonnard, Paris, Les Belles Lettres, 1958, 105 p. en partie doubles. ARISTOTE. Éthique de Nicomaque. Texte, traduction, préface et notes par J. Voilquin, Paris, Garnier, 1950 (1940), 528 p. ARISTOTE. Éthique à Nicomaque. Traduction, présentation, notes et bibliographie par R. Bodéüs, Paris, Flammarion, 2004, 560 p. ARISTOTE. Politique. Tome II, 1re partie : Livres III-IV. Texte établi et traduit par J. 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Il faut savoir que les frontières de la Pérée thasienne sont difficiles à déterminer et que le nombre de fondations et leur statut demeurent incertains. Akontisma Selon les témoignages littéraires et épigraphiques de l’Empire romain, Akontisma était une station qui bornait la via Egnatia, à l’est de Néapolis, sur une colline entre le mont Lekani et la mer. Les prospections réalisées dans les environs de Nea Karvali confirmeraient qu’elle était un ἐμπόριον de Thasos, stratégiquement implanté pour contrôler le passage vers la vallée du Nestos368. Antisara Malgré le manque d’informations sur Antisara dans les sources, des poteries du VIIe s., exhumées sur le promontoire de Kalamitsa, une banlieue à l’ouest de Kavala (Néapolis), suffiraient à assurer qu’elle était un ἐμπόριον thasien. La tournure Νεάπολις παρ’Αντισάραν dans les listes de tributs attiques corroborent la faible distance qui séparait les deux endroits. Athénée (1, 31a) plaçait Antisara sur la côte de Bibline, une région riche en vin entre Antisara et Oisymè. Selon Étienne de Byzance (s.v. Ἀντισάρα), Antisara aurait servi de port aux Datoniens369. Apollonia Apollonia siégeait entre Galepsos et Oisymè, sur le cap du golfe Strymonique, à l’opposé du mont Athos370. Elle fut anéantie par Philippe II (Strab., VII, fr. 33 et 35 ; Démosth., Troisième 368 369 370 M. Tiverios, « Greek Colonisation of the Northern Aegean », in G. R. Tsetskhladze (éd.), Greek Colonisation : An Account of Greek Colonies and Other Settlements Overseas. Volume two, Leiden / Boston, Brill, 2008, p. 87 ; L. Loukopoulou, « Thrace from Strymon to Nestos », in M. H. Hansen et T. H. Nielsen (éd.), An Inventory of Archaic and Classical Poleis, p. 856 ; F. Papazoglou, Les villes de Macédoine à l’époque romaine (BCH Suppl. XVI), Athènes, École française d’Athènes, 1988, p. 404-405. M. Tiverios, p. 86-87 ; L. Loukopoulou, p. 856. Les références aux Ethnica d’Étienne de Byzance ont été vérifiées sur le Thesaurus Linguae Graecae. Pline l’Ancien (IV, 42) a mentionné qu’une Apollonia bordait la mer Égée et qu’en partant du Strymon lui succédaient dans l’ordre Oisymè, Néapolis et Datos. Pomponius Mela (II, 2, 30) a rangé Apollonia entre Philippes et Amphipolis. 124 Philippique, 26), vraisemblablement après qu’il eut capturé Krénidès (356). Le nom Apollonia et son emplacement sur la côte piérienne suggèrent qu’elle aurait été une colonie thasienne, mais les témoignages ne fournissent aucun indice illustrant cette réalité. Elle est identifiée sur le promontoire de Pyrgos Apollonias, au lieu où se dresse une ancienne forteresse byzantine371. Bergè Strabon (VII, fr. 36) a positionné Bergè en Bisaltie, dans la vallée du Strymon, à plus ou moins 200 stades en amont d’Amphipolis. Le Ps.-Skymnos (653-654) l’a aussi rattachée au Strymon. Par ailleurs, Ptolémée (III, 12, 28) l’énumérait parmi les villes d’Odomantique ou d’Édonide372. Elle a été reconnue près du Strymon et du lac Kerkinitis, au sud-ouest du village moderne de Néos Skopos Serrôn. À l’origine, Bergè était probablement un ἐμπόριον thasien, mais sa présence dans les listes de tributs attiques (entre 451 et 429/8) montre qu’elle était traitée comme une cité indépendante à l’intérieure de la seconde confédération373. Galepsos Galepsos était une ἀποικία (Thuc., IV, 107, 3 ; Diod., XII, 68, 4) ou un ἐμπόριον (Ps.-Skylax, 67) de Thasos. La cité était située sur le littoral piérien, à l’est d’Eïon et à l’ouest d’Oisymè. D’après la légende, elle tirait son nom de Galepsos, fils de Thasos et Téléphé. Strabon (VII, fr. 33) la disposait entre Phagrès et Apollonia, tandis que le Ps.-Skylax la citait après Amphipolis et Phagrès et avant Oisymè. Elle est associée aux ruines de Gaïdourokastro sur la côte méridionale de Kariani. Galepsos adhéra à la seconde confédération, à laquelle elle paya une cotisation entre 454/3 et 415/4. En 424, elle se rallia au Spartiate Brasidas dans sa campagne contre Cléon (Thuc., IV, 107, 3), mais elle retomba entre les mains des Athéniens deux ans plus tard (Thuc., V, 6, 1). Tout comme Apollonia, elle fut détruite par Philippe II vers 356 (Strab., VII, fr. 35). Un passage de Tite-Live (XLIV, 45, 15) stipule qu’elle fut rebâtie : à la suite de Pydna, le roi Persée y aurait fait escale avant d’aller à Samothrace374. 371 372 373 374 M. Tiverios, p. 84 ; L. Loukopoulou, no 627 ; F. Papazoglou, p. 399-400. Les références au Ps.-Skymnos et à Ptolémée ont été vérifiées sur le Thesaurus Linguae Graecae. M. Tiverios, p. 69-70 ; L. Loukopoulou, no 628 ; Z. Bonias, « Une inscription de l’ancienne Bergè », BCH 124 (2000), p. 235-246. Galepsos est de même nommée au fr. 41 de Strabon. Sur Galepsos, on consultera M. Tiverios, p. 75 et 83-84 ; L. Loukopoulou, no 631 ; F. Papazoglou, p. 398-399. 125 Krénidès Krénidès fut érigée en 360/59 par des colons thasiens (Diod., XVI, 3, 7), qui auraient été dirigés par l’exilé athénien Kallistratos (Ps.-Skylax, 67). Elle fut établie en bordure du mont Pangée, dans la région de Datos / Daton, qui possédait plusieurs mines d’or. Philippe II s’empara du lieu en 356 et le rebaptisa en son honneur (Strab., VII, fr. 34) 375 . Strabon (VII, fr. 41) a rapporté que Philippes logeait au-dessus du golfe Strymonique allant de Galepsos jusqu’au Nestos et que cette dernière prit de l’ampleur après la défaite de Brutus et Cassius. Diodore de Sicile (XVI, 3, 7 et 8, 6) a traité de l’action de Philippe II à Krénidès et a affirmé que le roi avait augmenté la rentabilité des mines d’or, au point qu’il pouvait en tirer un revenu annuel de mille talents376. Néapolis Néapolis, l’actuelle Kavala, était localisée à la limite septentrionale du golfe Strymonique (Strab., VII, fr. 32), non loin de Datos (Ps-Skylax, 67). Bien que les sources épigraphiques tendent à prouver l’origine thasienne de Néapolis, Strabon (VII, fr. 36) en faisait une dépendance de Datos. Néapolis est enregistrée dans les listes de tributs attiques entre 454/3 et 429/8. Si Thasos rompit avec la ligue de Délos en 411, Néapolis resta loyale aux Athéniens. Après avoir résisté à l’assaut des Thasiens et des Péloponnésiens (411), elle participa au siège de sa métropole aux côtés de l’Athénien Thrasybule (407) et fut récompensée pour sa fidélité, comme le montre le texte IG I3, 108377. Vers 409, à la demande des Néapolitains, les Athéniens auraient effacé la référence à Néapolis comme colonie de Thasos sur le document IG I3, 107. En 375/4, Néapolis s’affilia à la seconde confédération. À la période romaine, elle représentait un relais important sur la via Egnatia et fut utilisée à titre de port par la cité de Philippes. En 188, le proconsul 375 376 377 Appien (Guerres civiles, IV, 105) a énoncé que la cité de Philippes s’était appelée Datos et Krènides, mais Hérodote (IX, 75) n’a employé que le toponyme Datos. J. Fournier et P. Hamon, « Les orphelins de la guerre de Thasos : un nouveau fragment de la stèle des Braves (ca. 360-350 av. J.-C.) », BCH 131 (2007), p. 375-378, ont fait de Datos-Krénidès une seule et même colonie. L. Loukopoulou, p. 860, a avancé qu’une partie de Datos devait avoir appartenu à Krénidès. On consultera de même Diodorus of Siculus, In twelve volumes. Volume VII :Books XV.20-XVI. 65, with an English translation by Ch. L. Sherman, Cambridge MA, Harvard University Press, 1952, p. 243, n. 5. On se reportera aux informations sur Krénidès, Datos et Philippes dans M. Tiverios, p. 88 et 90 ; L. Loukopoulou, nos 629, 632 et 637 ; F. Papazoglou, p. 405-406. Le décret IG I2, 108 = ML 89, SEG XII 37 et IG I3, 101. Il est composé de deux fragments, le premier est daté de 410-409 et le second de 407-406. 126 Cn. Manlius Vulso la croisa à son retour d’Asie Mineure (Liv., XXXVIII, 41, 9). En 42, elle abrita les trirèmes de Brutus et Cassius (App., Guerres civiles, IV, 106)378. Oisymè Selon Thucydide (IV, 107, 3) et Diodore (XII, 68, 4), Oisymè était une ἀποικία de Thasos. Pour sa part, le Ps.-Skylax (67) a admis qu’elle était une πόλις grecque et un ἐμπόριον de Thasos. Athénée (1, 31a) l’a rangée avec Antisara sur la côte de Bibline et Ptolémée (III, 12, 7) sur celle d’Édonis. À l’instar de Galepsos, elle rejoignit la cause de Brasidas à la chute d’Amphipolis, en 424 (Thuc., IV, 107, 3). Elle aurait apparemment été renommée Emathia à la suite de son annexion à la Macédoine par Philippe II (Ps.-Skymnos, 456-458 ; Étienne de Byzance, s.v. Οἰσύμη). Les chercheurs modernes ont postulé que la citadelle de Cape Vrasidas, au sud du village de Nea Peramos, dans la baie de Leftero-Limani, était le poste de l’ancienne Oisymè379. Phagrès Phagrès intégrait la Piérie. Hérodote (VII, 112) a rapporté que Xerxès avait vu les forteresses de Phagrès et de Pergame sur son itinéraire (480). Strabon (VII, fr. 33) la situait peu après le Strymon et avant Galepsos et Apollonia. Selon Thucydide (II, 99, 3), elle fut fondée au pied du Pangée par les gens chassés du Pierès sous le règne de Perdiccas Ier. La description du Ps.-Skylax (67), jointe aux commentaires d’Hérodote et de Thucydide, indiquerait que Phagrès était un ἐμπόριον de Thasos, au même titre que Galepsos et Oisymè. Les chercheurs ont identifié Phagrès sur une colline à l’est du village d’Orphanion (Kanion), à environ 8 kilomètres de l’embouchure du Strymon380. Pistyros La cité de Pistyros était localisée par Hérodote (VII, 109) sur la côte égéenne et jouxtait un lac salé, à l’ouest de l’embouchure du Nestos. En 480, Xerxès avait parcouru le secteur avec son armée. En suivant le témoignage d’Hérodote, les spécialistes ont souligné que Pistyros était sans 378 379 380 M. Tiverios, p. 80-82 ; L. Loukopoulou, no 634 ; F. Papazoglou, p. 403-404. Sur la succession des événements, on consultera l’article de M. Brunet, « Thasos et son Épire à la fin du Ve et au début du IVe s. avant Jésus-Christ », in P. Brulé et J. Oulhen (éd.), Esclavage, guerre, économie en Grèce ancienne : hommages à Yvon Garlan, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1997, p. 235-237. M. Tiverios, p. 80 et 82-83 ; L. Loukopoulou, no 635 ; F. Papazoglou, p. 400-403. M. H. Hansen, « Emporion. A Study if the Use and Meaning of the Term in the Archaic and Classical Periods », in G. R. Tsetskhladze (éd.), Greek Colonisation : An Account of Greek Colonies and Other Settlements Overseas. Volume two, Leiden / Boston, Brill, 2006, p. 8-9 et 24 ; L. Loukopoulou, no 636 ; F. Papazoglou, p. 389-390. 127 doute un ἐμπόριον de Thasos. Le site a d’abord été identifié à l’est du village de Pontolivado, près du lac Vassova. Maria Nikolaïdou a récemment opté pour un emplacement différent qu’elle a jugé plus approprié par sa chronologie, soit auprès de Karvali, à l’est de Kavala. Une inscription publiée en 1994 par L. Domaradzka et V. Velkov a alimenté les débats sur la localisation de Pistiros. Un établissement du même nom a en effet été découvert à Adijijska Vodenitza, en Bulgarie, au nord du massif du Rhodope, entre la ville de Septemvri et le village de Vetren. Mais ce document, sur lequel on reviendra sous peu, oblige à considérer que la Pistyros d’Hérodote renvoyait à l’ἐμπόριον de Thasos et la Pistiros du texte à une cité au nord de la Thrace. Cette différenciation était d’ailleurs attestée par Étienne de Byzance (s.v. Βίστιρος), si l’on accepte l’équivalence calligraphique entre le Β et le Π dans son assertion Βίστιρος πόλις Θρᾴκης ὡς Πίστιρος τὸ ἐμπόριον 381. Skaptè-Hylè Jusqu’au Ve s., Skaptè-Hylè dépendait de Thasos et ses mines d’or rapportaient d’importants revenus. Hérodote (VI, 46) a raconté que les Thasiens y retiraient ordinairement quatre-vingts talents par année. Les Thasiens auraient toutefois perdu l’accès à ces gisements au profit des Athéniens, puisque leur tentative de défection (465-463) contre la Ligue de Délos s’était avérée infructueuse. (Thuc., I, 100, 2). Le site est généralement situé dans les alentours du mont Pangée, mais les recherches récentes ont mis au jour un emplacement à l’est de Néapolis, sur le versant nord du mont Lekani. Il est associé à la ville moderne de Nea Karvali, ce qui soutiendrait la proposition d’Étienne de Byzance (s.v. Σκαπτησύλη), qui a défini Skaptè-Hylè en tant qu’une petite cité devant Thasos. Il se pourrait ainsi, à l’égal de Pistyros, que deux lieux analogues aient porté le nom de Skaptè-Hylè382. Strymè Pour ce qui est de la fondation thasienne de Strymè, Hérodote (VII, 108) a signalé qu’elle siégeait près de Mésambria et qu’entre les deux endroits s’écoulait le fleuve Lissos, mais aussi 381 382 A. et V. Chankowski, « La présence grecque en Thrace intérieure : l’exemple de "Pistiros" », Pallas 89 (2012), p. 275-276 et 282-284 ; D. Demetriou, « Pistiros and a North Aegean Trade Network », AC 79 (2010), p. 79-84 ; M. Tiverios, p. 88-90 ; L. Loukopoulou, no 638 ; B. Bravo et V. Chankowski-Sablé, « Cités et emporia dans le commerce avec les barbares, à la lumière du document dit à tort "inscription de Pistiros" », BCH 123 (1999), p. 284 et 296. M. Tiverios, p. 87-88 ; P. Low, The Athenian Empire, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2008, p. 59, n. 4 ; L. Loukopoulou, p. 857. 128 qu’elle était à l’est du lac Ismaris, qui affluait entre Maronée et Strymè (VII, 109). Les spécialistes placent habituellement Strymè en périphérie de la côte piérienne, aux abords de Maronée, en se basant sur Archiloque et Démosthène (Lettre de Philippe, 17 ; Contre Polyclès, 20-22), qui ont relevé des disputes entre Thasos et Maronée pour la possession de Strymè (ca. 361-360). Les chercheurs ont relié l’ancien site avec des fortifications déterrées sur la péninsule de Molyvoti, à l’est du Nestos, entre Porto Lagos et Maronée. La configuration géomorphologique de la péninsule supporterait cette hypothèse ainsi que le propos de certaines sources, à savoir que Strymè était initialement une île383. 383 M. Tiverios, p. 85-86 ; L. Loukopoulou, « Thrace from Nestos to Hebros », in M. H. Hansen et T. H. Nielsen (éd.), An Inventory of Archaic and Classical Poleis, no 650. 129 Annexe 2 : Tables sur le mouvement des Thasiens et des étrangers à Thasos 2.1. Mobilité et distinctions honorifiques des Thasiens à l’étranger DESTINATION DES THASIENS (D) ou PROVENANCE DES HONNEURS (P) Alexandrie (Égypte) Amphipolis D NOMS PÉRIODE SOURCES / RÉFÉRENCES Mnésistrate, de Thasos ? milieu IIIe s. a.C. C. A. La'da, Foreign Ethnics in Hellenistic Egypt, no E628 Rech. II, no 172 W. Mack, Proxeny and Polis, p. 84-85 Rech. II, no 170 W. Mack, Proxeny and Polis, p. 84-85 LGPN I, Λυσίστρατος (62) http://www.seangb.org / L-O.html, Λυσίστρατος (103) IG XII 4.1, 136 C. V. Crowther, Chiron 29, no 3 A. Plassart, BCH 45, p. 18, col. III, l. 87 Rech. I, p. 323 IScM I, 145 Guide, p. 177 IScM I, 174 IG XII Suppl., 354 A. Bielman, Retour à la liberté, no 11 SEG, 13, 458 Lampsakos I, no 7 W. Mack, Proxeny and Polis, p. 84-85 seconde moitié du IIe ou début du Ier s. seconde moitié du Dionysodôros, fils de Pempidès e II ou début du Ier s. D Dionysodôros, fils de Pempidès Assos P Athènes D Lysistratos, fils de Pheidon 285 a.C. Cos D Parménon, fils d’Héraclite IIIe s. a.C. Delphes P A[ris]tophanès, fils d’A[rk]ésila (nommé théarodoque) IIe s. a.C. Istros D [P]isistrate, fils de Mnésistratos début IIIe s. a.C. P Hérophon, fils de Sostrate IIe s. a.C. P Nossikas, fils d’Héras ca. 300 a.C. P Dionysodôros, fils de Pempidès seconde moitié du IIe ou début du Ier s. Lampsaque 131 Larisa Milet Oropos D [A]rotès, fils d’Arotos début IIe s. a.C. IG IX 2, 526 D-P 1 juge (nom inconnu) [nom], fils de Philiskos 4 autres juges et 1 secrétaire IIe / Ier s. a.C. seconde moitié IIe s. a.C. P Strombichos, fils d’Agathoclès ca. 240-180 P Timon, fils de Timonax IG XII Suppl., 360 SEG, 29, 770 Y. Grandjean, Thasiaca, no 2 IG VII, 348 Epigr. Oropou, no 103 Epigr. Oropou, no 66 Rech. II, no 166 P. Hamon, BCH 132.1, p. 389-401 D-P Paros? D-P Rhénée (Délos) P Rhodes P Rome D-P D-P Samos D-P D D Samothrace D D D-P 132 230-208 a.C. fin IIe A[lex?]andros début Ier s. a.C. seconde moitié du Niké, fille de Dosithéos G. Daux, BCH 91, p. 19-20 IIIe s. a.C. seconde moitié du Rech. II., no 172 Dionysodôros, fils de Pempidès e II ou début du Ier s. W. Mack, Proxeny and Polis, p. 84-85 ambassade thasienne à Rome Rech. II., no 174 80 a.C. (auprès de L. Cornelius Sylla) R. K. Sherk, Roman Documents, no 20 Thersi- (nom incomplet) IG XII Suppl., 361 e II s. a.C. Au moins un autre juge et 1 Rech. II, no 167 secrétaire (noms inconnus) SEG, 35, 965, b Niképhoros, fils de Métrodore IIe s. a.C.? N. Dimitrova, no 62 Déméas, fils d’A[...]n[.]machos IG XII 8, 161 IIe s. a.C. Phanoléos, fils de Sosipol[is] N. Dimitrova, no 8 Antiphon, fils de Sophoclès Hié[r]on, fils d’Aristophon IG XII 8, 172 100 a.C.? Dioklès, fils d’Hég[é]sias N. Dimitrova, no 24 Amantinos?, fils de Philoxènos IG XII 8, 206 Kadmos Ier s. a.C. ou p.C. N. Dimitrova, no 53 seconde moitié du Rech. I, no 169 Hestiaios, fils de Pempidès IIe ou début du Ier s. W. Mack, Proxeny and Polis, p. 84-85 Smyrne D-P Spalauthra D Thèbes (Égypte) D D Thessalonique (auprès du gouverneur romain) D-P D Tralles D-P Wadi Abou Diyeiba (Égypte) D [Bacchios], fils d’[Aristo]dèmos IG XII 8, 269 Démétrios, fils d’Archias ca. Ier s. a.C. I. Smyrna 582 Kou- (nom incomplet) P. Hamon, BCH 123, p. 175-194 2 autres juges (noms inconnus) Philokratès, fils de Thrasonidos IIIe s. a.C. IG IX 2, 1214 2 ou 3 ethniques de Thasiens Rech. II, no 414 trouvés au Ramesseum de IVe / IIIe s. a.C. C. A. La'da, Foreign Ethnics in Thèbes (graffites) Hellenistic Egypt, nos E630-632 Dionysodôros, fils de Pempidès seconde moitié du Rech. II., no 172 e er (auprès de Lucius Aurelius) II ou début du I s. W. Mack, Proxeny and Polis, p. 84-85 Micas, fils de Micas Sa- (nom incomplet), [fils adoptif] d’Euryménidès, par la Rech. II., no 175 80-78 a.C. naissance fils de Lyètos R. K. Sherk, Roman Documents, no 21 (auprès de Cn. Cornelius Dolabella) Hikésios, fils de Pythion Kt[ési- l’Ancien (nom 44-42 a.C. Rech. II, no 176 incomplet) (auprès de L. Sestius Quirinalis) 1 juge et 1 secrétaire fin IIe SEG, 29, 772 (noms inconnus) début Ier s. a.C. Y. Grandjean, Thasiaca, no 4 C. A. La'da, Foreign Ethnics in Nicagoras, fils de Cléoménès période ptolémaïque Hellenistic Egypt, no E629 133 2.2. Provenance et distinctions honorifiques des étrangers à Thasos ORIGINE DES ÉTRANGERS (O) ou ATTRIBUTION DES HONNEURS (A) Achaïe O Ainos O O-A O-A Amphipolis O-A O Assos O Athènes O-A Athènes(?) (peut-être d’Érésos) O Béotie 134 O NOMS PÉRIODE Pythion, fils d’Athénadès fin IVe début IIIe s. a.C. [Po]sidippos + [patronyme] [A]pollod[otos] / [A]pollod[oros] + [patronyme] IIIe s. a.C. SOURCES / RÉFÉRENCES Rech. I, no 116 G. Daux, BCH 91, p. 2, n. 4 Rech. II, p. 276 Zois, fille de Scythes IIIe s. a.C.? G. Daux, BCH 91, p. 43 Rech. I, no 112 e e [nom] [Amphi?]politain IV / III s. a.C. A. B. Tataki, Macedonians Abroad, « AMPHIPOLIS », no 140 Rech. I, no 113 Chairéas, fils d’Antiphilos A. B. Tataki, Macedonians Abroad, « AMPHIPOLIS », nos 67 / 132 IIIe / IIe s. a.C. IG XII 4.1, 136 Icc[os?], fils d’Antiphilos C. V. Crowther, Chiron 29, no 3 IG XII 8, 438 Minion, fils d’Hérodote ca. IIIe s. a.C.? A. B. Tataki, Macedonians Abroad, « AMPHIPOLIS », no 92 seconde moitié du Rech. II, no 170 Thémistos, fils de Phanodikos e II ou début du Ier s. W. Mack, Proxeny and Polis, p. 84-85 fin IVe F. Blondé, S. Dadaki, A. Muller et al., Aristokratès, fils de Ménékratès début IIIe s. a.C. BCH 132.2, p. 730 e seconde moitié IV Théophraste d’Érésos Y. Grandjean, Guide de Thasos, p. 30 début IIIe s. a.C. Rech. I, no 117 Cos O-A Thémistagoras, fils d’Hippias Néon, fils de Nauclès [Hippo]crate, fils de Dracon IIIe s. a.C. IG XII 4.1, 136 C. V. Crowther, Chiron 29, no 3 Délos O Philippe, fils de Philoclè[s] fin IVe s. a.C. IG XII 8, 437 Éphèse O Nicobule IIIe s. a.C. SEG, 31, 763, a Épire O Philon hellénistique SEG, 31, 770, a IG XII, 8, 594 Érésos O Parmenischos, fils de Zoïlos IIIe s. a.C. IG XII Suppl., 392 Galatie O Dionysios Lysimacheia O-A ]onos […Lysi]machéen(?) O O Métrodore Philippe V 202 a.C. Polybe, XV, 24 Mallos (Cilicie) O Sarapiôn, fils d’Antipatros hellénistique? impériale? XII, 8, 440 Rech. II, p. 175 LGPN V.B., Σαραπίων (14) Mytilène O-A Hérakléitos, fils de Matrios début IIIe s. a.C. IG XII Suppl., 358 Néapolis O Sostrate hellénistique Olynthe O-A Héracléodôros, fils d’Aristonicos IVe / IIIe s. a.C. Parion O-A nom(s) inconnu(s) IVe / IIIe s. a.C. Macédoine fin IIe début Ier s. a.C. fin IIIe début IIe s. a.C. Rech. I, no 118 Rech. I, no 115 SEG, 31, 769 b A. B. Tataki, Macedonians Abroad, « NEAPOLIS », no 18 Rech. II, no 376 A. B. Tataki, « OLYNTHOS », no 58 IG XII Suppl., 359 A. Cassayre, La justice dans les cités grecques, p. 141 135 O-A Apellis, fils de Ménéklès Kurnios, fils de Ménéklès IIIe s. a.C.? Rech. I, no 113 bis A. B. Tataki, « PHILIPPI », nos 6 / 20 Rech. Ι, no 165 G. Daux, BCH 82, p. 638-9 A. B. Tataki, « PHILIPPI », no 17 Philippes O-A [nom], fils d’Éxékestos ca. 80 a.C. Phrygie? (origine thraco-phrygienne) O Daos, fils d’Ératon Bithynie, femme de Daos fin IVe début IIIe s. a.C. Rhodes O Philiskos, fils de Polycharmos début Ier s. a.C. IG XII Suppl., 383 O Lucius Stertinius 196 a.C. O-A Gaius Agellios, fils de Gaius IIe / Ier s. a.C. Polybe, XVIII, 31 IG X 2.1, 1040 Rech. I, no 114 Rech. II, no 413 Sextus Pompeius IIe s. a.C. (gouverneur de Macédoine, J.-Y. Empereur et A. Simossi, (mort en 118 a.C.) nommé patronus de Thasos) « Inscriptions au port de Thasos », no 3 Sextus Pompée, fils de Quintus A Ie s. a.C. (nommé patronus de Thasos) Troupes républicaines de Cassius et Brutus ; réfugiés républicains après la bataille de Appien, Les Guerres civiles, IV, 107 O 42 a.C. Philippes, dont Lucius Bibulus et 136 et Messala Cornivus ; peu après, arrivée de Marc-Antoine A Rome Samos 136 O [Zénodot]e, fils d’Aristomaque? IIe s. a.C. Thessalonique O-A Pasîmachos, fils de Piérion IIe / Ier s. a.C. Téroné O Aristoboulè, fille de Biakratès IVe / IIIe s. a.C. Rech. II, no 167 IG X 2.1, 1040 Rech. I, no 114 A. B. Tataki, Macedonians Abroad, « THESSALONIKE », no 58 Rech. I, no 111 A. B. Tataki, Macedonians Abroad, « TORONE », no 2 2.3. Cas ignorés en raison d’informations insuffisantes THASIENS À L’ÉTRANGER (T) ou ÉTRANGERS À THASOS (E) NOMS PÉRIODE SOURCES / RÉFÉRENCES ? E Symmachos et Satyriôn, fils de Métron et de Krinô début IIIe s. a.C. IG XII Suppl., 355 ? E Polyarétos, fils d’Histiaios début IIIe s. a.C. IG XII 8, 267 ? T IIIe s. a.C. F. Salviat et P. Bernard, BCH 91, no 36 première moitié IIe s. a.C. SEG, 29, 769 Y. Grandjean, Thasiaca, no 1 seconde moitié IIe s. a.C. SEG, 29, 771 Y. Grandjean, Thasiaca, no 3 ? cité dorique non identifiée vraisemblablement des juges thasiens [nom], fils de Nymphis (juge) Hip[po- (nom incomplet) + T [patronyme] (secrétaire) 1 autre juge Stilbôn, fils de Théodôtes (juge) T Skymnos, fils d’Ératôn (secrétaire) 137