Contrairement à la vision classique5, Tobin (1965) dans sa théorie monétaire de la croissance, montre que
l'équilibre de l'intensité capitalistique (indicateur du niveau de croissance économique et du taux d'intérêt)
est déterminé par les allocations de portefeuilles réalisées par les intermédiaires financiers, compte tenu
des facteurs monétaires (tels que l'offre de monnaie et la propension à épargner) et les choix
technologiques. Ainsi, pour Tobin (1965), les taux d'intérêt bas réduiraient la demande d'actifs monétaires
au profit du capital productif, ce qui accroît le ratio du capital par travailleur et accélère la croissance
économique.
Enfin, en ce qui concerne le sens de la causalité entre la finance et la croissance, la réponse des keynésiens
est claire : le développement financier est une réponse du changement de l'offre et de la demande dans le
secteur réel et, dans cette perspective, la finance ne cause pas la croissance mais suit plutôt la croissance
comme le formule assez bien Robinson (1952) :
Where enterprise leads finance follows. (Robinson 1952, p. 86).
Au cours des années 60, la contradiction à la thèse keynésienne sur le développement sera apportée par
certains auteurs, au nombre desquels on peut citer : Gurley et Shaw (1955, 1967), Goldsmith (1969),
Patrick (1966), Hicks (1969), etc. Ce qui va donner lieu à des études plus favorables à un lien positif entre
la finance et la croissance.
II. 2. ...Vers une analyse favorable au développement financier
Selon Gurley et Shaw (1955), l'aspect financier du développement est parfois négligé parce que le
développement économique fait souvent référence aux questions relatives au bien-être, au travail, à la
production et au revenu. Ils présentent une théorie classique d'analyse de l'impact des actifs monétaires sur
le taux de croissance dans laquelle, ils dressent une critique virulente contre le keynésianisme du fait de la
non prise en compte des aspects financiers du développement. Gurley et Shaw (1955) estiment que le
modèle keynésien n'est pas un instrument efficace pour étudier le développement économique, surtout
dans ses aspects financiers.
Ainsi, le développement a sans doute des fondements financiers, et Gurley et Shaw (1967) montrent que
durant le processus de développement économique, comme le revenu par tête s'accroît, les pays
expérimentent d'habitude une croissance plus rapide des actifs financiers que de la richesse ou de la
production nationale. Enfin, Gurley et Shaw (1967) identifient deux déterminants du développement
financier à savoir : la division du travail et les techniques de transfert de l'épargne en investissement.
Une analyse comparative de la théorie financière du développement de Gurley et Shaw (1955, 1967) est
réalisée par Gerschenkron (1962), qui place le rôle du secteur bancaire dans le contexte d'économie arriérée où
les pays qui ont besoin d'un secteur financier actif sont ceux qui sont sous développés et par conséquent
doivent réaliser un décollage économique. Ainsi, l'importance du système bancaire augmente avec le retard
de l'économie, et le niveau de développement économique au début du processus d'industrialisation
détermine le rôle du secteur bancaire. L'analyse de Gerschenkron (1962) s'inscrit dans le même ordre
d'idée que Hicks (1969), qui estime que la révolution industrielle n'est pas associée uniquement à la mise
en application des technologies nouvelles découvertes mais aussi à la révolution financière qui a favorisé
l'accroissement massif des investissements. Il ajoute que la plupart des technologies associées à la
révolution industrielle ont été découvertes bien avant, mais n'ont jamais été mises en œuvre, parce que leur
adaptation à l'échelle commerciale nécessite d'énormes investissements illiquides. Ce qui n'est pas possible
en l'absence d'intermédiaire financier.
Le développement financier peut être subdivisé en deux composantes selon Patrick (1966) : il peut
provenir de la demande des services financiers adressée les épargnants et les investisseurs, ce qu'il appelle
demand following, ou de l'offre des services financiers : supply leading. Malgré le fait que l'effet de demand
following implique une causalité allant de la croissance vers la finance et l'effet de supply leading, entraîne une
causalité du développement financier vers la croissance, Patrick (1966) avance :
However, the causal nature of this relationship between financial development and economic growth has not been
fully explored either theoretically or empirically. (Patrick 1966, p. 1).
5 Dans la théorie classique, le taux d'intérêt et l'intensité capitalistique d'une économie sont déterminés par la productivité et
l'épargne découlant de l'interaction entre la technologie utilisée et la propension à épargner.