Courrier de l'environnement de l'INRA n°49, juin 2003 33
à base de graminées-légumineuses (mélange graminées-légumineuses ou prairies naturelles qui
contiennent généralement 20% de légumineuses) exploitées au stade optimum, permettaient de
couvrir, dans l'exemple d'un élevage laitier, la production de 20 1 de lait par jour, équilibrée tant au
niveau des protéines que des calories (Pointereau, 2001). Il n'était donc guère question d'acheter des
aliments du commerce. Mais l'introduction de cultures allochtones, comme le maïs (ensilé ou grain)
qui se révèle pauvre en protéines (moins de 10%) mais riche en énergie, a conduit les éleveurs à
trouver d'autres ressources protéiques que celles produites sur l'exploitation. Les échanges de matières
premières-aliments entre pays se sont alors développés. À l'époque, les moyens de production étaient
bon marché. La mise en place d'une industrie de l'alimentation animale a donc pu se faire sans trop de
difficulté, assurant une garantie d'approvisionnement de l'exploitation en quantités, pour ne pas
risquer des ruptures de stock, mais aussi en qualité bien définie, pour que les caractéristiques des
rations soient aussi peu variables que possible. Cela a permis d'établir des rations standards
simplifiées qui nourrissent les animaux avec des matières premières provenant de l'autre bout du
monde (manioc de Thaïlande, tourteau de soja du Brésil ou d'Argentine), alors que nos régions
agricoles sont suffisamment riches pour satisfaire les besoins. En effet, les nombreuses matières
premières alimentaires qui sont produites sur le sol national apportent les mêmes éléments nutritifs que
le tourteau de soja, principal concurrent de nos productions végétales riches en protéines. C'est encore
plus vrai si l'on évite les transports en utilisant localement les graines, les tourteaux et les sous-
produits industriels obtenus sur place.
Pour donner un exemple de l'application de ce concept en France, on peut citer la consommation de
luzerne déshydratée. En effet, elle a significativement évolué entre les années 1980 et les années 1990,
pour passer de 500-600 000 t/an à 850-950 000 t/an (fig. 4) (Thiébeau et Vanloot, 2000), dont 42%
sont incorporés dans les aliments composés (Seyssen, 2002). Ce bond, par rapport à la décennie
précédente, est aussi le résultat d'une diversification des gammes de produits. Par exemple, le marché
des lapins et des chevaux nécessite une teneur en cellulose brute de 28 à 30%, ce qu'offre les luzernes
déshydratées à faible teneur en protéines (17%). Autre exemple, le marché des ruminants, où
l'ensemble des qualités de luzerne, de 17 à 23% de protéines (tab. II), peut trouver sa place. En effet,
grâce à l'effet de la chaleur lors de sa déshydratation (la température est de 800°C à l'entrée du
tambour de séchage), la protéine de luzerne bénéficie d'un effet by-pass qui lui permet d'échapper à la
dégradation dans le rumen ; ce qui augmente la valeur PDI1 affectée à ce produit par rapport à une
plante fauchée au même stade physiologique, mais récoltée et distribuée en foin. Les industriels ont
donc cherché à diversifier leur offre sur ce marché des bovins. On trouve ainsi (tab. II) :
- des luzernes enrichies en urée à hauteur de 3% avant la déshydratation. Ce sont des luzernes
destinées aux vaches laitières hautes productrices (VLHP), dont la capacité d'ingestion doit être
optimisée. Les produits obtenus présentent des teneurs en protéines de 26% ;
- des luzernes associées à du maïs, à hauteur de 50% de luzerne déshydratée de 4e coupe et 50% de
maïs plante entière. Le maïs apporte de l'énergie qui a la particularité d'être lentement dégradable,
facteur favorable à une meilleure assimilation. Le produit contient 15% de protéines.
Cette diversité d'offre permet d'atteindre des niches jusqu'alors peu exploitées par la profession
(VLHP) et de concurrencer, autant que faire se peut, le tourteau de soja. En effet, la valeur en
protéines digestibles dans l'intestin d'origine azotée (PDIN) du tourteau de soja est de 371g/kg (type
48), alors que celle d'une luzerne à 18% de protéines est de 115 g/kg. Il en résulte qu'il faut 3,2 fois
plus de luzerne que de tourteau de soja pour équilibrer une ration. Dans le cadre de rations pour
VLHP, une luzerne à 23% de protéines prend alors tout son sens puisque le ratio de déséquilibre par
rapport au soja n'est plus que de 2,5, ce qui est déjà beaucoup.
1
Protéines digestibles dans l'intestin.