Une désastreuse victoire ? Les conséquences

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Hérodote, n° 139, La Découverte, 4e trimestre 2010.
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Gilles Dorronsoro 1
De quelle façon la guerre en Afghanistan affecte-t-elle le Pakistan ? Répondre
à cette question est particulièrement d’actualité, car le conflit qui dure depuis 1979
en Afghanistan est à un (nouveau) tournant.
L’enlisement des opérations de la coalition marque l’échec de la stratégie de
contre-insurrection choisie par le général McChrystal à l’été 2009 et poursuivie
avec quelques modifications par le général Petraeus depuis l’été 2010. La stratégie
initiale prévoyait des opérations de nettoyage (clear), une présence continue des
forces occidentales (hold), avec la mise en place d’une administration afghane et
de projets de développement dans les districts repris (build), repoussant ainsi la
guérilla dans les zones de plus en plus marginales (inkspot strategy). Pourtant,
malgré l’ampleur des moyens engagés – 20 000 marines combattent dans quelques
districts de la province méridionale de Helmand –, la coalition ne parvient pas à
expulser les Taliban 2 des territoires disputés. La mise en place d’une administration
afghane ou l’établissement de relations de confiance avec la population se révèlent
impossibles. Les opérations lancées à l’automne 2010 autour de Kandahar sont
encore plus difficiles du fait d’un large soutien populaire à la guérilla conjugué
avec un rejet massif de la coalition et des autorités locales.
1. Chercheur invité à la Carnegie Endowment for International Peace, Washington, D.C.
2. L’auteur distingue le mouvement politique Taliban (mot invariable et « t » majuscule) des
taliban (le mot est déjà un pluriel), étudiants en religion qui ne sont pas nécessairement partie
prenante du mouvement Taliban. On respectera cette distinction significative tout au long de cet
article (NDLR).
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Une désastreuse victoire ?
Les conséquences de la guerre d’Afghanistan
sur le Pakistan
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Une stabilisation autour de la ville de Kandahar ou dans le Helmand nécessiterait la présence de dizaines de milliers de soldats pour cinq ans au moins, avec des
pertes significatives. Les meilleures troupes de la coalition étant mobilisées dans
deux provinces du Sud, le Helmand et Kandahar (plus de 60 000 hommes), la coalition n’a pas les moyens de s’opposer à la progression rapide de la guérilla dans
le reste du pays. Dans le Nord et l’Ouest, les forces européennes, peu préparées
à des combats intenses, adoptent une position de plus en plus défensive, laissant
la guérilla libre d’occuper le terrain et d’administrer la population. De plus, la
dégradation de la sécurité autour de Jalalabad et de Kaboul indique une pression
croissante de l’insurrection sur les régions politiquement et économiquement les
plus importantes. En conséquence, la coalition risque fort de se trouver en situation
d’infériorité tactique dans de nombreuses provinces à partir de 2011.
Au final, des armées occidentales opérant loin de leurs bases, complètement
coupées de la population, n’ont aucune chance de vaincre l’insurrection Taliban
avec des ressources qui vont rapidement décliner. En effet, le retrait des pays
alliés a commencé (Pays-Bas et Canada) et sera achevé pour l’essentiel en 2015
(Pologne en 2013, Grande-Bretagne avant 2015). La coalition sera donc à son
maximum de puissance entre l’été 2010 et l’été 2011. La montée en puissance de
l’insurrection se conjuguera ensuite avec une capacité rapidement déclinante de la
coalition. Par ailleurs, les projets d’afghanisation de la guerre n’ont guère de sens
avec un gouvernement afghan dont la base sociale et la légitimité disparaissent
à vue d’œil. Le gouvernement de Kaboul ne contrôle guère plus que les villes et
les pouvoirs régionaux affirment leur autonomie. La transition vers une prise en
charge de la sécurité par le gouvernement, prévue en 2011, ne pourra pas s’effectuer en raison de la faiblesse de l’armée afghane, toujours incapable de mener des
opérations de façon indépendante. Seule une négociation avec les Taliban pourrait
offrir une voie de sortie à la coalition, mais l’évolution des rapports de force sur le
terrain rend l’acceptation d’un processus diplomatique par les Taliban de plus en
plus douteux. En cas de refus, la coalition se trouvera devant un dilemme : envoyer
de nouveaux renforts ou accepter une défaite humiliante.
À première vue, la défaite occidentale est une victoire inespérée pour le
Pakistan. En effet, les accords de Bonn de 2001 avaient mis à l’écart à la fois
les Taliban et leurs protecteurs pakistanais. Du fait de l’invasion américaine,
l’alliance du Nord, historiquement opposée au Pakistan, devenait la puissance
dominante à Kaboul. Le profit que le Pakistan espérait du soutien aux combattants afghans depuis 1980 disparaissait d’un coup et l’Inde redevenait un acteur
significatif en Afghanistan. Or, pour les militaires pakistanais, la reconstitution
de l’axe Kaboul-New Delhi représente un danger de premier ordre, en raison du
risque d’avoir, en cas de guerre avec l’Inde, à combattre sur deux fronts. Face à ce
revers majeur, la politique pakistanaise a reposé sur un équilibre difficile : soutenir
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HÉRODOTE
l’insurrection Taliban et, dans le même temps, rester un interlocuteur – ou même
un allié – des États-Unis. Il est ironique, mais démonstratif de l’efficacité de la
diplomatie pakistanaise, que les États-Unis aient financé, et continuent à financer,
un gouvernement qui soutient une guérilla responsable de la mort de centaines de
militaires américains depuis 2001.
Pourtant, cette victoire est potentiellement un désastre pour le Pakistan.
En effet, la transformation de la défaite occidentale en avantage politique et stratégique pour le Pakistan est loin d’être évidente. Le retrait occidental qui se profile
aura en effet pour conséquence que les Taliban auront à l’avenir plus de marge
de manœuvre par rapport au Pakistan. Ce dernier risque de perdre le contrôle de
son allié, de la même façon qu’il avait perdu le contrôle des groupes de moudjahidines dans les années 1990 et des Taliban après la prise de Kaboul en 1996.
Pour l’instant, le refus des États-Unis de négocier leur retrait et de pousser à la
constitution d’un gouvernement d’union nationale à Kaboul augmente le risque
d’une victoire militaire des Taliban, suivie d’un isolement de l’Afghanistan sur la
scène internationale. Dans cette hypothèse, les intérêts pakistanais en souffriraient
car Islamabad se retrouverait dans la même situation qu’à la fin des années 1990.
En cas d’accord, les Taliban pourraient se rapprocher des Occidentaux ou des
Chinois, au moins sur un plan économique, et le Pakistan verrait également son
influence se réduire.
La question posée par la politique afghane du Pakistan est celle du répertoire
d’action utilisé par le Pakistan en relations internationales depuis une génération,
à savoir l’utilisation de groupes radicaux pour affronter indirectement des puissances supérieures, l’Inde, l’URSS et aujourd’hui les États-Unis. De ce point de
vue, il est significatif que l’arme atomique n’ait pas fondamentalement transformé
la vision stratégique du Pakistan : la sanctuarisation du territoire national n’est
pas obtenue par la dissuasion nucléaire, peut-être parce que la définition même
du territoire national est disputée. Or le soutien à des mouvements radicaux pour
réaliser des objectifs de politique extérieure, au Cachemire ou en Afghanistan,
n’est plus adapté à la réalité des rapports de force internationaux. D’une part, les
effets de la guerre d’Afghanistan sont extrêmement déstructurants au Pakistan
même, car la guerre s’étend progressivement sur son territoire du fait que la
coalition y intervient de plus en plus directement et que la présence des groupes
Taliban, même s’ils ne s’opposent pas frontalement à l’État pakistanais, est un
facteur de radicalisation. De plus, les possibilités d’éclatement de l’Afghanistan
sur une base ethnique ou la perspective d’une guerre civile longue font peser des
menaces sur la zone frontière. D’autre part, la manipulation des groupes radicaux se retourne contre le Pakistan. Les difficultés croissantes de l’Inter-Services
Intelligence (ISI) à contrôler les groupes jihadistes pakistanais peuvent avoir (dans
l’hypothèse d’une nouvelle attaque terroriste majeure en Inde, comparable à celle
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UNE DÉSASTREUSE VICTOIRE ? LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE D’AFGHANISTAN...
Le soutien aux Taliban
Le soutien des militaires pakistanais aux Taliban depuis 2001 3 s’inscrit dans
une tradition ancienne. Le Pakistan appuie en effet les mouvements jihadistes
afghans depuis 1979, et même 1975, si l’on prend en compte le soutien, il est
vrai ambigu, de l’ISI au coup d’État islamiste alors tenté par quelques militants
islamistes, dont Ahmed Shah Massoud, qui deviendra par la suite un acteur clé
parmi les moudjahidines. Le soutien à des mouvements pachtounes et islamistes/
fondamentalistes est une conséquence de deux questions liées : la perception d’une
menace indienne et le statut incertain de la frontière afghano-pakistanaise.
En premier lieu, la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan n’a jamais été
reconnue par l’État afghan. Ce dernier a été, pour cette raison, le seul à voter
contre l’accession du Pakistan à l’ONU au moment de la partition. En effet, les
populations pachtounes des deux côtés de la frontière ont été séparées de façon
arbitraire par la ligne Durand (1893), du nom de l’officier britannique qui l’a
tracée, en fonction de considérations strictement militaires, sans que le renoncement de l’Afghanistan à la souveraineté sur ces régions soit juridiquement clair.
Il existe au Pakistan même un courant nationaliste pathan (pachtoune) qui a historiquement de bonnes relations avec l’Afghanistan et réclame plus d’autonomie
pour la Khyber Pakhtunkhwa 4. Le projet d’un grand Afghanistan qui intégrerait la
3. La politique pakistanaise est en fait celle de l’armée, le gouvernement civil n’ayant qu’un
rôle très marginal dans la définition et l’application de la politique afghane du Pakistan et même, de
plus en plus, dans la gestion des régions frontalières visées par les opérations de contre-insurrection.
De plus, l’ISI n’est pas une puissance autonome, même si des éléments proches de l’ISI (anciens
officiers par exemple) peuvent avoir un rôle ambigu, par exemple dans les attentats de Mumbai.
Le soutien aux Taliban est bien l’expression de la politique suivie par l’armée dans son ensemble.
4. L’ancienne NWFP (North West Frontier Province), par ailleurs, les FATA (FederallyAdministered Tribal Areas) doivent progressivement disparaître.
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de Mumbai en 2008) des conséquences dévastatrices pour le Pakistan, alors même
que la coalition opère de plus en plus directement sur le territoire pakistanais.
Le Pakistan, plus qu’un allié, est devenu un problème par les États-Unis,
alors même que l’Inde, par le biais conjugué des concessions de l’administration
Bush sur le nucléaire, du lobby indien aux États-Unis et de la compétition sinoaméricaine, a définitivement distancé le Pakistan comme partenaire. L’isolement
du Pakistan sur la scène régionale, mais aussi son aliénation croissante des puissances occidentales forceront une réorientation radicale, mais le prix à payer
augmente rapidement.
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HÉRODOTE
UNE DÉSASTREUSE VICTOIRE ? LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE D’AFGHANISTAN...
CARTE. – PRÉSENCE DES TALIBAN PAKISTANAIS DANS LES ZONES TRIBALES
ET LA PROVINCE-FRONTIÈRE DU NORD-OUEST
(AUJOURD’HUI KHYBER PAKHTUNKHWA) EN 2009
2
AFGHANISTAN
3
5
4
6
7
8
12
Kaboul
18
21
9
10
14
13
Peshawar 15
19 20
22
11
CACHEMIRE
16
17
Islamabad
24
23
27
PENDJAB
26
25
29
28
30
PAKISTAN
31
INDE
BALOUTCHISTAN
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GILGITBALTISTAN
1
Bastion taliban
Présence des Taliban
Contrôle du gouvernement
Agences tribales (FATA)
Khyber Pakhtunkhwa
Ligne de contrôle
100 km
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
Chitral
Haut-Dir
Swat
Kohistan
Bas-Dir
Shangla
Battagram
Bajaur
Makaland
Buner
Maneshra
Mohmand
Charsadda
Mardan
Swabi
Haripur
17.
18.
19.
20.
21.
22.
23.
24.
25.
26.
27.
28.
29.
30.
31.
Abbottabad
Khyber
Peshawar
Nowshera
Kurram
Orakzai
Hangu
Kohat
Waziristan du Nord
Bannu
Karak
Waziristan du Sud
Lakki Marwat
Tank
Dera Ismail Khan
Carte de la BBC, 12 mars 2009, reprise dans Peter Bergen et Katherine Tiedemann, « Jihadistan », site
de Foreign Policy, The AfPak Channel, http://afpak.foreignpolicy.com/jihadistan
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TADJIKISTAN
5. Voir Ahmad Iqbal, « A Mirage Misnamed Strategic Depth », Al-Ahram (Le Caire), n° 392,
27 août-2 septembre 1998.
6. Pour plus de détails sur l’implication des puissances régionales, voir Human Rights
Watch, Afghanistan. Crisis of Impunity. The Role of Pakistan, Russia and Iran in Fueling the
Civil War, juillet 2001.
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Khyber Pakhtunkhwa a été porté par les mouvements nationalistes pachtounes en
Afghanistan. Pour s’opposer à cet irrédentisme, le pouvoir pakistanais a soutenu les
mouvements islamistes afghans qui avaient a priori une solidarité idéologique avec
le Pakistan, lui-même lancé dans une politique d’islamisation dès le gouvernement
de Zulfikar Ali Bhutto, dans les années 1970. Les mouvements de la résistance
afghane qui combattaient l’occupation soviétique avaient abandonné la revendication sur la frontière pakistanaise, au moins tant qu’ils étaient basés au Pakistan.
L’islam politique est donc perçu par l’armée pakistanaise comme une garantie
contre le nationalisme pachtoune et contre une remise en cause de la frontière.
En second lieu, le projet stratégique, souvent décrit par les militaires pakistanais, est de donner une « profondeur stratégique » au Pakistan par rapport à l’Inde
en installant un gouvernement propakistanais à Kaboul et, au-delà, en créant un
espace musulman comprenant l’Asie centrale et capable de s’opposer économiquement, démographiquement – et peut-être même militairement – à l’Inde. Le rapport
de force avec l’Inde – et indirectement la question cachemirie – conditionne
donc toute la politique afghane du Pakistan. Un gouvernement propakistanais en
Afghanistan doit notamment prévenir la reconstitution de l’alliance de revers entre
l’Afghanistan et l’Inde 5. L’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979 a donc
été une occasion historique pour le Pakistan de devenir le protecteur des mouvements jihadistes antisoviétiques et, en soutenant différents mouvements (le Hezb-e
Islami puis les Taliban), de chercher à consolider son influence et éliminer celle
de l’Inde, qui soutenait le régime communiste de Kaboul. Encore actuellement,
toute manœuvre diplomatique indienne en Afghanistan (ouverture de consulats,
projets économiques, construction d’une route près de la frontière pakistanaise) est
considérée à Islamabad comme une agression.
On ne saurait surestimer l’importance de l’appui pakistanais aux Taliban, et
ce dès leur formation. Dans les années 1990, ce soutien passe par la fourniture de
matériel de guerre, en contradiction avec l’embargo décrété par les Nations unies 6.
De plus, des militaires pakistanais ont été présents de façon permanente pour encadrer les Taliban dans toutes les opérations militaires importantes. D’un point de
vue diplomatique, le Pakistan a été l’un des rares États à reconnaître le régime
Taliban et le seul à essayer de le rendre acceptable sur la scène internationale.
Sans l’aide pakistanaise, la reconstitution des Taliban après 2001 aurait été
un processus beaucoup plus aléatoire, voire impossible si Islamabad avait eu
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HÉRODOTE
une politique systématique de destruction des réseaux implantés au Pakistan.
Le leadership des Taliban a été basé pendant des années à Quetta, où le mouvement
est toujours très implanté, avant de se déplacer plus à l’intérieur du pays (probablement à Karachi) pour éviter une attaque directe des États-Unis. Les services
pakistanais contrôlent plus ou moins directement l’ensemble des leaders Taliban et
il est probable qu’ils ont un rôle dans le choix de la stratégie adoptée sur le terrain.
Le sanctuaire pakistanais est totalement ouvert à la guérilla. Les combattants
Taliban sont libres de passer la frontière, de recruter dans les madrasas pakistanaises sans interférence de la police ou des militaires pakistanais (dans certains
cas, ils les auraient encouragés). Or l’armée américaine a fait des opérations dans
la province de Helmand et à Kandahar la clé de sa stratégie, alors que ces deux
provinces sont frontalières avec le Pakistan. En fait, il ne semble pas y avoir de
cas dans l’histoire militaire où une coalition opérant aussi loin de ses bases ait pu
vaincre une insurrection de cette ampleur disposant d’un sanctuaire à proximité
immédiate des zones de combats les plus intenses.
L’essentiel de l’effort diplomatique pakistanais a été d’obscurcir cette politique
pour éviter une rupture avec les États-Unis, en arguant notamment d’éléments
incontrôlables au sein de l’ISI. Jusqu’à récemment au moins, le discours officiel
et privé des militaires américains était que des progrès étaient constatables dans
la coopération avec le Pakistan. Ce dernier, conformément à la stratégie suivie
dans les années 1980, a fait payer aux États-Unis la modernisation de son armée
(ainsi que des projets civils) contre sa coopération stratégique, représentant une
véritable rente stratégique pour le Pakistan. En décembre 1979, l’invasion soviétique en Afghanistan avait représenté une menace pour le Pakistan, mais aussi
une ressource pour le régime de Zia-ul-Haq, dont la dictature militaire était mise
au ban de la communauté internationale en raison de la pendaison de son prédécesseur, Zulfikar Ali Bhutto. Après quelques hésitations, le Pakistan avait reçu le
plein appui américain, traduit par 3,2 milliards de dollars d’aide militaire et une
aide totale de 7,2 milliards dans les années 1980 7. De plus, en 1981, un crédit du
Fonds monétaire international de 1,6 milliard – le plus important alors donné à un
pays en voie de développement – avait été accordé au Pakistan. En échange de cet
appui, le Pakistan est devenu le relais de l’aide occidentale à la résistance afghane
et le sanctuaire des mouvements de guérilla antisoviétique. L’administration
pakistanaise a également eu un rôle décisif dans la répartition de l’aide destinée
aux 3,2 millions d’Afghans présents sur son sol, dont une partie importante
7. P. Dikshit, « 1993 : Afghanistan Policy », Strategic Analysis, novembre, vol. XVI, n° 8,
p. 1073. Pour une approche historique de la politique étrangère pakistanaise, voir S. M. Burke
et L. Ziring, Pakistan’s Foreign Policy. An Historical Analysis, Oxford University Pess, Oxford,
1990.
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8. Début octobre 2010, l’arrêt des convois de l’OTAN sur la passe de Khyber par les autorités pakistanaises à la suite d’une attaque américaine contre un poste frontière pakistanais, couplé
avec des attaques (non revendiquées) contre un convoi de l’OTAN à destination de Kandahar
(au sud), a clairement montré la dépendance logistique de l’OTAN par rapport au Pakistan.
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n’est jamais parvenue aux réfugiés. Le même scénario s’est répété après 2001.
Le Pakistan reste en effet un partenaire des États-Unis, car les voies logistiques
de l’OTAN passent par le Pakistan 8. De plus, la lutte contre Al-Qaida nécessite
la coopération des services pakistanais (ISI). Au titre des compensations pour la
« guerre contre la terreur », les États-Unis ont payé plus de 10 milliards de dollars
au Pakistan depuis 2001. L’armée pakistanaise est équipée de matériel américain
moderne, en principe pour lutter contre le terrorisme, et les Frontier Corps sont
formés à la contre-insurrection par des experts américains.
En fait, la coopération a été limitée et définie en fonction des objectifs de
l’armée pakistanaise. Premièrement, le Pakistan a pleinement coopéré avec les
États-Unis contre les groupes jihadistes comme Al-Qaida, parce que ces derniers
ont choisi l’État pakistanais comme cible prioritaire. Même si Al-Qaida a une
capacité opérationnelle probablement assez faible aujourd’hui, la nébuleuse
jihadiste qui opère au Pakistan inscrit ses attentats dans une stratégie de déstabilisation. Deuxièmement, l’armée pakistanaise n’a engagé aucune action significative
contre les Taliban (afghans) présents sur son territoire. Les États-Unis ont obtenu
le positionnement de forces américaines (en principe secrètes) sur le sol pakistanais à partir duquel les attaques de drones sont organisées. De plus, des forces
spéciales américaines interviennent dans la région frontalière (du côté pakistanais)
directement ou par le biais de forces afghanes organisées par la CIA. Mais les
interventions directes des forces américaines en territoire pakistanais (poursuite à
chaud ou opérations contre des cibles) sont restées pour l’instant limitées. S’il est
probable que les attaques contre les groupes Al-Qaida ont été relativement efficaces, rien n’indique que celles contre les Taliban, qui ont beaucoup augmenté
sous l’administration Obama, aient un impact significatif sur la capacité de la
guérilla à opérer en Afghanistan.
La situation créée sur le terrain par des années de coopération entre les Taliban
et l’armée pakistanaise est maintenant irréversible. Même si elle le voulait, celle-ci
ne pourrait plus éliminer les Taliban présents au Pakistan, sauf à un coût prohibitif et à un horizon de plusieurs années. En raison des opérations en cours contre
les groupes jihadistes pakistanais, l’armée pakistanaise n’a pas les ressources
pour ouvrir un nouveau front contre les Taliban afghans. Dans les zones tribales
(Waziristan, Bajaur, etc.), les opérations d’envergure n’ont pas détruit la structure des mouvements jihadistes, qui ont élargi leur base d’action géographique et
resserré leurs liens. De même, au Baloutchistan, l’armée pakistanaise est lancée
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Comment transformer une victoire militaire en avantage politique ?
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dans une politique de répression violente, où elle instrumentalise les Pachtounes
(et les Taliban) contre les Baloutches. Il reste la possibilité d’une opération,
facilement réalisable, contre le leadership Taliban, mais les conséquences sont
complexes à apprécier et elles interviendraient probablement trop tard. En effet,
la fin de l’alliance entre les Taliban et l’armée aurait pour conséquence une ouverture possible des hostilités (Baloutchistan et autres, éventuellement à Karachi).
De plus, les conséquences sur la guérilla en Afghanistan ne seraient probablement
pas définitives. La frontière est pratiquement impossible à contrôler, ce qui laisse
un sanctuaire aux combattants de la guérilla et les commandants présents en
Afghanistan ont probablement les ressources pour reconstituer une nouvelle direction. En conséquence, l’État pakistanais ne peut plus intervenir contre les Taliban
sans prendre le risque d’une généralisation de l’insécurité à l’ouest de l’Indus et
perdre dans le même temps la possibilité d’influer sur les négociations.
Pour l’armée pakistanaise, comme pour la plupart des observateurs et des puissances régionales, la coalition ne peut plus vaincre les Taliban et le retrait n’est
qu’une question de temps. Mais ce succès militaire ne conduit pas ipso facto à
des gains stratégiques pour le Pakistan. Idéalement, le Pakistan souhaite participer
directement à des négociations qui définiraient les futurs équilibres en Afghanistan,
sur le mode des accords de Bonn en 2001. Dans les années 1980, le Pakistan
était le représentant des partis de moudjahidines, qui ne furent jamais invités à
participer directement aux négociations [Cordovez et Harrison, 1995]. Islamabad
veut aujourd’hui être le représentant des Taliban dans le processus qui pourrait se
mettre en place. Lorsque l’ancien président pakistanais Pervez Musharraf souhaite
que l’ISI nomme les représentants pachtounes à une jirga (assemblée) qui serait
organisée à Kaboul pour mettre fin à la guerre, il exprime la perception répandue
dans les milieux militaires pakistanais que l’Afghanistan est l’arrière-cour du
Pakistan 9. L’idée serait pour le Pakistan d’imposer ses alliés, les Taliban et peutêtre le Hezb-e Islami de Gulbuddin Hekmatyar, dans un gouvernement d’union
nationale et d’éliminer l’influence indienne dans le processus. Or le Pakistan se
heurte à deux obstacles principaux : l’autonomisation probable des Taliban et le
refus des États-Unis de négocier.
9. Séminaire organisé par la School of Advanced International Studies, Université Johns
Hopkins, Washington, D.C., le 28 septembre 2009.
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UNE DÉSASTREUSE VICTOIRE ? LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE D’AFGHANISTAN...
10. Mais les combattants du camp de Salman Farsi à Jawad (près de la frontière pakistanaise) appartenant au Hezb ul-mojâhidin furent expulsés par les Taliban et certains furent arrêtés
par les autorités pakistanaises.
184
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Les Taliban ont des relations tendues avec l’armée pakistanaise, et le risque
d’une perte de contrôle est tout à fait réel, notamment si la direction du mouvement
rentre en Afghanistan. L’armée pakistanaise a déjà vécu une situation comparable
quand les Taliban ont pris le pouvoir en Afghanistan et se sont distanciés de leur
protecteur à de multiples reprises. Pour prendre quelques exemples : la première
offensive contre Hérat au printemps 1995 a été faite en dépit des conseils du
Pakistan, de même que la pendaison du président afghan Najibullah lors de la
prise de Kaboul en 1996 ou la destruction des Bouddhas de Bamyan en réaction
aux sanctions de l’ONU en 2001. Par ailleurs, les Taliban avaient refusé de livrer
à la police pakistanaise les militants appartenant à des mouvements extrémistes
comme le Sipah-e Sahaba Pakistan (SSP) et le Lashkar-e Jhangvi (JL), notamment
son chef, Riaz Basra 10. Un autre signe de la tonalité nationaliste du mouvement
Taliban a été son refus de reconnaître la ligne Durand comme frontière avec le
Pakistan, une demande constante d’Islamabad depuis la création du Pakistan.
Aujourd’hui, le même scénario est probable dès que le leadership Taliban sera hors
du Pakistan. Le niveau de contrôle de l’armée pakistanaise sur les Taliban est difficile à préciser, mais il est certain que la quasi-totalité du leadership du mouvement
afghan est sous surveillance étroite. Ainsi, l’arrestation en février 2010 du numéro
deux du mouvement, le mollah Baradar, est intervenue car celui-ci voulait ouvrir
des négociations directes avec Kaboul. L’armée pakistanaise a donc discipliné les
Taliban, avec le risque de détériorer encore davantage ses relations avec le mouvement. Au final, les Taliban peuvent se radicaliser et se rapprocher des mouvements
jihadistes pakistanais, ce qui mettrait Islamabad dans une position difficile. Dans
le cas inverse où les Taliban se normaliseraient, le Pakistan y perdra aussi car les
Taliban feront contrepoids à l’influence pakistanaise par le recours aux investissements chinois, occidentaux ou même indiens. Un processus de négociation et la
constitution d’un gouvernement d’union nationale est probablement la situation où
l’armée pakistanaise pourrait garder le plus d’influence sur les Taliban et donc sur
le jeu politique afghan.
Mais le problème immédiat du Pakistan est le refus américain de négocier leur
retrait. Le président Karzai, les Taliban et le Pakistan attendent depuis des mois
que l’administration américaine lance le processus. Le blocage tient essentiellement aux militaires américains qui pensent réitérer le succès du surge irakien et
veulent repousser la date de l’été 2011 comme début du retrait. Du point de vue du
Pakistan, le risque est celui d’un échec militaire, conduisant à un retrait unilatéral
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Les conséquences internes
Depuis 1980, le conflit afghan a eu des conséquences majeures pour le
Pakistan : des millions de réfugiés afghans, des groupes jihadistes armés, un affaiblissement irréversible des structures tribales, une violence croissante due à la
conjonction de la violence jihadiste et aux opérations de plus en plus fréquentes
de la coalition. Précisons cependant que le développement de la violence jihadiste et des mouvements religieux radicaux doit peu à la crise afghane, au moins
directement. En particulier, les violences « sectaires » (entre chiites et sunnites)
ne sont pas un effet de la guerre d’Afghanistan, ni un sous-produit de la percée
des Taliban. Même si des militants du Sipah-e Sahaba (Anjuman Sipah-e Sahaba
Party) 11 sont allés combattre en Afghanistan, l’émergence de ce parti est d’abord
une conséquence des tensions communautaires dues à l’instrumentalisation de
l’islam par le pouvoir militaire de Zia-ul-Haq. Pour autant, la guerre d’Afghanistan
a renforcé les mouvements jihadistes sur deux fronts. Premièrement, ils disposent d’une cause – combattre l’URSS puis les États-Unis – qui séduit les militants
attirés par l’expérience personnelle du jihad, d’une façon plus significative que
les combats au Cachemire. Deuxièmement, la zone frontière devient un sanctuaire pour différents groupes armés. Même si les Taliban ou le Hezb-e Islami
ne s’opposent pas directement à l’armée pakistanaise, ils coopèrent avec les jihadistes pakistanais dans une logique d’échange de services, d’autant que les frappes
américaines les visent maintenant de façon indistincte. Enfin, l’État pakistanais
a encouragé l’islamisation des régions frontalières pour faire échec à ce qui était
perçu comme la menace soviétique. Une des conséquences de la politique pakistanaise a été de soutenir les mouvements islamistes au détriment des structures
tribales qui étaient jusque-là les interlocuteurs du gouvernement. Les mouvements
politiques des deux côtés de la frontière s’opposent, parfois violemment, aux
logiques tribales, au nom de l’islam et du jihad contre les États-Unis ou le gouvernement pakistanais. L’effondrement de l’ordre social de la frontière et du mode de
11. Cette organisation, formée vers 1989 et dirigée par le maulana Azam Tariq, a pour
objectif le vote d’une loi déclarant les chiites non musulmans.
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et à l’effondrement inévitable du régime de Karzai. Or une prise de pouvoir militaire des Taliban sans accord politique avec les États-Unis aurait pour conséquence
de faire à nouveau de l’Afghanistan un État paria. Si l’ouverture des négociations
tarde trop, le mouvement Taliban pourrait refuser de négocier et tenter de survivre
sans l’appui pakistanais.
Nous offririons aux Taliban afghans un accord aux termes duquel aucune partie ne
chercherait à étendre son emprise territoriale – si les Taliban arrêtaient leur soutien
au terrorisme, une proposition que très probablement ils rejetteraient. Nous leur
ferions alors clairement comprendre que nous utiliserions puissamment la force
aérienne américaine et les forces spéciales pour cibler toute base d’Al-Qaida en
Afghanistan, ainsi que les chefs Taliban qui soutiendraient Al-Qaida. Nous ciblerions
également les débordements des Taliban afghans au-delà des lignes de partition de
facto, ainsi que les sanctuaires terroristes établis le long de la frontière pakistanaise.
12. Sondage commandité par New America Foundation et Terror Free Tomorrow, réalisé en
juin-juillet 2010, voir Associated Press, 1er octobre 2010 http://news.yahoo.com/s/ap/20101001/
ap_on_re_as/as_pakistan_missile_strikes_poll
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gouvernement indirect n’a pas laissé la place à un autre fonctionnement : le rôle
jadis décisif des political agents des FATA, représentant le pouvoir central auprès
des notables tribaux traditionnels, est aujourd’hui considérablement amoindri, et il
le sera plus encore si le statut spécifique des FATA disparaît à l’avenir.
La guerre s’étend inexorablement au Pakistan. Les opérations de la coalition en
territoire pakistanais visaient initialement les membres d’Al-Qaida, avec la coopération du gouvernement pakistanais. Pourtant, au fil des années et pour compenser
l’absence de progrès dans la lutte contre les Taliban en Afghanistan, la coalition
a élargi ses cibles aux Taliban présents de l’autre côté de la frontière. Dans un
parallèle intéressant avec le Vietnam et le Cambodge, l’armée américaine, frustrée
de son manque de progrès contre la guérilla, cherche à étendre le conflit au pays
voisin. Avec l’arrivée au pouvoir d’Obama, les attaques par drones se sont multipliées (une vingtaine pour le mois de septembre 2010). Les pertes civiles (un tiers
des tués seraient des civils d’après une compilation des sources ouvertes) sont
élevées et les trois quarts des habitants des zones tribales s’opposent fortement aux
frappes 12. En conséquence de l’attitude de plus en plus agressive de la coalition,
les incidents frontaliers sont récurrents, le dernier en date (30 septembre) ayant
conduit le Pakistan à fermer la frontière aux convois de l’OTAN sur la route entre
Peshawar et Kaboul.
Le retrait occidental, s’il organise une guerre civile ethnique, peut aussi être un
problème majeur pour le Pakistan. En effet, certains commentateurs américains
espèrent qu’une issue peut passer par une division de l’Afghanistan. Par exemple,
l’ancien ambassadeur Robert Blackwill propose de diviser l’Afghanistan sur des
lignes ethniques, car l’État est artificiel. En pratique, cela suppose un nettoyage
ethnique de grande ampleur (au détriment des Pachtounes du Nord) et la fin de
l’armée afghane qui deviendrait, ce qu’elle tend déjà à être, totalement dominée
par les Tadjiks – notamment les Panjshiris – et les Ouzbeks. Citons-le :
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Conclusion
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La mise en œuvre d’une telle politique serait un désastre. La déstabilisation du
Pakistan est très dangereuse car la frontière afghano-pakistanaise disparaîtrait de
fait, avec des conséquences sur le Baloutchistan. Même d’un point de vue occidental ou indien, cette situation n’est pas favorable, car le pire qui puisse arriver
est la perte de contrôle des zones frontalières qui permettrait à tous les groupes
jihadistes de trouver un sanctuaire.
La politique afghane du Pakistan lui a permis de redevenir un interlocuteur
incontournable dans la guerre actuelle. Pourtant, ces succès ont considérablement
aggravé la situation interne du pays, sans qu’ils débouchent sur une nouvelle
donne régionale clairement avantageuse. Les Taliban seront incontrôlables dès
qu’ils seront à Kaboul et les relations d’Islamabad avec les États-Unis sont limitées, sans profondeur historique, et fondamentalement instables.
Les relations avec les États-Unis sont de plus tendues et l’échec de l’OTAN
va accélérer le rapprochement avec l’Inde au détriment du Pakistan. Le retrait des
forces internationales d’Afghanistan fera perdre au Pakistan son rôle de partenaire
nécessaire de la coalition. Or le Pakistan n’a pas les moyens d’un lobbying efficace
aux États-Unis en raison notamment de la montée de l’islamophobie dans les pays
occidentaux, a fortiori quand on compare le Pakistan à l’Inde qui s’appuie sur une
économie dynamique et une diaspora mobilisée. La fin de la rente stratégique du
Pakistan aura des conséquences à terme sur l’aide occidentale, qui deviendra plus
modeste ou (véritablement) conditionnelle.
L’installation d’une situation de désordre sur la frontière afghano-pakistanaise
et plus généralement la guerre civile à basse intensité qui touche de plus de plus de
13. Robert D. Blackwill, « A de facto partition for Afghanistan », Politico, 7 juillet 2010.
http://dyn.politico.com/printstory.cfm?uuid=AACEE164-18FE-70B2-A8E30566E50DFB3A.
Blackwill a été ambassadeur américain en Inde de 2001 à 2003, puis chargé de l’Irak au Conseil
national de sécurité sous la présidence de George W. Bush (NDLR).
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Il faudrait analyser soigneusement ce point, mais il semble que tout cela impliquerait de maintenir pendant longtemps en Afghanistan une force résiduelle de 40 000 à
50 000 hommes. En cette affaire, nous chercherions l’appui des Tadjiks, des Ouzbeks,
des Hazaras et des Pachtounes soutenant cette initiative, ainsi que l’assentiment
de nos alliés de l’OTAN, de la Russie, de l’Inde, de l’Iran, peut-être de la Chine
et des nations d’Asie centrale ainsi que, on l’espère, l’appui du Conseil de sécurité
des Nations unies 13.
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régions sont largement une conséquence de la manipulation des mouvements jihadistes contre l’Inde ou le gouvernement afghan. Le Pakistan perd progressivement
le contrôle de ces groupes qui ont pour projet de transformer radicalement l’ordre
social au Pakistan. Le Pakistan se trouve en conséquence face à une menace existentielle dans les prochaines années, avec une guerre civile à basse intensité dans
plusieurs régions et des élites politiques de moins en moins légitimes. Or, en raison
du niveau de déliquescence de son système politique, c’est encore l’armée qui
apparaît comme un recours, ce qui ne laisse pas présager d’une évolution radicale dans les relations avec l’Inde ou la définition des objectifs pakistanais en
Afghanistan.
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