Hérodote, n° 139, La Découverte, 4e trimestre 2010. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Gilles Dorronsoro 1 De quelle façon la guerre en Afghanistan affecte-t-elle le Pakistan ? Répondre à cette question est particulièrement d’actualité, car le conflit qui dure depuis 1979 en Afghanistan est à un (nouveau) tournant. L’enlisement des opérations de la coalition marque l’échec de la stratégie de contre-insurrection choisie par le général McChrystal à l’été 2009 et poursuivie avec quelques modifications par le général Petraeus depuis l’été 2010. La stratégie initiale prévoyait des opérations de nettoyage (clear), une présence continue des forces occidentales (hold), avec la mise en place d’une administration afghane et de projets de développement dans les districts repris (build), repoussant ainsi la guérilla dans les zones de plus en plus marginales (inkspot strategy). Pourtant, malgré l’ampleur des moyens engagés – 20 000 marines combattent dans quelques districts de la province méridionale de Helmand –, la coalition ne parvient pas à expulser les Taliban 2 des territoires disputés. La mise en place d’une administration afghane ou l’établissement de relations de confiance avec la population se révèlent impossibles. Les opérations lancées à l’automne 2010 autour de Kandahar sont encore plus difficiles du fait d’un large soutien populaire à la guérilla conjugué avec un rejet massif de la coalition et des autorités locales. 1. Chercheur invité à la Carnegie Endowment for International Peace, Washington, D.C. 2. L’auteur distingue le mouvement politique Taliban (mot invariable et « t » majuscule) des taliban (le mot est déjà un pluriel), étudiants en religion qui ne sont pas nécessairement partie prenante du mouvement Taliban. On respectera cette distinction significative tout au long de cet article (NDLR). 175 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Une désastreuse victoire ? Les conséquences de la guerre d’Afghanistan sur le Pakistan 176 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Une stabilisation autour de la ville de Kandahar ou dans le Helmand nécessiterait la présence de dizaines de milliers de soldats pour cinq ans au moins, avec des pertes significatives. Les meilleures troupes de la coalition étant mobilisées dans deux provinces du Sud, le Helmand et Kandahar (plus de 60 000 hommes), la coalition n’a pas les moyens de s’opposer à la progression rapide de la guérilla dans le reste du pays. Dans le Nord et l’Ouest, les forces européennes, peu préparées à des combats intenses, adoptent une position de plus en plus défensive, laissant la guérilla libre d’occuper le terrain et d’administrer la population. De plus, la dégradation de la sécurité autour de Jalalabad et de Kaboul indique une pression croissante de l’insurrection sur les régions politiquement et économiquement les plus importantes. En conséquence, la coalition risque fort de se trouver en situation d’infériorité tactique dans de nombreuses provinces à partir de 2011. Au final, des armées occidentales opérant loin de leurs bases, complètement coupées de la population, n’ont aucune chance de vaincre l’insurrection Taliban avec des ressources qui vont rapidement décliner. En effet, le retrait des pays alliés a commencé (Pays-Bas et Canada) et sera achevé pour l’essentiel en 2015 (Pologne en 2013, Grande-Bretagne avant 2015). La coalition sera donc à son maximum de puissance entre l’été 2010 et l’été 2011. La montée en puissance de l’insurrection se conjuguera ensuite avec une capacité rapidement déclinante de la coalition. Par ailleurs, les projets d’afghanisation de la guerre n’ont guère de sens avec un gouvernement afghan dont la base sociale et la légitimité disparaissent à vue d’œil. Le gouvernement de Kaboul ne contrôle guère plus que les villes et les pouvoirs régionaux affirment leur autonomie. La transition vers une prise en charge de la sécurité par le gouvernement, prévue en 2011, ne pourra pas s’effectuer en raison de la faiblesse de l’armée afghane, toujours incapable de mener des opérations de façon indépendante. Seule une négociation avec les Taliban pourrait offrir une voie de sortie à la coalition, mais l’évolution des rapports de force sur le terrain rend l’acceptation d’un processus diplomatique par les Taliban de plus en plus douteux. En cas de refus, la coalition se trouvera devant un dilemme : envoyer de nouveaux renforts ou accepter une défaite humiliante. À première vue, la défaite occidentale est une victoire inespérée pour le Pakistan. En effet, les accords de Bonn de 2001 avaient mis à l’écart à la fois les Taliban et leurs protecteurs pakistanais. Du fait de l’invasion américaine, l’alliance du Nord, historiquement opposée au Pakistan, devenait la puissance dominante à Kaboul. Le profit que le Pakistan espérait du soutien aux combattants afghans depuis 1980 disparaissait d’un coup et l’Inde redevenait un acteur significatif en Afghanistan. Or, pour les militaires pakistanais, la reconstitution de l’axe Kaboul-New Delhi représente un danger de premier ordre, en raison du risque d’avoir, en cas de guerre avec l’Inde, à combattre sur deux fronts. Face à ce revers majeur, la politique pakistanaise a reposé sur un équilibre difficile : soutenir Hérodote, n° 139, La Découverte, 4e trimestre 2010. HÉRODOTE l’insurrection Taliban et, dans le même temps, rester un interlocuteur – ou même un allié – des États-Unis. Il est ironique, mais démonstratif de l’efficacité de la diplomatie pakistanaise, que les États-Unis aient financé, et continuent à financer, un gouvernement qui soutient une guérilla responsable de la mort de centaines de militaires américains depuis 2001. Pourtant, cette victoire est potentiellement un désastre pour le Pakistan. En effet, la transformation de la défaite occidentale en avantage politique et stratégique pour le Pakistan est loin d’être évidente. Le retrait occidental qui se profile aura en effet pour conséquence que les Taliban auront à l’avenir plus de marge de manœuvre par rapport au Pakistan. Ce dernier risque de perdre le contrôle de son allié, de la même façon qu’il avait perdu le contrôle des groupes de moudjahidines dans les années 1990 et des Taliban après la prise de Kaboul en 1996. Pour l’instant, le refus des États-Unis de négocier leur retrait et de pousser à la constitution d’un gouvernement d’union nationale à Kaboul augmente le risque d’une victoire militaire des Taliban, suivie d’un isolement de l’Afghanistan sur la scène internationale. Dans cette hypothèse, les intérêts pakistanais en souffriraient car Islamabad se retrouverait dans la même situation qu’à la fin des années 1990. En cas d’accord, les Taliban pourraient se rapprocher des Occidentaux ou des Chinois, au moins sur un plan économique, et le Pakistan verrait également son influence se réduire. La question posée par la politique afghane du Pakistan est celle du répertoire d’action utilisé par le Pakistan en relations internationales depuis une génération, à savoir l’utilisation de groupes radicaux pour affronter indirectement des puissances supérieures, l’Inde, l’URSS et aujourd’hui les États-Unis. De ce point de vue, il est significatif que l’arme atomique n’ait pas fondamentalement transformé la vision stratégique du Pakistan : la sanctuarisation du territoire national n’est pas obtenue par la dissuasion nucléaire, peut-être parce que la définition même du territoire national est disputée. Or le soutien à des mouvements radicaux pour réaliser des objectifs de politique extérieure, au Cachemire ou en Afghanistan, n’est plus adapté à la réalité des rapports de force internationaux. D’une part, les effets de la guerre d’Afghanistan sont extrêmement déstructurants au Pakistan même, car la guerre s’étend progressivement sur son territoire du fait que la coalition y intervient de plus en plus directement et que la présence des groupes Taliban, même s’ils ne s’opposent pas frontalement à l’État pakistanais, est un facteur de radicalisation. De plus, les possibilités d’éclatement de l’Afghanistan sur une base ethnique ou la perspective d’une guerre civile longue font peser des menaces sur la zone frontière. D’autre part, la manipulation des groupes radicaux se retourne contre le Pakistan. Les difficultés croissantes de l’Inter-Services Intelligence (ISI) à contrôler les groupes jihadistes pakistanais peuvent avoir (dans l’hypothèse d’une nouvelle attaque terroriste majeure en Inde, comparable à celle 177 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Hérodote, n° 139, La Découverte, 4e trimestre 2010. UNE DÉSASTREUSE VICTOIRE ? LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE D’AFGHANISTAN... Le soutien aux Taliban Le soutien des militaires pakistanais aux Taliban depuis 2001 3 s’inscrit dans une tradition ancienne. Le Pakistan appuie en effet les mouvements jihadistes afghans depuis 1979, et même 1975, si l’on prend en compte le soutien, il est vrai ambigu, de l’ISI au coup d’État islamiste alors tenté par quelques militants islamistes, dont Ahmed Shah Massoud, qui deviendra par la suite un acteur clé parmi les moudjahidines. Le soutien à des mouvements pachtounes et islamistes/ fondamentalistes est une conséquence de deux questions liées : la perception d’une menace indienne et le statut incertain de la frontière afghano-pakistanaise. En premier lieu, la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan n’a jamais été reconnue par l’État afghan. Ce dernier a été, pour cette raison, le seul à voter contre l’accession du Pakistan à l’ONU au moment de la partition. En effet, les populations pachtounes des deux côtés de la frontière ont été séparées de façon arbitraire par la ligne Durand (1893), du nom de l’officier britannique qui l’a tracée, en fonction de considérations strictement militaires, sans que le renoncement de l’Afghanistan à la souveraineté sur ces régions soit juridiquement clair. Il existe au Pakistan même un courant nationaliste pathan (pachtoune) qui a historiquement de bonnes relations avec l’Afghanistan et réclame plus d’autonomie pour la Khyber Pakhtunkhwa 4. Le projet d’un grand Afghanistan qui intégrerait la 3. La politique pakistanaise est en fait celle de l’armée, le gouvernement civil n’ayant qu’un rôle très marginal dans la définition et l’application de la politique afghane du Pakistan et même, de plus en plus, dans la gestion des régions frontalières visées par les opérations de contre-insurrection. De plus, l’ISI n’est pas une puissance autonome, même si des éléments proches de l’ISI (anciens officiers par exemple) peuvent avoir un rôle ambigu, par exemple dans les attentats de Mumbai. Le soutien aux Taliban est bien l’expression de la politique suivie par l’armée dans son ensemble. 4. L’ancienne NWFP (North West Frontier Province), par ailleurs, les FATA (FederallyAdministered Tribal Areas) doivent progressivement disparaître. 178 Hérodote, n° 139, La Découverte, 4e trimestre 2010. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte de Mumbai en 2008) des conséquences dévastatrices pour le Pakistan, alors même que la coalition opère de plus en plus directement sur le territoire pakistanais. Le Pakistan, plus qu’un allié, est devenu un problème par les États-Unis, alors même que l’Inde, par le biais conjugué des concessions de l’administration Bush sur le nucléaire, du lobby indien aux États-Unis et de la compétition sinoaméricaine, a définitivement distancé le Pakistan comme partenaire. L’isolement du Pakistan sur la scène régionale, mais aussi son aliénation croissante des puissances occidentales forceront une réorientation radicale, mais le prix à payer augmente rapidement. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte HÉRODOTE UNE DÉSASTREUSE VICTOIRE ? LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE D’AFGHANISTAN... CARTE. – PRÉSENCE DES TALIBAN PAKISTANAIS DANS LES ZONES TRIBALES ET LA PROVINCE-FRONTIÈRE DU NORD-OUEST (AUJOURD’HUI KHYBER PAKHTUNKHWA) EN 2009 2 AFGHANISTAN 3 5 4 6 7 8 12 Kaboul 18 21 9 10 14 13 Peshawar 15 19 20 22 11 CACHEMIRE 16 17 Islamabad 24 23 27 PENDJAB 26 25 29 28 30 PAKISTAN 31 INDE BALOUTCHISTAN Hérodote, n° 139, La Découverte, 4e trimestre 2010. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte GILGITBALTISTAN 1 Bastion taliban Présence des Taliban Contrôle du gouvernement Agences tribales (FATA) Khyber Pakhtunkhwa Ligne de contrôle 100 km 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. Chitral Haut-Dir Swat Kohistan Bas-Dir Shangla Battagram Bajaur Makaland Buner Maneshra Mohmand Charsadda Mardan Swabi Haripur 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. Abbottabad Khyber Peshawar Nowshera Kurram Orakzai Hangu Kohat Waziristan du Nord Bannu Karak Waziristan du Sud Lakki Marwat Tank Dera Ismail Khan Carte de la BBC, 12 mars 2009, reprise dans Peter Bergen et Katherine Tiedemann, « Jihadistan », site de Foreign Policy, The AfPak Channel, http://afpak.foreignpolicy.com/jihadistan 179 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte TADJIKISTAN 5. Voir Ahmad Iqbal, « A Mirage Misnamed Strategic Depth », Al-Ahram (Le Caire), n° 392, 27 août-2 septembre 1998. 6. Pour plus de détails sur l’implication des puissances régionales, voir Human Rights Watch, Afghanistan. Crisis of Impunity. The Role of Pakistan, Russia and Iran in Fueling the Civil War, juillet 2001. 180 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Khyber Pakhtunkhwa a été porté par les mouvements nationalistes pachtounes en Afghanistan. Pour s’opposer à cet irrédentisme, le pouvoir pakistanais a soutenu les mouvements islamistes afghans qui avaient a priori une solidarité idéologique avec le Pakistan, lui-même lancé dans une politique d’islamisation dès le gouvernement de Zulfikar Ali Bhutto, dans les années 1970. Les mouvements de la résistance afghane qui combattaient l’occupation soviétique avaient abandonné la revendication sur la frontière pakistanaise, au moins tant qu’ils étaient basés au Pakistan. L’islam politique est donc perçu par l’armée pakistanaise comme une garantie contre le nationalisme pachtoune et contre une remise en cause de la frontière. En second lieu, le projet stratégique, souvent décrit par les militaires pakistanais, est de donner une « profondeur stratégique » au Pakistan par rapport à l’Inde en installant un gouvernement propakistanais à Kaboul et, au-delà, en créant un espace musulman comprenant l’Asie centrale et capable de s’opposer économiquement, démographiquement – et peut-être même militairement – à l’Inde. Le rapport de force avec l’Inde – et indirectement la question cachemirie – conditionne donc toute la politique afghane du Pakistan. Un gouvernement propakistanais en Afghanistan doit notamment prévenir la reconstitution de l’alliance de revers entre l’Afghanistan et l’Inde 5. L’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979 a donc été une occasion historique pour le Pakistan de devenir le protecteur des mouvements jihadistes antisoviétiques et, en soutenant différents mouvements (le Hezb-e Islami puis les Taliban), de chercher à consolider son influence et éliminer celle de l’Inde, qui soutenait le régime communiste de Kaboul. Encore actuellement, toute manœuvre diplomatique indienne en Afghanistan (ouverture de consulats, projets économiques, construction d’une route près de la frontière pakistanaise) est considérée à Islamabad comme une agression. On ne saurait surestimer l’importance de l’appui pakistanais aux Taliban, et ce dès leur formation. Dans les années 1990, ce soutien passe par la fourniture de matériel de guerre, en contradiction avec l’embargo décrété par les Nations unies 6. De plus, des militaires pakistanais ont été présents de façon permanente pour encadrer les Taliban dans toutes les opérations militaires importantes. D’un point de vue diplomatique, le Pakistan a été l’un des rares États à reconnaître le régime Taliban et le seul à essayer de le rendre acceptable sur la scène internationale. Sans l’aide pakistanaise, la reconstitution des Taliban après 2001 aurait été un processus beaucoup plus aléatoire, voire impossible si Islamabad avait eu Hérodote, n° 139, La Découverte, 4e trimestre 2010. HÉRODOTE une politique systématique de destruction des réseaux implantés au Pakistan. Le leadership des Taliban a été basé pendant des années à Quetta, où le mouvement est toujours très implanté, avant de se déplacer plus à l’intérieur du pays (probablement à Karachi) pour éviter une attaque directe des États-Unis. Les services pakistanais contrôlent plus ou moins directement l’ensemble des leaders Taliban et il est probable qu’ils ont un rôle dans le choix de la stratégie adoptée sur le terrain. Le sanctuaire pakistanais est totalement ouvert à la guérilla. Les combattants Taliban sont libres de passer la frontière, de recruter dans les madrasas pakistanaises sans interférence de la police ou des militaires pakistanais (dans certains cas, ils les auraient encouragés). Or l’armée américaine a fait des opérations dans la province de Helmand et à Kandahar la clé de sa stratégie, alors que ces deux provinces sont frontalières avec le Pakistan. En fait, il ne semble pas y avoir de cas dans l’histoire militaire où une coalition opérant aussi loin de ses bases ait pu vaincre une insurrection de cette ampleur disposant d’un sanctuaire à proximité immédiate des zones de combats les plus intenses. L’essentiel de l’effort diplomatique pakistanais a été d’obscurcir cette politique pour éviter une rupture avec les États-Unis, en arguant notamment d’éléments incontrôlables au sein de l’ISI. Jusqu’à récemment au moins, le discours officiel et privé des militaires américains était que des progrès étaient constatables dans la coopération avec le Pakistan. Ce dernier, conformément à la stratégie suivie dans les années 1980, a fait payer aux États-Unis la modernisation de son armée (ainsi que des projets civils) contre sa coopération stratégique, représentant une véritable rente stratégique pour le Pakistan. En décembre 1979, l’invasion soviétique en Afghanistan avait représenté une menace pour le Pakistan, mais aussi une ressource pour le régime de Zia-ul-Haq, dont la dictature militaire était mise au ban de la communauté internationale en raison de la pendaison de son prédécesseur, Zulfikar Ali Bhutto. Après quelques hésitations, le Pakistan avait reçu le plein appui américain, traduit par 3,2 milliards de dollars d’aide militaire et une aide totale de 7,2 milliards dans les années 1980 7. De plus, en 1981, un crédit du Fonds monétaire international de 1,6 milliard – le plus important alors donné à un pays en voie de développement – avait été accordé au Pakistan. En échange de cet appui, le Pakistan est devenu le relais de l’aide occidentale à la résistance afghane et le sanctuaire des mouvements de guérilla antisoviétique. L’administration pakistanaise a également eu un rôle décisif dans la répartition de l’aide destinée aux 3,2 millions d’Afghans présents sur son sol, dont une partie importante 7. P. Dikshit, « 1993 : Afghanistan Policy », Strategic Analysis, novembre, vol. XVI, n° 8, p. 1073. Pour une approche historique de la politique étrangère pakistanaise, voir S. M. Burke et L. Ziring, Pakistan’s Foreign Policy. An Historical Analysis, Oxford University Pess, Oxford, 1990. 181 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Hérodote, n° 139, La Découverte, 4e trimestre 2010. UNE DÉSASTREUSE VICTOIRE ? LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE D’AFGHANISTAN... 8. Début octobre 2010, l’arrêt des convois de l’OTAN sur la passe de Khyber par les autorités pakistanaises à la suite d’une attaque américaine contre un poste frontière pakistanais, couplé avec des attaques (non revendiquées) contre un convoi de l’OTAN à destination de Kandahar (au sud), a clairement montré la dépendance logistique de l’OTAN par rapport au Pakistan. 182 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte n’est jamais parvenue aux réfugiés. Le même scénario s’est répété après 2001. Le Pakistan reste en effet un partenaire des États-Unis, car les voies logistiques de l’OTAN passent par le Pakistan 8. De plus, la lutte contre Al-Qaida nécessite la coopération des services pakistanais (ISI). Au titre des compensations pour la « guerre contre la terreur », les États-Unis ont payé plus de 10 milliards de dollars au Pakistan depuis 2001. L’armée pakistanaise est équipée de matériel américain moderne, en principe pour lutter contre le terrorisme, et les Frontier Corps sont formés à la contre-insurrection par des experts américains. En fait, la coopération a été limitée et définie en fonction des objectifs de l’armée pakistanaise. Premièrement, le Pakistan a pleinement coopéré avec les États-Unis contre les groupes jihadistes comme Al-Qaida, parce que ces derniers ont choisi l’État pakistanais comme cible prioritaire. Même si Al-Qaida a une capacité opérationnelle probablement assez faible aujourd’hui, la nébuleuse jihadiste qui opère au Pakistan inscrit ses attentats dans une stratégie de déstabilisation. Deuxièmement, l’armée pakistanaise n’a engagé aucune action significative contre les Taliban (afghans) présents sur son territoire. Les États-Unis ont obtenu le positionnement de forces américaines (en principe secrètes) sur le sol pakistanais à partir duquel les attaques de drones sont organisées. De plus, des forces spéciales américaines interviennent dans la région frontalière (du côté pakistanais) directement ou par le biais de forces afghanes organisées par la CIA. Mais les interventions directes des forces américaines en territoire pakistanais (poursuite à chaud ou opérations contre des cibles) sont restées pour l’instant limitées. S’il est probable que les attaques contre les groupes Al-Qaida ont été relativement efficaces, rien n’indique que celles contre les Taliban, qui ont beaucoup augmenté sous l’administration Obama, aient un impact significatif sur la capacité de la guérilla à opérer en Afghanistan. La situation créée sur le terrain par des années de coopération entre les Taliban et l’armée pakistanaise est maintenant irréversible. Même si elle le voulait, celle-ci ne pourrait plus éliminer les Taliban présents au Pakistan, sauf à un coût prohibitif et à un horizon de plusieurs années. En raison des opérations en cours contre les groupes jihadistes pakistanais, l’armée pakistanaise n’a pas les ressources pour ouvrir un nouveau front contre les Taliban afghans. Dans les zones tribales (Waziristan, Bajaur, etc.), les opérations d’envergure n’ont pas détruit la structure des mouvements jihadistes, qui ont élargi leur base d’action géographique et resserré leurs liens. De même, au Baloutchistan, l’armée pakistanaise est lancée Hérodote, n° 139, La Découverte, 4e trimestre 2010. HÉRODOTE Comment transformer une victoire militaire en avantage politique ? Hérodote, n° 139, La Découverte, 4e trimestre 2010. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte dans une politique de répression violente, où elle instrumentalise les Pachtounes (et les Taliban) contre les Baloutches. Il reste la possibilité d’une opération, facilement réalisable, contre le leadership Taliban, mais les conséquences sont complexes à apprécier et elles interviendraient probablement trop tard. En effet, la fin de l’alliance entre les Taliban et l’armée aurait pour conséquence une ouverture possible des hostilités (Baloutchistan et autres, éventuellement à Karachi). De plus, les conséquences sur la guérilla en Afghanistan ne seraient probablement pas définitives. La frontière est pratiquement impossible à contrôler, ce qui laisse un sanctuaire aux combattants de la guérilla et les commandants présents en Afghanistan ont probablement les ressources pour reconstituer une nouvelle direction. En conséquence, l’État pakistanais ne peut plus intervenir contre les Taliban sans prendre le risque d’une généralisation de l’insécurité à l’ouest de l’Indus et perdre dans le même temps la possibilité d’influer sur les négociations. Pour l’armée pakistanaise, comme pour la plupart des observateurs et des puissances régionales, la coalition ne peut plus vaincre les Taliban et le retrait n’est qu’une question de temps. Mais ce succès militaire ne conduit pas ipso facto à des gains stratégiques pour le Pakistan. Idéalement, le Pakistan souhaite participer directement à des négociations qui définiraient les futurs équilibres en Afghanistan, sur le mode des accords de Bonn en 2001. Dans les années 1980, le Pakistan était le représentant des partis de moudjahidines, qui ne furent jamais invités à participer directement aux négociations [Cordovez et Harrison, 1995]. Islamabad veut aujourd’hui être le représentant des Taliban dans le processus qui pourrait se mettre en place. Lorsque l’ancien président pakistanais Pervez Musharraf souhaite que l’ISI nomme les représentants pachtounes à une jirga (assemblée) qui serait organisée à Kaboul pour mettre fin à la guerre, il exprime la perception répandue dans les milieux militaires pakistanais que l’Afghanistan est l’arrière-cour du Pakistan 9. L’idée serait pour le Pakistan d’imposer ses alliés, les Taliban et peutêtre le Hezb-e Islami de Gulbuddin Hekmatyar, dans un gouvernement d’union nationale et d’éliminer l’influence indienne dans le processus. Or le Pakistan se heurte à deux obstacles principaux : l’autonomisation probable des Taliban et le refus des États-Unis de négocier. 9. Séminaire organisé par la School of Advanced International Studies, Université Johns Hopkins, Washington, D.C., le 28 septembre 2009. 183 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte UNE DÉSASTREUSE VICTOIRE ? LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE D’AFGHANISTAN... 10. Mais les combattants du camp de Salman Farsi à Jawad (près de la frontière pakistanaise) appartenant au Hezb ul-mojâhidin furent expulsés par les Taliban et certains furent arrêtés par les autorités pakistanaises. 184 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Les Taliban ont des relations tendues avec l’armée pakistanaise, et le risque d’une perte de contrôle est tout à fait réel, notamment si la direction du mouvement rentre en Afghanistan. L’armée pakistanaise a déjà vécu une situation comparable quand les Taliban ont pris le pouvoir en Afghanistan et se sont distanciés de leur protecteur à de multiples reprises. Pour prendre quelques exemples : la première offensive contre Hérat au printemps 1995 a été faite en dépit des conseils du Pakistan, de même que la pendaison du président afghan Najibullah lors de la prise de Kaboul en 1996 ou la destruction des Bouddhas de Bamyan en réaction aux sanctions de l’ONU en 2001. Par ailleurs, les Taliban avaient refusé de livrer à la police pakistanaise les militants appartenant à des mouvements extrémistes comme le Sipah-e Sahaba Pakistan (SSP) et le Lashkar-e Jhangvi (JL), notamment son chef, Riaz Basra 10. Un autre signe de la tonalité nationaliste du mouvement Taliban a été son refus de reconnaître la ligne Durand comme frontière avec le Pakistan, une demande constante d’Islamabad depuis la création du Pakistan. Aujourd’hui, le même scénario est probable dès que le leadership Taliban sera hors du Pakistan. Le niveau de contrôle de l’armée pakistanaise sur les Taliban est difficile à préciser, mais il est certain que la quasi-totalité du leadership du mouvement afghan est sous surveillance étroite. Ainsi, l’arrestation en février 2010 du numéro deux du mouvement, le mollah Baradar, est intervenue car celui-ci voulait ouvrir des négociations directes avec Kaboul. L’armée pakistanaise a donc discipliné les Taliban, avec le risque de détériorer encore davantage ses relations avec le mouvement. Au final, les Taliban peuvent se radicaliser et se rapprocher des mouvements jihadistes pakistanais, ce qui mettrait Islamabad dans une position difficile. Dans le cas inverse où les Taliban se normaliseraient, le Pakistan y perdra aussi car les Taliban feront contrepoids à l’influence pakistanaise par le recours aux investissements chinois, occidentaux ou même indiens. Un processus de négociation et la constitution d’un gouvernement d’union nationale est probablement la situation où l’armée pakistanaise pourrait garder le plus d’influence sur les Taliban et donc sur le jeu politique afghan. Mais le problème immédiat du Pakistan est le refus américain de négocier leur retrait. Le président Karzai, les Taliban et le Pakistan attendent depuis des mois que l’administration américaine lance le processus. Le blocage tient essentiellement aux militaires américains qui pensent réitérer le succès du surge irakien et veulent repousser la date de l’été 2011 comme début du retrait. Du point de vue du Pakistan, le risque est celui d’un échec militaire, conduisant à un retrait unilatéral Hérodote, n° 139, La Découverte, 4e trimestre 2010. HÉRODOTE UNE DÉSASTREUSE VICTOIRE ? LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE D’AFGHANISTAN... Hérodote, n° 139, La Découverte, 4e trimestre 2010. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Les conséquences internes Depuis 1980, le conflit afghan a eu des conséquences majeures pour le Pakistan : des millions de réfugiés afghans, des groupes jihadistes armés, un affaiblissement irréversible des structures tribales, une violence croissante due à la conjonction de la violence jihadiste et aux opérations de plus en plus fréquentes de la coalition. Précisons cependant que le développement de la violence jihadiste et des mouvements religieux radicaux doit peu à la crise afghane, au moins directement. En particulier, les violences « sectaires » (entre chiites et sunnites) ne sont pas un effet de la guerre d’Afghanistan, ni un sous-produit de la percée des Taliban. Même si des militants du Sipah-e Sahaba (Anjuman Sipah-e Sahaba Party) 11 sont allés combattre en Afghanistan, l’émergence de ce parti est d’abord une conséquence des tensions communautaires dues à l’instrumentalisation de l’islam par le pouvoir militaire de Zia-ul-Haq. Pour autant, la guerre d’Afghanistan a renforcé les mouvements jihadistes sur deux fronts. Premièrement, ils disposent d’une cause – combattre l’URSS puis les États-Unis – qui séduit les militants attirés par l’expérience personnelle du jihad, d’une façon plus significative que les combats au Cachemire. Deuxièmement, la zone frontière devient un sanctuaire pour différents groupes armés. Même si les Taliban ou le Hezb-e Islami ne s’opposent pas directement à l’armée pakistanaise, ils coopèrent avec les jihadistes pakistanais dans une logique d’échange de services, d’autant que les frappes américaines les visent maintenant de façon indistincte. Enfin, l’État pakistanais a encouragé l’islamisation des régions frontalières pour faire échec à ce qui était perçu comme la menace soviétique. Une des conséquences de la politique pakistanaise a été de soutenir les mouvements islamistes au détriment des structures tribales qui étaient jusque-là les interlocuteurs du gouvernement. Les mouvements politiques des deux côtés de la frontière s’opposent, parfois violemment, aux logiques tribales, au nom de l’islam et du jihad contre les États-Unis ou le gouvernement pakistanais. L’effondrement de l’ordre social de la frontière et du mode de 11. Cette organisation, formée vers 1989 et dirigée par le maulana Azam Tariq, a pour objectif le vote d’une loi déclarant les chiites non musulmans. 185 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte et à l’effondrement inévitable du régime de Karzai. Or une prise de pouvoir militaire des Taliban sans accord politique avec les États-Unis aurait pour conséquence de faire à nouveau de l’Afghanistan un État paria. Si l’ouverture des négociations tarde trop, le mouvement Taliban pourrait refuser de négocier et tenter de survivre sans l’appui pakistanais. Nous offririons aux Taliban afghans un accord aux termes duquel aucune partie ne chercherait à étendre son emprise territoriale – si les Taliban arrêtaient leur soutien au terrorisme, une proposition que très probablement ils rejetteraient. Nous leur ferions alors clairement comprendre que nous utiliserions puissamment la force aérienne américaine et les forces spéciales pour cibler toute base d’Al-Qaida en Afghanistan, ainsi que les chefs Taliban qui soutiendraient Al-Qaida. Nous ciblerions également les débordements des Taliban afghans au-delà des lignes de partition de facto, ainsi que les sanctuaires terroristes établis le long de la frontière pakistanaise. 12. Sondage commandité par New America Foundation et Terror Free Tomorrow, réalisé en juin-juillet 2010, voir Associated Press, 1er octobre 2010 http://news.yahoo.com/s/ap/20101001/ ap_on_re_as/as_pakistan_missile_strikes_poll 186 Hérodote, n° 139, La Découverte, 4e trimestre 2010. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte gouvernement indirect n’a pas laissé la place à un autre fonctionnement : le rôle jadis décisif des political agents des FATA, représentant le pouvoir central auprès des notables tribaux traditionnels, est aujourd’hui considérablement amoindri, et il le sera plus encore si le statut spécifique des FATA disparaît à l’avenir. La guerre s’étend inexorablement au Pakistan. Les opérations de la coalition en territoire pakistanais visaient initialement les membres d’Al-Qaida, avec la coopération du gouvernement pakistanais. Pourtant, au fil des années et pour compenser l’absence de progrès dans la lutte contre les Taliban en Afghanistan, la coalition a élargi ses cibles aux Taliban présents de l’autre côté de la frontière. Dans un parallèle intéressant avec le Vietnam et le Cambodge, l’armée américaine, frustrée de son manque de progrès contre la guérilla, cherche à étendre le conflit au pays voisin. Avec l’arrivée au pouvoir d’Obama, les attaques par drones se sont multipliées (une vingtaine pour le mois de septembre 2010). Les pertes civiles (un tiers des tués seraient des civils d’après une compilation des sources ouvertes) sont élevées et les trois quarts des habitants des zones tribales s’opposent fortement aux frappes 12. En conséquence de l’attitude de plus en plus agressive de la coalition, les incidents frontaliers sont récurrents, le dernier en date (30 septembre) ayant conduit le Pakistan à fermer la frontière aux convois de l’OTAN sur la route entre Peshawar et Kaboul. Le retrait occidental, s’il organise une guerre civile ethnique, peut aussi être un problème majeur pour le Pakistan. En effet, certains commentateurs américains espèrent qu’une issue peut passer par une division de l’Afghanistan. Par exemple, l’ancien ambassadeur Robert Blackwill propose de diviser l’Afghanistan sur des lignes ethniques, car l’État est artificiel. En pratique, cela suppose un nettoyage ethnique de grande ampleur (au détriment des Pachtounes du Nord) et la fin de l’armée afghane qui deviendrait, ce qu’elle tend déjà à être, totalement dominée par les Tadjiks – notamment les Panjshiris – et les Ouzbeks. Citons-le : Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte HÉRODOTE UNE DÉSASTREUSE VICTOIRE ? LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE D’AFGHANISTAN... Conclusion Hérodote, n° 139, La Découverte, 4e trimestre 2010. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte La mise en œuvre d’une telle politique serait un désastre. La déstabilisation du Pakistan est très dangereuse car la frontière afghano-pakistanaise disparaîtrait de fait, avec des conséquences sur le Baloutchistan. Même d’un point de vue occidental ou indien, cette situation n’est pas favorable, car le pire qui puisse arriver est la perte de contrôle des zones frontalières qui permettrait à tous les groupes jihadistes de trouver un sanctuaire. La politique afghane du Pakistan lui a permis de redevenir un interlocuteur incontournable dans la guerre actuelle. Pourtant, ces succès ont considérablement aggravé la situation interne du pays, sans qu’ils débouchent sur une nouvelle donne régionale clairement avantageuse. Les Taliban seront incontrôlables dès qu’ils seront à Kaboul et les relations d’Islamabad avec les États-Unis sont limitées, sans profondeur historique, et fondamentalement instables. Les relations avec les États-Unis sont de plus tendues et l’échec de l’OTAN va accélérer le rapprochement avec l’Inde au détriment du Pakistan. Le retrait des forces internationales d’Afghanistan fera perdre au Pakistan son rôle de partenaire nécessaire de la coalition. Or le Pakistan n’a pas les moyens d’un lobbying efficace aux États-Unis en raison notamment de la montée de l’islamophobie dans les pays occidentaux, a fortiori quand on compare le Pakistan à l’Inde qui s’appuie sur une économie dynamique et une diaspora mobilisée. La fin de la rente stratégique du Pakistan aura des conséquences à terme sur l’aide occidentale, qui deviendra plus modeste ou (véritablement) conditionnelle. L’installation d’une situation de désordre sur la frontière afghano-pakistanaise et plus généralement la guerre civile à basse intensité qui touche de plus de plus de 13. Robert D. Blackwill, « A de facto partition for Afghanistan », Politico, 7 juillet 2010. http://dyn.politico.com/printstory.cfm?uuid=AACEE164-18FE-70B2-A8E30566E50DFB3A. Blackwill a été ambassadeur américain en Inde de 2001 à 2003, puis chargé de l’Irak au Conseil national de sécurité sous la présidence de George W. Bush (NDLR). 187 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Il faudrait analyser soigneusement ce point, mais il semble que tout cela impliquerait de maintenir pendant longtemps en Afghanistan une force résiduelle de 40 000 à 50 000 hommes. En cette affaire, nous chercherions l’appui des Tadjiks, des Ouzbeks, des Hazaras et des Pachtounes soutenant cette initiative, ainsi que l’assentiment de nos alliés de l’OTAN, de la Russie, de l’Inde, de l’Iran, peut-être de la Chine et des nations d’Asie centrale ainsi que, on l’espère, l’appui du Conseil de sécurité des Nations unies 13. Bibliographie AHMAD Qazi Hussein (1986), Pakistan and the Afghan Crisis, Institute of Policy Studies, Islamabad. AKHTAR R. S. (2000), Media, Religion and Politics in Pakistan, Oxford University Press, Karachi. ARIF K. M., général (1995), Working with Zia, Oxford University Press, Oxford. CLOUGHLEY B. (2000), A History of the Pakistan Army, Oxford University Press, Karachi. CORDOVEZ D., HARRISON S. S. (1995), Out of Afghanistan. The Inside Story of Soviet Withdrawal, Oxford University Press, Oxford. DORRONSORO G. (2005), Revolution Unending. Afghanistan : 1979 to the Present, Columbia University Press/Hurst. EDWARDS D. B. 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Or, en raison du niveau de déliquescence de son système politique, c’est encore l’armée qui apparaît comme un recours, ce qui ne laisse pas présager d’une évolution radicale dans les relations avec l’Inde ou la définition des objectifs pakistanais en Afghanistan. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte HÉRODOTE UNE DÉSASTREUSE VICTOIRE ? LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE D’AFGHANISTAN... Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Yale University - - 130.132.173.74 - 14/12/2014 11h16. © La Découverte Hérodote, n° 139, La Découverte, 4e trimestre 2010. SCHOFIELD V. (dir.) (1997), Old Roads New Highways : Fifty Years of Pakistan, Oxford University Press, Karachi. SHAH S. W. A. (1992), Muslim League in NWFP, Royal Book Compagny, Karachi. TIRMAZI S. A. I. 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