HÉRODOTE
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Hérodote, n° 139, La Découverte, 4e trimestre 2010.
Une stabilisation autour de la ville de Kandahar ou dans le Helmand nécessite-
rait la présence de dizaines de milliers de soldats pour cinq ans au moins, avec des
pertes signifi catives. Les meilleures troupes de la coalition étant mobilisées dans
deux provinces du Sud, le Helmand et Kandahar (plus de 60 000 hommes), la coali-
tion n’a pas les moyens de s’opposer à la progression rapide de la guérilla dans
le reste du pays. Dans le Nord et l’Ouest, les forces européennes, peu préparées
à des combats intenses, adoptent une position de plus en plus défensive, laissant
la guérilla libre d’occuper le terrain et d’administrer la population. De plus, la
dégradation de la sécurité autour de Jalalabad et de Kaboul indique une pression
croissante de l’insurrection sur les régions politiquement et économiquement les
plus importantes. En conséquence, la coalition risque fort de se trouver en situation
d’infériorité tactique dans de nombreuses provinces à partir de 2011.
Au fi nal, des armées occidentales opérant loin de leurs bases, complètement
coupées de la population, n’ont aucune chance de vaincre l’insurrection Taliban
avec des ressources qui vont rapidement décliner. En effet, le retrait des pays
alliés a commencé (Pays-Bas et Canada) et sera achevé pour l’essentiel en 2015
(Pologne en 2013, Grande-Bretagne avant 2015). La coalition sera donc à son
maximum de puissance entre l’été 2010 et l’été 2011. La montée en puissance de
l’insurrection se conjuguera ensuite avec une capacité rapidement déclinante de la
coalition. Par ailleurs, les projets d’afghanisation de la guerre n’ont guère de sens
avec un gouvernement afghan dont la base sociale et la légitimité disparaissent
à vue d’œil. Le gouvernement de Kaboul ne contrôle guère plus que les villes et
les pouvoirs régionaux affi rment leur autonomie. La transition vers une prise en
charge de la sécurité par le gouvernement, prévue en 2011, ne pourra pas s’effec-
tuer en raison de la faiblesse de l’armée afghane, toujours incapable de mener des
opérations de façon indépendante. Seule une négociation avec les Taliban pourrait
offrir une voie de sortie à la coalition, mais l’évolution des rapports de force sur le
terrain rend l’acceptation d’un processus diplomatique par les Taliban de plus en
plus douteux. En cas de refus, la coalition se trouvera devant un dilemme : envoyer
de nouveaux renforts ou accepter une défaite humiliante.
À première vue, la défaite occidentale est une victoire inespérée pour le
Pakistan. En effet, les accords de Bonn de 2001 avaient mis à l’écart à la fois
les Taliban et leurs protecteurs pakistanais. Du fait de l’invasion américaine,
l’alliance du Nord, historiquement opposée au Pakistan, devenait la puissance
dominante à Kaboul. Le profi t que le Pakistan espérait du soutien aux combat-
tants afghans depuis 1980 disparaissait d’un coup et l’Inde redevenait un acteur
signifi catif en Afghanistan. Or, pour les militaires pakistanais, la reconstitution
de l’axe Kaboul-New Delhi représente un danger de premier ordre, en raison du
risque d’avoir, en cas de guerre avec l’Inde, à combattre sur deux fronts. Face à ce
revers majeur, la politique pakistanaise a reposé sur un équilibre diffi cile : soutenir
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