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niements du fait de la globalisation – de l’ancien empire qui
n’acceptait aucune limite à ses frontières!: une sorte d’Empire ro-
main nouvelle version. Mais nous devons bien saisir la complexité
de ce nouvel empire, qui n’hérite pas simplement de l’ancien idéal
de l’empire, mais aussi de l’impérialisme moderne et de l’idéologie
chrétienne de l’universalisme culturel. L’empire américain tente
aujourd’hui, en prenant tous les risques, de remodeler cette
conception de l’empire qu’il entraîne jusqu’au paradoxe de lancer
des guerres au nom de la paix et de saper les libertés au nom de la
liberté3. Ce n’est pas bon pour le monde.
Le fait qu’un empire gouverne l’ensemble du monde ne suffit
pas à faire un monde. Gouverner le monde ne signifie pas le possé-
der!; comme l’enseigne la philosophie politique chinoise, qui gou-
verne le monde ne profite que de la terre, du monde géographique,
mais n’atteint pas le «!cœur!» des peuples. Le monde de l’esprit n’a
jamais été accessible à celui qui gouverne. Il n’existe qu’à condition
que les peuples le désirent. Il n’existe, en d’autres termes, que
lorsqu’il est justifié!; et il n’est justifié que lorsqu’un système poli-
tique d’«!harmonie!» universelle est créé pour permettre de résou-
dre le problème de la coopération universelle de tous les peuples.
La globalisation nous achemine vers une nouvelle ère obscure,
dépourvue de concepts neufs et efficaces, jouant encore le jeu des
États-nations bien plus qu’elle ne s’en libère et favorisant les
conflits internationaux bien plus que les intérêts universels. La
globalisation ne débouchera pas sur l’édification d’un monde si elle
se voit sans cesse abusée par des chimères du genre «!choc des ci-
vilisations!», «!États voyous!» ou «!États en faillite!», forgées par les
Américains pour légitimer – illégalement – leur hégémonie et dé-
bouchant sur un monde en faillite bien pire que des États en fail-
lite.
L’histoire a souvent pris un mauvais chemin, sans tenir compte
de notre bonne volonté!; mais notre faillite à construire un monde
est sans doute imputable, fondamentalement, à notre ignorance
politique d’un mundus qua mundus, à l’absence d’une philosophie
politique exprimée du point de vue du monde lui-même plutôt que
de celui d’un État, à l’absence, autrement dit, d’une vision embras-
sant le monde plutôt qu’une seule nation. Les idéologies plus à la
page aujourd’hui se résument essentiellement, hélas, soit à un
universalisme, qui n’est qu’un impérialisme agressif et marqué par
une stratégie dominante en faveur des intérêts nationaux des pays
les plus développés, soit au pluralisme, essentiellement défini par
3. La décision de pratiquer des «!attaques préventives!» a ouvert une ère
nouvelle de l’empire militaire américain, comme le montre le document
The National Security Strategy of the United States of America, publié par
la Maison Blanche en septembre 2002.