Forêt et société dans les Vosges du Nord
du Moyen Age à la Révolution
Philippe Jehin
Du Moyen Age à la Révolution, la population des Vosges du Nord entretient des relations très
étroites avec la forêt qui constitue la ressource fondamentale. Toutes les activités reposent sur
l’exploitation de la forêt. Dans une région au sol peu fertile, c’est grâce à la forêt que la
population a pu s’implanter et subsister.
Un besoin vital de bois
Pour la population des Vosges du Nord, du Moyen Age à la Révolution, la forêt constitue une
ressource vitale. L’essor démographique, en particulier aux XVIe et XVIIIe siècles, entraîne le
développement de la construction ainsi qu’une consommation croissante en bois de chauffage.
Pour la charpente comme la menuiserie intérieure de leurs maisons, les habitants bénéficient
de droits d’usage pour le bois de construction ou bois de marnage « Bauholtz ». Jusqu’au
XVIIe siècle, la profusion de bois n’encourage pas la parcimonie. Il arrive souvent que les
habitants coupent beaucoup plus d’arbres qu’ils n’en ont réellement besoin pour la
construction ou la réparation d’un bâtiment. En 1580, le gruyer (responsable forestier) de
Bitche déclare : « lesdits habitants de la seigneurie de Bitche ont droit de prendre tous les
bois pour bâtir et en coupent beaucoup plus qu’il ne leur en faut, et bien souvent le laissent
pourrir ». Dans le comté de La Petite Pierre, les autorités seigneuriales veillent davantage à la
préservation de la forêt. Le règlement forestier de 1592 prévoit que les sujets remettront une
demande écrite au représentant seigneurial, précisant la quantité et la qualité des bois ainsi
que l’utilisation prévue. Le gruyer seigneurial veillera à son emploi exact afin qu’il ne soit pas
vendu à un tiers. Après la Guerre de Trente ans (1618-1648), la glementation précise que la
quantité de bois demandée doit être vérifiée au préalable par un charpentier juré. Au XVIIIe
siècle, le bois de marnage est fini de façon de plus en plus restreinte parce que la région
connaît une forte croissance démographique. Les forêts sont sollicitées de façon
exponentielle. L’essence la plus prisée pour le bois de construction est incontestablement le
chêne.
La maison construite, il faut ensuite cuire ses aliments et se chauffer. Peu d’informations
permettent d’évaluer la consommation réelles des foyers en bois de chauffage, appelé
affouage ou « Brennholtz ». Au Moyen Age, les habitants ont un libre accès à la forêt et y
prélèvent librement le bois nécessaire. A partir du XVIIe siècle, la délivrance de bois de
chauffage est encadrée. Habituellement, un officier seigneurial, appelé garde-marteau,
procède au martelage des arbres à abattre pour le bois d’affouage des particuliers. Toutes les
essences sont utilisées, mais on note une large prédilection pour le hêtre.
Un paysage modelé par les activités agricoles
Jusqu’à la Révolution, l’essor démographique se fait largement au détriment des forêts, par
l’extension des finages et le développement de l’élevage.
Les paysans à la recherche de nouvelles terres déboisent des parcelles forestières lors des
phases de croissance démographique comme les XVIe et XVIIIe siècles. Il s’agit souvent de
défrichements temporaires par l’essartage. Le feu réduit en cendres les plantes herbacées et
les arbustes. Le défrichement ne signifie pas déforestation irrémédiable. En effet, la nature du
sol ne permet pas une mise en valeur rentable et durable à cause de son infertilité. Les champs
ainsi gagnés sur la forêt sont exploités pendant deux ou trois ans, puis ils sont abandonnés à la
forêt pendant une longue période de jachère de 10 à 30 ans. Les essences pionnières comme le
bouleau ou le noisetiers regagnent le terrain abandonné.
Pour pallier le faible rendement des terres agricoles, les paysans consacrent une large partie de
leurs activités à l’élevage. Celui-ci se pratique essentiellement en forêt, c’est le droit de vaine
pâture. La forêt souffre de dégradations appelées abroutissements qui mettent en péril l’avenir
de la forêt. Les herbivores ne se contentent pas seulement des plantes herbacées du sous-bois,
mais broutent aussi des jeunes pousses et les feuilles à leur portée. Au XVIIIe siècle, le
surpâturage en lisière des bois est manifeste.
L’impact des activités industrielles sur la forêt
La verrerie constitue le facteur essentiel du déboisement et de peuplement des Vosges du
Nord. Elles sont à l’origine d’immenses clairières à partir du XVIe siècle. D’abord nomades,
les verreries deviennent fixes et obtiennent de larges concessions forestières de la part des
seigneurs. Dans un premier temps, les forêts affectées aux verreries sont exploitées de façon
pionnière, sans le souci d’une gestion durable de la ressource ligneuse. La sédentarisation des
verriers nécessite l’octroi de concessions forestières, les affectations. Le contrat
d’implantation définit les surfaces, les modes d’exploitation, la succession des parcelles à
exploiter dans le cadre d’une révolution sur plusieurs décennies. Les terres sont déboisées
pour être converties en champs ou en prés. D’autres doivent conserver des baliveaux afin de
favoriser le reboisement. Cependant, pour toutes les verreries, on constate que les parcelles
affectées à leur fonctionnement se révèlent insuffisantes. Les verreries sont parfois contraintes
à un chômage de plusieurs années si elles ne peuvent pas acheter du bois au prix fort.
La métallurgie, comme la verrerie, est une industrie xylophage. Son implantation dans les
Vosges du Nord s’explique par la présence de minerai de fer sur le piémont alsacien,
l’utilisation des cours d’eau pour l’énergie hydraulique, mais aussi par l’abondance du bois.
La métallurgie exige en effet une forte consommation de bois sous forme de charbon. La
première étape de cette industrie consiste donc en un important travail forestier. Plusieurs
sites métallurgiques apparaissent à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle à
Zinswiller, Mouterhouse et Jaegerthal. En 1789, les besoins en bois des différents
établissements De Dietrich se montent à 20 000 cordes de bois par an. La moitié du personnel
de l’entreprise travaille alors en forêt en tant de bûcherons, charbonniers ou voituriers. Cette
exploitation intense du bois a donné aux Vosges du Nord un caractère industriel précoce et
original, basé sur le verre et le fer.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les marines européennes sont en plein essor. Les armateurs
hollandais prospectent la vallée du Rhin et jettent notamment leur dévolu sur les Vosges du
Nord au début du XVIIIe siècle. Des contrats d’exploitation sont signés avec le duc de
Lorraine et les seigneurs alsaciens. Des milliers de chênes sont coupés, grossièrement
façonnés en forêt, puis flottés vers les arsenaux ils sont retravaillés par les charpentiers
pour la confection des coques de navires. Des pins sont aussi coupés pour les mâts. En 1739,
plus de 6000 pieds sont coupés dans le secteur de La Petite Pierre. Ce commerce très lucratif
se poursuit jusqu’à la Révolution.
Conclusion
Après la description de ces différentes exploitations forestières, il nous reste à tirer quelques
conclusions. Du Moyen Age à la Révolution, la forêt représente une ressource indispensable
pour l’implantation humaine en lui fournissant matériau et combustible. Pour les paysans, la
forêt est perçue comme une réserve foncière, indispensable pour étendre leurs cultures et y
parquer leurs troupeaux. Les industries dévoreuses de bois comme la verrerie ou la
métallurgie trouvent dans les Vosges du Nord de vastes forêts alors sous-utilisées, qu’elles
exploitent intensément avec les encouragements des autorités qui en tirent des revenus
conséquents. Mais toutes ces activités se montrent extrêmement préjudiciables au couvert
forestier. En 1789, la forêt a considérablement régressé, en surface, mais surtout en qualité :
les bois sont devenus très clairs, remplis de taillis et d’essences pionnières et ponctués de
clairières. A partir du milieu du XVIIIe siècle, les autorités seigneuriales et royales imposent
des mesures coercitives pour réduire les prélèvements et assurer la survie du couvert forestier.
Les premiers résultats paraissent insuffisants : on ne peut priver la population de bois. La
véritable mutation économique se déroulera au XIXe siècle avec le déclin de l’agriculture et
surtout l’abandon du bois au profit de la houille importée.
Bibliographie :
Philippe Jéhin. Les forêts des Vosges du Nord du Moyen Age à la Révolution : Milieux, usages
et exploitations, Strasbourg : Presses Universitaires, 2005, 398 p.
Les usages sociaux de la filière forêt-bois dans le PNR des
Vosges du Nord
Maurice Wintz, sur la base de l’étude
de Vincent Brailly, empêché
La charte du Parc a identifié la gestion forestière comme l’un des principaux enjeux
du Parc, aussi bien au niveau territorial, économique qu’écologique. La forêt représente
environ 66 % du territoire du Parc, dont 80 % de forêts publiques gérées par l’ONF. La
question de la gestion forestière ne met pas seulement en jeu la seule dimension
technique des modalités d’exploitation de la ressource bois ou même de la préservation
des écosystèmes forestiers ; au-delà de l’aspect récréatif et multifonctionnel de la forêt
que nous n’aborderons pas ici, elle interroge le rapport que les habitants d’un territoire
entretiennent avec une ressource proche, ici le bois, à travers ses diverses utilisations.
La présente communication s’appuie sur une étude, réalisée dans le cadre du
Programme cadre de recherche du Sycoparc, cherchant à mettre en évidence les
logiques qui sont à l’œuvre dans les différents usages du bois sur le territoire du Parc. Il
s’agissait dans un premier temps d’identifier les différents types d’acteurs concernés par
l’usage du bois en tant que ressource
1
, tout au long de la « filière » : de l’exploitation
forestière aux différents types d’utilisation (construction, mobilier, chauffage…) et les
liens et interactions entre ces acteurs. Dans un deuxième temps, il s’agissait de mettre en
1
Ne sont pas pris en compte ici les usages indirects de la forêt comme les aspects récréatifs
(promenade, paysage, air « pur »…) mais uniquement les différents usages du bois.
évidence les valeurs, motivations et représentations qui caractérisent les différents
acteurs identifiés quant aux formes actuelles de production et d’utilisation du bois sur le
territoire du Parc et aux évolutions envisagées.
La mission de recherche appliquée a été réalisée par Vincent Brailly, doctorant en
ethnologie, et s’est déroulée sur la base d’un travail bibliographique, d’un travail de
terrain et plus de 60 entretiens avec les différents acteurs identifiés, entre août 2011 et
juillet 2012.
Les acteurs : une filière complexe en mutation
Une première constatation repose sur la grande diversité et la complexité des types
d’acteurs du bois et de leurs relations. Intégrés traditionnellement dans une économie
locale, les professionnels de la filière sont aujourd’hui engagés dans une phase de
mutation, conséquence de la mondialisation progressive du marché du bois.
La transformation industrielle de la ressource ligneuse, en provenance d’Allemagne
en particulier, impose normes et standardisation de produits auxquelles les artisans des
Vosges du Nord n’étaient pas préparés. Ces derniers doivent faire face avec les «
moyens du bord » en suivant les tendances du marché et en s’insérant dans des
économies de niches, dans un contexte marqué par de grandes inégalités entre les
grosses unités (notamment dans le domaine du sciage) et les petites structures.
Les politiques sylvicoles françaises sont tournées vers une logique productiviste
depuis la fin des années 1990 pour répondre à ce marché du bois. L’organisme
gestionnaire traditionnel des forêts publiques françaises, l’ONF, n’a pas échappé à ces
transformations et inscrit aujourd’hui son action dans une logique d’entreprise, de
productivité et de baisse des coûts.
Les perceptions du bois : une industrialisation plutôt mal vécue
L’industrialisation de la filière est plutôt perçue négativement par les acteurs locaux
de la transformation, en particulier quand elle contribue à dévaloriser les métiers ; le
forestier passe du statut de personnalité respectée à celui de prestataire, certains
charpentiers considèrent que le bois façonné industriellement déprécie leur métier et
leur savoir-faire. De même, les meubles standardisés, fabriqués et diffusés
industriellement sont perçus comme étant défavorables à la valorisation des gros bois.
Quant à la forêt, il semble que les perceptions sont en train de changer chez les
acteurs du bois : de la forêt « propre » bien nettoyée, on évolue vers une forêt où le bois
mort est toléré, dans certaines limites. La mécanisation de l’exploitation est plutôt
considérée comme néfaste pour la forêt, voire même pour la qualité des bois récoltés.
Ecologie des forêts naturelles
Annick Schnitzler
Introduction
La forêt peut être considérée comme un conservatoire de biodiversité des espèces et des
habitats originels de l’Europe. Cet écosystème présente une grande stabilité face aux
événements climatiques, évitant extinctions et proliférations des populations grâce à des
régulations internes complexes, une dynamique en cycles fermés et la présence de zones
refuges. Grâce à une architecture végétale fortement stratifiée, à la complexité des réseaux
trophiques et une biodiversité élevée, la forêt est considérée comme l’écosystème le plus
performant de notre planète à soutirer l'énergie solaire La forêt, riche de 30% de biomasse
ligneuse, est ainsi le champion du recyclage grâce à l'extrême spécialisation des réseaux
saproxyliques (il s'agit des espèces de différents règnes qui dépendent pour au moins une
partie de leur cycle du bois mort ou mourant). On comprend dès lors que la forêt ne saurait se
limiter à une collection d'arbres. Il faut intégrer les éléments de toute la flore, de la flore, de la
fonge et des microorganismes, et considérer les interactions entre ces éléments dans tous les
compartiments forestiers, au-dessus du sol et dans le sol. La forêt s’appréhende donc à une
échelle spatiale très large, de plusieurs centaines de milliers d’hectares (qui correspond aux
surfaces nécessaires pour des densités viables d’espèces à grand territoire). L’échelle
temporelle est aussi importante, car la forêt intègre également des héritages, naturels ou
anthropiques, qui ont parfois eu lieu dans un lointain passé.
Substitution et cycles forestiers
Il existe plusieurs types de mécanismes dans la dynamique forestière. Le mécanisme
de substitution est constant dans les forêts naturelles. Il consiste à remplacer un arbre
vivant par un voisin, sans qu'il y ait ouverture marquée de la canopée. Il s’agit donc
d’une mortalité pied à pied (1% des arbres de la canopée par an, en milieu tropical).
L'arbre qui remplace est déjà présent, à l’état juvénile, parfois en attente depuis des
décennies. Il occupe progressivement la place de l'arbre sénescent. La croissance de
l'arbre potentiel est ralentie par l'individu plus âgé qui est au-dessus de lui, en raison de
l’ombrage et de la compétition pour les ressources dans le sol, mais l’individu dominé
bénéficie des pluviolessivats (gouttes de pluie chargées en nutriments après égouttage
sur les feuilles de la canopée), et des échanges de myccorhizes.
La dynamique forestière (cycles forestiers) s’appréhende en général à l’échelle du
« chablis », terme qui correspond à la fois à l’espace libéré par la chute d’un ou
plusieurs gros arbres dans la canopée, et les arbres tombés eux-mêmes. L’évolution
temporelle de cet espace nouveau, considéré comme une petite unité écologique (éco-
unité) est classiquement décrite en 4 phases (régénération, durant laquelle la canopée
reste ouverte, puis aggradation durant laquelle se forme une jeune canopée en voie de
croissance, puis la maturité, et la sénescence durant lesquelles la canopée se ferme). Ce
processus cyclique varie en finesse en fonction de nombreux facteurs, dont la taille des
chablis et des espèces et processus impliqués, ce qui signifie en d’autres termes que le
cycle qui ferme le chablis ne reconstruit l’éco-unité à l’identique.
Les chablis ont aussi des dimensions différentes : ceux de petites dimensions se
referment la plupart du temps rapidement, par divers processus (croissance latérale des
axes des ligneux de la canopée, croissance verticale des espèces des sous-étages).
Lorsqu’ils sont plus importants ou plus nombreux, ils tendent à s’agrandir dans un
premier temps parce que la trouée a rendu les arbres des bordures plus vulnérables,
puis à se fermer à partir de l’intérieur du chablis vers l’extérieur.
Mais, quelle que soit l’ouverture provoquée par la chute d’un arbre, la lumière
directe qui arrive au sol, les écarts de température se font plus grands, les pluies de
graine et de pollen modifient rapidement le microclimat. Ainsi, le sol évolue
rapidement : la lumière stimule l’activité bactérienne, la pluie arrive directement, ce
qui accélère la décomposition de la litière, et les possibles toxines qu’elle diffuse (cas
du hêtre). Le chablis reçoit des pluies de graines apportées par le vent, qui étaient
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