1 l ! ~ Ann. Kinésithér., 1985, t. 12, © Masson, Paris, 1985 nO 5, pp. 237-239 NOTE DE TECHNIQUE Connaissance des phénomènes neuro-musculaires permettant une application rationnelle des techniques de rééducation dites par la proprioception. E. VIEL Directeur de l'école de Kinésithrapie Bois-Larris, B.P. 12, F60260 Lamorlaye. La rééducation par la proprioception, ou rééducation «proprioceptive» dont on parle tant, se base sur l'exploitation des phénomènes de physiologie neuro-musculaire tels qu'ils ont été décrits, malheureusement l'étude de ces phénomènes est un peu négligée et l'on entend souvent parler de «la loi de Sherrigton» comme si ce grand physiologiste en avait énoncé une seule. Le travail de Sherrington, soit seul, soit assisté de son collaborateur Liddell, est d'une énorme richesse, et l'on pourrait évoquer de nombreuses « lois », ce qui ne simplifierait pas la recherche de « la loi ». 1. - Concept de l'innervation réciproque Ceci veut que la contraction d'un muscle agoniste du mouvement volontaire entraîne le relâchement de son antagoniste, placé anatomiquement dans la loge opposée par rapport à l'articulation mobilisée. Ceci est vrai dans les conditions suivantes : soit mobilisation à vitesse très lente, soit encore mieux mobilisation à vitesse lente contre une charge ou une résistance. culation et la garde dans une position indolente. Ainsi un coude en semi-flexion après pathologie de cette région, un déficit de l'extension complète du genou après traumatisme du membre inférieur. 1.2. - TECHNIQUE D'EXÉCUTION Dans les deux cas, il convient de stabiliser le segment proximal et demander un effort résisté dans le sens inverse de la limitation mesurée : pour une raideur en flexion du coude, travail de l'extension, pour un déficit d'extension du genou, travail du quadriceps en extension du genou contre résistance. Dans les deux cas, le fait que l'on résiste au muscle antagoniste de celui qui maintient l'articulation en position vicieuse conduit au relâchement du muscle enraidi, qui va augmenter d'extensibilité du fait de l'utilisation du mécanisme d'innervation réciproque. C'est donc le raccourcissement de l'antagoniste du muscle raide qui permet d'obtenir le résultat désiré, il s'agit d'une manœuvre pratiquement inverse de celle décrite sous le nom de «contractérelâché ». 2. - Double innervation réciproque ou co-contraction 1.1. - EXPLOITATION EN RÉÉDUCATION Le cas clinique est celui d'une perte d'amplitude articulaire que l'on sait être due à une raideur antalgique du muscle qui protège l'artiTirés à part: E. VIEL, à l'adresse ci-dessus. Sherrington et Liddell avaient remarqué que, lorsque la vitesse augmente, ou lorsqu'il est nécessaire- de stabiliser une articulation, les muscles anatomiquement antagonistes se contractent de concert; ceci se nomme maintenant « co-contraction». Deux situations d'exé- 238 Ann. Kinésith ér., 1985, t. 12, n° 5 cution du geste déclenchent des co-contractions vigoureuses : une accélération très brutale d'un segment entraîne un freinage non moins vigoureux en fin de course, ainsi le lanceur de javelot n'arrive jamais à l'extension totale du coude, l'amplitude articulaire étant freinée par une contraction des fléchisseurs avant que l'articulation n'atteigne l'amplitude totale qui risquerait d'amener le contact brutal des surfaces osseuses et donc de créer une douleur ou d'éventuelles fractures. De même, le joueur de football qui frappe vigoureusement le ballon au moyen d'une extension du genou se voit freiné en fin de course et n'atteint pas l'extension complète. C'est d'ailleurs le rôle «freinateur» des ischiojambiers qui les rend si vulnérables aux claquages et déchirures pendant la pratique du football. D'autre part, si l'on saute sur la pointe des pieds ou si l'on marche sur les mains, les muscles des différentes loges du membre inférieur ou du membre supérieur se mettent simultanément en contraction pour protéger les articulations intermédiaires. 2.1. - UTILISATION DU FREINAGE EN FIN DE COURSE On peut remédier à une perte de force non douloureuse, et à une sidération partielle, en faisant exécuter des mouvements de balancier très rapides qui nécessitent un freinage réflexe. La mise en activation du système myotatique et des mécano-récepteurs articulaires mène à une contraction musculaire vigoureuse. Il suffit de remarquer la musculature des épaules et q.es membres supérieurs chez l'adepte du «jogging» pour se persuader de l'efficacité de ce mécanisme : à chaque foulée, une secousse est imprimée au membre supérieur, et ceux ci augmentent très rapidement de volume. Le même mécanisme peut être utilisé au bénéfice de nos patients. 2.2. - UTILISATION DES PHÉNOMÈNES DE STABILITÉ Travaillant de manière stable, on demande maintenant au sujet de se placer en chaîne fermée, soit debout sur la pointe des pieds en se tenant entre les barres parallèles, soit en appui antérieur sur les mains, et l'on peut appliquer des pressions déséquilibrantes en diagonale, sollicitant ainsi encore plus les phénomènes réflexes de co-contraction. 3. - Phénomènes alternés dits de « l'induction successive» Ceci .est décrit comme la préparation des fléchisseurs à l'action immédiatement après que les extenseurs aient été sollicités, et vice-versa. Le cas clinique d'utilisation le plus favorable est celui d'un déséquilibre musculaire, et au lieu de s'adresser directement au muscle faible, il est préférable de commencer par une contraction du muscle le plus fort, pour inverser instantanément la direction du geste en un « aller-retour » très courant dans la vie de tous les jours et qui peut être utilisé en rééducation. Traditionnellement, le kinésithérapeute a évité ce type de contraction, craignant les déformations articulaires. L'expérience montre qu'il n'en est rien; dès l'instant que les deux contractions musculaires se succèdent dans un temps très bref et que l'on fait exécuter davantage de répétition par le muscle faible. Dans ce cas, le muscle fort n'est qu'un démarreur de l'activité neuromusculaire. 4. - Phénomène de l'irradiation ou loi de Pflüger Il s'agit de la propagation de la contraction musculaire à partir d'une action parfois isolée mais toujours intense. Plus la durée augmente et plus l'intensité augmente, plus se produit un recrutement de muscles situés loin du site de la contraction d'origine. Ceci constitue la base de la recherche de toutes les contractions évoquées, cette technique comportant la sélection d'un muscle-gâchette dont l'activité va se répercuter sur le muscle-cible ou groupe musculaire entier que l'on désire exciter à distance. Ann. Kinésithér., 5. - Phénomène de la raideur active ou pré-compensation La force développée par un muscle ne pouvant pas varier en théorie de 0 à 100 %, il est évident qu'un mouvement ne doit démarrer qu'avec des muscles déjà partiellement en tension, car le recrutement d'un muscle totalement relâché augmenterait le délai de mise en route; et le recrutement d'un muscle trop tendu freine 1985, t. 12, nO 5 239 l'exécution du geste. Ceci a été perçu par Hill (1944-1964), et Partridge (1979). Le phénomène de pré-compensation nous fait comprendre que la raideur délibérée d'un muscle précède sa mise en activité au cours d'un geste. Cette préparation du muscle à l'effort a été nommée « vigilance neuro-musculaire» par Bourneton (1984). La mise en tension préalable ou réglage de la raideur active, augmentera la réponse d'un muscle à la sollicitation, qu'il s'agisse de contraction directe ou de contraction évoquée à distance.