Plantes vivaces
JARDINS DE FRANCE NOVEMBRE 2009
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Un peu moins de 10% des 1 000 espèces
de
Salvia
sont monocarpiques, mais la ré-
partition est très inégale selon les conti-
nents : 25% des espèces européennes, 12%
des américaines, 15% des espèces d’Ex-
trême-Orient, aucune du Moyen-Orient ni
d’Afrique du Sud, et seulement deux es-
pèces d’Afrique du Nord.
L’explication rationnelle de la nature ayant
ses limites (ou plutôt est-ce notre percep-
tion de l’intimité des phénomènes natu-
rels qui est limitée), aucune raison logique
ne justifie la présence de 12% d’espèces
monocarpiques sur le continent américain :
leur majorité croît en plaine tropicale (Flo-
ride, Yucatan) ou aux Antilles.
Rosettes ou tiges feuillées
Encore une adaptation à l’environnement
dont les
Salvia
ont su faire preuve : les types
végétatifs.
Salvia officinalis
est une espèce
frutescente, formant un petit buisson rami-
fié d’une soixantaine de centimètres de
haut, et elle partage ce caractère avec de
nombreuses espèces d’habitat identique du
Bassin méditerranéen, mais aussi du
Moyen-Orient, d’Afrique du Sud, et d’Amé-
rique subtropicale sèche. Les autres
Salvia
de l’Ancien Monde sont herbacées pour la
plupart, avec souvent une base ligneuse
chez les espèces pérennes. Ces herbacées se
divisent encore en deux types végétatifs :
celles ne présentant qu’une rosette de
feuilles basales d’où sont émises les tiges flo-
rales, et celles dont les tiges sont feuillées sur
toute la longueur. Cet aspect constitue en-
core une indication d’adaptation au milieu :
si toutes deux peuvent se trouver principa-
lement en zone tempérée à froide, les ro-
settes basales proviennent généralement de
zones arides, alors que les tiges feuillées
sont originaires de zones plus humides.
Dans le Nouveau Monde,
Salvia splendens
développe des tiges herbacées, lignifiées
seulement à la base, et une majorité d’es-
pèces tropicales de
Salvia
ont adopté ce type
de végétation. Dans les zones de forêt plus
dense, certaines doivent allonger leurs tiges
pour capter suffisamment de lumière et de-
viennent sarmenteuses afin de s’élever au
travers de la végétation. C’est le cas de la
magnifique
S. dombeyi
de la Cordillère des
Andes, qui peut se hisser jusqu’à 4 m. Ce ca-
ractère peut se retrouver chez certaines es-
pèces mexicaines quand elles sont en situa-
tion de compétition avec la végétation envi-
ronnante, telles que S.
adenophora
dont les
tiges florales peuvent mesurer jusqu’à 2,50
m. À l’opposé de ces lianes, se trouvent les
plantes rampantes qui, courant sur le sol et
s’enracinant à chaque nœud, sont capables
de conquérir de vastes espaces en un temps
record :
S. scutellarioides
du nord de l’Amé-
rique septentrionale est un bon exemple,
comme la brésilienne
S. procurrens
, qui doit
son nom à son caractère conquérant.
Insecte ou oiseau ?
Comme les orchidées qui vont jusqu’à simu-
ler certaines femelles d’insectes, phéromones
compris, pour obtenir les faveurs d’un polli-
nisateur, les
Salvia
font preuve d’une éton-
nante adaptation à la morphologie de ceux
qui les féconderont. Revenons aux deux su-
jets de notre introduction et observons leurs
fleurs :
S. officinalis
possède une corolle à
l’ouverture large ; la lèvre inférieure est bien
visible, étalée et marquée de lignes blanches ;
la lèvre supérieure falciforme recouvre tota-
lement les étamines dont les anthères ne sont
pas visibles. Ces étamines ont une forme de
C, avec la partie fertile sur le bras supérieur
alors que le bras inférieur est plus large et que
la partie fertile est plus ou moins avortée (to-
talement stérile chez beaucoup d’autres es-
pèces). Ce C est articulé sur le filament le re-
liant à la corolle, de telle sorte que toute
poussée exercée sur le bras inférieur fait sor-
tir le bras supérieur de la lèvre supérieure de
la corolle, libérant le theca fertile de sa pro-
tection. En d’autres termes, nous nous trou-
vons en présence d’une plante entomophile,
c’est-à-dire fécondée par les insectes : pour
accéder au nectar que
S. officinalis
leur sert,
les pollinisateurs disposent d’une piste d’at-
terrissage confortable et balisée, d’un large
passage qui les oblige à faire pression sur le
bras inférieur des étamines et donc à se re-
trouver le dos chargé de pollen. Organe fe-
melle de la fleur, le style émerge à peine de la
lèvre supérieure et sera le premier en contact
avec le dos de l’insecte quand il visitera une
prochaine fleur.
Rien de tel chez
S. splendens
: la corolle est
formée d’un tube long et étroit dont aucun
insecte ne pourra jamais atteindre le fond
nectarifère. Les lèvres sont réduites au mi-
nimum, les étamines sont rectilignes et,
bien qu’elles soient articulées sur le fila-
ment, l’étroitesse du tube leur interdit tout
mouvement. En revanche, elles émergent
nettement de la corolle, seulement précé-
dées du style. À l’évidence cette plante n’est
pas adaptée aux insectes : elle est dite orni-
thophile, construite pour être fécondée en
vol par les colibris qui abondent en Amé-
rique tropicale et subtropicale. Lorsque l’oi-
seau vient puiser du nectar avec son long
bec dans le fond du tube, sa tête entre en
contact avec les étamines et se charge de
pollen qui sera déposé sur le style de la pro-
chaine fleur visitée.
Toutes les espèces d’Europe et d’Orient
sont entomophiles. Les espèces américaines
sont en grande partie ornithophiles, ainsi
Map/GWI/G. Delacroix Christian Froissart