100 Revue militaire canadienne ●Été 2006
CRITIQUES DE LIVRES
voie maritime, les Athéniens n’ont pas pu
donner une riposte adéquate. Ainsi, ce
sont les Athéniens eux-mêmes qui ont
été les artisans de leur défaite à Syracuse;
en effet, ils ont tardé à rediriger leurs
troupes et ils ont pris la décision insensée
de renoncer à leur suprématie maritime
en acceptant de se battre dans un port
exigu, perdant ainsi l’avantage que leur
procurait leur remarquable habileté à
manœuvrer des navires. Sa flotte se
retrouvant amputée et ses lignes de com-
munication, coupées, l’armée athénienne,
sans défense au sol, s’est tout bonnement
laissé massacrer. Par conséquent, bien
que la cavalerie ait joué un rôle essentiel
dans la campagne de Syracuse, elle
devient dans le récit de Hanson un
élément secondaire par rapport à la
politique et au massacre entourant cette
entreprise inutile.
Le chapitre sur la maladie est le seul à ne pas aborder
la question des modalités de la guerre. Le fléau qui a
anéanti au début de la campagne presque 30 pour 100 de
la population athénienne (y compris Périclès, son dirigeant le
plus compétent) a eu une profonde influence sur la manière
dont cette démocratie s’est conduite au cours des deux
décennies suivantes. La maladie a frappé après que les
Spartiates, fidèles à leur tactique initiale, ont tenté, vainement
en apparence, de ravager les terres et les exploitations
agricoles d’Attique, l’arrière-pays athénien. En effet, il était
plus difficile qu’il n’y paraissait de piller complètement une
partie importante des ressources agricoles d’Athènes;
de plus, les longs murs qui reliaient la cité au port du
Pirée garantissaient aux Athéniens, forts de leur supériorité
maritime (navale et commerciale), un accès à un approvision-
nement extérieur en céréales. La stratégie athénienne,
devant l’invincible armée d’hoplites spartiates, a simplement
été de retrancher tous les citoyens des régions périphériques
derrière ses murs indestructibles jusqu’à ce que l’armée
spartiate rentre chez elle pour la saison. Cependant, l’afflux
de personnes a été à l’origine d’un fléau qui a tué une
importante partie de la population et amputé les ressources
humaines athéniennes pour les campagnes ultérieures. Fait
probablement plus important encore, ce fléau a anéanti
l’ordre social et les mœurs de la population. Victor Hanson
traite cette maladie désastreuse, dont le nom est, selon lui, un
mystère vieux de 2 500 ans, comme un événement fortuit
de la guerre, bien que lourd de conséquences pour le
destin des Athéniens. Ironie du sort, quelques mois après
la publication de son livre, des dents recueillies après
l’exhumation des victimes de ce fléau ont été soumises à
des tests d’ADN; ceux-ci ont révélé que la maladie qui a fait
rage durant la guerre du Péloponnèse était la fièvre typhoïde,
une maladie transmise par les fèces. Manifestement, le réseau
sanitaire athénien était incapable d’accommoder l’afflux
de réfugiés tentant d’échapper aux opérations de pillage
spartiates dans la campagne environnante. Par conséquent,
l’auteur présente l’invasion initiale de
Sparte comme une opération largement
inefficace; cette façon de voir, bien
qu’elle soit correcte du point de vue des
effets recherchés, doit néanmoins être
considérée à la lumière des répercussions
non voulues qui en ont découlé; cette
invasion présente en réalité un ancêtre
des armes à effet massif.
Hanson apporte une perspective
novatrice à cet événement ancien, mais,
pour bien la comprendre, le lecteur doit
effectuer un certain travail. Il part avec
un solide avantage s’il a une certaine
connaissance de la chronologie de cette
guerre, des événements, des protagonistes
et des lieux. Le schéma miniature proposé
dans le premier chapitre ne suffit
pas, sauf peut-être pour rappeler aux
lecteurs des livres lus auparavant. Ceux
qui ne connaissent pas cette campagne
feraient bien de lire le livre deux fois pour bien saisir
les détails et les contextes qui leur auraient échappé à
la première lecture. En outre, le livre présente en fin
d’ouvrage de nombreuses notes très étoffées, lesquelles
posent elles-mêmes un dilemme : faut-il faire des allers et
retours incessants entre le texte et les notes ou lire toutes
les notes d’un trait à la fin de chaque chapitre? Ces deux
solutions exigent un effort qui perturbe quelque peu la
lecture mais qui en vaut la peine.
On pourrait reprocher à ce livre, qui se concentre sur les
techniques et la tactique de la guerre, son manque absolu
d’illustrations. Si des illustrations modernes conçues à partir
de recherches et de reconstitutions récentes (citées par
Hanson lui-même) auraient étayé les arguments défendus
par l’auteur, une sélection judicieuse d’œuvres d’art
militaires représentant la Grèce de l’époque aurait mis en
valeur le caractère et les promesses de la société engagée
dans cette guerre civile désastreuse. Dans des cas comme
celui-ci, une illustration aurait vraiment été plus éloquente
que bien des mots.
Ce livre parvient néanmoins à remplir la mission la plus
importante de tout auteur : amener le lecteur à réfléchir
et, peut-être même, l’amener à pousser sa réflexion
d’une manière qui n’était pas spécifiquement prévue.
Hanson s’adressait manifestement à un public américain en
présentant nombre de ses remarques, et il ne s’en cache
pas. Dans le premier chapitre, il prépare l’esprit du
lecteur en comparant Athènes aux États-Unis, comparaison
qui n’est pas particulièrement originale mais qui est
avantageusement transposée dans le contexte actuel : une
puissance démocratique accomplie, enviée de ses voisins
et peut-être plus désireuse d’être aimée que d’être respectée.
Le message est évident : Athènes a, au bout du compte,
perdu la guerre, et ses détracteurs ont fini par regretter
cette défaite.