CRITIQUES DE LIVRES L’ouvrage de Kerr a beaucoup de qualités. En plus d’offrir un bon aperçu des relations entre les Français et les Mi’kmaq, il donne un portrait détaillé et pittoresque des premiers colons de Port-Royal, tous des hommes, et de leur vie sociale. On y découvre aussi tous les efforts que devaient déployer les premiers commerçants de fourrures, tels que de Mons et Poutrincourt, pour trouver en France des investisseurs afin de financer leurs expéditions. Enfin, le livre est abondamment illustré de cartes et de dessins, dont bon nombre sont de la main de Samuel de Champlain. Kerr souligne même que ce sont les cartes détaillées de l’Acadie, dessinées par Champlain pendant qu’il vivait à Port-Royal, qui ont suscité et nourri l’intérêt des Français pour le Nouveau Monde. Ce livre se veut avant tout une histoire accessible, populaire, et il serait donc injuste d’en évaluer le mérite selon des critères savants. L’absence de renvois est cependant décevante. L’auteur présente une bibliographie de sources premières (notamment Les Relations des jésuites et les écrits de Marc Lescarbot, un des habitants de Port-Royal) et de sources secondaires, mais elle n’est pas exhaustive. Le dernier chapitre, qui explique comment Port-Royal est A WAR LIKE NO OTHER: HOW THE ATHENIANS AND SPARTANS FOUGHT THE PELOPONNESIAN WAR par Victor Davis Hanson devenu un lieu historique national et qui décrit ce que les visiteurs verront en parcourant l’habitation, est une autre faiblesse du livre. Ce chapitre, très bref, n’analyse aucunement la trame historique qu’évoque la visite des lieux. Cependant, le souci que Kerr met à décrire en détail les conflits sociaux qui sévissaient au sein de l’habitation, conflits nés des différences de religion, de la corruption et de l’ineptie, constitue un des principaux atouts de son récit. Il semble toutefois que le visiteur ne verra nulle part de traces de ces conflits en ce lieu historique national. Port Royal Habitation mérite d’être recommandé parce qu’il offre une introduction concise, bien écrite, à une page de l’histoire du pays qui est peu connue et souvent négligée par le Canada anglais. W. P. Kerr y démontre de façon convaincante que l’expérience française dans cette petite colonie du début du XVII e siècle a constitué une étape fondamentale du développement de la Nouvelle-France. Jim Kenny, Ph. D., est natif de la vallée d’Annapolis et enseigne l’histoire au Collège militaire royal du Canada. ont suivi, et Hanson la ressuscite dans le contexte actuel, caractérisé par le terrorisme, les guerres asymétriques et, si ce n’est le choc des civilisations, certainement les conflits de valeurs. L Le sous-titre du livre dévoile déjà l’approche empruntée par l’auteur : il ne s’agit pas d’une énumération chronologique des événements mais plutôt d’un examen des modalités de la conduite de la guerre à l’époque de la Grèce classique. Après un bref exposé des causes et des facteurs sociaux sous-jacents au conflit, Hanson brosse simplement un tableau des incidents marquants d’une guerre civile qui s’est étendue de 431 à 404 avant Jésus-Christ. Cette démarche prépare le terrain pour une analyse des stratégies et des méthodes ayant servi à la conduite de la guerre en Grèce classique. Dès lors, une question évidente se pose : que peut apporter de neuf Victor Hanson à propos de cette guerre civile, longue de plusieurs décennies, qui a ravagé la Grèce de l’époque classique? La grande pertinence de cette guerre pour une analyse de la conduite de la guerre à travers les âges y fournit peut-être une réponse; chaque génération trouve en effet dans ce conflit des thèmes qui reflètent sa propre expérience, et la chose n’est pas moins vraie aujourd’hui. Les questions que cet événement suscite dépassent le simple cadre de la stratégie et de la tactique militaires pour englober la gouvernance nationale, l’éthique et l’ethos, la dégradation environnementale et, même si ce n’est pas intentionnel, les armes à effet massif. Cette guerre a eu des répercussions sur presque toutes les générations qui L’approche de Hanson est parfaitement résumée par les titres des chapitres : le feu (pillage), la maladie, la terreur (tuerie), les armements blindés (combat des phalanges et des hoplites), les murs (tenue d’un siège), les chevaux (cavalerie) et les navires (campagne maritime). Chaque titre se concentre sur une modalité particulière de la conduite de la guerre (ou, comme le dit l’auteur, sur une « expérience » de la guerre); le contenu permet tant une exploration de certains grands événements et une analyse des facteurs sociaux connexes de la campagne qu’une discussion sur la technologie et les techniques utilisées à cette époque pour mener la guerre. Par exemple, le thème des chevaux offre l’occasion d’aborder la campagne des Athéniens à Syracuse. Pourquoi? Parce que la cavalerie était la seule arme dont disposaient les Syracusains pour maintenir les phalanges athéniennes en échec (en les débordant) et face à laquelle, en raison de leur longue chaîne d’approvisionnement par New York, Random House, 2005 396 pages, 42 $ Compte rendu de Mark Tunnicliffe es gens dansent et la musique résonne tandis que les symboles de la puissance d’une nation sont systématiquement détruits. Une grande puissance maritime, qui est aussi un centre économique et culturel dominant et une fervente partisane de la démocratie et du changement de régime, est humiliée par un adversaire doctrinaire et réactionnaire. Voilà le bilan de la guerre du Péloponnèse, peut-être l’un des conflits les plus étudiés de l’histoire. Été 2006 ● Revue militaire canadienne 99 CRITIQUES DE LIVRES voie maritime, les Athéniens n’ont pas pu donner une riposte adéquate. Ainsi, ce sont les Athéniens eux-mêmes qui ont été les artisans de leur défaite à Syracuse; en effet, ils ont tardé à rediriger leurs troupes et ils ont pris la décision insensée de renoncer à leur suprématie maritime en acceptant de se battre dans un port exigu, perdant ainsi l’avantage que leur procurait leur remarquable habileté à manœuvrer des navires. Sa flotte se retrouvant amputée et ses lignes de communication, coupées, l’armée athénienne, sans défense au sol, s’est tout bonnement laissé massacrer. Par conséquent, bien que la cavalerie ait joué un rôle essentiel dans la campagne de Syracuse, elle devient dans le récit de Hanson un élément secondaire par rapport à la politique et au massacre entourant cette entreprise inutile. Le chapitre sur la maladie est le seul à ne pas aborder la question des modalités de la guerre. Le fléau qui a anéanti au début de la campagne presque 30 pour 100 de la population athénienne (y compris Périclès, son dirigeant le plus compétent) a eu une profonde influence sur la manière dont cette démocratie s’est conduite au cours des deux décennies suivantes. La maladie a frappé après que les Spartiates, fidèles à leur tactique initiale, ont tenté, vainement en apparence, de ravager les terres et les exploitations agricoles d’Attique, l’arrière-pays athénien. En effet, il était plus difficile qu’il n’y paraissait de piller complètement une partie importante des ressources agricoles d’Athènes; de plus, les longs murs qui reliaient la cité au port du Pirée garantissaient aux Athéniens, forts de leur supériorité maritime (navale et commerciale), un accès à un approvisionnement extérieur en céréales. La stratégie athénienne, devant l’invincible armée d’hoplites spartiates, a simplement été de retrancher tous les citoyens des régions périphériques derrière ses murs indestructibles jusqu’à ce que l’armée spartiate rentre chez elle pour la saison. Cependant, l’afflux de personnes a été à l’origine d’un fléau qui a tué une importante partie de la population et amputé les ressources humaines athéniennes pour les campagnes ultérieures. Fait probablement plus important encore, ce fléau a anéanti l’ordre social et les mœurs de la population. Victor Hanson traite cette maladie désastreuse, dont le nom est, selon lui, un mystère vieux de 2 500 ans, comme un événement fortuit de la guerre, bien que lourd de conséquences pour le destin des Athéniens. Ironie du sort, quelques mois après la publication de son livre, des dents recueillies après l’exhumation des victimes de ce fléau ont été soumises à des tests d’ADN; ceux-ci ont révélé que la maladie qui a fait rage durant la guerre du Péloponnèse était la fièvre typhoïde, une maladie transmise par les fèces. Manifestement, le réseau sanitaire athénien était incapable d’accommoder l’afflux de réfugiés tentant d’échapper aux opérations de pillage spartiates dans la campagne environnante. Par conséquent, 100 l’auteur présente l’invasion initiale de Sparte comme une opération largement inefficace; cette façon de voir, bien qu’elle soit correcte du point de vue des effets recherchés, doit néanmoins être considérée à la lumière des répercussions non voulues qui en ont découlé; cette invasion présente en réalité un ancêtre des armes à effet massif. Hanson apporte une perspective novatrice à cet événement ancien, mais, pour bien la comprendre, le lecteur doit effectuer un certain travail. Il part avec un solide avantage s’il a une certaine connaissance de la chronologie de cette guerre, des événements, des protagonistes et des lieux. Le schéma miniature proposé dans le premier chapitre ne suffit pas, sauf peut-être pour rappeler aux lecteurs des livres lus auparavant. Ceux qui ne connaissent pas cette campagne feraient bien de lire le livre deux fois pour bien saisir les détails et les contextes qui leur auraient échappé à la première lecture. En outre, le livre présente en fin d’ouvrage de nombreuses notes très étoffées, lesquelles posent elles-mêmes un dilemme : faut-il faire des allers et retours incessants entre le texte et les notes ou lire toutes les notes d’un trait à la fin de chaque chapitre? Ces deux solutions exigent un effort qui perturbe quelque peu la lecture mais qui en vaut la peine. On pourrait reprocher à ce livre, qui se concentre sur les techniques et la tactique de la guerre, son manque absolu d’illustrations. Si des illustrations modernes conçues à partir de recherches et de reconstitutions récentes (citées par Hanson lui-même) auraient étayé les arguments défendus par l’auteur, une sélection judicieuse d’œuvres d’art militaires représentant la Grèce de l’époque aurait mis en valeur le caractère et les promesses de la société engagée dans cette guerre civile désastreuse. Dans des cas comme celui-ci, une illustration aurait vraiment été plus éloquente que bien des mots. Ce livre parvient néanmoins à remplir la mission la plus importante de tout auteur : amener le lecteur à réfléchir et, peut-être même, l’amener à pousser sa réflexion d’une manière qui n’était pas spécifiquement prévue. Hanson s’adressait manifestement à un public américain en présentant nombre de ses remarques, et il ne s’en cache pas. Dans le premier chapitre, il prépare l’esprit du lecteur en comparant Athènes aux États-Unis, comparaison qui n’est pas particulièrement originale mais qui est avantageusement transposée dans le contexte actuel : une puissance démocratique accomplie, enviée de ses voisins et peut-être plus désireuse d’être aimée que d’être respectée. Le message est évident : Athènes a, au bout du compte, perdu la guerre, et ses détracteurs ont fini par regretter cette défaite. Revue militaire canadienne ● Été 2006 CRITIQUES DE LIVRES Le livre offre toutefois des enseignements plus subtiles, lesquels dépendent probablement tout autant du lecteur que de l’auteur. L’une des principales leçons est le rôle de la puissance maritime dans la guerre et les différences fondamentales qui existent entre l’armée de terre et la marine, que ce soit sur le plan de la mission, de la tactique, de la sociologie ou du contexte social. Athènes pouvait se permettre de perdre encore et encore sur terre, mais jamais en mer. De même, tant qu’elle jouissait de la suprématie en mer, elle pouvait gagner au sol ou, du moins, éviter la défaite. Cette leçon a été démontrée à Syracuse, où l’armée de terre athénienne, quoique médiocrement dirigée, a tenu tête aux Syracusains jusqu’à ce que la flotte d’Athènes soit détruite dans le port. Leurs lignes de communication étant coupées, les forces terrestres athéniennes, horrifiées, ont simplement abandonné la partie et ont été massacrées. En revanche, lorsque les Spartiates, soutenus par l’or perse, ont finalement maîtrisé l’art du combat naval, une seule victoire leur a suffi. Ce n’est qu’à partir de ce moment que leurs décennies d’excellence dans la guerre au sol ont fini par être déterminantes pour l’issue finale. Ce livre évoque également le commandement et le rôle d’un gouvernement démocratique en temps de guerre, une question sur laquelle les Canadiens devraient FIRST MAN: THE LIFE OF NEIL A. ARMSTRONG par James R. Hansen New York, Simon & Schuster, 2005 769 pages, 41 $ Compte-rendu de Dean Black J e me suis souvent demandé ce qu’il était advenu du premier homme à avoir marché sur la Lune. Adolescent, je brûlais d’admiration pour Neil Armstrong et les autres astronautes. Comme beaucoup de jeunes, je trouvais fascinant le programme spatial des États-Unis, car j’y voyais un nouveau domaine encore inexploré, qui offrait de nombreux défis. Le premier pas dans cette voie consistait à s’entraîner au pilotage d’un avion à réaction. La poursuite d’une carrière de pilote militaire devint donc un objectif pour beaucoup d’entre nous. Mais il semble que Neil Armstrong s’est quasiment effacé depuis la mission épique d’Apollo 11. Il était difficile de s’expliquer pourquoi un personnage aussi public aurait choisi de vivre loin des médias. Je comprends maintenant, mieux qu’à tout autre moment depuis le 20 juillet 1969, que Neil Armstrong n’avait pas disparu : nous ne pouvions tout simplement pas le voir ni l’entendre à cause de la foule de gens qui l’entouraient. Été 2006 ● Revue militaire canadienne méditer. Un contrôle démocratique inconditionnel a été désastreux dans le cas d’Athènes. Privée à jamais des conseils avisés de Périclès, que la maladie a emporté, l’assemblée athénienne, sans garde-fou et poussée par les démagogues, a sanctionné des expéditions insensées, des exécutions de masse dans les villes conquises, l’exil et même l’exécution de dirigeants triomphants, ce qui a conduit invariablement au sabotage d’une victoire pourtant à portée de main. La démocratie, comme l’ont compris les pères de la révolution américaine, doit être tempérée par un équilibre approprié des pouvoirs. Elle doit choisir et faire accepter sa voie par le débat et le consensus et, à partir du moment où elle emprunte le sentier de la guerre, elle doit être guidée par une main ferme. Faute de quoi, il ne lui reste qu’à attendre la défaite et l’humiliation de voir les symboles de sa gloire passée détruits sous les hourras de ses détracteurs. Le capitaine de frégate Mark Tunnicliffe est membre de la cellule de coordination de la recherche maritime et relève du directeur général du Développement de la Force maritime au Quartier général de la Défense nationale. James R. Hansen a le mérite d’avoir jeté de la lumière sur la vie « privée » de l’un des hommes les plus recherchés de tous les temps. Armstrong n’a jamais voulu devenir célèbre et tout indique qu’il déteste sa renommée. En rétrospective, la modestie de cet astronaute légendaire est d’une ampleur égale au succès de la mission d’Apollo 11. Ne se voyant pas différent du commun des mortels, Armstrong estime que nous avons tous en nous le potentiel de réaliser de grands exploits. Il atténue cependant ce message en soulignant l’importance de l’interaction entre l’homme et la technique. La modestie d’Armstrong puise probablement sa source dans la perspective unique de notre astronaute au sujet de la synergie homme-technique que représentait le programme Apollo. Rappelons qu’au départ, les vols habités étaient loin des objectifs que visaient les scientifiques de la NASA, car ces derniers étaient convaincus que la présence humaine à bord d’un engin spatial n’apportait rien de plus. Lorsque les « pilotes d’essai aspirant à une carrière d’astronaute » ont constaté que leur véhicule avait été expressément conçu pour n’exiger aucune intervention humaine en cours de vol, ils protestèrent et obtinrent des modifications techniques. L’ajout de pilotes nécessita une révision de la conception initiale ainsi que des compromis afin d’atténuer les risques attribuables au facteur humain. Armstrong 101