CRITIQUES DE LIVRES
Été 2006 Revue militaire canadienne 99
L’ouvrage de Kerr a beaucoup de qualités. En plus d’offrir
un bon aperçu des relations entre les Français et les Mi’kmaq,
il donne un portrait détaillé et pittoresque des premiers colons
de Port-Royal, tous des hommes, et de leur vie sociale. On y
découvre aussi tous les efforts que devaient déployer les
premiers commerçants de fourrures, tels que de Mons et
Poutrincourt, pour trouver en France des investisseurs afin de
financer leurs expéditions. Enfin, le livre est abondamment
illustré de cartes et de dessins, dont bon nombre sont de la
main de Samuel de Champlain. Kerr souligne même que ce sont
les cartes détaillées de l’Acadie, dessinées par Champlain
pendant qu’il vivait à Port-Royal, qui ont suscité et nourri
l’intérêt des Français pour le Nouveau Monde.
Ce livre se veut avant tout une histoire accessible,
populaire, et il serait donc injuste d’en évaluer le mérite
selon des critères savants. L’absence de renvois est cependant
décevante. L’auteur présente une bibliographie de sources
premières (notamment Les Relations des jésuites et les écrits
de Marc Lescarbot, un des habitants de Port-Royal)
et de sources secondaires, mais elle n’est pas exhaustive. Le
dernier chapitre, qui explique comment Port-Royal est
devenu un lieu historique national et qui décrit ce que les
visiteurs verront en parcourant l’habitation, est une autre
faiblesse du livre. Ce chapitre, très bref, n’analyse aucunement
la trame historique qu’évoque la visite des lieux. Cependant, le
souci que Kerr met à décrire en détail les conflits sociaux qui
sévissaient au sein de l’habitation, conflits nés des différences
de religion, de la corruption et de l’ineptie, constitue un des
principaux atouts de son récit. Il semble toutefois que le
visiteur ne verra nulle part de traces de ces conflits en ce lieu
historique national.
Port Royal Habitation mérite d’être recommandé parce
qu’il offre une introduction concise, bien écrite, à une page de
l’histoire du pays qui est peu connue et souvent négligée par le
Canada anglais. W. P. Kerr y démontre de façon convaincante
que l’expérience française dans cette petite colonie du début
du XVIIesiècle a constitué une étape fondamentale du
développement de la Nouvelle-France.
Jim Kenny, Ph. D., est natif de la vallée d’Annapolis et enseigne l’histoire
au Collège militaire royal du Canada.
A WAR LIKE NO OTHER:
HOW THE ATHENIANS
AND SPARTANS FOUGHT
THE PELOPONNESIAN WAR
par Victor Davis Hanson
New York, Random House, 2005
396 pages, 42 $
Compte rendu de Mark Tunnicliffe
Les gens dansent et la musique résonne tandis
que les symboles de la puissance d’une nation
sont systématiquement détruits. Une grande
puissance maritime, qui est aussi un centre
économique et culturel dominant et une fervente
partisane de la démocratie et du changement de régime, est
humiliée par un adversaire doctrinaire et réactionnaire. Voilà
le bilan de la guerre du Péloponnèse, peut-être l’un des
conflits les plus étudiés de l’histoire.
Dès lors, une question évidente se pose : que peut
apporter de neuf Victor Hanson à propos de cette guerre
civile, longue de plusieurs décennies, qui a ravagé la Grèce
de l’époque classique? La grande pertinence de cette guerre
pour une analyse de la conduite de la guerre à travers les
âges y fournit peut-être une réponse; chaque génération
trouve en effet dans ce conflit des thèmes qui reflètent
sa propre expérience, et la chose n’est pas moins vraie
aujourd’hui. Les questions que cet événement suscite
dépassent le simple cadre de la stratégie et de la tactique
militaires pour englober la gouvernance nationale, l’éthique
et l’ethos, la dégradation environnementale et, même si ce
n’est pas intentionnel, les armes à effet massif. Cette guerre
a eu des répercussions sur presque toutes les générations qui
ont suivi, et Hanson la ressuscite dans le contexte actuel,
caractérisé par le terrorisme, les guerres asymétriques et,
si ce n’est le choc des civilisations, certainement les
conflits de valeurs.
Le sous-titre du livre dévoile déjà l’approche
empruntée par l’auteur : il ne s’agit pas d’une énumération
chronologique des événements mais plutôt d’un examen
des modalités de la conduite de la guerre à l’époque de
la Grèce classique. Après un bref exposé des causes
et des facteurs sociaux sous-jacents au conflit, Hanson
brosse simplement un tableau des incidents marquants
d’une guerre civile qui s’est étendue de 431 à 404 avant
Jésus-Christ. Cette démarche prépare le terrain pour une
analyse des stratégies et des méthodes ayant servi à la
conduite de la guerre en Grèce classique.
L’approche de Hanson est parfaitement résumée par les
titres des chapitres : le feu (pillage), la maladie, la terreur
(tuerie), les armements blindés (combat des phalanges et des
hoplites), les murs (tenue d’un siège), les chevaux (cavalerie)
et les navires (campagne maritime). Chaque titre se
concentre sur une modalité particulière de la conduite de
la guerre (ou, comme le dit l’auteur, sur une « expérience »
de la guerre); le contenu permet tant une exploration de
certains grands événements et une analyse des facteurs
sociaux connexes de la campagne qu’une discussion sur
la technologie et les techniques utilisées à cette époque pour
mener la guerre. Par exemple, le thème des chevaux offre
l’occasion d’aborder la campagne des Athéniens à Syracuse.
Pourquoi? Parce que la cavalerie était la seule arme dont
disposaient les Syracusains pour maintenir les phalanges
athéniennes en échec (en les débordant) et face à laquelle,
en raison de leur longue chaîne d’approvisionnement par
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CRITIQUES DE LIVRES
voie maritime, les Athéniens n’ont pas pu
donner une riposte adéquate. Ainsi, ce
sont les Athéniens eux-mêmes qui ont
été les artisans de leur défaite à Syracuse;
en effet, ils ont tardé à rediriger leurs
troupes et ils ont pris la décision insensée
de renoncer à leur suprématie maritime
en acceptant de se battre dans un port
exigu, perdant ainsi l’avantage que leur
procurait leur remarquable habileté à
manœuvrer des navires. Sa flotte se
retrouvant amputée et ses lignes de com-
munication, coupées, l’armée athénienne,
sans défense au sol, s’est tout bonnement
laissé massacrer. Par conséquent, bien
que la cavalerie ait joué un rôle essentiel
dans la campagne de Syracuse, elle
devient dans le récit de Hanson un
élément secondaire par rapport à la
politique et au massacre entourant cette
entreprise inutile.
Le chapitre sur la maladie est le seul à ne pas aborder
la question des modalités de la guerre. Le fléau qui a
anéanti au début de la campagne presque 30 pour 100 de
la population athénienne (y compris Périclès, son dirigeant le
plus compétent) a eu une profonde influence sur la manière
dont cette démocratie s’est conduite au cours des deux
décennies suivantes. La maladie a frappé après que les
Spartiates, fidèles à leur tactique initiale, ont tenté, vainement
en apparence, de ravager les terres et les exploitations
agricoles d’Attique, l’arrière-pays athénien. En effet, il était
plus difficile qu’il n’y paraissait de piller complètement une
partie importante des ressources agricoles d’Athènes;
de plus, les longs murs qui reliaient la cité au port du
Pirée garantissaient aux Athéniens, forts de leur supériorité
maritime (navale et commerciale), un accès à un approvision-
nement extérieur en céréales. La stratégie athénienne,
devant l’invincible armée d’hoplites spartiates, a simplement
été de retrancher tous les citoyens des régions périphériques
derrière ses murs indestructibles jusqu’à ce que l’armée
spartiate rentre chez elle pour la saison. Cependant, l’afflux
de personnes a été à l’origine d’un fléau qui a tué une
importante partie de la population et amputé les ressources
humaines athéniennes pour les campagnes ultérieures. Fait
probablement plus important encore, ce fléau a anéanti
l’ordre social et les mœurs de la population. Victor Hanson
traite cette maladie désastreuse, dont le nom est, selon lui, un
mystère vieux de 2 500 ans, comme un événement fortuit
de la guerre, bien que lourd de conséquences pour le
destin des Athéniens. Ironie du sort, quelques mois après
la publication de son livre, des dents recueillies après
l’exhumation des victimes de ce fléau ont été soumises à
des tests d’ADN; ceux-ci ont révélé que la maladie qui a fait
rage durant la guerre du Péloponnèse était la fièvre typhoïde,
une maladie transmise par les fèces. Manifestement, le réseau
sanitaire athénien était incapable d’accommoder l’afflux
de réfugiés tentant d’échapper aux opérations de pillage
spartiates dans la campagne environnante. Par conséquent,
l’auteur présente l’invasion initiale de
Sparte comme une opération largement
inefficace; cette façon de voir, bien
qu’elle soit correcte du point de vue des
effets recherchés, doit néanmoins être
considérée à la lumière des répercussions
non voulues qui en ont découlé; cette
invasion présente en réalité un ancêtre
des armes à effet massif.
Hanson apporte une perspective
novatrice à cet événement ancien, mais,
pour bien la comprendre, le lecteur doit
effectuer un certain travail. Il part avec
un solide avantage s’il a une certaine
connaissance de la chronologie de cette
guerre, des événements, des protagonistes
et des lieux. Le schéma miniature proposé
dans le premier chapitre ne suffit
pas, sauf peut-être pour rappeler aux
lecteurs des livres lus auparavant. Ceux
qui ne connaissent pas cette campagne
feraient bien de lire le livre deux fois pour bien saisir
les détails et les contextes qui leur auraient échappé à
la première lecture. En outre, le livre présente en fin
d’ouvrage de nombreuses notes très étoffées, lesquelles
posent elles-mêmes un dilemme : faut-il faire des allers et
retours incessants entre le texte et les notes ou lire toutes
les notes d’un trait à la fin de chaque chapitre? Ces deux
solutions exigent un effort qui perturbe quelque peu la
lecture mais qui en vaut la peine.
On pourrait reprocher à ce livre, qui se concentre sur les
techniques et la tactique de la guerre, son manque absolu
d’illustrations. Si des illustrations modernes conçues à partir
de recherches et de reconstitutions récentes (citées par
Hanson lui-même) auraient étayé les arguments défendus
par l’auteur, une sélection judicieuse d’œuvres d’art
militaires représentant la Grèce de l’époque aurait mis en
valeur le caractère et les promesses de la société engagée
dans cette guerre civile désastreuse. Dans des cas comme
celui-ci, une illustration aurait vraiment été plus éloquente
que bien des mots.
Ce livre parvient néanmoins à remplir la mission la plus
importante de tout auteur : amener le lecteur à réfléchir
et, peut-être même, l’amener à pousser sa réflexion
d’une manière qui n’était pas spécifiquement prévue.
Hanson s’adressait manifestement à un public américain en
présentant nombre de ses remarques, et il ne s’en cache
pas. Dans le premier chapitre, il prépare l’esprit du
lecteur en comparant Athènes aux États-Unis, comparaison
qui n’est pas particulièrement originale mais qui est
avantageusement transposée dans le contexte actuel : une
puissance démocratique accomplie, enviée de ses voisins
et peut-être plus désireuse d’être aimée que d’être respectée.
Le message est évident : Athènes a, au bout du compte,
perdu la guerre, et ses détracteurs ont fini par regretter
cette défaite.
CRITIQUES DE LIVRES
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Le livre offre toutefois des enseignements plus subtiles,
lesquels dépendent probablement tout autant du lecteur que de
l’auteur. L’une des principales leçons est le rôle de la puissance
maritime dans la guerre et les différences fondamentales qui
existent entre l’armée de terre et la marine, que ce soit sur le
plan de la mission, de la tactique, de la sociologie ou du
contexte social. Athènes pouvait se permettre de perdre encore
et encore sur terre, mais jamais en mer. De même, tant qu’elle
jouissait de la suprématie en mer, elle pouvait gagner au sol
ou, du moins, éviter la défaite. Cette leçon a été démontrée à
Syracuse, où l’armée de terre athénienne, quoique médiocrement
dirigée, a tenu tête aux Syracusains jusqu’à ce que la
flotte d’Athènes soit détruite dans le port. Leurs lignes
de communication étant coupées, les forces terrestres
athéniennes, horrifiées, ont simplement abandonné la partie
et ont été massacrées. En revanche, lorsque les Spartiates,
soutenus par l’or perse, ont finalement maîtrisé l’art du
combat naval, une seule victoire leur a suffi. Ce n’est qu’à
partir de ce moment que leurs décennies d’excellence dans la
guerre au sol ont fini par être déterminantes pour l’issue finale.
Ce livre évoque également le commandement et
le rôle d’un gouvernement démocratique en temps de
guerre, une question sur laquelle les Canadiens devraient
méditer. Un contrôle démocratique inconditionnel a
été désastreux dans le cas d’Athènes. Privée à jamais
des conseils avisés de Périclès, que la maladie a emporté,
l’assemblée athénienne, sans garde-fou et poussée par
les démagogues, a sanctionné des expéditions insensées,
des exécutions de masse dans les villes conquises,
l’exil et même l’exécution de dirigeants triomphants,
ce qui a conduit invariablement au sabotage d’une victoire
pourtant à portée de main. La démocratie, comme l’ont
compris les pères de la révolution américaine, doit
être tempérée par un équilibre approprié des pouvoirs.
Elle doit choisir et faire accepter sa voie par le débat
et le consensus et, à partir du moment où elle emprunte
le sentier de la guerre, elle doit être guidée par une
main ferme. Faute de quoi, il ne lui reste qu’à attendre
la défaite et l’humiliation de voir les symboles de
sa gloire passée détruits sous les hourras de ses
détracteurs.
Le capitaine de frégate Mark Tunnicliffe est membre de la cellule
de coordination de la recherche maritime et relève du directeur
général du Développement de la Force maritime au Quartier général
de la Défense nationale.
FIRST MAN: THE LIFE OF NEIL
A. ARMSTRONG
par James R. Hansen
New York, Simon & Schuster, 2005
769 pages, 41 $
Compte-rendu de Dean Black
Je me suis souvent demandé ce
qu’il était advenu du premier
homme à avoir marché sur la Lune.
Adolescent, je brûlais d’admiration
pour Neil Armstrong et les autres
astronautes. Comme beaucoup de jeunes, je
trouvais fascinant le programme spatial des
États-Unis, car j’y voyais un nouveau
domaine encore inexploré, qui offrait de
nombreux défis. Le premier pas dans cette
voie consistait à s’entraîner au pilotage
d’un avion à réaction. La poursuite d’une
carrière de pilote militaire devint donc
un objectif pour beaucoup d’entre nous.
Mais il semble que Neil Armstrong s’est
quasiment effacé depuis la mission
épique d’Apollo 11. Il était difficile de
s’expliquer pourquoi un personnage aussi
public aurait choisi de vivre loin
des médias. Je comprends maintenant,
mieux qu’à tout autre moment depuis le
20 juillet 1969, que Neil Armstrong n’avait pas disparu :
nous ne pouvions tout simplement pas le voir ni l’entendre
à cause de la foule de gens qui l’entouraient.
James R. Hansen a le mérite d’avoir jeté de la lumière
sur la vie « privée » de l’un des hommes les plus recherchés
de tous les temps. Armstrong n’a jamais voulu devenir
célèbre et tout indique qu’il déteste sa renommée. En
rétrospective, la modestie de cet astronaute légendaire est
d’une ampleur égale au succès de la mission d’Apollo 11.
Ne se voyant pas différent du commun
des mortels, Armstrong estime que nous
avons tous en nous le potentiel de réaliser
de grands exploits. Il atténue cependant
ce message en soulignant l’importance de
l’interaction entre l’homme et la technique.
La modestie d’Armstrong puise probable-
ment sa source dans la perspective unique
de notre astronaute au sujet de la synergie
homme-technique que représentait le
programme Apollo. Rappelons qu’au
départ, les vols habités étaient loin des
objectifs que visaient les scientifiques
de la NASA, car ces derniers étaient
convaincus que la présence humaine
à bord d’un engin spatial n’apportait rien
de plus. Lorsque les « pilotes d’essai
aspirant à une carrière d’astronaute » ont
constaté que leur véhicule avait été
expressément conçu pour n’exiger aucune
intervention humaine en cours de vol, ils
protestèrent et obtinrent des modifications
techniques. L’ajout de pilotes nécessita une révision de la
conception initiale ainsi que des compromis afin d’atténuer
les risques attribuables au facteur humain. Armstrong
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