Une vue contrastive sur des modalisateurs en français et en

VNU Journal of Foreign Studies, Vol. 29, No. 1 (2013) 33-40
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Une vue contrastive sur des modalisateurs en français et en
vietnamien
Nguyen Ngoc Luu Ly*
Département de Langue et de Culture françaises
Université de Langues et d’Etudes Internationales – Université Nationale de Hanoï
Pham Van Dong, Cau Giay, Hanoi, Vietnam
Reçu le 28 janvier 2012
Révision reçu le 12 février 2013; accepté le 21 février 2012
Résumé: La modalité connaît des moyens d’expression bien variés tant au sein d’une langue que
d’une langue à l’autre, ici en l’occurrence, en français et en vietnamien. L’analyse approfondie des
modalisateurs dans les deux langues et l’analyse contrastive conséquente contribueront
probablement à ouvrir de nouvelles portes pour découvrir la nature exacte de l’une et de l’autre
langue en particulier, des universaux et des variétés du discours des langues du monde en général.
Le présent article che de préciser nos résultats de recherche : mettre au clair les ressemblances
fondamentales des modalisateurs en français et en vietnamien, ainsi que leurs propres
particularités, tout en remarquant que dans la réalité de communication, ces moyens s’insèrent,
s’intercalent toujours en vue de traduire mille nuances modales que voudrait exprimer
l’énonciateur.
Mots-clés: modalité, modalisateur, moyens phonétiques, moyens lexicaux, moyens grammaticaux,
analyse contrastive, valeur modale.
1. Introduction
La linguistique de longues années passées
centraient ses efforts dans la description de la
langue dans son système. Aujourd’hui, avec la
fameuse constatation d’Austin « Quand dire,
c’est faire », dans une optique plus
discursive, la situation de communication et
l’intention de communication du sujet parlant
avec tous ses éléments subjectifs jouent un vrai
_______
Tel.: +84- 913545411
rôle dans l’analyse, et ce qu'on appelle modalité
linguistique occupe désormais une place
particulière.
La modalité a des moyens d’expression bien
variés tant au sein d’une langue que d’une
langue à l’autre, ici en l’occurrence, en français
et en vietnamien. Alors que les langues
occidentales flexionnelles comme le français
traduisent généralement les valeurs modales par
l’emploi des formes impersonnelles, des verbes
qui peuvent être suivis d’un infinitif ou d’une
proposition introduite par que : vouloir, savoir,
pouvoir, sirer, espérer, etc., des formes
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incorporées à l’énoncé comme des adjectifs
(exemple : « Cette hypothèse est fausse » = « je
nie que… »), des adverbes (exemple : « Il sera
certainement en retard » = « je suis certain
que… »), du mode même du verbe de l’énoncé :
indicatif, impératif, conditionnel, de certaines
intonations (ironie, colère, pitié…), la langue
vietnamienne connaît un système particulier de
termes modalisants, de particules et expressions
destinées à exprimer avec tant de finesse et
délicatesse la modalité linguistique, nettement
beaucoup plus abondants que des moyens
modaux ou syntaxiques en français. L’analyse
approfondie des moyens d’expression de la
modalité dans les deux langues, et partant,
l’analyse contrastive conséquante contribueront
probablement à ouvrir de nouvelles portes pour
découvrir la nature exacte de l’une et de l’autre
langue en particulier et à la fois des universaux
et des variétés du discours des langues du
monde en général.
Quant à la terminologie, nous choisissons le
terme « modalisateurs » dans nos recherches
pour désigner les moyens exprimant la
modalité. C’est un terme trouvé dans le
dictionnaire de linguistique de Jean Dubois :
« on appelle modalisateurs les moyens par
lesquels un locuteur manifeste la manière dont
il envisage son propre énoncé; par exemple, les
adverbes « peut-être », « sans doute », les
incises « à ce que je crois », « selon moi », etc.,
indiquent que lnoncé n'est pas entièrement
assumé ou que l'assertion est limitée à une
certaine relation entre le sujet et son discours. »
Après avoir analysé des modalisateurs en
français et en vietnamien tant au point de vue
phonétique que lexical et grammatical, nous
nous permettons de présenter ci-dessous et les
ressemblances et les différences des
modalisateurs de ces deux systèmes.
2. Les ressemblances des modalisateurs en
français et en vietnamien
Il n’existe jamais une ressemblance parfaite
entre deux langues différentes, surtout que le
français et le vietnamien ne sont pas de même
typologie de langue. Cependant, certains
éléments dans les deux langues se considèrent
plutôt communs et se partagent une certaine
nuance modale.
2.1. Ressemblances du point de vue phonétique
A travers nos analyses, les Français et les
Vietnamiens utilisent fréquemment l’intonation
et l’accentuation pour traduire des nuances
modales.
Dans ces deux langues, l'intonation et
l'accentuation sont utilisées pour exprimer, en
dehors du simple contenu, des informations
complémentaires. Elles apportent des éléments
affectifs, connotatifs, esthétiques, ... par
lesquels les sentiments et les émotions du
locuteur s'unissent à l'expression des idées.
Alors, grâce à l'intonation, la phrase est riche en
modalité.
Observons des énoncés en français et en
vietnamien dans la situation d’une classe en
désordre. Le chef de classe dirait:
(1a) : Thy đến. (en vietnamien)
(1b) : Le professeur arrive. (en français)
Hors contexte, ce sont de simples phrases
déclaratives. Mais si l’on les prononce dans la
situation citée avec un accent imprévu mis sur
les verbes, ces phrases assertives deviennent un
avertissement, un ordre de silence, une menace
de punition pour les étudiants bruyants : Le
chef de la classe veut avertir toute la classe
l’arrivée du professeur et lui ordonner
implicitement de se taire, il se montre ferme à
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l’égard de ses camarades mais inquiet du fait
énoncé.
2.2. Ressemblances du point de vue lexical
Le français et le vietnamien partagent bien
une liste parallèle des verbes modaux exprimant
des modalités comme la certitude, la
probabilité, le souhait …
Comparons les exemples suivants:
(2): Chúng ta phi kính trng người già.
(On doit respecter les personnes âgées.)
(3): Lan mun đi chơi. (Lan veut sortir.)
(4): Mi người th t do phát biu trong
cuc tho lun y. (Tout le monde peut
s'exprimer librement dans ce débat.)
L'emploi « identique » des verbes modaux
dans les deux langues prouve déjà la similitude
lexicale.
En dehors des verbes modaux, les verbes
d'action en français et en vietnamien peuvent
aussi porter des nuances différentes : les verbes
ăn”, “măm”, “xơi”... en vietnamien, ou les
verbes « manger », « bouffer », « savourer »…
en français.
Il en est de même pour d'autres classes de
mots. Des exemples donnés avec l'emploi des
jonctifs, par exemple, vont prouver clairement
l'idée. Une traduction littérale peut s'appliquer
de façon étonnante :
(5): Đường trơn ti tri mưa. (La route est
glissante à cause de la pluie.)
Le jonctif « ti » exprime un rapport de
cause négative. Le locuteur présente non
seulement un contenu informatif, mais aussi son
attitude : il se plaint de l’état glissant causé par
la pluie. Cette nuance modale est parfaitement
transposée en français par « à cause de ».
(6) : Sophie được mi người yêu mến nh
tính tt bng ca mình. (Sophie est aimée de
tous grâce à sa gentillesse.)
« Nh » et « grâce à » expriment tous les
deux un rapport de cause positive. Le locuteur
veut présenter dans cette phrase la gentillesse
de Sophie comme son avantage.
2.3. Ressemblances du point de vue
grammatical
Nous avons justifié qu’en français, un
moyen temporel peut traduire une certaine
valeur modale et la dernière peut trouver, elle
aussi, son équivalence en vietnamien au moyen
des marqueurs temporels.
Un homme politique dit :
(7a) : Je défendrai le pouvoir d’achat des
travailleurs.
(7b) : Tôi s bo v sc mua ca người lao
động.
L’idée modale du locuteur que le dernier
prend un engagement et qu’il se met dans
l’obligation morale d’effectuer ce qu’il a dit est
bien exprimée à travers la structure temporelle
du future simple en français et le marqueur
« s » en vietnamien.
Et puis, dans certains cas, des adverbes
modaux en vietnamien peuvent trouver leur
équivalence « parfaite » en français. Prenons le
cas de « même » et « ngay c » :
(8a) : Même les vieillards font de la
gymnastique.
(8b) : Ngay c các c già cũng tp th dc.
En ce qui concerne le positionnement,
certains éléments exprimant la modalité
trouvent la même place dans la phrase en
français et en vietnamien. Observons l’exemple
des mots interrogatifs :
(9a) : Il est déjà parti, n’est-ce pas ?
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(9b) : đi ri có phi không ?
Les expressions interrogatives “n'est-ce
pas” et “có phi không” se placent toutes deux à
la fin de la phrase.
Le français et le vietnamien partagent bien
des structures en commun dont des structures
exprimant la modalité. Prenons l'exemple des
structures impersonnelles en français et leurs
équivalents dits déterminants verbaux en
vietnamien.
(10) : Il paraît qu'elle aime mon frère.
(Hình như là cô y yêu anh tôi.)
(11) : Il est nécessaire qu'on lui écrive.
(Cn phi viết thư cho nó.)
(12) : Il est clair qu'il ment. (ràng
nói di.)
(13) : Il se peut qu'elle revienne. (Có th
y quay li.)..
Nous nous contentons d’esquisser certains
traits des ressemblances modales en français et
en vietnamien tout en sachant que plus on les
approfondit, plus on continue à découvrir de
nouveaux secrets.
3. Les différences des modalisateurs en
français et en vietnamien
Nous réalisons clairement que tandis que les
ressemblances favorisent et stimulent le
processus de l’apprentissage d’une langue
étrangère, les différences, au contraire,
constituent l’élément d’empêchement de ce
processus. C’est la raison pour laquelle nous
nous intéressons toujours plus aux différences
qu’aux ressemblances.
3.1. Différences du point de vue phonétique
Bien que les deux langues connaissent
toutes les deux l’intonation et l’accentuation
comme moyens phonétiques exprimant la
modalité, l’usage et le niveau changent à
l’infini.
L’énoncé « Il vient » en français, avec
l’intonation montante à la fin de la phrase,
traduit forcément une interrogation. Alors qu’en
vietnamien, l'énoncé « Anh y đến », quelle que
soit l'intonation, ne signifie pas une question :
l'interrogatoire dans cette langue est marquée,
non par une intonation montante, mais par
l'emploi de termes interrogatifs bien modaux
« ư », « à », « h », « phi không » ... . Et c’est
toujours grâce à ce système de ces termes que
l’on peut reconnaître le type de phrases et la
valeur modale voulue prise.
Dans l’usage de l’accentuation, le français
et le vietnamien connaissent bien des
différences.
Si l’on dit : « Gii nh ! » (Bien joué) avec
une longue durée et une insistance sur « gii »,
ce n’est alors plus un compliment, mais plutôt
une ironie.
Les Français, quant à eux, pour exprimer
l’ironie en disant : « Bien joué », prennent une
intonation plutôt brève et montante. Et ceci est
accompagné souvent d’une grimace ou d’un
relèvement des sourcils.
3.2. Différences du point de vue lexical
La classification des mots en parties du
discours en français et en vietnamien partage
des points communs, mais aussi des points
différents. L’existence des différences est donc
évidente. Nous avons cité plus haut qu’il y a
bien des verbes, des noms, des adjectifs ou des
interjections synonymes avec nuances modales
variées en français et en vietnamien. Pourtant,
la correspondance n’est pas toujours une-par-
une en français et en vietnamien.
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Prenons, par exemple, en français les verbes
synonymes : « bouffer » et « manger ». Le
verbe « manger » est plutôt neutre et on peut le
traduire sans aucun souci par l’équivalent « ăn »
en vietnamien. Mais ce n’est pas toujours
simple avec « bouffer » : à côté de l’action
« manger », ce verbe implique encore le lien
intime du locuteur avec son auditeur, un registre
de langue plutôt familier, voire relâché. Ou
bien, quand nous utilisons « xơi », un
synonyme de « ăn » mais qui se diffère de
celui-ci d'une nuance modale de niveau de
langue, on serait obligé de le paraphraser en
français :
(14a) : Nào ăn cơm thôi ! (A table, s’il vous
plaît !)
(14b) : Mi các bác xơi cơm ! (Je vous
prie de vous mettre à table, s’il vous plaît !)
Les pronoms personnels en vietnamien
semblent beaucoup plus compliqués qu’en
français. Cela est dû peut-être à la tradition
culturelle vietnamienne, qui apprécie la
hiérarchie entre les générations. Comment
traduire ces nuances modales du vietnamien en
français, langue dont les pronoms personnels
sont dépourvus d'implication de statut social.
Par exemple, la seule première personne du
singulier peut être représentée par quelques
dizaines de pronoms variants : “tôi”, “ta”, “t”,
“tao”, “mình”, đây”, người ta”, em”, “anh”,
“bác”, “ông đây”, “b mày”, “c mày”, ... selon
la relation, la hiérarchie, l’affection ou
l’intention… du locuteur dans la
communication. Si par exemple, le locuteur
choisit le terme “tao” dans la communication, il
se montre bien familier ou il se croit le plus
grand, le plus âgé parmi d’autres. L’usage des
termes “tôi” ou “mình” traduit ailleurs l’attitude
plutôt modeste du locuteur avec son
interlocuteur.
Et puis, il y a encore des parties du discours
non-équivalentes entre ces deux langues,
comme les marqueurs modaux en vietnamien.
Alors, la transposition des nuances modales
rencontre nécessairement des inconvénients
majeurs.
Observons les traductions littérales dans
l’exemple suivant pour confirmer notre
constatation :
(15) : Mai đã xinh, li còn giàu.
Mai/marqueur/belle/marqueur/marqueur/riche
La traduction « Mai est à la fois belle et
riche » ne peut être ni plus ni moins que
l’équivalent de « Mai va xinh va giàu » en
vietnamien, toutes les nuances modales des
marqueurs « đã », « li », « còn » disparaissent.
Autre exemple :
(16) : A, cô Phương đến ri ! Hân hnh quá !
interjection/Mademoiselle/Phương/venir/particu
le modal/plaisir/ particule modal
La phrase « Ah, vous voilà Mlle Phương !
Quel plaisir ! », certes, traduisent à peine toutes
les valeurs modales impliquées dans la phrase
vietnamienne. Il faut souligner également que
les éléments modaux en vietnamien contiennent
toujours un ensemble de sens différents qui ne
sont compris que dans une situation précise.
Ces mots créent mêmes un écart linguistique
qui est l’origine d’énormes interférences dans
les deux langues.
3.3. Différences du point de vue grammatical
Au point de vue grammatical, les écarts
entre le français et le vietnamien se montrent
énormes.
Les Français utilisent divers modes
(indicatif, conditionnel, subjonctif et impératif)
et temps (futur simple, futur antérieur, passé)
pour exprimer la modalité; tandis que les
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