Les relations entre l`empire des Han et les Xiongnu : vestiges

Les relations entre l'empire des Han et les Xiongnu :
vestiges archéologiques et textes historiques
Juliana Holotovâ Szinek
(CREO, Paris-Sorbonne, CEC, INALCO)
Les Xiongnu
fâlWL
ont établi pendant six siècles, jusqu'au IIIe siècle de notre
ère,
une puissance politique qui leur a parfois valu le qualificatif de « premier
empire des steppes ». C'est en effet de cette puissance qu'hériteront leurs
successeurs, depuis l'époque turque (VIe - IXe siècles) jusqu'à celle de Gengis
khan (XIIIe siècle). L'émergence subite d'une confédération de tribus semi-
nomades d'un
«
peuple » Xiongnu pour une durée relativement longue induit
de fascinantes questions sur son fonctionnement et son rôle dans l'histoire de
la Chine et de l'Eurasie.
Pour aborder l'étude de ce peuple disparu de manière suffisamment
objective, il faut bienr prendre en compte les matériaux historiques et
archéologiques et garder à l'esprit l'importance des relations entre les
Xiongnu et les Han. Nous allons d'abord mentionner les sources écrites, puis
présenter les vestiges et enfin illustrer le rapprochement des deux au cours
d'une des périodes clés des échanges han-xiongnu.
Ce
«
pays de cavaliers », selon le qualificatif de leurs voisins Han,
apparaît, d'après les textes, à la fin du IIIe siècle avant notre ère en Chine du
Nord, en Mongolie et en Sibérie méridionale. Les Xiongnu n'ayant pas
développé d'écriture propre, les seules sources écrites connues à l'heure
Études
chinoises,
vol. XXIV (2005) - Journée de l'AFEC du 10 juin 2005
Notes de
recherche
actuelle sont les chroniques et documents en chinois datant principalement
des Han (206 avant n. è.-220 de n. è.). Trois écrits majeurs sont consacrés aux
Xiongnu : le chapitre 110 Xiongnu liezhuan $$$&]$!• du Shiji jfejfE de Sima
QianWJ^iH (145 - 86), le chapitre 94 divisé en deux parties du Hanshu fHH
compilé par Ban Gu ïfig| (33-92) et sa sœur Ban Zhao gEBg vers l'année 80,
et le chapitre 79 du Hou Han shu WÊM de l'historien Fan Ye fgg| (398 ?-
445).
Le Yantie lun MWÊR de Huan Kuan fjLjï (Ier
siècle,
av.
n. è.) fournit
également quelques éléments importants sur les échanges économiques des
Xiongnu.
La mise en perspective de ces renseignements avec les données révélées
par l'étude de la centaine de vestiges archéologiques qui subsistent permet
une meilleure compréhension du fonctionnement économique et politique de
ce
«
premier empire des steppes ».
La Mongolie, centre du monde xiongnu
En général, quatre types de vestiges sont attribués aux Xiongnu : cimetières
populaires, nécropoles aristocratiques, agglomérations fortifiées et forteresses
à usage militaire. Bien que des sites restent encore à découvrir ça et, ceux
de Mongolie constituent à l'évidence le noyau du monde xiongnu en raison
de leur densité, de leur importance stratégique et de la richesse du mobilier
archéologique (voir carte).
Les cimetières populaires - une cinquantaine environ - comportent de
modestes sépultures quadrangulaires '.
1 Le cimetière d'Egiin Gol situé dans la province de Bulgan en Mongolie en est un bon
exemple.Voir E. Crubézy,
H.
Martin,
P.-H.
Giscard,
Z.
Batsaikhan,
D.
Erdenebaatar,
B.
Maureille,
J.-P.
Verdier,
« Pratiques
funéraires et sacrifices d'animaux
en Mongolie à la
222
Les relations entre
l'empire
des Han et les Xiongnu
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Fig.
1 :
Carte des sites xiongnu de la Mongolie.
Crédits
:
Mission archéologique française en Mongolie, http://www.archaemongolia.com/.
Les nécropoles aristocratiques - douze pour le moment -, datées pour la
plupart du premier siècle de notre ère présentent sur plusieurs centaines
d'hectares
des groupements de tombes, soit circulaires soit trapézoïdales, à
allée funéraire2.
période proto-historique. Du perçu au signifié. À propos
d'une
sépulture xiongnu de la
valée
d'Egiin
Gol »,
Paléorient,
CNRS Editions, vol. 22 /1 (1996), p. 89-107
2 II
s'agit
essentiellement des nécropoles de Noïn-Ula et de Gol Mod en Mongolie cen-
trale.
Voir respectivement S. I. Rudenko, Kuttura
Khunnov
i
noinulinskie
kurgany,
Mos-
»
»
»'
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223
Notes de
recherche
Certains de ces sites comptent jusqu'à 350 sépultures. Existe-il une
tradition qui aurait engendré ces monuments xiongnu ou émergent-ils ex
nihilo,
comme on le pensait jadis de leur empire ? Dans une terre au climat
rude et instable comme la Mongolie, les civilisations de l'âge du bronze ont
bâti des tombeaux en pierre sèche comportant d'importants sacrifices
d'animaux3. Situées en général à proximité de ces derniers, les sépultures
xiongnu s'inscrivent dans la même tradition. Toutefois, l'architecture des
tombes à allée funéraire apparaît subitement au Ier siècle de notre ère et
s'inspire probablement des tombeaux des Han. Associé à un chemin menant
au Ciel, le concept d'allée funéraire a été parfaitement assimilé dans la
cosmologie nomade et demeure le privilège des catégories supérieures de la
société.
Ces cités des morts n'en étaient pas moins celles des vivants, et il est
vraisemblable que les diverses tribus s'y rencontraient pour procéder à des
cérémonies à l'occasion de la construction des demeures éternelles de leurs
personnages éminents. Ainsi, les funérailles et sacrifices constituent-ils un
élément fédérateur, ce que confirment les sources historiques 4.
Une puissance fondatrice pour l'Asie des steppes
Les textes, corroborés par les trouvailles, affirment que l'économie des
cou, Leningrad
:
Nauka, 1962 et, par la Mission archéologique française en Mongolie,
Mongolie,
le
premier empire des
steppes,
Arles : Actes Sud,
2003.
3 Yu. S. Khudiakov, « Khereksury i olennye kamni
» in
Arkheologja,
ethografja
i
antropo-
logja Mongolii, A. P. Derevjanko et al., Novosibirsk
:
Sibirskoe otdelenie izdatel'stva
Nauka, 1987, p. 132-154.
4
Shiji,
Pékin : Zhonghua shuju,
1998,
p.
2892.
224
Les
relations
entre l'empire des Han et
les
Xiongnu
Xiongnu repose sur l'élevage nomade5. En réalité, les habitants des steppes
sont aussi des agriculteurs et des artisans sédentaires d'origine chinoise ou
indigène. Cette population vit parfois dans des agglomérations fortifiées par
des remparts quadrangulaires en terre battue empruntés à la tradition
chinoise6. La vie dans la steppe leur offre un certain nombre d'avantages par
rapport à celle menée en deçà de la Grande Muraille. Exerçant des activités
complémentaires à l'élevage, ils bénéficient de la protection militaire des
Xiongnu. Pour assurer la défense, certaines forteresses dépourvues
d'habitations ont pu être occupées exclusivement par l'armée.
Les Xiongnu accueillent tout homme valide et probablement aussi des
femmes. Vivant à cheval entre les troupeaux et la chasse à l'arc, tous les
adultes sont en mesure de devenir des cavaliers armés en cas de besoin.
Mobiles, rapides et d'une grande efficacité, ces troupes permettent de
contrôler les ethnies soumises ainsi que de négocier avec les Han7.
Les piliers de l'économie xiongnu sont l'élevage, le commerce de
chevaux, de bétail, de peaux et de produits animaux avec leurs voisins. Quant
à l'organisation politique, le chef
chanyu
H^P est aussi l'ambassadeur de son
peuple. La division interne du pouvoir serait calquée sur un modèle tribal
reposant sur des petits groupes autonomes 8. Pour des raisons pratiques,
notamment l'éparpillement sur les grandes étendues de pâturages où paissent
les troupeaux, les familles et les clans vivent dispersés et ne se rencontrent
que pour des célébrations ou pour réaliser des travaux communs. Les grands
chefs,
avec l'aide de leur appareil administratif, s'efforcent sans cesse de
5 Comme par exemple
Shiji
110,
p.
2879 et les trouvailles d'une majorité des sites xiongnu
en Mongolie et en Transbaïkalie.
6 L'agglomération fortifiée d'Ivolga en Transbaïkalie en est un exemple représentatif. Voir
Davydova
A.
V.,
Ivolginskij arkheologicheskij
kompleks,
Vol.
1,
Ivolginskoe
gorodishche,
Saint-Pétersbourg
:
Fond Aziatika, 1996.
7
Shiji
110,
p.
2879, 2894-2895.
8
Shiji
110,
p.
2890-2891.
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