l’assassinat de l’homme politique par ces mots : « Si j’ai
commis cet acte, c’est parce que Monsieur Jaurès a trahi
son pays en menant sa campagne contre la Loi des trois
ans. J’estime qu’on doit punir les traîtres et qu’on peut don-
ner sa vie pour une cause semblable. »1
Avec la Grande Guerre et la mort de Jaurès, il devint
évident que l’humanité basculait dans une autre ère histo-
rique, l’« âge des extrêmes », comme le définira l’historien
Eric Hobsbawm, « l’ère des tyrannies » pour l’historien et
philosophe Elie Halévy. Le 24 mars 1916, celui-ci écrivit à
son ami, le directeur de la Revue de métaphysique et de
morale : « J’en reviens toujours à ma thèse. Le jour où Jaurès
a été assassiné et où s’est allumé l’incendie de l’Europe,
une ère nouvelle de l’histoire du monde s’est ouverte. C’est
une sottise de croire que dans six mois, cela pourra
s’éteindre, et que les mêmes partis, les mêmes groupes, les
mêmes individus pourront reprendre le cours de leurs
7
JEAN JAURÈS. COMBATTRE LA GUERRE, PENSER LA GUERRE
Afin de mettre un terme aux guerres de conquête et de
destruction, Jaurès voulait construire une politique de la
paix internationale, avec l’internationalisme ouvrier et par
l’arbitrage du droit, dans l’affirmation de la démocratie en
Europe. Pour autant Jaurès, contrairement à l’image de
pacifiste intégral qui lui est souvent associée, ne condamnait
pas le conflit armé. Comme les vrais pacifistes, il réclamait
le droit de choisir la guerre qui méritait d’être menée, de
définir les objectifs à atteindre par son biais, de concevoir
les armées et les stratégies qui seraient employées. Dès
1905, anticipant sur la catastrophe d’une guerre qui mena-
çait, Jaurès n’a cessé d’alerter la classe politique et les
Français. A partir de la crise de Tanger avec l’Allemagne
– au sujet de la conquête du Maroc –, et le tournant natio-
naliste qui s’ensuivit en France et en Europe, Jaurès fit du
combat contre la guerre et pour l’instauration d’une paix
durable dans le monde son engagement le plus important,
celui qui dominait toutes ses autres préoccupations.
Pour ses ennemis, ses choix pacifistes relevaient de la
trahison. Au soir du 31 juillet 1914, Raoul Villain justifia
6
JEAN JAURÈS.COMBATTRE LA GUERRE, PENSER LA GUERRE
1. Cité par Gerd Krumeich [1980] et par Elisa Marcobelli, La France de 1914 était-elle antimilitariste ?
Les socialistes et la Loi de trois ans, Paris, Fondation Jean-Jaurès, coll. « Les essais », 2013, p. 5.