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plus grave encore par manque de compétitivité. Ces choix ont été avant tout une séquence de
décisions politiques qui ont débouché sur l’hégémonie des marchés financiers sur les Etats-
nation, en même temps qu’elles restauraient celle des Etats-Unis dans le jeu des relations
internationales.
S’il est souvent dit que la mondialisation du capital donnant le pouvoir aux forces de
marché est un processus politique autant qu’économique, le poids de l’idéologie libérale sur
l’opinion publique, mais aussi sur le débat scientifique, conduit à faire oublier que les Etats,
même soumis à la finance globale, sont tenus d’administrer des populations et d’organiser les
marchés pour assurer la survie des premières et le fonctionnement des seconds. C’est bien en
cela que le “ tout marché ” est une utopie complètement irréalisable. Ce qui ne veut pas dire
pour autant que l’histoire contemporaine ne puisse produire des sociétés d’apartheid et un
monde où le clivage entre nations pauvres et nations riches continue de s’approfondir de
façon encore plus accélérée que par le passé. Mais, rien n’est encore joué et l’on peut
imaginer une autre économie sur la base d’une autre politique dés lors qu’une utopie
nouvelle, réactualisant celle du siècle des Lumières émergerait dans un débat qui ne serait
plus, comme il l’est depuis l’effondrement du communisme, enfermé dans une vision fataliste
de la domination irréversible des forces du marchés sur le politique du fait de la
mondialisation. Il faut repenser l’utopie des Lumières, celle de la citoyenneté qui n’est
devenue effective que par le dédoublement des droits individuels en droits sociaux, car il faut
désormais redéfinir l’organisation des sociétés en fonction des changements de leurs assises
territoriales, économiques et politiques. La souveraineté du peuple ne peut plus être
seulement nationale. Le rapport entre le public et le privé se redéploie à l’échelle sous et
supranationale mais l’Etat-nation n’en demeure pas moins l’acteur central de la définition de
ce qui est du domaine de l ‘économie publique et de l’économie privée.
Ebaucher les fondements de cette utopie, c’est faire l’épure d’un autre modèle de
société qui puisse donner des repères, un horizon du possible, aux manifestations refus. Le
mot d’utopie ne s’oppose pas, en ce sens, à celui de réalité. On peut le rapprocher de ces
anticipations autoréalisatrices qu’opèrent constamment les acteurs des marchés financiers (la
croyance en la possible montée du cours d’une action la fait acheter, ce qui précisément
conduit à la valoriser). Bien sûr, une bifurcation historique qui éloignerait l’avenir des
sociétés du modèle néolibéral n’est pas plus jouée d’avance que ne l’est la réalisation de ce
dernier. Mais l’histoire des faits est en partie précédée de celle des idées qui en conçoivent la
possibilité à partir des dynamiques passées et présentes. De ce point de vue, le moment actuel