Antoine à la scène 11, mais les regards des deux frères doivent bien d’abord s’être croisés, s’ils
s’évitent par la suite…
- Prendre la scène pour ce qu’elle est : des personnes qui parlent. Se demander toujours qui parle
à qui, être très précis dans les adresses : à un ou deux personnages, à tous les personnages, au
public… Certaines phrases peuvent être vues comme une adresse au public (des élèves l’ont fait à
plusieurs reprises - par ex. pour « Ils vont se vouvoyer toujours » (Suzanne, sc. 9). Mais dans ce
cas, dit François Berreur, il faut faire attention au code du dialogue : la prise de parole suivante
(Antoine : « Suzanne, ils font comme ils veulent » ) suppose qu’Antoine dise « Suzanne » pour
l’appeler, puisqu’elle était tournée vers le public.
- Jouer la scène dans ce qu’elle dit : on doit voir ce qui se passe, le spectateur ne peut que voir,
chaque signe du personnage fait donc sens. Faire réagir les personnages les uns par rapport aux
autres.
- La tentation avec la pièce est, pendant le travail sur le plateau, d’accentuer le jeu, d’ajouter des
mimiques pour montrer l’ « état » du personnage. « Je suis énervé » disait un élève en parlant de
son personnage, Antoine (sc. 11) « Louis m’énerve, car c’est toujours pareil avec lui ». Berreur
répond : ne pas jouer à être, ne pas accentuer le jeu, ne pas surcharger ni surjouer. Le théâtre n’est
pas une démonstration ; c’est le public qui doit sentir l’ « état » en question. Revenir à la langue :
que dit le texte ? Interroger si c’est une question, répondre si c’est une réponse : le reste viendra
plus tard.
La langue de Lagarce :
La finesse du verbe : les répétitions de mots, les variations. « Je ne te cause pas, je ne te
parle pas, ce n’est pas à toi que je parle » (Suzanne- sc 9) : redondance (donc tendance à
l’insistance ou à l’amplification ?) ? Non, dit François Berreur, plutôt sens différent et nouveau à
donner… : causer implique un dialogue, parler renvoie à une solitude possible. C’est la raison pour
laquelle il faut épurer, faire du déchiffrage, passer par une technicité du texte. Il y a, chez Lagarce,
des phrases–clefs qu’il aime répéter, non pour les diluer dans le texte mais justement pour les
relever. Par exemple, dans la scène 11 , l’expression « Ce que je voulais dire » ou encore « Je te
dis cela je voulais que tu le saches » est capitale car c’est elle qui renvoie à la tentative de dire la
mort prochaine.
Le mot « bon » revient souvent dans le texte, avec de nombreux sens. François Berreur
demande qu’on le prenne d’abord pour ce qu’il est, un mot qui marque la prise de parole du
personnage : « Avec bon. on met un point à quelque chose, on repart, on est solide ».
Quand la phrase est longue, ne pas se précipiter, la poser au contraire ! et lui donner sens
ensuite. Trouver sa respiration, son équilibre, trouver où sont les virgules et ne pas en
ajouter…Chez Lagarce la virgule est presque comme un point. Laisser respirer la langue : on n’est
pas dans la réalité brute, ce ne sont pas des scènes de cinéma réaliste. Trouver le souffle de cette
langue, le souffle de la langue de chaque personnage. Le sens viendra après, dans le travail. Par
exemple, dans la deuxième partie, à la sc 1, une élève sur le plateau avait tendance à dissocier
«comme pour m’expliquer // qu’elle me pardonne // je ne sais quels crimes, » : Berreur lui demande de ne
la travailler que d’un seul souffle.
Sur le prologue de Louis :
Prendre le temps de dire, il y a deux pages, on a le temps ! tout est intéressant. Louis est
là et prend le temps de nous parler car on apprend dès la 2° ligne qu’il va mourir. Donc l’annonce
n’est pas là. Pour le problème de l’âge : 34 ans n’est pas l’âge des élèves ! pour la mère encore
moins - ne pas surjouer, ne pas ajouter des mimiques pour soi-disant vieillir le comédien, cela
perturbe le jeu et fait l’effet inverse. Dire « 34 ans », c’est tout, puisque le personnage a 34 ans, et le
dire tout simplement. Donner la langue à entendre. C’est le début du travail.
La mise en scène de la pièce de Berreur