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Economie des actions collectives de maîtrise des maladies animales
endémiques : un cadre conceptuel
Stéphane KREBS et Olivier RAT-ASPERT
UMR 1300 Bio-agression, Epidémiologie et Analyse de Risque (BioEpAR) ONIRIS-INRA
Ecole Nationale Vétérinaire, Agro-alimentaire et de l'Alimentation Nantes Atlantique (ONIRIS)
Atlanpole - La Chantrerie – BP 40706
44307 Nantes cedex 3 - France
Tel 02 40 68 78 55
Fax 02 40 68 77 68
stephane.krebs@oniris-nantes.fr
olivier.rat-aspert@oniris-nantes.fr
Communication aux 4
èmes
Journées de Recherches en Sciences Sociales
(INRA-SFER-CIRAD-Agrocampus Ouest)
Rennes, 9-10 décembre 2010
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Résumé :
La maîtrise des maladies animales constitue un enjeu d’importance pour les filières de
productions animales. Du fait de leur impact direct sur les exploitations, elles
engendrent des manques à gagner pour les éleveurs. Dans certains cas, elles peuvent
aussi avoir un impact sur la santé humaine et compromettre l’accès aux marchés. Du fait
de ces impacts négatifs, certaines maladies sont réglementées. Mais pour de nombreux
agents pathogènes, une grande liberté est laissée aux éleveurs en matière de maîtrise.
Cependant, les éléments entrant dans le processus de décision individuel des éleveurs
concernent essentiellement leur exploitation. La gestion individuelle engendre donc une
externalité puisque la gestion individuelle a un impact sur le niveau de risque lié à la
maladie pour les autres éleveurs, et également sur la qualité du produit livré à la
transformation. Ainsi, le résultat collectif d’une gestion individuelle pourra diverger des
attentes collectives. Cet écart entre action individuelle et résultat collectif peut être
réduit par des actions de gestion collective. La présente communication propose un
cadre conceptuel pour l’étude de la gestion collective des maladies animales, qui
permettra d’offrir des outils de gestion aux gestionnaires collectifs du sanitaire.
L’élaboration de ce cadre conceptuel repose sur trois étapes. En premier lieu, nous
développons les moyens de modéliser la décision des éleveurs. Cette modélisation
repose sur la formalisation dans un cadre néoclassique des comportements des éleveurs.
Ensuite, il convient de prendre en compte l’interaction entre l’épidémiologie de la
maladie et les cisions individuelles des éleveurs, par le couplage de modèles
épidémiologiques et économiques. Enfin, des modalités de gestion collective sont
introduites dans ces modèles, de manière à tester des dispositifs de coordination
horizontale (gestion de la prévalence entre les élevages) ou verticale (gestion sanitaire
des animaux fournis au transformateur) des actions individuelles de maîtrise. Nous
concluons notre propos en présentant brièvement deux champs d’application de ce cadre
conceptuel à la gestion de maladies d’intérêt pour les filières de production animale du
Grand Ouest.
Mots-clés : Economie de la santé animale – Modélisation microéconomique –
Couplage épidémio-économique – Maladies animales endémiques
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Introduction
La maîtrise de la santé des animaux d’élevage constitue un enjeu majeur pour les filières
de productions animales intensives, particulièrement pour des bassins de production
comme le Grand Ouest
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de la France. Les maladies animales constituent en effet une
source importante de vulnérabilité économique, liée à la diversité de leurs impacts. Elles
engendrent d’abord des manques à gagner substantiels pour les exploitations d’élevage,
en dégradant leurs performances technico-économiques (diminution de la production de
lait, d’œufs, ou de viande) et peuvent également conduire, pour certaines d’entre elles, à
des pertes de débouchés (embargos mis en place par des pays tiers, détournement du
consommateur de la consommation de certains produits animaux). La maîtrise des
maladies animales implique enfin qu’on y alloue des ressources, tant ex ante en termes
de surveillance ou de prévention qu’ex post de manière à atténuer les conséquences
économiques et sanitaires en cas de survenue (dépenses curatives, par exemple). Ces
divers manques à gagner et coûts induits par la maladie pèsent fortement sur l’économie
de l’exploitation d’élevage et altèrent plus largement la compétitivité des filières
animales. Au-delà des impacts directs des maladies sur le secteur de l’élevage, les
maladies animales peuvent avoir un impact plus large sur les économies agricoles
régionale et nationale (alimentation animale, par exemple), ainsi que sur les firmes
agroalimentaires engagées dans la transformation des produits animaux. Une bonne
maîtrise de la santé animale à l’échelle des bassins de production (ou des filières qui y
sont représentées) est par conséquent de nature à constituer un atout.
La gestion de la santé animale est néanmoins rendue complexe du fait des
caractéristiques biologiques extrêmement variées des maladies et des difficultés
inhérentes à leur maîtrise. L’élément le plus problématique renvoie très probablement
au caractère transmissible de nombreux agents pathogènes, qui fait qu’une maladie peut
avec une plus ou moins grande facilité se propager d’un élevage à l’autre. Les modes de
transmission sont variés : contacts directs entre animaux issus de troupeaux différents
(au pâturage, par exemple), achats d’animaux, contamination de l’environnement, ou
encore échanges de matériel ou de personnels. Certaines maladies sont également
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Les régions considérées sont les régions Basse Normandie, Bretagne, Pays-de-la-Loire, Poitou-Charentes. En 2007,
ces quatre régions concentraient 36 % des effectifs bovins, 60 % des effectifs de poules et poulets et 74 % des
effectifs porcins.
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transmises par des vecteurs animaux (insectes, petits mammifères, faune sauvage). La
nature transmissible des agents pathogènes génère ainsi des problèmes d’externalités,
qui font que les décisions prises individuellement à l’échelle d’un élevage ont des
répercussions et par conséquent économiques sur la situation sanitaire des élevages
avec lesquels il est en relation. Un éleveur qui déciderait de protéger son troupeau
contre une maladie en le vaccinant ou en adoptant des mesures strictes de biosécurité
(hygiène, quarantaine, par exemple) serait à l’origine d’une externalité positive, dans la
mesure son action bénéficierait à d’autres éleveurs en diminuant la pression
d’infection (risque de survenue de la maladie). A contrario, un éleveur pourrait être
incité à adopter un comportement de passager clandestin en cherchant à bénéficier des
efforts entrepris par ses voisins, sans en supporter le coût. Ce comportement
engendrerait une externalité négative, dans la mesure où ce type de comportement
contribuerait à entretenir des foyers résiduels de la maladie au sein de la zone
géographique. Il en résulte ainsi une interdépendance forte des décisions individuelles
de maîtrise des maladies animales, à l’échelle d’un territoire donné. Notons également
(par analogie avec l’hypothèse d’atomicité de la concurrence pure et parfaite) que la
situation épidémiologique observable (ou observée) à l’échelle d’une zone
géographique ne peut varier que si un nombre suffisant d’éleveurs au sein de la zone
implémentent les mesures de maîtrise. La nature transmissible d’un grand nombre
d’agents pathogènes fait ainsi qu’il n’est souvent possible d’agir efficacement que de
manière coordonnée à l’échelle d’un groupe d’exploitations (coordination horizontale).
De plus, certains agents pathogènes ont la faculté de se transmettre de l’animal à
l’homme (zoonoses alimentaires), parfois même sans que l’animal ne soit malade. Dans
ce dernier cas de figure, l’agent pathogène fait l’objet d’un portage asymptomatique par
l’animal (qui est porteur sain de la maladie). Il en résulte des problèmes de sécurité
sanitaire de l’aliment, qui doivent être gérés de la ferme à la table. Des problèmes
d’externalité se posent à nouveau, mais dans une perspective différente, dès lors que le
niveau d’effort de l’éleveur en matière de maîtrise de l’agent pathogène peut s’avérer
insuffisant (voire potentiellement nul dans le cas du portage asymptomatique), ce qui
engendre des coûts pour les acteurs de la filière, liés à la contamination de la matière
première transformée. Une maîtrise efficace de ces agents pathogènes implique alors la
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mise en œuvre d’actions coordonnées, mais à l’échelle des filières de production
désormais (coordination verticale).
La présente communication s’intéresse aux actions collectives de maîtrise des maladies
animales, pour lesquelles une latitude importante est laissée à l’initiative individuelle en
matière de gestion (processus décentralisé de prise de décision). Elle met plus
spécifiquement l’accent sur des agents pathogènes endémiques
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, pouvant (ou non) faire
l’objet d’une réglementation
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et dont la maîtrise implique des besoins de coordination,
horizontale ou verticale. Elle vise à esquisser un cadre conceptuel permettant
d’appréhender la gestion collective des maladies animales et à présenter les principales
implications en termes de besoins de recherche.
Les enjeux de ces recherches se situent à un double niveau.
Au plan sociétal, il s’agit de mettre à la disposition des gestionnaires privés du risque
sanitaire des outils d’aide à la décision plus performants. Actuellement, les acteurs
collectifs privés impliqués dans la gestion du risque sanitaire sont les Groupements de
Défense Sanitaire et les Groupements de producteurs. Ces structures sont impliquées
dans la définition de politiques sanitaires à l’échelle d’un territoire et des filières
(éradication, contrôle de la propagation). A l’heure actuelle, les décisions de gestion
collective sont prises sur la base d’approches épidémiologiques qui présupposent
implicitement que les mesures seront systématiquement implémentées par leurs
adhérents. Elles omettent le fait que les décisions individuelles de mettre ou non en
œuvre les mesures préconisées sont prises sur une base volontaire, sur la base d’un
calcul économique propre à chaque éleveur (arbitrage dans l’utilisation de ressources
rares : ressources financières, temps de travail…), n’intégrant pas nécessairement dans
leur décision l’objectif collectif. Cela peut conduire ces structures à prendre des
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Les agents pathogènes endémiques sont des agents biologiques naturellement présents à l’échelle d’une zone
géographique ou d’une filière. Ils s’opposent aux agents pathogènes épidémiques, qui sont généralement absents d’un
territoire, mais qui présentent toujours un risque de survenue. Du fait de l’ampleur potentielle de leur impact
économique ou de leur caractère fortement pathogène pour l’animal ou l’homme, ces maladies sont généralement
réglementées, ce qui fait que les latitudes en matière de gestion sont limitées (les réponses comportementales des
éleveurs sont fortement influencées par la réglementation).
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Dans certaines situations, la réglementation laisse une certaine latitude aux opérateurs privés en termes de gestion.
Cela s’explique par la difficulté pour les pouvoirs publics de contrôler les actions mises en œuvre de manière
décentralisée par un grand nombre d’agents économiques. On passe d’une obligation de moyens à une obligation de
résultats. De plus, cela permet de limiter l’impact de la législation sur la compétitivité des filières. Ce système public-
privé tend à se développer dans le cas de la gestion de certains agents faisant l’objet d’un portage asymptomatique,
comme Salmonella ou Campylobacter.
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