Probiotiques et cancer colorectal
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Dr Marie-Christine BOUTRON-RUAULT
Inserm ERI-20, EMT, Institut Gustave Roussy, 39 rue Camille Desmoulins, 94805
Villejuif cedex.
Correspondance : Dr Marie-Christine Boutron-Ruault
Inserm ERI-20, EMT,
Institut Gustave Roussy, 39 rue Camille Desmoulins,
94805 Villejuif cedex.
Tél. : +33.1.42.11.64.66
Fax : +33.1.42.11.40.00
Introduction
Le cancer colorectal est en France et dans la plupart des pays occidentaux l’une des
trois premières causes de morbidité par cancer. Il justifie de ce fait une recherche active dans
le domaine de la prévention. Le cancer colorectal est le cancer le plus directement influencé
par l’alimentation et il a fait l’objet de très nombreuses études, études cas-témoin, études
prospectives et études d’intervention, essentiellement prévention des adénomes colorectaux.
Les études de population ayant émigré d'un pays à bas risque de cancer colorectal comme le
Japon vers un pays à haut risque comme les Etats-Unis ont mis en évidence le rôle majeur de
l'environnement et surtout de l'alimentation, et la rapidité de variation des taux de cancer au
cours d’une génération, suggérant que l'essentiel des mécanismes de cancérogenèse se mettent
en place assez tardivement dans la vie des individus. Des études de groupes religieux
(Mormons, Adventistes du 7ème jour) ayant des habitudes alimentaires particulières, avec des
risques plus faibles que la population générale confortent l'importance majeure des facteurs
alimentaires par rapport aux facteurs génétiques. La majorité des cancers colorectaux suit la
filiation adénome-cancer, c’est à dire qu’ils sont précédés par des lésions bénignes, les
polypes adénomateux. L’étude des relations entre adénomes et facteurs alimentaires permet
d’éclairer la relation alimentation – cancer colorectal. Les travaux épidémiologiques ont
montré que les petits adénomes sont à très faible risque de transformation maligne tandis
qu’environ 30 % des gros adénomes se transformeront un jour en cancer. Les travaux sont
menés actuellement dans le domaine de la prévention primaire avec mise en oeuvre d’études
d’intervention chez les sujets aux antécédents d’adénome.
Le flux fécal véhicule de très nombreux carcinogènes, et la flore intestinale joue un
rôle majeur dans la santé du côlon. Il a donc été suggéré que certaines bactéries pourraient
moduler de façon favorable les mécanismes de carcinogénèse intestinale. Les éléments dont
nous disposons sont essentiellement expérimentaux, avec les limites de l’extrapolation de
données expérimentales à la cancérogenèse humaine. Cependant, certains travaux chez
l’homme suggèrent également un effet bénéfique potentiel.
Travaux expérimentaux : modèles animaux et cellulaires
Les mécanismes potentiels impliqués dans un effet anti-carcinogène des probiotiques ont été
résumés dans des revues récentes de la littérature (1;2).
Tableau I - Mécanismes potentiels de l’effet anti-carcinogène des probiotiques (d’après (2).
Mécanismes Travaux ayant testé ce mécanisme
Anti-génotoxicité Tests des comètes et Ames
Inhibition de l’activité d’enzymes
coliques Etudes in vivo chez l’homme et l’animal
Contrôle de la croissance de bactéries
potentiellement néfastes Etudes sur l’activité anti-bactérienne de probiotiques
Interaction avec les colonocytes Etudes d’adhésion sur lignées cellulaires et effets de
l’adhésion des bactéries aux colonocytes
Stimulation du système immunitaire Mesures de l’augmentation des réponses secrétoires
et inflammatoires chez l’homme et chez l’animal
Production de métabolites
physiologiquement actifs Différenciation et apoptose in vitro induites par les
acides gras à courte chaîne
En dehors des modèles cellulaires, le modèle expérimental le plus utilisé est un modèle de
cancérogenèse chimique chez le rat utilisant comme agent initiateur des
cancérogènes indirects comme la diméthylhydrazine (DMH) ou l’azoxyméthane (AOM),
administrés par voie sous-cutanée. Ces cancérogènes sont activés au niveau du foie et gagnent
l’intestin par le sang ou par la bile sous forme de conjugués à l’acide glucuronique. Ils
engendrent à court terme (dès deux semaines) des foyers de cryptes aberrantes, considérés
comme de bons marqueurs prénéoplasiques, et à plus long terme (6 mois), des tumeurs qui
partagent avec les tumeurs humaines de nombreuses similarités histologiques et biologiques,
y compris dans les altérations génétiques. La séquence adénome-cancer n’est pas toujours
observée dans ce modèle. Ce type de modèle, de loin le plus utilisé à ce jour, permet d’évaluer
l’effet du produit alimentaire testé, mais aussi celui de la période d’administration de ce
produit : pendant toute la durée de l’expérience, ou pendant la période de pré-
initiation/initiation (avant et pendant l’administration du cancérogène, qui peut durer de 1 à 20
semaines), ou pendant la période de promotion/progression (après la période d’administration
du cancérigène).
Il est probable que selon les souches de probiotiques les effets s’exercent à différentes étapes
de la carcinogenèse. Les probiotiques les plus étudiés sont les bactéries lactiques, avec un
intérêt tout particulier pour les lactobacilles et les bifidobactéries.
Il a été suggéré que les probiotiques modulent les activités métaboliques de la flore intestinale
par au moins trois mécanismes :
- compétition et déplacement d’autres composants de la microflore intestinale ;
- production d’agents antibactériens permettant de contrôler la croissance d’autres éléments
de la flore ;
- production d’acide lactique et d’autres acides organiques, d’où diminution du pH intestinal
et modulation de l’activité enzymatique.
Les effets sont étudiés soit directement avec un probiotique, soit avec un prébiotique
(composé assimilé à des fibres ayant une action bénéfique sur la flore intestinale), soit avec un
symbiotique c’est à dire l’association d’un probiotique avec son substrat préférentiel
prébiotique. Plusieurs études ont mis en évidence un effet bénéfique de probiotiques sur
l’apparition de cryptes aberrantes chez le rat avec des bifidobactéries ou un symbiotique (3;4).
D’autres études ont mis en évidence un effet protecteur d’un probiotique sur la survenue de
tumeurs elles-mêmes (5), parfois limité à une seule souche de probiotique (6), ou à une étape
du processus. En effet, l’effet peut être différent selon que le probiotique est administré avant
(effet protecteur) ou après (absence d’effet) l’exposition au carcinogène (7). Dans d’autres
études, il a été mis en évidence un effet protecteur du prébiotique ou du symbiotique mais pas
du probiotique isolément (8). Enfin, parfois le probiotique a été trouvé protecteur uniquement
en cas de risque accru (régime enrichi en graisses) mais pas en cas de régime normal (9).
Dans une étude chez la souris traitée à la diméthylhydrazine avec suppléments de yaourt à
différentes étapes de la cancérogenèse, le groupe ayant pris du yaourt après l’administration
de DMH n’a pas développé de tumeurs, et le niveau d’apoptose était plus élevé que dans le
groupe sans yaourt ; dans celui où la prise de yaourt était limitée, seulement 10 jours avant la
DMH, on a observé seulement un retard à la formation des tumeurs. L’administration de
yaourt était associée à une augmentation des taux de TNFalpha et d’interféron gamma dans
les cellules isolées à partir de nodules intestinaux. L’ensemble de l’expérience est en faveur
d’une inhibition par le yaourt de la promotion et de la progression tumorales par modulation
de la réponse immune et stimulation de l’apoptose (10).
Les modèles de cancérogenèse chimio-induite sont cependant assez éloignés des modes de
cancérogenèse humaine. Certains modèles animaux tentent de s’en rapprocher. Tavan et coll
(11) ont utilisé un modèle animal de canrogenèse chimio-induite par des amines
aromatiques hétérocycliques alimentaires (telles que produites pas la consommation de viande
très grillée), et mis en évidence qu’un lait fermenté avec la souche Bifidobacterium animalis
DN-173 010 diminue la formation de cryptes aberrantes, témoin d’une inhibition de l’étape
d’initiation.
Travaux chez l’homme
1- travaux épidémiologiques
Plusieurs travaux ont mis en évidence une association inverse entre la consommation de
produits laitiers fermentés, en particulier yaourt et risque de tumeurs colorectales, cancers ou
adénomes. Cependant, d’autres effets que ceux propres des probiotiques peuvent expliquer
ces associations. Les yaourts sont souvent associés à un comportement ‘santé’ sur le plan
alimentaire, ils font partie de ce qui a été décrit comme une alimentation prudente ou saine
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