Edité par le CHUV
www.invivomagazine.com
IN EXTENSO LE LANGAGE DE L’APPARENCE
Penser la santé
N° 5 – MARS 2015
BERNARD PÉCOUL «Les pharmas négligent les maladies des pauvres»
TOURISME MÉDICAL Gare aux turbulences!
ENQUÊTE Les dangers des maladies taboues
TRANSPLANTATION FÉCALE / POUVOIR DES BACTÉRIES / RÉVOLUTION MÉDICALE
L'intestin
UN AUTRE CERVEAU
IN VIVO N° 5 – Mars 2015 L’INTESTIN, UN AUTRE CERVEAU www.invivomagazine.com
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RECHERCHE
LINTESTIN,
UN AUTRE CERVEAU
/
D’importantes découvertes ont placé l’intestin
sur le devant de la scène scientifique.
Le décryptage de ses bactéries pourrait révolutionner
le traitement de nombreuses maladies.
IntestInfocus
jéjunum {Jejunum}
Partie centrale de
l’intestin grêle.
intestin grêle
{Intestinum tenue}
Partie de l’appareil
digestif humain située
entre l’estomac et le
côlon.
lon ascendant
{Colon ascendens}
Première partie du
côlon, qui s’étend
du cæcum à l’angle
colique droit.
lon sigmde
{Colon sigmoideum}
Boucle située entre
la fosse iliaque gauche
de l’abdomen et le
petit bassin.
lon descendant
{Colon descendens}
Fait suite au côlon
transverse et donne
le côlon sigmoïde.
rectum {Rectus}
Segment du tube
digestif reliant le
côlon à l’anus.
anus {Anus}
Orifice terminal
du tube digestif.
appendice
{Appendix
vermiformis}
Petite excroissance
du cæcum.
cum {Caecum}
Est formé d’un sac
auquel s’abouche
l’orifice de la valvule
iléo-cæcale.
lon transverse
{Colon transversum}
Fait suite au côlon
ascendant et donne
le côlon descendant.
Par
MELINDA MARCHESE
/
20
focus intestin
Lintestin? «Un vaste peuple de bactéries, qui est
l’addition des décisions que nous prenons, de la
nourriture que nous ingérons, de l’environne-
ment dans lequel nous vivons… C’est un peu notre
collection personnelle de Pokémon!» C’est par ces
mots que Giulia Enders décrit cet organe, avec assu-
rance et beaucoup d’humour, dans un spectacle de
«science-slam» qu’elle a présenté sur plusieurs scènes
alémaniques. Cette jeune étudiante en médecine a
ensuite publié le livre Darm mit Charme («Le charme
discret de l’intestin»), devenu à la surprise générale
l’un des plus gros succès de librairie de l’année en
Allemagne (lire son interview p. 26).
Ce succès témoigne de l’intérêt croissant que suscite
l’intestin auprès du grand public, mais aussi de la
communauté médicale. Longtemps considéré comme
un «simple organe de la digestion», ce tube de plus
de 5 m de long, situé entre l’esto-
mac et l’anus, joue en réalité un
rôle central dans l’organisme.
Une avancée majeure a permis à
l’intestin d’attirer tous les regards:
la génétique moléculaire. «Grâce
aux progrès de cette discipline, il
est devenu possible de décrire le
génome des 100’000 milliards de
bactéries qui colonisent notre tube
digestif, explique Jacques Schren-
zel, responsable du laboratoire de
bactériologie des Hôpitaux univer-
sitaires de Genève (HUG). Le défi
actuel est de définir plus précisément «qui fait quoi»
dans cette communauté bactérienne, que l’on appelle
le ‘microbiote intestinal’
De nombreuses études ont confirmé une hypothèse
que la communauté scientifique reconnaît au-
jourd’hui comme un fait: «Avoir un microbiote varié
et équilibré prévient et protège de nombreuses patho-
logies, note Michel Maillard, gastro-entérologue au
CHUV. Trouver le moyen de restaurer une diversité
de bactéries, champignons et autres germes dans
l’intestin s’apparente aujourd’hui à la quête du Graal
pour des centaines de chercheurs à travers le monde.»
Car ces petits êtres ne vivent pas oisivement: ils contri-
buent activement à l’équilibre des fonctions physiolo-
giques, et donc à l’état de santé générale, de leur hôte.
«De nouvelles indications et de nouveaux traitements
vont apparaître au fur et à mesure
que la recherche sur le microbiote
avancera, poursuit Jacques Schren-
zel. Il va falloir reprendre tous les
ouvrages actuels de médecine pour
les mettre à jour tant ces décou-
vertes auront une influence sur la
prise en charge de nombreuses af-
fections.» Et les maladies intesti-
nales ne sont pas les seules
concernées: depuis l’obésité jusqu’à
la dépendance à l’alcool, en passant
par la dépression et la boulimie, de
nombreuses pathologies pourraient
bénéficier à l’avenir de ces avancées.
UN GRAND BAVARD
Que font ces quelque 2 kg de mi-
crobes dans l’intestin? Leur implica-
tion dans le processus de digestion
n’est pas remise en question. «Ils
contribuent à la conversion des aliments en nutri-
ments et en énergie, de même qu’à la synthèse de
vitamines indispensables à l’organisme, rappelle
Francisca Joly Gomez, gastro-entérologue au CHU
Beaujon de Clichy (F).
Mais leur action va bien au-delà: ils dialogueraient
constamment avec d’autres composantes de l’orga-
RepèRe
L’intestin ou les intestins? La forme
plurielle est en quelque sorte plus
adaptée, car derrière cette
appellation se cachent deux organes:
l’intestin grêle, ce tube de 6 m de
long environ, qui se charge de
l’absorption des nutriments, et le
gros intestin (ou côlon). Ce dernier,
qui mesure entre 80 et 150 cm, va
principalement stocker les déchets,
absorber certaines vitamines et l’eau
résiduelle pour agglomérer les
selles. Des bactéries colonisent
l’ensemble du tube digestif, mais
la grande majorité du microbiote
se trouve dans le côlon.
nisme, notamment avec le cerveau. «Nous savons
depuis longtemps que le cerveau envoie des informa-
tions à l’intestin, mais nous pouvons désormais aussi
armer qu’il s’agit d’une relation bidirectionnelle,
c’est-à-dire que l’échange des informations s’eectue
dans les deux sens», note la gastro-entérologue, qui
a publié l’an dernier un ouvrage baptisé L’intestin,
notre deuxième cerveau.
L’envoi et la réception d’informations se fait grâce au
système neuronal de l’intestin. «Plus de 100 millions
de neurones sont concentrés et connectés entre eux
dans la paroi du tube digestif.» Que peut bien «dire»
l’intestin au cerveau? «Il va par exemple lui envoyer
21
focus IntestIn
BENJAMIN SCHULTE
95%
Le pourcentage du
microbiote que contient
le côlon, le reste est
dispersé dans l’ensemble
du système digestif.
1’000
Le nombre d’espèces
bactériennes identifiées
dans le microbiote
intestinal humain.
Il n’y en a que 150 à 170
prédominantes par
individu.
2 kilos
Le poids de l’ensemble
des bactéries qui vivent
dans l’intestin.
100’000
milliards
Le nombre de bactéries
qui colonisent l’intestin,
c’est-à-dire dix fois plus
que le nombre de
cellules humaines.
3 millions
Le nombre de gènes
dans le microbiote
intestinal, soit 150 fois
plus que de gènes dans
le génome humain.
400 m2
La taille de la surface
intestinale, soit
l’équivalent de deux
courts de tennis.
UN ORGANE EN SOI
Le microbiote est l’écosystème composé des
milliards de microorganismes qui colonisent
les intestins. Il est aujourd’hui considéré
comme un organe à part entière.
22 23
focus intestin
des signaux «douloureux». Du gaz se produit dans
l’intestin lors de la fermentation des aliments. Le
gonflement de l’intestin peut entraîner des signaux
douloureux visibles au niveau du cerveau», vulgarise
la spécialiste.
La connexion entre le cerveau et
l’intestin a permis de faire d’im-
portantes découvertes sur la mala-
die de Parkinson: des travaux de
chercheurs de l’Institut national
de la santé et de la recherche mé-
dicale (Inserm) ont démontré que
des anomalies présentes dans les
neurones du cerveau des patients
atteints de cette maladie dégéné-
rative sont retrouvées «à l’iden-
tique» dans les neurones du
système digestif. A l’avenir, il pour-
rait donc devenir possible d’iden-
tifier cette maladie par biopsie
intestinale et d’établir un diagnos-
tic précoce: «Les anomalies sur les
neurones de l’intestin se manifes-
teraient avant leurs homologues
cérébraux.»
Ces dix dernières années, plusieurs
études sont venues confirmer le
lien entre la maladie de Parkinson
et les caractéristiques intestinales
du malade. Parmi les plus récentes,
celle de l’Université d’Helsinki af-
firme que les patients atteints de la
maladie de Parkinson ont beau-
coup moins de bactéries de la fa-
mille des Prevotellaceae dans leur
intestin. «A présent, nous voulons
comprendre si ces changements de
l’écosystème bactérien apparaissent
avant le début des symptômes cli-
niques de la maladie, explique le
neurologue Filip Scheperjans. A
l’avenir, nous nous concentrerons
peut-être sur l’intestin pour soigner
cette pathologie.»
«BARRIÈRE PROTECTRICE»
Le cerveau n’est pas le seul interlocuteur de l’intestin:
ce dernier communique aussi avec le système immu-
nitaire. «Les bactéries du microbiote envoient des
signaux aux récepteurs situés sur les cellules de la
paroi intestinale, qui à leur tour donnent à nos cel-
lules immunitaires un signal pour les aider à exclure
focus IntestIn
les organismes pathogènes qui tenteraient de coloni-
ser l’intestin», explique Francisca Joly Gomez.
Explorer ce rôle de «barrière protectrice» du micro-
biote ouvre de nouvelles pistes de traitements contre
certaines pathologies, comme les
allergies alimentaires. «Des tests
sur des souris, auxquelles nous
avons administré des allergènes de
cacahuètes, nous ont montré que
la présence de la bactérie Clostri-
dium dans leur microbiote intesti-
nal bloquait la réaction allergique,
explique Cathryn Nagler, de l’Uni-
versité de Chicago, qui a mené
l’étude. Cela nous fait penser que
cette bactérie en particulier agirait
à travers certaines cellules immu-
nitaires et empêcherait les pro-
téines responsables des réactions
allergiques de pénétrer dans la cir-
culation sanguine.»
D’autres recherches menées par le
Conseil supérieur de la recherche
scientifique en Espagne, dont les
résultats ont été publiés en octobre
2014 dans le journal de l’American
Society for Microbiology, ont aussi
dévoilé de nouvelles connexions
entre le microbiote et certaines ma-
ladies auto-immunes: le microbiote
intestinal de patients atteints de
lupus, une maladie chronique qui
s’attaque aux tissus sains de l’orga-
nisme, présente un déséquilibre du
ratio entre les deux groupes de mi-
cro-organismes les plus nombreux
dans l’intestin humain (les Bacte-
roides et les Firmicutes) en faveur
des premiers.
LA SOURCE
DE MULTIPLES
MALADIES
A travers le
monde, les eorts se multiplient pour tirer le meilleur
profit de ces nouvelles connaissances (projets Meta-
HIT, MetaGenoPolis et MyNewGut en Europe, Hu-
man microbiome project aux Etats-Unis, etc.) et
régulièrement, des résultats sont publiés dans les plus
prestigieuses revues scientifiques.
DR
LE DANGER DES ANTIBIOTIQUES
Antoine Andremont* est l’un des grands experts internatio-
naux d’une problématique de santé majeure: la résistance
toujours plus fréquente des bactéries aux antibiotiques.
ProPos recueillis Par
OLIVIER GSCHWEND
a prise d’antibio-
tiques perturbe
l’équilibre du
microbiote intestinal.
Antoine Andremont
met en garde
contre l’utilisation
immodérée de ces
médicaments.
iv Quels sont
les effets des
antibiotiques
sur le microbiote
intestinal?
aa Les antibiotiques
ingérés sont assimilés
par l’intestin grêle et
se déversent dans le
sang pour éliminer les
bactéries indésirables.
Mais une partie des
molécules repasse du
sang au système digestif par
la bile. A terme, les bactéries
développent des mécanismes
de défense contre ces molécules
et deviennent résistantes. Leur
utilisation exagérée accélère le
processus. Résultat: la microflore
est complètement déréglée et
dominée par des souches
multirésistantes.
iv En quoi est-ce problématique
pour la santé?
aa Le dérèglement de la microflore
nest pas perceptible par le patient
et na pas de conséquences
directes. Il se manifeste autrement.
Par exemple, certains patients qui
subissent une chimiothérapie ou
une greffe sont immunodéprimés.
Les bactéries résistantes du système
digestif qui sont inoffensives
habituellement
provoquent chez
ces personnes des
infections du sang,
ou septicémies, car
elles deviennent
difficiles à éliminer.
iv Existe-t-il des
solutions pour éviter
ce dérèglement?
aa Il est pour l’instant
impossible d’éviter les
résistances. Lunique
solution reste la pré-
vention en limitant la
prise d’antibiotiques
et en respectant la
durée des traite-
ments. Une telle situa-
tion est aujourd’hui
un enjeu sanitaire
majeur. En effet, les
bactéries résistantes du système
digestif se disséminent dans l’envi-
ronnement via les matières fécales.
Elles se retrouvent alors jusque
dans nos aliments, envahissent le
système digestif et supplantent les
bactéries non résistantes. C’est un
cercle vicieux.
L
* ANTOINE ANDREMONT EST PROFESSEUR
À L’UNIVERSITÉ PARIS-DIDEROT ET AUTEUR
DU LIVRE «ANTIBIOTIQUES: LE NAUFRAGE»
AUX ÉDITIONS BAYARD.
VRAI / FAUX
Le microbiote intestinal de
chaque personne est unique.
VRAI Un tiers de notre
microbiote intestinal est
commun à la plupart des
individus, tandis que les deux
autres tiers sont spécifiques
à chacun d’entre nous.
Le microbiote intestinal
est inné.
FAUX Le microbiote intestinal
commence à se développer à la
naissance. Stérile à l’intérieur de
l’utérus, le tube digestif d’un
nouveau-né est rapidement
colonisé par les micro-orga-
nismes de sa mère (vaginaux,
fécaux, cutanés, etc.) et ceux de
l’environnement de son lieu de
naissance. La composition du
microbiote intestinal variera en
fonction de son alimentation.
Les scientifiques estiment qu’aux
alentours de 3 ans, le microbiote
devient stable et continue à
évoluer à un rythme régulier
pendant toute la vie de la
personne.
Les probiotiques favorisent la
bonne santé du microbiote.
VRAI/FAUX De nombreuses
études ont démontré des eets
bénéfiques des probiotiques sur
le microbiote intestinal, comme
notamment de maintenir son
équilibre et sa diversité. En
revanche, des recherches menées
par le microbiologiste français
Didier Raoult ont mis en avant
des eets indésirables de ces
bactéries: ils pourraient
favoriser l’obésité.
25
focus focusintestin intestin
24
LA CIBLE DE NOUVEAUX
TRAITEMENTS
«L’objectif sur le long terme est
celui de prévenir ou de traiter cer-
taines maladies de manière per-
sonnalisée chez les patients selon leur combinaison
de souches bactériennes», note le microbiologiste
genevois Jacques Schrenzel.
Plusieurs traitements nés de la recherche sur le micro-
biote sont déjà applicables. Le plus répandu est la
transplantation fécale, c’est-à-dire la transfusion, par
coloscopie, de selles fraîches provenant d’un donneur
sain. «Nous réalisons cette intervention depuis 2014
chez les patients atteints de colite récidivante à Clostri-
dium dicile, explique Michel Maillard. Il s’agit d’un
germe dans certains cas réfractaire aux antibiotiques,
qu’il faut pourtant évincer, car il cause des diarrhées à
répétition avec parfois des conséquences graves.»
«Les taux de réponses à ce traitement avoisinent les
90%, ajoute Alain Schoepfer du CHUV. En moins
de deux semaines, les patients se portent bien.» Le
donneur de selles est généralement un proche du
patient. «Avant la transfusion, nous eectuons un
bilan microbiologique chez le donneur, qui doit bien
sûr être en bonne santé et ne pas être porteur de
Clostridium dicile
A Genève, les HUG aussi réaliseront ce type d’interven-
tion dès le printemps 2015. «Dans un premier temps,
nous utiliserons cette méthode pour soigner les patients
présentant une infection récidivante à la bactérie Clos-
tridium dicile, mais nous espérons pouvoir aussi y
recourir chez des malades atteints de maladies inflam-
matoires de l’intestin comme la maladie de Crohn ou
les colites ulcéreuses», se réjouit Jacques Schrenzel.
Si aucune contre-indication n’existe à la transplanta-
tion fécale, les eets secondaires sur le long terme ne
sont pas connus. «Nous injectons chez un patient une
«black box» de plusieurs milliards de microbes, rap-
pelle Alain Schoepfer. Nous savons que cela va soigner
une pathologie ciblée, mais est-ce que ce «nouveau»
microbiote va provoquer une autre maladie chez lui?
Nous expliquons ces risques aux patients, qui doivent
nous donner leur consentement.»
Ce traitement reste surtout beaucoup moins invasif
qu’une greffe d’un organe dans son ensemble. «Les
transplantations d’intestin grêle sont très rares, ex-
plique Nicolas Desmartines, chef du Service de chirur-
gie viscérale du CHUV. Il s’agit d’un organe très
nères. Leur attitude a changé lorsque des bactéries
ont été inoculées dans leur système digestif, et parta-
geaient volontiers leur lieu de vie.
«Tous ces travaux sur les souris sont précieux et nous
fournissent des pistes intéressantes, note Michel
Maillard. Il nous faut néanmoins tempérer notre en-
thousiasme pour l’instant, l’être humain ne réagira
pas forcément de la même manière à ces tests.»
La dépendance à l’alcool et la boulimie font aussi par-
tie des maladies pour lesquelles un lien avec le micro-
biote est soupçonné. Des recherches menées par une
équipe de l’Université catholique de Louvain ont ré-
vélé que les patients alcooliques, présentant une alté-
ration du microbiote intestinal, sont plus dépressifs,
plus anxieux et plus attirés par l’alcool que les alcoo-
liques avec un microbiote «normal».
La protéine «ClpB» pourrait causer des troubles ali-
mentaires. «Elle est fabriquée par certaines bactéries
du tube digestif comme Escherichia coli, explique
Sergueï Fetissov, de l’Institut national de la santé et
de la recherche médicale de l’Université de Rouen.
Elle est sécrétée quand les bactéries sont soumises à
un stress. La ClpB a des propriétés anorexigènes,
c’est-à-dire qu’elle diminue l’appétit et déclenche une
réaction du système immunitaire produisant des anti-
corps dirigés contre elle. Ces anticorps vont aussi se
lier à l’hormone de la satiété, du fait de son homolo-
gie de structure, et moduler son action vers l’anorexie
ou la boulimie.»
«La pullulation de l’intestin grêle a finalement été dé-
montrée et reconnue, se réjouit Alain Schoepfer, gas-
tro-entérologue au CHUV. Il s’agit d’une concentration
anormalement élevée de bactéries dans cet organe qui
peut provoquer de fortes douleurs abdominales, des
ballonnements ou des diarrhées. Nous savons à pré-
sent que l’administration d’un antibiotique, déjà utilisé
pour le traitement des infections urinaires, peut amé-
liorer ecacement l’état de santé du patient.»
Plusieurs travaux ont aussi éclairé le lien entre le mi-
crobiote et les maladies métaboliques comme l’obé-
sité ou le diabète. Une équipe internationale dirigée
par Jerey Gordon, de l’Ecole de médecine de l’Uni-
versité de Washington, aux Etats-Unis, a par exemple
montré que, introduit chez la souris, le microbiote
d’un individu obèse fait grossir l’animal, contraire-
ment au microbiote d’une personne mince. Le cher-
cheur expliquait alors dans la revue Nature que «les
bactéries intestinales ont un impact sur la régulation
du stockage des graisses dans le tissu adipeux».
Le dialogue permanent entretenu entre lintestin et
le cerveau a permis à des scientifiques de se deman-
der si le microbiote influence aussi le comportement
de son hôte. Pour y répondre, des chercheurs de
l’Université de Cork en Irlande ont procédé à des tests
sur des souris dites «axéniques», c’est-à-dire sans
bactéries, car élevées dans un milieu stérile depuis
leur naissance. Celles-ci avaient un comportement
social altéré: elles préféraient se trouver dans une
cage vide plutôt que d’être entourées de leurs congé-Le réseau social fécal
L’intestin peut se targuer d’avoir
son réseau social: My.microbes.eu.
Lobjectif annoncé par son créateur
Peer Bork, biochimiste au Laboratoire
européen de biologie moléculaire (EMBL)
à Heidelberg (Allemagne): «Mettre en
place une communauté dans laquelle les
personnes au profil microbien similaire sont
connectées.» Ceux qui veulent échanger sur
leur pathologie digestive peuvent envoyer un
échantillon de leur matière fécale à l’association.
Pour 840 euros, les selles sont analysées et le
génome bactérien est séquencé. Le participant
connaîtra ainsi à quel entérotype (un groupe de
composition bactérienne intestinale) il appartient
et sera ainsi mis en réseau avec d’autres personnes
partageant ses caractéristiques. Ils pourront ainsi
échanger sur leurs éventuelles maladies, mode
d’alimentation, environnement, etc. Ce projet
s’inscrit dans la tendance de la médecine
participative (lire «In Vivo» 2): l’équipe de
My.microbes.eu bénéficie ainsi d’une immense
base de données lui permettant de poursuivre
ses recherches sur la flore intestinale.
sensible notamment pour des questions de rejets et
d’infections. Quand on opère une intestin grêle, il peut
faire des «brides», des occlusions qui bloquent le tran-
sit, entrainant de fortes douleurs abdominales. L’or-
gane peut s’arrêter de fonctionner pendant 2 ou 3 jours.
Quant au côlon, sa transplantation n’est pas pratiquée,
car l’organe contient un nombre inimaginable de bac-
téries, donc ne se prête pas à une transplantation. Sa
fonction peut être reprise en partie par l’intestin grêle.»
Lalimentation reste aussi une option pour ingérer de
«bonnes» bactéries. «Des probiotiques, qui sont des
micro-organismes vivants, sont déjà ajoutés à cer-
tains produits, comme les yaourts, note Michel Mail-
lard. Aujourd’hui, des grands groupes de l’industrie
agro-alimentaire tentent d’introduire davantage de
germes dans des biens comestibles. Nous les trouve-
rons peut-être à l’avenir dans nos supermarchés.»
«Si un jour nous parvenons à déterminer quel est le
microbiote «idéal», nous pourrions développer sous
forme d’une pilule un traitement pour tenter de rétablir
un diversité du microbiote, mais surtout un équilibre
microbien, imagine Francisca Joly Gomez. Le chemin
sera long avant d’en arriver là. Nous avons déjà eectué
un grand pas en acceptant un changement de para-
digme: il n’est pas toujours nécessaire de détruire les
«mauvaises» bactéries à coups d’antibiotiques, mais il
nous faut apprendre à vivre en harmonie avec elles.» /
Obésité
Plusieurs études, comme
celle de l’Institut national
de la recherche agrono-
mique, ont démontré que
la pauvreté bactérienne
serait associée à la
surcharge pondérale.
Ce manque de diversité
augmente le risque de
développer des complica-
tions liées à l’obésité,
comme du diabète ou des
maladies cardiovasculaires.
Alcoolisme
Les recherches menées
par l’Université catholique
de Louvain ont montré
que certains alcooliques
présentent des altérations
de la composition du
microbiote intestinal. Une
découverte qui ouvre de
nouvelles pistes thérapeu-
tiques ciblant l’intestin et
non plus seulement le
cerveau pour lutter contre
la dépendance à l’alcool.
Autisme
Des chercheurs de
l’Institut de technologie
de Californie ont amélioré
plusieurs symptômes
de l’autisme chez la souris
en lui administrant
une bactérie humaine,
Bacteroides fragilis,
connue pour favoriser
la cohésion de la paroi
du côlon.
Inflammations
Chez les patients atteints
de maladies inflamma-
toires chroniques de
l’intestin, des bactéries
potentiellement patho-
gènes sont trouvées en
excès tandis que la
concentration de bactéries
bénéfiques du groupe
des Firmicutes est
diminuée à la fois en
espèces et en proportion.
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