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focus focusintestin intestin
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LA CIBLE DE NOUVEAUX
TRAITEMENTS
«L’objectif sur le long terme est
celui de prévenir ou de traiter cer-
taines maladies de manière per-
sonnalisée chez les patients selon leur combinaison
de souches bactériennes», note le microbiologiste
genevois Jacques Schrenzel.
Plusieurs traitements nés de la recherche sur le micro-
biote sont déjà applicables. Le plus répandu est la
transplantation fécale, c’est-à-dire la transfusion, par
coloscopie, de selles fraîches provenant d’un donneur
sain. «Nous réalisons cette intervention depuis 2014
chez les patients atteints de colite récidivante à Clostri-
dium dicile, explique Michel Maillard. Il s’agit d’un
germe dans certains cas réfractaire aux antibiotiques,
qu’il faut pourtant évincer, car il cause des diarrhées à
répétition avec parfois des conséquences graves.»
«Les taux de réponses à ce traitement avoisinent les
90%, ajoute Alain Schoepfer du CHUV. En moins
de deux semaines, les patients se portent bien.» Le
donneur de selles est généralement un proche du
patient. «Avant la transfusion, nous eectuons un
bilan microbiologique chez le donneur, qui doit bien
sûr être en bonne santé et ne pas être porteur de
Clostridium dicile.»
A Genève, les HUG aussi réaliseront ce type d’interven-
tion dès le printemps 2015. «Dans un premier temps,
nous utiliserons cette méthode pour soigner les patients
présentant une infection récidivante à la bactérie Clos-
tridium dicile, mais nous espérons pouvoir aussi y
recourir chez des malades atteints de maladies inflam-
matoires de l’intestin comme la maladie de Crohn ou
les colites ulcéreuses», se réjouit Jacques Schrenzel.
Si aucune contre-indication n’existe à la transplanta-
tion fécale, les eets secondaires sur le long terme ne
sont pas connus. «Nous injectons chez un patient une
«black box» de plusieurs milliards de microbes, rap-
pelle Alain Schoepfer. Nous savons que cela va soigner
une pathologie ciblée, mais est-ce que ce «nouveau»
microbiote va provoquer une autre maladie chez lui?
Nous expliquons ces risques aux patients, qui doivent
nous donner leur consentement.»
Ce traitement reste surtout beaucoup moins invasif
qu’une greffe d’un organe dans son ensemble. «Les
transplantations d’intestin grêle sont très rares, ex-
plique Nicolas Desmartines, chef du Service de chirur-
gie viscérale du CHUV. Il s’agit d’un organe très
nères. Leur attitude a changé lorsque des bactéries
ont été inoculées dans leur système digestif, et parta-
geaient volontiers leur lieu de vie.
«Tous ces travaux sur les souris sont précieux et nous
fournissent des pistes intéressantes, note Michel
Maillard. Il nous faut néanmoins tempérer notre en-
thousiasme pour l’instant, l’être humain ne réagira
pas forcément de la même manière à ces tests.»
La dépendance à l’alcool et la boulimie font aussi par-
tie des maladies pour lesquelles un lien avec le micro-
biote est soupçonné. Des recherches menées par une
équipe de l’Université catholique de Louvain ont ré-
vélé que les patients alcooliques, présentant une alté-
ration du microbiote intestinal, sont plus dépressifs,
plus anxieux et plus attirés par l’alcool que les alcoo-
liques avec un microbiote «normal».
La protéine «ClpB» pourrait causer des troubles ali-
mentaires. «Elle est fabriquée par certaines bactéries
du tube digestif comme Escherichia coli, explique
Sergueï Fetissov, de l’Institut national de la santé et
de la recherche médicale de l’Université de Rouen.
Elle est sécrétée quand les bactéries sont soumises à
un stress. La ClpB a des propriétés anorexigènes,
c’est-à-dire qu’elle diminue l’appétit et déclenche une
réaction du système immunitaire produisant des anti-
corps dirigés contre elle. Ces anticorps vont aussi se
lier à l’hormone de la satiété, du fait de son homolo-
gie de structure, et moduler son action vers l’anorexie
ou la boulimie.»
«La pullulation de l’intestin grêle a finalement été dé-
montrée et reconnue, se réjouit Alain Schoepfer, gas-
tro-entérologue au CHUV. Il s’agit d’une concentration
anormalement élevée de bactéries dans cet organe qui
peut provoquer de fortes douleurs abdominales, des
ballonnements ou des diarrhées. Nous savons à pré-
sent que l’administration d’un antibiotique, déjà utilisé
pour le traitement des infections urinaires, peut amé-
liorer ecacement l’état de santé du patient.»
Plusieurs travaux ont aussi éclairé le lien entre le mi-
crobiote et les maladies métaboliques comme l’obé-
sité ou le diabète. Une équipe internationale dirigée
par Jerey Gordon, de l’Ecole de médecine de l’Uni-
versité de Washington, aux Etats-Unis, a par exemple
montré que, introduit chez la souris, le microbiote
d’un individu obèse fait grossir l’animal, contraire-
ment au microbiote d’une personne mince. Le cher-
cheur expliquait alors dans la revue Nature que «les
bactéries intestinales ont un impact sur la régulation
du stockage des graisses dans le tissu adipeux».
Le dialogue permanent entretenu entre l’intestin et
le cerveau a permis à des scientifiques de se deman-
der si le microbiote influence aussi le comportement
de son hôte. Pour y répondre, des chercheurs de
l’Université de Cork en Irlande ont procédé à des tests
sur des souris dites «axéniques», c’est-à-dire sans
bactéries, car élevées dans un milieu stérile depuis
leur naissance. Celles-ci avaient un comportement
social altéré: elles préféraient se trouver dans une
cage vide plutôt que d’être entourées de leurs congé-Le réseau social fécal
L’intestin peut se targuer d’avoir
son réseau social: My.microbes.eu.
L’objectif annoncé par son créateur
Peer Bork, biochimiste au Laboratoire
européen de biologie moléculaire (EMBL)
à Heidelberg (Allemagne): «Mettre en
place une communauté dans laquelle les
personnes au profil microbien similaire sont
connectées.» Ceux qui veulent échanger sur
leur pathologie digestive peuvent envoyer un
échantillon de leur matière fécale à l’association.
Pour 840 euros, les selles sont analysées et le
génome bactérien est séquencé. Le participant
connaîtra ainsi à quel entérotype (un groupe de
composition bactérienne intestinale) il appartient
et sera ainsi mis en réseau avec d’autres personnes
partageant ses caractéristiques. Ils pourront ainsi
échanger sur leurs éventuelles maladies, mode
d’alimentation, environnement, etc. Ce projet
s’inscrit dans la tendance de la médecine
participative (lire «In Vivo» 2): l’équipe de
My.microbes.eu bénéficie ainsi d’une immense
base de données lui permettant de poursuivre
ses recherches sur la flore intestinale.
sensible notamment pour des questions de rejets et
d’infections. Quand on opère une intestin grêle, il peut
faire des «brides», des occlusions qui bloquent le tran-
sit, entrainant de fortes douleurs abdominales. L’or-
gane peut s’arrêter de fonctionner pendant 2 ou 3 jours.
Quant au côlon, sa transplantation n’est pas pratiquée,
car l’organe contient un nombre inimaginable de bac-
téries, donc ne se prête pas à une transplantation. Sa
fonction peut être reprise en partie par l’intestin grêle.»
L’alimentation reste aussi une option pour ingérer de
«bonnes» bactéries. «Des probiotiques, qui sont des
micro-organismes vivants, sont déjà ajoutés à cer-
tains produits, comme les yaourts, note Michel Mail-
lard. Aujourd’hui, des grands groupes de l’industrie
agro-alimentaire tentent d’introduire davantage de
germes dans des biens comestibles. Nous les trouve-
rons peut-être à l’avenir dans nos supermarchés.»
«Si un jour nous parvenons à déterminer quel est le
microbiote «idéal», nous pourrions développer sous
forme d’une pilule un traitement pour tenter de rétablir
un diversité du microbiote, mais surtout un équilibre
microbien, imagine Francisca Joly Gomez. Le chemin
sera long avant d’en arriver là. Nous avons déjà eectué
un grand pas en acceptant un changement de para-
digme: il n’est pas toujours nécessaire de détruire les
«mauvaises» bactéries à coups d’antibiotiques, mais il
nous faut apprendre à vivre en harmonie avec elles.» /
Obésité
Plusieurs études, comme
celle de l’Institut national
de la recherche agrono-
mique, ont démontré que
la pauvreté bactérienne
serait associée à la
surcharge pondérale.
Ce manque de diversité
augmente le risque de
développer des complica-
tions liées à l’obésité,
comme du diabète ou des
maladies cardiovasculaires.
Alcoolisme
Les recherches menées
par l’Université catholique
de Louvain ont montré
que certains alcooliques
présentent des altérations
de la composition du
microbiote intestinal. Une
découverte qui ouvre de
nouvelles pistes thérapeu-
tiques ciblant l’intestin et
non plus seulement le
cerveau pour lutter contre
la dépendance à l’alcool.
Autisme
Des chercheurs de
l’Institut de technologie
de Californie ont amélioré
plusieurs symptômes
de l’autisme chez la souris
en lui administrant
une bactérie humaine,
Bacteroides fragilis,
connue pour favoriser
la cohésion de la paroi
du côlon.
Inflammations
Chez les patients atteints
de maladies inflamma-
toires chroniques de
l’intestin, des bactéries
potentiellement patho-
gènes sont trouvées en
excès tandis que la
concentration de bactéries
bénéfiques du groupe
des Firmicutes est
diminuée à la fois en
espèces et en proportion.