Un jeu sur smartphone pour aider les chercheurs à protéger les

Un jeu sur smartphone pour aider les chercheurs à protéger les oiseaux
Par Claire LegrosLe 20 janvier 2017 à 11h37 Mis à jour le 20 janvier 2017 à 11h44
Avec l’appli BirdLab, on peut jouer à observer les oiseaux de son balcon
tout en participant à une expérience originale de sciences participatives.
Un projet d’outil commun baptisé « 65 millions d’observateurs » veut
généraliser de telles expériences.
Avec l’appli BirdLab, on peut jouer sur son smartphone tout en participant à
un programme de sciences participatives créé par Vigie Nature et le Muséum
national d’histoire naturelle. | Vigie Nature/MNHN
Deux à trois fois par semaine c’est le même rituel. Dès novembre, Pauline
Perrachon, jeune graphiste à domicile installée en Bourgogne, interrompt
régulièrement son travail pour jouer sur son smartphone « avant tout pour le
côté ludique et pour acquérir des connaissances ». Yves Lazennec, cheminot
à la retraite dans l’Aude près de Carcassonne, plutôt hostile aux jeux vidéo,
ne manquerait pour rien au monde de se connecter pour une partie le matin
vers 10 heures « par passion pour l’ornithologie ». Tandis qu’à l’autre bout
de la France Pierre Scaillerez, habitant d’une commune de 5 000 habitants
près d’Amiens, a installé l’appli sur sa tablette « pour œuvrer à préserver la
biodiversité. J’ai vraiment l’impression de contribuer à sauvegarder des
espèces par mes observations », explique-t-il.
Programme ouvert à tous
Addicts ou joueurs du dimanche, ils sont plus de 1 500 en France à avoir
participé depuis trois ans au programme BirdLab, une appli ludique à
télécharger sur smartphone, et surtout un programme de sciences citoyennes
conçu par Vigie nature, le laboratoire participatif du Muséum d’histoire
naturelle de Paris, en partenariat avec la Ligue pour la protection des oiseaux.
Une expérience originale qui permet à des chercheurs spécialistes de la
biodiversité de collecter des données inédites sur le comportement des
oiseaux communs, mésanges, tourterelles ou rouges-gorges…
Le programme est ouvert à tous du 15 novembre au 31 mars, aucune
connaissance des oiseaux n’est requise au départ. Un quiz permet aux
néophytes d’apprendre à reconnaître les 26 espèces les plus courantes dans
les jardins, du simple moineau à la sittelle torchepot, au pinson des arbres ou
au gros bec casse-noyaux. Seules contraintes : les observateurs doivent mettre
en place deux mangeoires sur leur balcon ou dans leur jardin, et renseigner
des informations sur leur localisation, l’environnement et le temps qu’il fait
quand ils jouent.
Comment reconnaître les oiseaux communs ? Séance d’entraînement sur
l’appli BirdLab de sciences participatives. (Capture d’écran site de Vigie
nature.) | Vigie Nature (MNHN)
La partie dure cinq minutes et consiste à reproduire avec ses doigts les allers
et venues d’oiseaux sur les deux mangeoires. « La durée du jeu a été pensée
pour recueillir des informations précises et exhaustives », explique Romain
Julliard, chercheur en biodiversité au Muséum. Plus de 16 000 parties ont été
jouées depuis trois ans, environ deux tiers dans les villes et zones
périurbaines, et un tiers à la campagne.
Analyser l’évolution des espèces
A l’autre bout de la chaîne, les chercheurs ont accès aux données en temps
réel sur le comportement des oiseaux. « Pour nous, BirdLab représente une
source d’informations précieuses, explique Carmen Bessa Gomes,
enseignante-chercheuse au laboratoire Ecologie, systématique et évolution
d’Agro Paris Tech qui travaille sur les causes du déclin de la biodiversité en
France. Grâce à l’étendue des collectes, on a pu analyser l’évolution des
espèces selon les régions et les milieux. »
Premier constat, pas vraiment surprenant, l’urbanisation conduit à une
diminution des espèces observées. 7 % de surface bétonnée autour de la
mangeoire suffisent à en réduire leur nombre. « A l’inverse, la présence ne
serait-ce qu’un peu de milieu agricole en zone urbaine fait significativement
augmenter le nombre d’espèces d’oiseaux. C’était un résultat attendu, mais
on n’avait jamais réussi à le montrer avant BirdLab », explique Carmen
Bessa Gomes. Deuxième constat, les espèces en déclin dans les zones
d’agriculture intensive viennent se réfugier dans les jardins urbains ou
périurbains pour y trouver des ressources.
Verdiers photographiés dans le cadre du programme BirdLab de Vigie nature.
| Vigie Nature (MNHN)
Données ouvertes aux citoyens
L’autre originalité du projet, c’est que les informations recueillies sont
ouvertes à tous les curieux, qu’ils soient chercheurs ou scientifiques en herbe.
Les données sont disponibles auprès de l’équipe. « Je les envoie quand on me
les demande, explique Grégoire Loïs, codirecteur de Vigie nature qui fait
aussi office de data manager. Avec Vigie nature, on est vraiment dans
l’économie du don. Chaque citoyen reste l’auteur de ses observations, mais
elles sont ouvertes à tous ensuite dans une démarche d’open data. »
Alors que dans la communauté scientifique, la question de l’ouverture des
données est loin d’être tranchée, elle ne fait pas débat chez les chercheurs à
l’origine de BirdLab. « Les données sont collectées par les citoyens, il est
normal qu’elles soient ouvertes aux citoyens, constate Carmen Bossa
Gomes. Ensuite, il faut du temps et des compétences pour analyser ces
tableaux complexes. Ce n’est pas évident de les exploiter. » « La science
participative n’est pas compatible avec la privatisation des
données, confirme François Chiron, maître de conférences à Agro Paris
Tech, même pour les espèces protégées. Je n’ai pas d’exemple où l’ouverture
n’aurait pas profité à la conservation. »
Une mésange bleue sur une mangeoire photographiée dans le cadre du
programme BirdLab. | Vigie Nature (MNHN)
Une boîte à outils des sciences citoyennes
L’équipe de Vigie nature veut d’ailleurs aller plus loin. Avec une centaine de
partenaires, collectivités et associations, elle a lancé en 2015 un projet
ambitieux de portail de sciences participatives baptisé « 65 Millions
d’observateurs », pour faciliter l’interaction et l’analyse collective des
données dans de nombreux domaines scientifiques, milieux marins,
astronomie, santé… Cette boîte à outils des sciences citoyennes est en cours
de développement en logiciel libre.
« Actuellement nos outils sont fragiles, on porte à bout de bras un beau projet
sans en avoir les moyens, on veut passer la vitesse supérieure et aussi
permettre le développement de nouveaux projets de sciences participatives »,
explique Romain Julliard. Financée à hauteur de 4 millions d’euros dans le
cadre du programme Investissements d’avenir, la plate-forme « 65 Millions
d’observateurs » devrait permettre de décliner des sites de participation, y
compris sur mobile, et proposer des outils communs pour extraire et analyser
les données.
Une façon aussi de faciliter la mutualisation et le croisement des informations
qui y seront recueillies, même si les équipes pourront décider au cas par cas
d’ouvrir ou non leurs bases. Pour Grégoire Loïs, « l’objectif est que ce soit
partageable plus facilement, notamment sur le site data.gouv.fr qui regroupe
les données publiques, mais aussi que ce soit facile à consulter pour un non
spécialiste, ce qui pourra peut-être donner lieu à des découvertes fortuites ».
Pour autant l’outil numérique ne sera utile qu’en complément de
l’organisation d’une communauté de bonnes pratiques et de réseaux sociaux
solides. Les programmes de sciences participatives supposent un gros travail
d’animation pour répondre aux questions des contributeurs et les impliquer
dans les résultats. Pour BirdLab, une animatrice de réseau est présente tous
les jours.
Pour participer au programme BirdLab :
Installez sur votre balcon ou terrasse deux mangeoires sur le modèle décrit
ici ou achetez deux mangeoires suspendues « boules de graisse » vendues
dans le commerce.
Téléchargez sur votre smartphone ou tablette l’application BirdLab
disponible gratuitement sur iOS ou Android et validez le quiz.
Entraînez-vous à reconnaître les oiseaux à l’aide de cette vidéo.
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