Moins d'un salarié sur deux s'estime écouté LE MONDE | 24.06.2013 à 08h20 • Mis à jour le 24.06.2013 à 14h12 | Anne Rodier Les salariés se sentent moins écoutés en 2013 qu'en 2012, selon une étude qui sera rendue publique mardi 25 juin, lors de la cérémonie du Trophée du capital humain. | CATHERINE LAMBERMONT/PHOTO NEWS/GAMMA "Il y a encore trop de souffrance au travail. (...) Ce qui l'explique le plus, c'est l'incapacité de pouvoir dire son mot", déclarait François Hollande devant un parterre réuni pour débattre de la "qualité du travail". C'était au Théâtre du Rond-Point à Paris, le 23 janvier 2012, il y a un peu plus d'un an. Depuis, la situation s'est dégradée. Les salariés se sentent moins écoutés en 2013 qu'en 2012. C'est ce que révèle une étude qui sera rendue publique mardi 25 juin, lors de la cérémonie du Trophée du capital humain (http://www.tropheeducapitalhumain.com/) . Cet événement récompense chaque année depuis 2009 des initiatives en ressources humaines (RH) qui replacent l'homme au coeur de l'entreprise. L'enquête a été réalisée par OBEA-InfraForces pour le cabinet de conseil en recrutement Michael Page et Le Monde auprès de 1 000 salariés d'entreprises de plus de 1 500 personnes, interrogés en mai. Elle mesure chaque année, à la même époque, le niveau de satisfaction des salariés, leur fierté d'appartenance à l'entreprise, le respect et l'écoute du management. En 2013, les salariés sont, comme toujours, largement satisfaits et fiers d'appartenir à leur entreprise. Ils n'ont jamais été moins de 70 % à l'affirmer depuis la création du Trophée du capital humain. Ce sentiment s'est encore exprimé il y a quelques jours dans une autre étude, de l'Institut français d'opinion publique (IFOP) cette fois, ciblée sur la population cadre. MOINS QUE JAMAIS RESPECTÉS En revanche, les salariés se disent moins que jamais respectés ou écoutés par leur management. Après avoir progressé régulièrement, ces indicateurs sont au plus bas depuis 2010 : moins d'un salarié sur deux s'estime aujourd'hui entendu. Ce diagnostic s'aggrave quand le groupe, l'entreprise ou le service est profondément réorganisé. Quelque 67 % des personnes interrogées ont connu de grands changements dans l'organisation du travail au cours des trois dernières années. Et 69 % des salariés estiment que, dans ce contexte, leur avis n'a pas été pris en considération par la hiérarchie. Pour 79 %, les changements ont été imposés sans concertation. Dans ces conditions, il n'est pas surprenant qu'ils jugent l'impact de ces changements négatif sur leur motivation (70 %), leurs conditions de travail (64 %) et les relations au sein des équipes (58 %). "Le respect et l'écoute diminuent fortement, mais plus de la moitié des salariés donnent une note positive à leurs dirigeants sur leur exemplarité et leur capacité à faire progresser l'entreprise", indique Delphine Mirande, la directrice adjointe d'InfraForces, l'institut d'études d'OBEA. "GAIN SOCIAL ET ÉCONOMIQUE" Cette appréciation apparemment paradoxale révèle une diversité d'opinions, constituant cinq catégories de salariés, explique-t-elle. Les plus satisfaits (16 %), qualifiés d'"épanouis", travaillent dans des entreprises soucieuses du dialogue entre les salariés. Cadres supérieurs, souvent dans le secteur du commerce et plutôt en dehors de l'Ile-de-France, ils se sentent respectés par leur entreprise à 92 % et écoutés à 84 %. Les "positifs inquiets" (20 %) s'estiment respectés à 79 %, mais ont peur de devoir changer de métier. Leurs entreprises sont très présentes à l'international. Les "résignés" (24 %), qui s'estiment peu écoutés à 34 %, sont des cadres de très grandes entreprises, "où le climat est peu favorable au dialogue". Les "laissés pour compte" (19 %) ont été démotivés par de trop nombreux changements organisationnels, majoritairement dans le secteur public. Et, enfin, les "distants" (21 %) sont des employés et ouvriers de faible ancienneté, moins impliqués. Cette typologie établit que le respect et l'écoute varient en fonction de l'internationalisation de l'entreprise et de sa politique de dialogue social. Lors de la présentation des travaux de l'Association travail, emploi, Europe, société (Astrees) sur "L'expression directe des salariés, levier de la conduite au changement", à l'Assemblée nationale le 26 avril, les dirigeants de la Mutuelle générale de l'économie, des finances et de l'industrie (MGEFI), d'IVA, d'Areva, d'AG2R, qui ont mis en place des pratiques innovantes pour renforcer l'expression des salariés, ont expliqué la difficulté que cela représentait en période de réorganisation. "REMISE EN CAUSE DE L'ORGANISATION" Tout d'abord, "l'expression des salariés sur l'organisation du travail crée des problèmes de remise en cause de l'organisation telle qu'elle a été bâtie par la hiérarchie. Plus l'entreprise est grande, plus c'est difficile, puisqu'il y a davantage de strates hiérarchiques", affirme Valéry Mercier, directeur général d'IVA Insulations. A la MGEFI, lors de la fusion des services des mutuelles, des groupes de travail ont été mis en place pour créer le nouveau statut du personnel, pour faire remonter à la direction les problèmes de circuits, d'outils et d'organisation, rencontrés au quotidien par les collaborateurs. "Mais l'expression directe des salariés n'était pas forcément la bonne solution pour tout changer, dans la mesure où elle a mis les manageurs en position délicate, indique Antoine Catinchi, directeur général de la MGEFI. Cette parole de salariés "experts du travail" a pourtant été un gain social et économique pour l'entreprise", reconnaît-il. "La démarche est puissante mais très fragile, car elle dépend de la volonté de chaque acteur de jouer le jeu", analyse de son côté Denis Grégoire, responsable syndical CFDT au ministère des finances. Pour y améliorer l'écoute des salariés, il a fallu former des médiateurs pour "faire le lien entre la parole brute délivrée par les agents et la direction, qui n'avait pas la culture de l'expression directe des salariés". Si "le management est méfiant au départ sur l'intérêt de solliciter l'expression directe et collective des salariés, les entreprises qui s'y sont essayées ces dernières années ont constaté que c'est un levier formidable qui se traduit par un engagement des collaborateurs", affirme ClaudeEmmanuel Triomphe, délégué général d'Astrees, spécialiste des restructurations d'entreprise. Anne Rodier Cinq finalistes pour l'édition 2013 du Trophée du capital humain L'intégralité des résultats de l'enquête sur le regard des salariés sur le management de leur entreprise sera publiée mardi 25 juin, lors de la remise du Trophée du capital humain. Cet événement a été créé en 2009 par le cabinet de conseil en recrutement Michael Page en partenariat avec Le Monde, afin de saluer de bonnes initiatives des grandes entreprises. Il ne s'agit pas pour autant d'établir un classement de la vertu dans le monde du travail, mais d'encourager les bonnes pratiques de management. CASINO, ESSILOR, PERNOD RICARD, SCHNEIDER ELECTRIC ET TOTAL Le Trophée, organisé par le cabinet de conseils Misceo, récompense quatre critères: l'engagement du management; l'originalité des dispositifs mis en place; leur impact sur les salariés de l'entreprise et enfin la cohérence de la politique conduite avec la stratégie de l'entreprise. Pour cette cinquième édition 2013, les cinq finalistes sont: Casino, Essilor, Pernod Ricard, Schneider Electric et Total. Leurs candidatures concernent, dans l'ordre, la politique d'embauche et d'intégration; la formation comme outil de transformation de l'entreprise; l'affichage des valeurs au modèle de management; l'agilité de l'entreprise en termes d'innovation et d'organisation; et enfin les relations sociales dans le cadre du développement international. Le nom du lauréat 2013 sera révélé lors de la cérémonie de remise du Trophée le 25 juin. Les précédents lauréats ont été Air Liquide en 2012, la Compagnie Saint-Gobain en 2011, le Groupe L'Oréal en 2010 et Vinci en 2009.