
synthétique ») : on peut y trouver un biais pour confronter la théorie forgée à l’issue de l’« année
mentale5 » qui sépare le premier
Manifeste du Second manifeste
avec les pratiques scripturales
critiques des années de formation, mais également, du point de vue de l’histoire des formes, pour
cerner les contours d’une sous-catégorie critique instable du genre lui aussi constitutivement
instable du poème en prose6.
Qu’est-ce que la « réclame » pour Aragon ?
En préambule de cette réflexion, il est nécessaire d’explorer ce qu’Aragon entend par « goût de
la réclame » dans cette « Introduction à 1930 » qui fait du moderne une valeur périssable, relative,
fondamentalement corrélée à une époque, et dont la mode signerait le déclin. Dans sa définition
la plus rigoureuse, « la modernité est [ainsi] une fonction du temps qui exprime l’actualité
sentimentale de certains objets, dont la nouveauté essentielle n’est pas la caractéristique, mais
dont l’efficacité tient à la découverte récente de leur valeur d’expression7 » : prise dans une
dynamique historique, la modernité doit être saisie à travers un processus d’arrachement –
Breton dirait de
dépaysement
8 – d’objets temporairement dotés d’une puissance affective, par
des opérations de décontextualisation et de recontextualisation dont le collage donne l’une des
formules privilégiées. Si sa fin est bien le « nouveau », ce n’est pas parce qu’elle plongerait «au
fond de l’inconnu » ; elle se situe au contraire dans un geste d’élection et de reconnaissance
foncièrement historicisé, dont le déjà-là d’objets même désuets est le tremplin, si bien que
chaque époque définit son propre moderne : la particularité du « moderne de […] 1917‑1920»
serait de ce point de vue une certaine « conception du lyrisme », déterminée par « un goût
nouveau », « le goût de la réclame9 ».
« Réclame » est ici à prendre en un sens assez large : il ne s’agit pas seulement des
dernières pages du
Petit Parisien
, tapissées de publicités essentiellement pharmaceutiques
pour des produits plus ou moins charlatanesques, mais des « expressions toutes faites », des
« lieux communs du langage qui [prennent], isolés de tout contexte, l’aspect des manchettes
de journaux ou des inscriptions murales10 », avec pour espace de prédilection l’affiche ; à cet
égard, Aragon vise autant derrière le terme un contenu qu’un ensemble de signes, format et
codes typographiques, ainsi qu’une rhétorique formulaire caractéristique qui peut déborder les
5. « Introduction à 1930 »,
La Révolution surréaliste
, n° 12, 15 décembre 1929,
Chroniques I
,
op. cit.
, p. 347.
6. Cet aspect, brièvement abordé ici, s’inscrit dans une réexion plus globale sur la pratique du poème en prose aux XIXe‑XXe
siècles : la question reste dans l’ombre de la thèse, ancienne, de Suzanne Bernard (
Le Poème en prose, de Baudelaire jusqu’à
nos jours
, Paris, Nizet, 1959), dont les développements théoriques sur le genre (
ibid
., p. 434‑465) sont aujourd’hui à tout le moins
discutables.
7. « Introduction à 1930 », art. cit.,
Chroniques I
,
op. cit.
, p. 340.
8. Sur cette notion de
dépaysement
, voir André Breton, « Situation surréaliste de l’objet, situation de l’objet surréaliste », dans
Position politique du surréalisme
[1935],
Œuvres complètes
, éd. Marguerite Bonnet, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade», t. II, 1992, p. 481, ainsi que Marie‑Paule Berranger,
Dépaysement de l’aphorisme
, Paris, José Corti, 1988.
9. « Introduction à 1930 », art. cit.,
Chroniques I
,
op. cit.
, p. 342‑343.
10.
Ibid
., p. 343.
Les poètes et la publicité _ p. 129 ///