I/O WWW.IOGAZETTE.FR 15 JUILLET 2016 N°35 2E ANNÉE
© Olivier Culmann
FESTIVAL
D’AVIGNON
LA GAZETTE DES FESTIVALS
Nuro cinqume / Abusaada – XS – Trajal Harrell – Provisoire(s) – Le Pas de Bême
Dedienne – Un Batman dans ta tête – C'est (un peu) compliqué...
Invisibles provisoires – OJM – Silvia Costa – Yann Gross – David Léon
LA GAZETTE DES FESTIVALS
15 juillet 2016
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ÉDITO
SOMMAIRE
Avignon bruisse. Entre les gouttes de sueur ou de pluie la rumeur se propage. Entre
initiés d’abord comme il se doit dans les petits milieux puis de cercle en cercle et de
queue en queue la voilà plus di use, sur toutes les lèvres. Entre deux Pac à l’eau, on
s’interroge : « Mais non, voyons, ça se saurait si… », « Incroyable ! En même temps,
vu l’état du pays, plus rien ne m’étonne».
Mais surtout on cherche la source: «La chance! Mais comment as-tu su?», «Really? Et ça se trouve
?». Oui, chers festivaliers, tenez-vous-le pour dit, quand on ouvre grands ses chakras, on peut
voir de bons spectacles au festival d’Avignon. Certes, aucun nouveau incontournable en vue, peu
de marché noir sur les places restantes du spectacle à voir avant de partir (mourir?), mais ne soyons
pas fatalistes, les années fl amboyantes se doivent de rester exceptionnelles au risque de perdre leur
lumière.
En tant que gazette des festivals, nous nous sentons la responsabilité d’informer nos lecteurs et de
leur livrer les meilleurs conseils pour «réussir leur festival», même celui de 2016. Voila clé: prendre
(perdre?) son temps, laisser faire le hasard et les bouches à vos oreilles, éviter la rue de la publique
et manger des glaces à LaPrincre (NDLR: le parfum mystère na pas encore é trouvé).
La rédaction
FOCUS
PAGES 4-5
ALORS QUE J'ATTENDAIS
XS
CAEN AMOUR
PAGES 6-7
PROVISOIRE(S)
LE PAS DE BÊME
REGARDS
PAGES 8-9
S'IL SE PASSE QUELQUE CHOSE
UN BATMAN DANS TA TÊTE
INVISIBLES PROVISOIRES
C'EST (UN PEU) COMPLIQUÉ D'ÊTRE L'ORIGINE DU MONDE
BRÈVES
PAGE 10
FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE
PAGE 12
ORCHESTRE DES JEUNES DE LA MÉDITERRANÉE
LA QUESTION
PAGE 14
SILVIA COSTA
RENCONTRES D'ARLES
PAGE 15
YANN GROSS
LETTRE À UN LIEU
PAGE 15
DAVID LÉON
ME PÂLE, LE JOUR SE LÈVE ENCORE, TU VERRAS
NOUS NE CÉDERONS PAS AU CHOIX D’ŒUV-
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15 juillet 2016
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Pluridisciplinaires, ces propositions ne dépassent pas
25minutes et sont l’occasion de découvrir des trésors de
la nouvelle scène belge.
C
ette saison, trois spectacles hétéroclites s’enchaî-
nent dans le jardin de la Vierge. Fut-ce le mistral
apportant un frisson lyrique à la façade de la
cour? Ou la créativité des expressions, tranchant
avec le consensuel lourdingue de tant de propositions du
festival? Toujours est-il qu’après la virée de I/O au Kunsten-
festivaldesarts de Bruxelles, en mai dernier, nous confi r-
mons qu’il ne faut pas hésiter à franchir la frontière pour in-
su er une fraîcheur réjouissante à la scène contemporaine.
«Axe, de l’importance du sacrifi ce humain au xxiesiècle»
est un projet de Thierry Hellin et Agnès Limbos qui pose
une ambiance ionescienne avec son salon bourgeois façon
«Cantatrice chauve». À moitié nu dans un pyjama en soie,
des cuissardes à ses pieds, un fusil à lunette planqué sous
la table en pin très british, l’homme a dès le début un pied
hors de la réalité. Et tout dérape lentement: le chandelier se
liquéfi e; la statuette kitsch du chat s’écroule; le décor vacille
(Limbos vient du théâtre d’objets, et cela se sent). Le couple
En France, et ce depuis plusieurs années, il est de
bon ton que chaque festival d’importance voile
une pépite moyen-orientale. En 2016, Cannes met à
l’honneur « Eshtebak (Clash) », du directeur égyptien
Mohamed Diab, et le festival d’Aix choisit d’expérimen-
ter un mélange générique et esthétique avec « Kalîla
wa Dimna » (Moneim Adwan, Zied Zouari, Olivier
Letellier): entre musique, fable, langues arabes et mise en
scène opératique de tradition plus occidentale.
Lart peut (et parfois en a le devoir) se faire le porte-
parole magnifi é d’une sou rance et d’une parole
ailleurs censurée. Il semble impossible d’exclure
tout à fait du discours esthétique contemporain les
enjeux brûlants de guerres actuelles. La programmation du
IN à Avignon n’échappe pas à cette tendance en mettant à
l’honneur «Alors que j’attendais», avec une mise en scène
d’Omar Abusaada, syrien originaire de Damas –se dé-
roule l’histoire– sur un texte de Mohammad Al Attar –éga-
lementà Damas. Cette plongée dans la question syrienne
se fait par l’intermédiaire de Taym, jeune Damasne, dont
le coma qui s’éternise remue les non-dits de ses proches. La
tente vainement de communiquer autour de codes sociaux
dégénérés. L’horloge aux proportions absurdes marque un
temps qui n’a plus rien de linéaire. Les corps et le langage
sont distordus, écho à l’errance intérieure qui semble miner
ces deux «ploutocrates» ayant perdu tout repère. Si on ne
sait pas trop veut nous mener«Axe», on se laisse volon-
tiers embarquer dans cette saynète absurde.
Parodie haletante des lms d’action
De son côté, Antoine Laubin interroge le concept de «Hei-
maten», qui désigne en allemand à la fois le foyer, la nation
et d’on vient. «Les Inuits ont 52mots pour signer
la neige, et voilà un mot aux 52signifi cations.» Alors les
clichés culturels sentassent volontairement (les moules-
frites des Belges ou les mines ukrainiennes) pour essayer de
comprendre «où commence et nit chez soi». En duplex
simulé par écran géant avec un couple de comédiens
d’ex-RDA, Hervé Piron et Lily Noël débitent question sur
question sans apporter de réponse. Dialectique un peu fai-
blarde qui aurait pu être poussée encore plus loin dans ses
sœur, en particulier, polarise en majeure partie les question-
nements politiques et sociaux de l’intrigue, en interrogeant
les rapports humains –maternel, amoureuxet la possibilité
de grandir et de créer dans une dictature en pleine guerre
civile. En guise de squelette contextuel, la volution contre
Bachar el-Assad est ici dessinée comme la menace fanto-
matique omniprésente d’une violence indicible ; mais aussi
comme le symbole à partir duquel se forge la résistance.
Celle d’un espoir nouveau, d’une véritable renaissance, à la
fois individuelle et sociale, à travers l’art.
Des lieux communs quelque peu éculés
En convoquant la richesse culturelle de l’Orient à travers
quelques éléments choisis –la lascive douceur du haschich,
la place sociale de la musique ou encore du voile religieux–,
Mohammad Al Attar nous invite à forcer mentalement les
frontières closes de la Syrie pour tenter de nous représenter
un quotidien fait de traumatismes, mais aussi et toujours
empreint d’une importante culture millénaire. Cependant,
l’urgence du discours ne s’inscrit pas dans une volution
retranchements. Quelques fulgurances, toutefois, comme la
chanson de Barbara «Göttingen» balancée a cappella aux
deux Allemands interdits, et la réplique de ces derniers à
l’interrogation «Êtes-vous fi ers d’être allemands?»: «Pour
Goethe, Beethoven et les grands compositeurs, oui, pour
Auschwitz un peu moins.»
C’est enfi n « Les Idées grises », conçu et interprété par
Bastien Dausse et François Lemoine, qui aura été la claque
de la soirée. « Monsieur Rouge » et « Monsieur Bleu »,
acrobates virtuoses, composent une sorte de gymnas-
tique à tendance tui shou, très infl uencée par l’école de
cirque chinoise. En trois séquences, ils déploient une pa-
rodie haletante des lms daction à l’aide d’accessoires
insolites (une ventouse, une casserole et un mini-canon).
Un peu comme si Tarantino s’était mis à la chorégra-
phie sous chapiteau. Suprêmement poétique, le duo
s’appuie sur des mouvements millimétrés et un rythme
à couper le sou e, jouant sur la distorsion de l’espace.
Un spectacle por par la compagnie Barks, à découvrir
dans son intégralité à la biennale du cirque de Marseille en
janvier2017.
formelle a rmée, qui aurait pu donner à ce propos la pro-
fondeur de champ et l’impact qu’il réclame. Le rythme et la
rigidité scénique obligent le sentiment d’attente à se teinter
d’un calme presque inattendu, auquel on peine à s’attacher.
Omar Abusaada –qui fait pourtant le souhait d’une rupture
avec le théâtre conventionnel travaille ici des lieux com-
muns quelque peu éculés de la mise en scène contemporaine
(micros, vidéo, spatialisation stéréotypée, etc.). Se complai-
sant dans un refl et «méta» un peu fade, l’impact de la résis-
tance qu’il revendique pourtant en général dans ses œuvres
(«Est-ce que vous pouvez regarder la caméra?», «Antigone
la Syrienne», etc.) s’en trouve largement tempéré. L’intrigue
–dont la moelle épinière relève pourtant d’un cri devolte
se perd dans les méandres de ce qui devient un drame fami-
lial faussement «simple».
Pourtant, à travers le sublime Taym, l’inquiétude de la jeu-
nesse est bel et bien présente. Si la génération Tahrir souhaite
s’emparer de la scène, ce vœu est plus qu’une nécessi: il
est une obligation morale et politique. Malgles maladresses
que présente «Alors que j’attendais», Omar Abusaada des-
sine une voie (voix) qui n’attend plus qu’à être amplifi ée.
RES FACILES. LE SIROP LAISSE DES NAUSÉES.
XS
ALORS QUE J'ATTENDAIS
LES PETITES FORMES QUI ONT LA FRITE
— par Mathias Daval —
«LATTENTE EST UNE AFFAIRE HORRIBLE»
— par Lola Salem —
JARDIN DE LA VIERGE DU LYCÉE SAINT-JOSEPH
MISE EN SCÈNE OMAR ABUSAADA GYMNASE PAUL GIÉRA
«Depuis 2015, le festival d’Avignon s’associe au Théâtre national de la Communauté française de Bruxelles pour
présenter quelques-unes des formes brèves qui ont marqué la dernière édition du festivalXS. »
«Dans le coma, Taim observe les changements qui a ectent la capitale syrienne.
Un théâtre de résistance qui interroge ses capacités ctionnelles sans renoncer à raconter l’Histoire.»
FOCUS — TROIS FACES DU IN
IN
IN
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15 juillet 2016
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Du french cancan au peep-show, il vous manquait peut-être un chaînon :
le hoochie coochie, danse apparue à la n du xixesiècle, en vogue aux États-
Unis, destinée à un public exclusivement masculin. Ces représentations dansées
étaient ouvertement sexualisées. Des danses que des femmes, pratiquement
toutes de type caucasien, exerçaient en s’appropriant tous types de code de
séduction: nudité, exotisme,férences au désir sexuel masculin…
Cest à travers cette exploration quasi pédagogique et historique que le
chographe américain Trajal Harrell met en lien présent et passé, fai-
sant fi gurer au cours d’un spectacle de pure représentation des ques-
tionnements sur l’héritage machiste, sexiste ou postcolonialiste dans
la danse moderne. Il n’ignore pas dexploser, encore une fois, les stéréotypes de
genre. Et s’interroge sur leminisme de ces danseuses du xixesiècle. Un spectacle
qui donne à questionner notre monde et son héritage politique et sociologique. Le
cloître des Célestins est déstructuré par Harrell, qui brise une fois de plus le rapport
représentation/public: côté cour est installé un petit cabaret modeste. Des coussins
au sol complètent les quelques gradins. Côté jardin: rien, une simple entrée menant
vers Harrell, qui accueille les spectateurs, dansant comme dans sa chambre. Le véri-
table show, dans lequel le chorégraphe ne dansera pas, débute après. Ce préambule
avec Harrell dansant sur des musiques 80’s ou 90’s raisonne comme une précision
utile: il reste, dans toutes musique et danse d’aujourd’hui, des éléments de séduction.
Ceux-ci défi lent, au gré des passages multiples des danseurs et danseuses, révélant
lesférences machistes et sexistes, ces évidences de voyeurisme ou d’objectifi ca-
tion sexuelle de la femme qui alimentaient le hoochie coochie et semblent encore,
plus ou moins, exister dans le regard du spectateur ou chez certains chorégraphes.
Que pensez-vous qu’il advienne lorsqu’on annonce qu’il est possible de se lever pour
aller, pendant le spectacle, derrière le décor et assister aux changements de cos-
tume des danseurs dénudés dans ces loges improvisées? En masse, les spectateurs
libèrent instincts voyeurs pour voir la nudité s’exprimer où elle est mise en esthé-
tisme sur scène. De la même manière, en gardant quasiment à l’identique les codes
du hoochie coochie, le spectateur est replacé dans cette me position que les
hommes de jadis. Il comprend, aussi, au regard de ces danseurs et danseuses, que la
séduction et l’éveil du désir sexuel peuvent être assumés. Pourquoi nen serait-il pas
autant de ces danseuses de hoochie coochie de la n du xixe, comme une expression
avant l’heure de la troisième vague féministe ? Un spectacle nécessaire pour conti-
nuer à faire bouger les lignes des sexismes et des stéréotypes de genre, ici balayés
d’un revers de main par l’interprétation de tous ces lieux communs par des artistes
de sexe masculin. En somme, Harrell demande: «Qu’est-ce qu’une femme?» Une
constitution de chair de tous les stéréotypes évoqués? Une simple manifestation
biologique dénuée de toute imprégnation sociologique? Lappropriation assumée,
et non subie, des codes de genre, qu’ils soient adoptés par un mâle ou une femelle?
Autant de questions qui dépassent le simple petit cabaret local de «Caen Amour»…
«ÄCaen Amou» - © Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon
NOUS NE TENTERONS PAS NON PLUS D'ALLER
CAEN AMOUR
CAEN CABARET
— par Rick Panegy
CHORÉGRAPHIE TRAJAL HARRELL CLOÎTRE DES CÉLESTINS
«Une divagation collective éclairée par un siècle de travaux sur le sexisme,
l’orientalisme, le colonialisme et le genre.»
IN
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