la part des rentes dans le revenu national ne peut qu’augmenter au
détriment de celle des profits.
Mais immédiatement, Ricardo montre que cette « loi » n’est valable que
dans une économie fermée. Si une intervention étatique permet
l’ouverture des frontières à une source abondante de matières premières
agricoles - ce qu’offrait à l’époque les Etats Unis -, source qui annule pour
un temps indéterminé la fatalité des rendements agricoles décroissants, il
est possible de stopper la dégradation de la part des profits industriels
dans la répartition de la richesse.
Ricardo démontre alors, dans sa théorie du commerce international, que
l’ouverture des frontières est bénéfique aux deux pays qui s’y livrent, en
ce sens qu’elle améliore la richesse moyenne dans chacun d’entre eux.
Certes, il n’analyse pas en détail comment se répartissent entre les deux
pays les gains de l’échange, mais il applique implicitement un critère de
Pareto pour juger qu’une amélioration du bien-être dans chacun des pays,
même inégalement répartie, est dans « l’intérêt collectif ». Il faut donc
recommander l’ouverture des frontières.
Il ne faudra attendre que quelques années pour qu’au sein d’une
Allemagne dont la bourgeoisie et le gouvernement voulaient rattraper
l’Angleterre, surgisse avec Frederick List une théorie prétendant, dans le
même cadre analytique que Ricardo, justifier une politique exactement
contraire, une politique protectionniste et en particulier de protection des
industries naissantes. Il suffit à List de montrer que la théorie de Ricardo
est statique et que les gains de l’ouverture, considérés en dynamique, se
concentrent dans le pays qui s’est spécialisé dans le secteur d’avenir à
forte croissance, en l’occurrence l’industrie. Il suffit alors de changer de
norme implicite de jugement, et de passer de « intérêt général » à
« l’intérêt national », pour préconiser un protectionnisme offensif destiné
à rattraper la puissance dominante.
On trouve là, dès l’origine de l’économie politique et avec un modèle d’une
extrême simplicité, une remarquable illustration de deux thèses que
j’évoquais en introduction : i) on ne peut établir de loi générale
d’évolution de la répartition, donc des inégalités, puisque des
interventions étatiques sont susceptibles de modifier profondément les
dynamiques inégalitaires, et ii) toute norme de jugement, en matière de
politique économique, est dépendante d’une norme supérieure qui ne
relève pas de l’économie. Pour Ricardo comme pour List, la norme est :
« favoriser la puissance économique de la nation ». Car bien évidemment,
List accuse à juste titre Ricardo d’avoir lui-même implicitement utilisé
cette norme, puisqu’il savait que l’ouverture de la Grande-Bretagne, au