Fiche n°27
LE DIAGNOSTIC : UNE DIFFICULTE SURMONTABLE
Le terme dia-gnôsis, action de discerner, tire son origine du grec gignôskô, connaître, et
désigne "l’acte par lequel le médecin groupant les symptômes qu’offre son patient, les rattache
à une maladie ayant sa place dans le cadre nosologique". [77]
La requête la plus pressante du patient est souvent, avant même d’être soulagé, de connaître
le nom de sa maladie [23]. La croyance actuelle est donc que le premier devoir du médecin
est d’établir un diagnostic exact et qu’il est nécessaire d’avoir un diagnostic avant de traiter
[22]. Or en médecine générale ce principe est faux : le médecin, de par sa situation d’exercice
en soins primaires, se situe à l’émergence des pathologies, donc face à des situations non
caractéristiques d’une maladie bien définie (voir fiche n°4 : Intervention au stade précoce et
non différenciée des maladies). Il devra rester le plus souvent au niveau du symptôme ou d’un
tableau de maladie et n’aboutira que très rarement à un diagnostic nosologiquement prouvé
au terme de sa consultation [1] : "lors d’un relevé épidémiologique de 1978 établi sur 800 000
consultations, seuls un peu plus de 11% des motifs de consultations aboutissaient, in fine, à
un diagnostic précis permettant un traitement étiologique spécifique. Pour le reste, force est
de constater que la cause des affections suspectées reste en suspens ou que l’affection elle-
même ne reçoit pas de dénomination précise. Cette violation de la règle d’or de la médecine
moderne fait graviter la médecine générale dans un univers singulier, où les conclusions de la
réflexion du praticien s’appuient d’abord sur une probabilité statistique et non sur une
certitude". (Braun) [88]
L’établissement d’un diagnostic en médecine générale lors de la première prise en charge peut
se révéler dangereux car il occulte alors l’incertitude. Ainsi, conclure à une gastrite en présence
d’une épigastralgie sans qu’une fibroscopie ait permit de confirmer ce diagnostic revient à
oublier que ce symptôme peut être le signe d’une autre pathologie se présentant de façon
fallacieuse. "On entrevoit les raisons pour lesquelles la médecine générale scientifique doit
refuser la suggestion de continuer à établir des diagnostics à un degré inférieur de certitude".
[22]
Pour pallier cette impossibilité d’établir des diagnostics à chaque consultation, Braun a introduit
le concept de résultat de consultation. Il désigne par ce terme quatre types d’états morbides
qui correspondent aux certitudes cliniques auxquelles le médecin aboutit en fin de séance :
- Le symptôme cardinal : des diarrhées ou céphalées sans autres constatations
caractéristiques seront nommées "diarrhées" ou "céphalées".
- Un syndrome ou association de symptômes : il permettra de désigner les situations où le
clinicien reconnaît une association de deux ou plusieurs symptômes ou signes
pathologiques qui expriment une perturbation physiopathologique sans avoir suffisamment
d'éléments pour identifier une cause pathogène ou un diagnostic nosologique de "maladie"
(exemple : abdomen douloureux aigu).
- Une maladie ou un tableau de maladie : le regroupement des signes cliniques ou
paracliniques est ici suffisamment caractéristique pour évoquer avec une probabilité
acceptable et justifiable une entité morbide correspondant à une "maladie" dans la
nosologie médicale, mais il y manque encore la confirmation étiologique pour avoir un
diagnostic de certitude (exemple : tableau de pneumonie bactérienne devant une fièvre
avec une toux, des crépitants localisés dans un champ pulmonaire précis et une opacité
systématisée à la radiographie pulmonaire mais sans confirmation bactériologique).
- Un diagnostic certifié et relié sans équivoque à un concept nosologique (exemple : un
ulcère gastroduodénal prouvé par la réalisation d’une fibroscopie) [89].
Ce dernier terme, et uniquement lui, correspond à la notion de diagnostic. Ainsi le médecin
généraliste aboutit en fin de séance à un symptôme isolé dans 26 % des cas, à un syndrome
dans 45% des cas, à un tableau de maladie dans 20% des cas et à un diagnostic certifié dans
seulement 9% des cas [20].
Discussion
Renoncer au diagnostic en médecine générale en se contentant de rester aux certitudes
cliniques n’est pas simple car pour un certain nombre de patients (et de médecins) "pouvoir
nommer la maladie, c'est déjà, dans l'esprit de beaucoup, pouvoir la maîtriser". [3] Cependant,
donner de façon trop précoce un diagnostic c’est risquer de nommer de façon erronée les
maladies et de ne pas gérer l’incertitude en abaissant sa vigilance. C’est aussi risquer
d’attribuer trop rapidement au patient une étiquette de maladie, étiquette qui peut s’avérer
fausse et être secondairement difficile à enlever [90]
Le médecin généraliste est confronté dans son exercice quotidien à plusieurs contraintes.
D'une part, il est face à des troubles de santé au stade précoce de leur évolution qui présentent
rarement le tableau complet d'une maladie, et d'autre part il a des moyens diagnostiques
limités, sans plateau technique. Enfin, il est amené à prendre des décisions dans un temps
court (18 minutes en moyenne). Pour ces raisons, il se trouve bien souvent, à l'issue de la
consultation, dans l'incapacité d'avoir une certitude sur l’étiologie de la situation et/ou son
évolution vers une maladie. Le praticien face à cette incertitude du diagnostic, s'expose alors
à deux écueils. Celui de réduire le diagnostic au seul motif de consultation et celui de poser
un diagnostic sans preuve. Pour éviter ces deux écueils et afin de prendre des décisions
adaptées, le médecin doit nommer précisément chaque tableau clinique qu'il prend en charge
et évaluer le risque inhérent à chacun. Ainsi accepter d’appeler "état fébrile" plutôt que
"syndrome grippal" un malaise général avec de la fièvre, et parfois des vomissements en
période hivernale, c’est "se donner les moyens sémantiques pour éviter la confusion entre les
effets et la cause, l'hypothèse et le diagnostic? [3] : cela permet de garder à l’esprit que c’est
en période d’épidémie de grippe que se dissimulent les méningites à méningocoques ou les
pneumonies à pneumocoques dont le tableau initial peut être tout à fait similaire. La plupart du
temps, en médecine générale, la recherche diagnostique doit s’interrompre à partir du moment
l’examen de routine a abouti à un résultat négatif. Le médecin restera dans l’expectative
(exemple d’une fièvre). Il laissera la situation diagnostique "ouverte" en fin de consultation pour
laisser éveillée sa vigilance [22]. Cette vigilance est aussi à avoir, lorsqu’un patient ressort
d’une hospitalisation avec un diagnostic "possible" ou "probable". Classer en diagnostic des
états morbides ne correspondant pas à un cadre nosologique certifié entraîne également une
grande disparité entre médecins dans leur façon de nommer les résultats de consultation,
comme l’a montré Logan [37]. De nombreuses classifications sont ainsi utilisées en médecine
générale et y sont plus ou moins adaptées. La première est la CISP (Classification
Internationale des Soins Primaires) [91]. Elle permet au médecin de coder trois éléments de
la consultation de médecine générale : les motifs de consultation du point de vue du patient,
les problèmes de santé diagnostiqués par le médecin et les procédures de soins réalisées ou
programmées. Cette classification contient près de 5000 items et paraît plus adaptée à une
démarche de recherche sur les différents temps de la consultation. La CIM, ou classification
internationale des maladies, est à l’origine une classification des causes de décès. C’est une
liste codant notamment les maladies, signes, symptômes, circonstances sociales et causes
externes de maladies ou de blessures, contenant 14 400 codes différents et permettant de
nombreux diagnostics. Elle n’est cependant pas adaptée aux soins primaires, car elle ne
permet pas de décrire certains états morbides fréquemment observés, et n’a pas de définition
des appellations, ce qui entraîne un risque d’interprétations différentes selon les utilisateurs
[48,92]. En 1985 a été élaboré par la SFMG, un dictionnaire des résultats de consultation : il
est constitué de 278 termes, recouvrant 95% des phénomènes pathologiques rencontrés par
un praticien généraliste dans son exercice. Il permet un transcodage avec la CIM10. Chaque
terme correspond à une des quatre positions diagnostiques décrites par Braun (symptôme,
syndrome, tableau de maladie, diagnostic certifié) et est défini avec des critères d’inclusion
obligatoires et discriminants. Cette nomenclature a aussi pour but d’aider le médecin à gérer
l’incertitude et le risque (voir fiche n°29 : Gestion du risque : Diagnostic Etiologique Critique)
[93]. Le principal inconvénient de cet outil est qu’il n’est pas international, contrairement à la
CISP qui est utilisée dans d’autres pays.
Illustration
Melle Z., 21 ans, consulte son médecin pour des selles liquides abondantes évoluant depuis
2 jours, et une perte d’appétit sans nausées ni vomissements. Il n’y a pas de glaires ou de
sang dans les selles, pas de fièvre. L’examen abdominal est sans particularité. Personne n’est
malade dans l’entourage. Le médecin a vu de nombreux tableaux de gastro-entérite ces
derniers temps dans sa consultation. Cependant l’interrogatoire et l’examen clinique ne
permettent pas ici de retenir une étiologie à ces diarrhées. Le médecin aura donc tout intérêt
à nommer son résultat de consultation "diarrhée" plutôt que "gastro-entérite". Cela lui
permettra de laisser le cas "ouvert", c'est-à-dire de ne pas l’enfermer définitivement dans une
case, attitude qui lui enlèverait alors toute vigilance. Il pourra ainsi s’enquérir à une prochaine
consultation de ce qu’est devenu ce symptôme.
Pour aller plus loin
Rosowski O. Le "Résultat de Consultation" selon R.N. Braun. Rev Prat Med Gen 1989 ; 72 :
127-31.
Skrabanek P, McCormick J. Diagnostics et étiquettes. In Idées folles, idées fausses en
médecine. Paris : Odile Jacob, 2002 : 206 p. (p. 81-116).
Concepts en médecine générale, tentative de rédaction d’un corpus théorique propre à la discipline. Thèse de médecine - 2013
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