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Session plénière
Jean-Jacques
Fresko
Rédacteur en chef de Terre Sauvage
Animateur du colloque
Pari tenu. Merci Henri-Luc Thibault. Comme
aurait dit Henri Kissinger « la Méditerranée,
quel est son numéro de téléphone ? ». Il disait
cela à propos de l’Europe, mais c’est un peu ce que
vous réclamez pour la Méditerranée. Charles-Fran-
çois Boudouresque, vous présidez le conseil scienti-
que du Parc national de Port-Cros. On a beaucoup
parlé d’échanges entre les diérents acteurs et les
diérentes aires protégées. Quels types d’échanges,
vous, en tant que scientique, entretenez-vous avec
vos homologues des autres espaces protégés? Est-
ce que vous avez, en attendant d’avoir un numéro
de téléphone commun, une vision partagée, un
consensus sur le rôle assigné aux espaces pro-
tégés ?
Charles-François
Boudouresque
Président du Conseil scientique du
Parc national de Port-Cros
La Méditerranée est caractérisée par un décit en
eau. Il y existe très peu de euves: le Rhône, le Pô,
le Nil qui ne se jette plus à la mer depuis le barrage
d’Assouan (et cela ne va pas s’arranger avec le futur bar-
rage du Soudan, qui va priver probablement d’eau toute
la vallée du Nil).
Avec l’évaporation,
le niveau de la Mé-
diterranée baisse-
rait d’un mètre tous
les ans. Heureuse-
ment, l’Atlantique
se déverse dans la Méditerranée, ainsi que la mer Noire,
et y apporte l’eau.
La Méditerranée est-elle une annexe de l’At-
lantique? On le croyait mais ce n’est pas le cas. La
Méditerranée est une mer caractérisée par un en-
démisme très fort. La mer d’Alboran constitue un
sas. Chaque fois que l’on travaille sur la génétique
de la Méditerranée, on s’aperçoit que les espèces
sont distinctes de leurs homologues atlantiques. On
a donc une diversité spécique très élevée et un
taux d’endémisme qui, au fur et à mesure que les
connaissances progressent, apparaît comme de
plus en plus important.
Il y a en Méditerranée peu d’apport en sel nutri-
tif. Je parle des nitrates, des phosphates qui sont néces-
saires pour le réseau trophique, pour les écosystèmes. Le
Rhône, l’Ebre et le Pô sont pratiquement les seuls grands
euves qui se jettent aujourd’hui dans la Méditerranée.
Heureusement, il en arrive par l’Atlantique et la mer
Noire. Par son oligotrophie, autrement dit sa pauvreté
en sel nutritif, la Méditerranée ressemble en quelque
sorte aux mers tropicales et c’est une des raisons pour
laquelle, elle abrite des écosystèmes très originaux. C’est
donc un «hot spot» de diversité spécique comme cela a
déjà été précisé. Selon les taxons, cela varie, mais il peut
y avoir, pour certains groupes (ce sera le cas des éponges
par exemple)
jusqu’à une espèce
sur cinq du monde,
alors qu’elle ne re-
présente même pas
un pour cent du
volume de l’océan
mondial.
La Méditerranée est également un «hot
spot» pour des écosystèmes originaux, c’est-à-
dire des écosystèmes qui n’existent nulle part ailleurs
dans le monde. L’un d’entre eux, il en a été question,
c’est l’herbier de Posidonie. Je parlerai aussi des
autres, le coralligène et les grottes sous-marines.
Ce sont les trois écosystèmes emblématiques qui
jouent un rôle économique, à la fois du point de vue
touristique et /ou du point de vue des services rendus
L’écosystème à Posidonie est qualié de miracle,
un peu comme le récif corallien. C’est-à-dire que c’est
une oasis de vie dans une mer extrêmement pauvre en
sel nutritif. Il s’agit de toute une technologie biologique,
de toute une batterie de mécanismes, que l’on a décou-
verte au cours des vingt dernières années, qui explique
ce miracle de l’herbier de Posidonie. Comment une telle
production, comment une telle biomasse, comment
une telle richesse d’espèces est possible dans une mer
si pauvre? C’est exactement la même chose dont il est
question, mais avec une technologie complètement dif-
« La Méditerranée est un hotspot
de diversité spécique pour des
écosystèmes originaux »