Propositions pour un programme de rééducation de l`amputé

Ann. Kinésithér., 1983, t. 10, nO 6, pp. 209-213
©Masson, Paris, 1983
Propositions pour un programme de rééducation
de l'amputé artéritique
Application de techniques d'investigation récente *
MÉMOIRE
J.-M. CASILLAS (1), 'J. ROUX (2)
(1) Interne des hôpitaux, (2) Médecin du Centre de Rééducation Fonctionnelle, 23, rue Gaffarel, F21034 Dijon Cedex.
Introduction
L'objectif principal de la rééducation de
l'artéritique amputé est de limiter le caractère
invalidant du handicap. Le terme d'amputation
est en effet resté très longtemps synonyme
d'échec: cette situation a persisté tant que,
délaissé par la médecine (4), l'amputé s'est
trouvé confronté aux seuls problèmes d'appareil-
lage, représentant alors la finalité même de la
thérapeutique (7).
Depuis ces quelques dernières années, le
problème s'est posé en des termes différents,
c'est-à-dire en envisageant l'avenir de l'amputé
artéritique non plus sous le seul angle de
l'appareillage, mais par un recours à la rééduca-
tion fonctionnelle, en particulier par un réentraî-
nement global à l'effort.
Les travaux relatifs à l'artérite oblitérante des
membres inférieurs ont montré l'apport considé-
rable de ce type de rééducation, en particulier
vis-à-vis des paramètres fonctionnels (périmètre
et vitesse de marche), et vis-à-visd'une améliora-
tion de l'oxygénation d'un ou plusieurs terri-
toires ischémiques.
Cependant, ces travaux s'adressent préféren-
tiellement aux artéritiques claudicants (1, 9) ; de
plus, l'interprétation des résultats reste contro-
versée. Enfin, les méthodes permettant une
*Ce travail a été couronné par le jury du Prix Médical pour
l'Amélioration de la Qualité de la Vie, année 1982 (Réadaptation
Fonctionnelle, Président: Pr. Sicard) ..
Tirés àpart: J. Roux, àl'adresse ci-dessus.
évaluation objective de l'efficacité des program-
mes de rééducation chez l'artétitique amputé
sont encore du domaine de la recherche.
Cette absence de codification des programmes
et des méthodes de surveillance est un souci
majeur, à la fois pour le rééducateur et pour le
patient, dont les facteurs de risque et la
pathologie associée en font un être vulnérable.
C'est pourquoi il nous est apparu important
de combler cette lacune en envisageant, non
seulement de mettre au point un programme
éducatif diversifié, mais aussi une évaluation
objective de l'efficacité des programmes proposés
à l'artéritique amputé.
Éliminant volontairement l'aspect somatique
et psychologique de la maladie, nous insisterons
sur les techniques et méthodes mises au point,
puis nous envisagerons quelques résultats relatifs
à l'étude envisagée.
Méthodes et techniques
LES MOYENS DE LA RÉÉDUCATION
Il est toujours difficiled'établir un programme
de rééducation rationnel tenant compte de la
notion d'individu et de la maladie considérée.
Afin de mettre au point un tel programme, nous
nous sommes posé deux questions :
- Faut-il rééduquer l'amputé artéritique unique-
ment en fonction de son handicap, et donc se
limiter au membre segmenté, ou faut-il envisager
une rééducation tenant compte de la totalité de
l'individu?
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- De même, la rééducation doit-elle représenter
un cadre thérapeutique rigide ou doit-elle tenir
compte de la diversité des individus?
- A partir de ces questions, et afin de ne négliger
. aucun des mécanismes théoriquement capables
d'améliorer le bien-être, les performances de nos
patients, et de limiter, dans la mesure du
possible, le degré d'évolution de la maladie, nous
avons conçu des programmes personnalisés,
faisant appel à l'ensemble de l'appareillocomo-
teur (système respiratoire, cardiocirculatoire,
musculaire ...).
1) Le réentraînement àl'effort
Ce type de travail est réalisé par deux
exerCIces:
a) Exercice des membres inférieurs: la
marche
Cet exercice classique représente le but
essentiel de ce type de réentraînement. De plus,
il présente un certain nombre d'avantages non
négligeables: il ne nécessite pas d'infrastructure
particulière, les résultats rapides ont un effet
stimulant pour le patient, les paramètres de la
marche sont facilement quantifiables.
En aucun cas nous n'avons utilisé la marche
sur tapis roulant, qui présente des contraintes
telles que son intérêt reste limité.
Par contre, nous avons réalisé quelques tests
sur bicyclette ergométrique chez des patients
amputés dejambe, laissant entrevoir des possibi-
lités rééducatives nouvelles.
b) Exercice des membres supérieurs: le cyclo-
ergomètre à bras
Cet exercice a été particulièrement développé
par J.-P. Didier et coll. (6), il permet de retenir
des paramètres aisément quantifiables. L'orien-
tation du travail peut être réalisée vers un effort
d'endurance ou de résistance. De même, on peut
noter l'effet favorable d'un tel réentraînement
chez des personnes qui devront utiliser diffé-
rentes aides techniques (cannes, appareil de
déambulation) au cours de la marche.
L'effet global est donc positif, mais limité chez
des sujets qui ont cessé toute activité physique
depuis très longtemps.
2) Mobilisation active
a) Au niveau des membres inférieurs
- Précédée de massages centripètes à visée
circulatoire, afin d'entraîner une vasodilatation
réflexe.
- Travail global suivi d'un certain nombre
d'exercices spécifiques mettant en jeu toutes les
articulations, en partant des hanches jusqu'aux
muscles intrinsèques du pied restant.
Les contractions sont réalisées en série, à un
rythme régulier (environ trente par minute),
jusqu'à la survenue d'une sensation de fatigue.
Un travail plus spécifique en poulie-thérapie
avec charges additionnelles modérées est prati-
qué quotidiennement. Au niveau du moignon,
chaque patient effectue un travail isométrique
en contraction des masses musculaires. Cet
exercice est réalisé de façon rythmique, entre-
coupé de temps de repos.
b) Au niveau des membres supérieurs
Quotidiennement, il est demandé à nos
patients un travail consistant en un lever de
charges additionnelles par un système de pou-
lies. La valeur des charges et le nombre de levers
sont fonction du temps de rééducation «post-
amputation ». Conjointement, chaque malade
effectueun travail avec haltères, dont les critères
varient selon les possibilités de chacun. De
même, un travail en chaînes cinétiques freinées
peut être associé dans le cas de muscles
déficitaires.
3) La kinésithérapie respiratoire
Cette tecJmique est utilisée depuis longtemps,
soit en vue d'améliorer la condition physique,
soit en tant que thérapeutique associée. Son rôle
essentiel est d'améliorer les performances des
muscles respiratoires, de redistribuer la ventila-
tion, d'améliorer l'emploi d'un échangeur pul-
monaire déficient, de corriger des asynergies
thorax-abdomen et de favoriser le drainage
postural (toux, expectorations dirigées, fluidifi-
cation des secrétions).
Ce type de kinésithérapie est effectuéen début
ou en fin de séance. Afin de proposer un
programme de réentraînement à l'effort adapté
à nos patients, nous avons développé un certain
nombre de techniques capables d'apprécier les
effets de la rééducation aux différents points
d'impact désirés.
TECHNIQUES D'ÉTUDE DES EFFETS
DE LA RÉÉDUCATION
1) Critères fonctionnels
a) Le périmètre de marche
Il représente le premier critère retenu lors de
la surveillance de l'artéritique. L'une des princi-
pales difficultés de mesure réside dans la cause
et l'intensité de la douleur, obligeant le patient
à s'arrêter. De nombreux facteurs interviennent:
la volonté du malade, l'état général, l'état du
membre restant, ainsi que la douleur secondaire
à un problème d'appareillage.
D'autre part, nous réalisons la mesure par
enregistrement télémétrique de l'activité élec-
trique du muscle vaste externe du membre non
amputé. Cette mesure, effectuée au cours de la
marche, permet d'évaluer avec précision le cycle
de marche.
b) Exercice des membres supérieurs: cyclo-
ergomètre à bras
Deux critères ont été retenus: résistance à
différentes puissances, endurance pour une
même puissance.
2) Critères cardio-circulatoires
a) Fréquence cardiaque et pression artérielle
La surveillance est effectuée selon le même
mode que chez les coronariens (3). Nous utili-
sons la dérivation habituelle MV5 pour l'enregis-
trement électrocardiographique.
b) Exploration artérielle par effet Doppler
L'index de pression bras-cheville est déter-
miné par vélocimétrie Doppler, avec mesure de
la pression systolique humérale, pédieuse et
tibiale postérieure, avant et après effort (8).
c) Mesure de la pression partielle d'oxygène
transcutanée
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Elle est mesurée grâce à un matériel radio-
meter TcM 200, au niveau du premier espace
intermétatarsien. Elle permet d'apprécier
l'oxygénation périphérique à l'aide d'une élec-
trode polarographique comportant un corps de
chauffe et un détecteur d'oxygène (2).
3) Critères bio-énergétiques
Au cours d'un exercice au cyclo-ergomètre à
bras, la mesure de la consommation d'oxygène
est effectuée par méthode directe grâce au
système oxycon II permettant l'obtention des
principaux paramètres respiratoires (débit, fré-
quence, V02, %O2, %CO2, R). Lors du test
de marche, nous utilisons le système des sacs
de Dougglas, dont le contenu est ens-iIiteanalysé.
4) Critères métaboliques
Afin d'objectiver un éventuel effet de la
rééducation sur le plan enzymatique, nous avons
entrepris de doser la quantité de protéine totale
et l'activité de certaines enzymes (lactate dés-
hydrogénase, malate déshydrogénase, créatine-
kinase et hexokinase) en début et en fin de
période de réhabilitation (5).
ApPLICATION PRATIQUE
Les malades sont admis dans le service de
rééducation dans un délai de dix àdouze jours
après amputation.
Chaque sujet subit un test d'effort par
semaine, en alternant épreuve de marche et
épreuve d'effort maximale au cyclo-ergomètre
à bras.
Lors du test de marche, le patient est tout
d'abord mis au repos pendant trente minutes.
Puis, après avoir satisfait aux divers examens
précités, il débute l'exercice à la vitesse dite
confortable de marche. Les critères d'arrêt sont
notés, de même l'analyse des critères cardio-
circulatoires et bio-énergétiques est effectuée.
Au cours du test d'effort au cyclo-ergomètre
(après un repos allongé de 30 mn), le patient
est invité à travailler à différentes puissances, la
fréquence est fixéeà50 tours/minute, les paliers
à une puissance donnée sont de 3 minutes. Les
mêmes paramètres précédants seront mesurés,
avant, pendant, et après l'épreuve d'effort.
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Résultats. Discussion
L'étude envisagée a porté sur 10patients, d'un
âge moyen égal à72 +3 ans, comprenant
8hommes et 2 femmes, dont 7 amputés dejambe
et 3 amputés de cuisse.
Tous ont été appareillés précocément dans le
service de chirurgie vasculaire, soit avec un
appareil de décharge, soit pour les amputés de
jambe, avec une prothèse provisoire «contact»
réalisée immédiatement lorsque l'état du moi-
gnon le permettait ou secondairement dans le
service de rééducation fonctionnelle, soit enfin,
pour les amputés de cuisse, avec une prothèse
classique à baudrier.
Sur le plan des possibilités fonctionnelles, on
peut d'emblée noter une amélioration indiscuta-
ble des paramètres retenus:
- Périmètre de marche:
il passe de 117 +26 m à 718 +150--
a< 0,001
- Vitesse de marche :
599 +110 m/h à1430 +237 m/h
a<0,001
- Fréquence du pas:
20 +3 pas/mn, contre 30 +3 pas/mn
a<0,001
De même, la puissance maximale tolérée au
cyclo-ergomètre à bras est significativement
augmentée, la consommation «maximale »
d'oxygène n'étant pas modifiée (0,519 +0,042
contre 0,474 +0,042 l/mn).
Au cours de la marche, la consommation
d'oxygène ne varie pas si elle est exprimée en
«Cal/kg/mn » (54,13 +9,12 à56,72 +6,25).
Par contre, lorsqu'elle est exprimée en
«Cal/kg/mètre parcouru », elle diminue signi-
ficativement (8,2 +2,6 à 3 +1,6Cal/kg/mètre,
0,001 <a<0,01). Le rendement énergétique
de la marche se trouve ainsi sensiblement
amélioré.
En ce qui concerne les critères cardiocircula-
toires, nous n'observons pas de modification
significative de la fréquence cardiaque, de la
tension artérielle et de l'index bras/cheville, ce
qui permet d'argumenter pour un effet plus
périphérique de l'exercice chez ce type de
patient.
La mesure de la pression en oxygène trans-
cutanée ne donne pas de différences significatives
au repos allongé (50 +4,9 contre 47,1
+6,1 mm Hg). Par contre, une diminution de
la TcPOz est mise en évidence au repos assis
avant effort (66,7 +3,3 à59,1 +3,4 mm Hg,
--
0,05 <a<0,01), et au repos allongé après
effort (59,7 +3 à 50,9 +4,9 mm Hg,
--
0,02 <a<0,01). Cette diminution associée à
l'augmentation du rendement énergétique de
la marche peut être expliquée par deux
hypothèses :
- Une nouvelle distribution de la circulation
périphérique au bénéfice des muscles et au
détriment du revêtement cutané.
- Une augmentation du coefficient d'extraction
tissulaire de l'oxygène par adaptation enzymati-
que.
Les critères métaboliques. retenus ne permet-
tent pas, àce jour, d'élucider les problèmes
posés; les résultats sont encourageants, mais
demandent confirmation. Seule l'augmentation
de la quantité de protéine (obtenue quatre fois
sur cinq) objective un effet de la rééducation sur
le plan biochimique.
Conclusion
Deux impératifs sont à respecter lorsque l'on
veut adapter un programme à l'amputé
artéritique :
- Précocité d'admission dans un centre de
réhabilitation spécialisé, entretenant des liens
étroits avec le service de chirurgie adresseur, afin
d'éviter d'aggraver le déconditionnement à
l'alitement.
- Rééducation progressive et personnalisée, ceci
grâce àla pratique hebdomadaire d'un test
d'effort àl'ergomètre àbras, et d'un test de
marche (plus en rapport avec l'exercice usuel
qu'aura à effectuer le patient).
Ces deux types d'exercice fixent ainsi la limite
supérieure du travail en aérobiose pour la
semaine. La surveillance constante des para-
mètres cardio-circulatoires doit rester une règle
chez ce type de patient. Le réentraînement ainsi
conçu comme moyen thérapeutique essentiel, en
association bien sûr à l'appareillage, aux traite-
ments médicamenteux, et à la prévention des
facteurs de risque, donne toutes leurs chances
àces personnes, de récupérer une autonomie
maximale: ceci étant confirmé par la mesure de
paramètres objectifs.
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