Madame Dominique Delomier Centre de recherches sur le français contemporain - EA 1483 - Paris III Courriel : [email protected] Les “fautes” des enfants!: exceptions du système intériorisé par l’enfant? Le contexte de production et le corpus (extrait de transcription en annexe). Trois enfants de GS d’une école maternelle de Paris (11), Aurélien 5;10, Iris 5;9 et Achille 5;3 (de gauche à droite sur la photo de l’affiche) ont été enregistrés et filmés par des étudiants du séminaire sur l’oral de M.-A. Morel (Paris III) en situation de “lecture d’images avec support”. C’est Iris qui est en charge de l’activité étudiée ici. En principe, elle aborde cet album pour la première fois, mais il faut tenir compte du fait qu’Achille vient d’effectuer ce même exercice quelques minutes auparavant. Iris connaît donc la trame générale de l’histoire, elle va l’interpréter à sa façon. C’est dans ce type de situation que se produit le plus grand nombre «!d’inventions verbales!». Les trois enfants ont une grande habitude de ce genre d’exercice et s’inscrivent d’emblée dans un discours narratif (Imp./PS), alors qu’habituellement, des enfants, en présence du support de l’album, ont massivement recours au langage descriptif. Ils prennent visiblement plaisir à l’activité, même si Iris paraît moins à l’aise. A plusieurs reprises, Aurélien (qui sait déjà lire et a, d’ailleurs, été admis en CP peu après l’enregistrement) la corrige, mais elle va au bout de son récit. Achille suit des yeux le support, puis est appelé à donner son avis sur le récit produit. La “gêne” d’Iris augmente au fur et à mesure de l’activité (elle se recroqueville, met ses mains devant sa bouche), sans doute du fait des corrections d’Aurélien et de l’attention d’Achille (buste et regard tournés vers le support). • Problématique Production de “fautes”, réaction verbale (correction explicite par un autre enfant notamment) ou non verbale sont autant de manifestations de l’état du système intériorisé par chaque enfant. Mais on observe que ces “fautes” affectent des “lieux d’exception” pour le système de la langue et cette affiche voudrait montrer qu’elles constituent des exceptions au regard du système intériorisé par chaque enfant. • Trois enfants!: trois systèmes intériorisés distincts. - Iris produit des formes non conformes à la norme. - Aurélien corrige certaines fautes seulement!: pourquoi? - Achille reprend une faute “omise” (?) par Aurélien et produit alors lui-même une «!invention verbale!», suivie immédiatement d’une autocorrection. • Sur quelles formes portent les erreurs d’Iris et les corrections d’Aurélien? Iris jeta faisaient recula venirent s’enfuya Aurélien jetèrent firent reculèrent • Système intériorisé par Aurélien. Aurélien est sensible aux fautes d’accord sg/pl et à l’emploi approprié des temps de ce que Bronckart (1985, 51) appelle «!narration!». On fait donc l’hypothèse qu’il ne reprend pas venirent car la forme lui paraît convenir dans le contexte du récit d’Iris. Le système intériorisé par Aurélien ne comporterait pas encore la forme correspondant à la norme, mais comme la désinence utilisée par Iris -irent est formellement adaptée au contexte syntaxique et énonciatif qu’elle construit, Aurélien ne la reprend donc pas. Ce sont à la fois les corrections qu’il propose et cette absence de reprise qui manifestent l’état du système qu’il a intériorisé. En effet, seule cette forme est considérée comme une exception au regard du fonctionnement du système de la langue. Toutes les autres corrections du garçonnet portent sur des formes régulières. • Système intériorisé par Iris. Par contre, au regard du système intériorisé par Iris l’absence de variation au pluriel constitue la norme, sa norme, comme c’est le cas très largement au présent et à l’imparfait. De ce point de vue, seule venirent serait interprétable comme une exception. A-elle intégré le “format” irrégulier du verbe venir? Acquière-t-elle au cours de l’échange, grâce aux corrections d’Aurélien, une nouvelle connaissance, qui reste complètement épilinguistique mais qui lui permet de construire cette forme? Notre corpus ne permet pas de trancher. • Les corrections? Comment s’effectuent-elles? Que nous apprennent-elles? On observe: - que deux secondes en moyenne séparent la production de la forme par Iris et la réaction d’Aurélien = temps de calcul du sens et de production de la forme substitutive. - que les corrections d’Aurélien sont associées à une gestuelle répétitive qui s’inscrit dans les propositions d’interprétation de D. Bouvet (2001) que nous ajoutons entre parenthèses: avance la main droite vers Iris qui est à sa gauche, redresse le buste (signe de refus) et la tête (signe d’adjonction) puis sa main revient sous son menton comme pour souligner sa position. • L’hésitation d’Achille révèle le système qu’il a intériorisé. s’enfuirent parce que s’enfuyaient ça veudrait ça veut rien dire. Achille a réagi de façon non verbale à plusieurs reprises au moment des corrections d’Aurélien (regard vers les adultes, vers le support et vers son camarade) mais n’a pas interrompu la production d’Iris. Il reprend la dernière forme verbale, qu’Aurélien avait négligé s’enfuya, et suggère à la place la forme normée s’enfuirent, mais la justification proposée déplace la correction sur un autre plan, celui de la narration et non de l’accord sg./pl. Ce faisant, en construisant le conditionnel du verbe vouloir pour son commentaire, il se heurte à une forme irrégulière, une exception dans le système de la langue. Son auto-correction ça veudrait, corrigé en ça veut, manifeste cette perception de la non adéquation entre la forme émise et la forme visée, qu’il connaît probablement vaguement, mais qui n’est pas encore stabilisée dans son système intériorisé, puisqu’il n’est pas sûr de sa production. • Conclusion: Les fautes des enfants nous renseignent sur le système qu’ils ont intériorisé mais se produisent précisément sur les formes que le système de la langue considère comme exceptionnelles: les emplois du passé simple, temps réservé à la narration, à l’écrit, ceux du conditionnel de verbes irréguliers (vouloir), par exemple. Si on adopte le point de vue de l’enfant, l’exception pour lui, ce sont donc les formes irrégulières au regard du système qu’il a intériorisé au moment de la production verbale. Elle varie donc d’un enfant à l’autre et, pour chaque enfant, d’étape en étape au fur-et-à-mesure de la stabilisation de son système. • Bibliographie: D. Bouvet, 2001, La dimension corporelle de la parole, Peters, Paris. P. Bronckart, 1985, Le fonctionnement des discours, Delachaux-Niestlé, Genève. • Annexe: extrait de corpus. Iris raconte Papa loup avec Aurélien et Achille Iris1 : il était une fois trois petits loups qui voulaient faire peur à un petit écureuil et aussi i(l) jeta des des boules de neige sur l’oiseau Aurélien1 : jetèrent jetèrent Iris2 : et ils ils faisaient peur au lapin Aurélien2 : firent Iris3 : et soudain i(ls) i(ls) zavaient vu une ombre étrange i(ls) zavaient peur et i(l) i(l) recula Aurélien3 : i(ls) reculèrent Iris4 : e i(il) s’enfuya et c’était l’ombre de papaloup et papa loup s’assoit et et ses enfants e: venirent sur ses bras et après i(l) i(l) le le petit loup donna des noisettes à l’écureuil et l’autre petit loup donna des des des graines pour oiseau et l’autre petit loup pour des des carottes au lapin fini! Etudiante : les garçons, vous voulez rajouter quelque chose? Achille : oui,,, (h) s'enfuirent pa parce que s'enfuyaient ça veudrait ça veut rien dire {90 cs} doncque::::