Iris -irent est formellement adaptée au contexte syntaxique et énonciatif qu’elle construit, Aurélien
ne la reprend donc pas. Ce sont à la fois les corrections qu’il propose et cette absence de reprise qui
manifestent l’état du système qu’il a intériorisé. En effet, seule cette forme est considérée comme
une exception au regard du fonctionnement du système de la langue. Toutes les autres corrections
du garçonnet portent sur des formes régulières.
• Système intériorisé par Iris.
Par contre, au regard du système intériorisé par Iris l’absence de variation au pluriel constitue la
norme, sa norme, comme c’est le cas très largement au présent et à l’imparfait. De ce point de vue,
seule venirent serait interprétable comme une exception. A-elle intégré le “format” irrégulier du
verbe venir? Acquière-t-elle au cours de l’échange, grâce aux corrections d’Aurélien, une nouvelle
connaissance, qui reste complètement épilinguistique mais qui lui permet de construire cette forme?
Notre corpus ne permet pas de trancher.
• Les corrections? Comment s’effectuent-elles? Que nous apprennent-elles?
On observe:
- que deux secondes en moyenne séparent la production de la forme par Iris et la réaction
d’Aurélien = temps de calcul du sens et de production de la forme substitutive.
- que les corrections d’Aurélien sont associées à une gestuelle répétitive qui s’inscrit dans les
propositions d’interprétation de D. Bouvet (2001) que nous ajoutons entre parenthèses: avance la
main droite vers Iris qui est à sa gauche, redresse le buste (signe de refus) et la tête (signe
d’adjonction) puis sa main revient sous son menton comme pour souligner sa position.
• L’hésitation d’Achille révèle le système qu’il a intériorisé.
s’enfuirent parce que s’enfuyaient ça veudrait ça veut rien dire.
Achille a réagi de façon non verbale à plusieurs reprises au moment des corrections d’Aurélien
(regard vers les adultes, vers le support et vers son camarade) mais n’a pas interrompu la production
d’Iris. Il reprend la dernière forme verbale, qu’Aurélien avait négligé s’enfuya, et suggère à la place
la forme normée s’enfuirent, mais la justification proposée déplace la correction sur un autre plan,
celui de la narration et non de l’accord sg./pl.
Ce faisant, en construisant le conditionnel du verbe vouloir pour son commentaire, il se heurte à une
forme irrégulière, une exception dans le système de la langue. Son auto-correction ça veudrait,
corrigé en ça veut, manifeste cette perception de la non adéquation entre la forme émise et la forme
visée, qu’il connaît probablement vaguement, mais qui n’est pas encore stabilisée dans son système
intériorisé, puisqu’il n’est pas sûr de sa production.
• Conclusion:
Les fautes des enfants nous renseignent sur le système qu’ils ont intériorisé mais se produisent
précisément sur les formes que le système de la langue considère comme exceptionnelles: les
emplois du passé simple, temps réservé à la narration, à l’écrit, ceux du conditionnel de verbes
irréguliers (vouloir), par exemple.
Si on adopte le point de vue de l’enfant, l’exception pour lui, ce sont donc les formes irrégulières au
regard du système qu’il a intériorisé au moment de la production verbale. Elle varie donc d’un
enfant à l’autre et, pour chaque enfant, d’étape en étape au fur-et-à-mesure de la stabilisation de son
système.
• Bibliographie:
D. Bouvet, 2001, La dimension corporelle de la parole, Peters, Paris.
P. Bronckart, 1985, Le fonctionnement des discours, Delachaux-Niestlé, Genève.
• Annexe: extrait de corpus. Iris raconte Papa loup avec Aurélien et Achille
Iris1 : il était une fois trois petits loups qui voulaient faire peur à un petit écureuil et aussi i(l) jeta
des des boules de neige sur l’oiseau
Aurélien1 : jetèrent jetèrent