48 - l’ASTRONOMIE – Avril 2011
OBSERVER LE CIEL
motivés. La campagne fut un succès.
Plusieurs cordes de Kleopatra furent obte-
nues. Cependant deux observateurs isolés,
se trouvant à plus de 475 km de la ligne de
centralité mais situés très près l'un de
l'autre, enregistrèrent simultanément une
extinction de l'étoile cible d’une durée de
près d’une seconde. Il ne fut pas prêté
grande attention à ce phénomène secon-
daire et l'observation fut consignée et ran-
gée dans les archives de ces phénomènes.
Cependant, en septembre 2008, nous
découvrions sur le grand télescope de 10m
du Keck deux petites lunes en orbite autour
de Kleopatra (figure 5). De plus, pour la pre-
mière fois Kleopatra se montrait tel que les
échos radar du grand radiotélescope
d'Arecibo à Porto Rico l'avaient révélé en
2000, sous la forme d'un grand os de chien.
La détermination de l'orbite de ses satellites
nous permit, en faisant tourner la machine à
remonter le temps 30 ans en arrière, de
démontrer que le petit phénomène de
moins d'une seconde détecté par nos deux
observateurs provenait bel et bien de
l'occultation de l'étoile par le satellite le plus
externe de Kleopatra.
Le cas particulier de (90) Antiope
Figurant parmi les objets les plus étonnants
du Système solaire, Antiope est connu
depuis l’an 2000 comme un système asté-
roïdal double synchrone très serré. Ses
deux composantes, d'une taille de 90 km
chacune, jumelles l’une de l’autre, sont
séparées tout au plus de 170 km et tour-
nent l’une autour de l’autre en un peu plus
de 16 heures dans un ballet parfaitement
réglé. Il est curieux que le caractère double
de cet astéroïde n’ait pas été révélé plus tôt
par une occultation stellaire. Signalons
qu’Antiope avait également été observé en
photométrie en décembre 1996 alors que
le système se présentait par la tranche sous
un aspect favorable à faire naître des phé-
nomènes mutuels de nature à engendrer
des variations très fortes d’éclat pouvant
atteindre une magnitude. Il ne suscita pas
cependant davantage de curiosité ni de
mobilisation. Il faut remarquer qu’à cette
époque aucun satellite d’astéroïde n’avait
encore été découvert (2) et que les objets
ayant une courbe de lumière à très forte
amplitude étaient simplement considérés
comme étant de forme très allongée.
Le 2 janvier 2008, Antiope occulta l’étoile
Tycho 189501450. À nouveau, l’observation
se déroula au Japon et mobilisa 23 obser-
vateurs. Il fut réalisé 7 observations posi-
tives de l’une des composantes et une
seule de sa sœur jumelle (figure 6). Ceci
était néanmoins suffisant pour souligner la
duplicité de l’astéroïde. La prédiction de
l’IMCCE des positions relatives s’avéra très
proche de la position réelle.
Cette observation est très intéressante car
elle permet de valider à la fois les modèles
de forme et de taille des composantes du
système qui ont pu être déduits de ses phé-
nomènes mutuels de 2005. Rappelons que
l’analyse de ces phénomènes avait permis de
montrer que les figures prises par les compo-
santes s’apparentaient de manière éton-
nante et inattendue à celles prises par des
masses fluides en équilibre hydrostatique qui
auraient parfaitement synchronisé leurs
périodes de rotation propre avec leur
période de révolution (3). Ces figures théo-
riques ont été pour la première fois obtenues
mathématiquement en 1849 par Édouard
Roche. La figure 7 superpose les figures théo-
riques du système aux cordes observées.
Une future observation pour confir-
mer un cratère géant sur Antiope
Parmi les caractéristiques les plus éton-
nantes de ce système double, l’une des
plus troublantes pourrait être celle de
l’existence supposée d’un cratère d’impact
géant, d’environ 67 km de diamètre, à la
surface de l’une des composantes.
Comment en est-on venu à une telle idée ?
L’observation photométrique révéla à de
multiples reprises des anomalies par rap-
port à ce à quoi l’on pourrait s’attendre
dans le cas d’objets ayant des formes quasi
sphériques Il fut impossible d’expliquer de
tels écarts autrement qu’en ayant recours à
un gigantesque cratère pouvant occasion-
ner les variations anormales d’éclat du sys-
tème lorsqu’il est en éclipse mutuelle. Ce
serait alors l’un des cratères les plus impo-
66.. CCoorrddeess oobbsseerrvvééeess lloorrss ddee ll’’ooccccuullttaattiioonn
sstteellllaaiirree ppaarr llee ssyyssttèèmmee ddoouubbllee ddee ((9900))
AAnnttiiooppee.. Les lignes pointillées indiquent
des observations négatives. La croix
indique la position relative théorique de
la seconde composante par rapport à la
première. Les ellipses d’ajustement
résultantes sont également figurées.
77.. CCoommppaarraaiissoonn avec les modèles en
forme d’ellipsoïde de Roche des compo-
santes d’Antiope
2. Le premier satellite a été découvert en 1998
autour de l’astéroïde (45) Eugenia.
3. Voir l’Astronomie, 121, p. 214-218 sur les
figures de Roche dans les systèmes astéroïdaux
doubles.
OCCULTATIONS STELLAIRES
par les satellites d’astéroïdes
55.. IImmaaggee dduu ssyyssttèèmmee ddee ll’’aassttéérrooïïddee
((221166)) KKlleeooppaattrraa ffaaiittee ssuurr llee ttéélleessccooppee
ddee 1100mm ddee ll’’oobbsseerrvvaattooiirree KKeecckk llee 1199
sseepptteemmbbrree 22000088. Deux petites lunes
apparaissent dans la partie supérieure
droite de l’image après surexposition de
l’objet central. En médaillon, vue de
Kleopatra au même instant. La taille du
médaillon est d’environ 0,3 seconde
d’arc.