Rééducation des accidentés vasculaires cérébraux. Bilan et prise

Rééducation des accidentés vasculaires
cérébraux. Bilan et prise en charge
JC Daviet
PJ Dudognon
JY Salle
M Munoz
JP Lissandre
I Rebeyrotte
MJ Borie
Résumé. Plusieurs indices semblent indiquer que la stratégie de prise en charge des accidentés vasculaires
cérébraux est en cours d’évolution en France.
Sur le plan conceptuel, une prise de conscience se fait jour sur la nécessité d’une prise en charge qui, dès le stade
aigu, prend en compte, au-delà de l’enquête étiopathogénique, des mesures thérapeutiques d’urgence et du
dépistage des complications initiales, les conséquences fonctionnelles et psychosociales de cette pathologie,
soulignant ainsi l’intérêt d’une rééducation précoce.
Sur le plan de l’organisation des soins, la très grande majorité des études a montré que le système le plus
efficace pour réduire la mortalité et diminuer la morbidité était l’admission dans les plus brefs délais dans une
structure de soins organisée en unité d’urgence neurovasculaire relayée à partir du 8
e
-15
e
jour par une unité
de rééducation spécialisée. Un tel dispositif en filière de soins peut être développé dans le contexte spécifique
de l’organisation hospitalière française.
Sur le plan du fonctionnement, les meilleurs résultats en termes de qualité de récupération fonctionnelle, de
prévalence du retour à domicile et de durée moyenne d’hospitalisation sont obtenus par la prise en charge par
une équipe regroupant, autour du médecin référent, des soignants et des rééducateurs impliqués dans un
programme thérapeutique qu’ils élaborent avec la participation du malade et de sa famille.
Sur le plan de la rigueur méthodologique, des progrès sensibles ont été accomplis dans le domaine de la
recherche clinique en rééducation. Les études avec groupe témoin et en simple aveugle deviennent plus
nombreuses. Le souci d’évaluation clinique rigoureuse apparaît dans la multiplication des échelles de
déficiences, incapacités, handicaps et qualité de vie dont nous avons donné quelques exemples.
Sur le plan thérapeutique, les tentatives et les apports récents sont nombreux : techniques d’évaluation et de
rééducation des troubles de la déglutition, des troubles mictionnels ; techniques de remise en charge et de
rééducation de la marche par un système d’allègement du poid du corps par suspension par un harnais couplé à
un tapis roulant ou à un matériel d’assistance à la marche ; techniques de traitement de la spasticité, soit par
injections locales de toxine botulique, soit par administration intrathécale de baclofène ; techniques de
réentraînement à l’effort après avoir apprécié l’aptitude à l’effort de chaque malade ; techniques palliatives de
communication avec la Promoting Aphasic’s Communicative Effectiveness (PACE) ; nombreuses tentatives de
rééducation de l’héminégligence. Toutes ces approches thérapeutiques innovantes sont prometteuses mais il est
nécessaire, au moins pour certaines d’entre elles, de mieux situer leur place par rapport aux techniques et
traitements classiques, de mieux préciser à quels patients elles doivent être réservées et à quel stade de
l’évolution elles doivent être préconisées.
Toutes ces évolutions favorables tendent vers un objectif global de compensation du handicap et de
promotion d’une qualité de vie aussi acceptable que possible. Elles invitent à substituer à la mentalité
défaitiste qui a longtemps prévalu à l’égard des accidentés vasculaires cérébraux le dynamisme, mais aussi le
réalisme des spécialistes de la rééducation. Elles confirment, s’il le fallait, que la rééducation des accidentés
vasculaires cérébraux est une rééducation spécialisée, complexe et difficile, et que l’on ne peut plus considérer
ces malades comme relevant d’une rééducation généraliste élémentaire.
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Mots-clés : accident vasculaire cérébral, hémiplégie vasculaire, rééducation des AVC, réadaptation des AVC.
Introduction
Parmi les accidents vasculaires cérébraux
(AVC), la rééducation et la réadaptation ne
prennent en charge que les accidents
constitués définis par la survenue rapide de
symptômes persistant au-delà de la
24
e
heure. Ils réalisent des tableaux cliniques
d’une grande diversité en fonction de leur
mécanisme, de leur étiologie et de leur
topographie. Deux catégories d’AVC
constitués sont individualisées :
AVC ischémique par infarctus cérébral
dans un territoire artériel : mécanisme le
plus fréquent, représentant 80 % des cas.
L’origine thromboembolique est la plus
habituelle ;
AVC hémorragique, moins fréquent, avec
20 % des cas, par hémorragie spontanée,
conséquence de l’artériopathie ou de la
rupture d’un anévrisme ou d’une
malformation artérioveineuse.
L’AVC est une cause majeure de décès et de
dépendance. C’est la troisième cause de
décès après les cancers et les affections
cardiovasculaires dans les pays industrialisés
et un tiers des survivants gardent des
séquelles neurologiques majeures. En
France, l’incidence se situe aux alentours de
145/100 000 habitants par an et augmente
Jean-Christophe Daviet : Chef de clinique-assistant.
Pierre-Jean Dudognon : Professeur des Universités, praticien
hospitalier.
Jean-Yves Salle : Professeur des Universités, praticien hospitalier.
Marguerite Munoz : Praticien hospitalier.
Jean-Pierre Lissandre : Orthophoniste.
Isabelle Rebeyrotte : Chef de clinique-assistant.
Marie-Joëlle Borie : Interne des hôpitaux.
Département de médecine physique et de réadaptation, centre
hospitalier universitaire, hôpital Jean Rebeyrol, avenue du Buisson,
87042 Limoges cedex, France.
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 26-455-A-10
26-455-A-10
Toute référence à cet article doit porter la mention : Daviet JC, Dudognon PJ, Salle JY, Munoz M, Lissandre JP, Rebeyrotte I et Borie MJ. Rééducation des accidentés vasculaires cérébraux. Bilan et prise en charge. Encycl Méd Chir
(Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation, 26-455-A-10, 2002, 24 p.
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de façon exponentielle avec l’âge, pour
passer de 238/100 000 entre 45 et 84 ans à
1 300/100 000 après 84 ans. Ces dernières
années, on constate une diminution du
nombre des AVC hémorragiques
(certainement par une meilleure prise en
charge de l’hypertension artérielle [HTA]) et
une augmentation de celui des AVC
ischémiques d’origine cardioembolique chez
les personnes de plus de 75 ans
(probablement par une meilleure survie de
celles atteintes de cardiopathie ischémique).
Le taux de décès est de 20 à 30 % dans le
premier mois
[73]
.
Chaque tableau clinique réalisé associe de
multiples déficiences qui interagissent entre
elles, ont leurs propres complications dont
certaines risquent d’engager le pronostic
vital et d’autres de compromettre le
pronostic fonctionnel. Pour essayer de
diminuer la fréquence des décès et de
réduire le poids de la dépendance,
l’organisation de la prise en charge des AVC,
au-delà des gestes réalisés en urgence, doit
prendre en compte les quelques
recommandations que nous formulons et qui
sont inspirées, pour certaines, du mode de
fonctionnement des unités de rééducation
des AVC au sein des services de médecine
physique et de réadaptation : reconnaissance
d’une unité ou d’un secteur d’urgences
neurovasculaires dans les structures
hospitalières aptes à prendre en charge les
AVC ; équipe de soins à la fois médicale et
paramédicale, animée d’une dynamique
interdisciplinaire intégrant dès la phase
initiale de la prise en charge les compétences
des urgentistes, des neurologues, des
neurochirurgiens, des réanimateurs, des
cardiologues et angiologues, des spécialistes
de la rééducation et se réunissant une à deux
fois par semaine afin de définir ou de
réajuster les programmes de soins
[58, 61, 111]
;
élaboration et utilisation d’un dossier AVC
commun à l’ensemble des intervenants et
comportant des échelles d’évaluation dont
l’intérêt est de permettre un suivi plus
objectif de l’évolution, d’aider à l’orientation
du malade à partir de cette unité
neurovasculaire et de faciliter les
comparaisons entre différents groupes de
malades ; rencontres avec la famille ou les
proches dont le rôle est déterminant pour
envisager et préparer le plus tôt possible le
retour au domicile
[58, 61]
.
Le premier bilan de rééducation, quant à lui,
doit être fait dès la phase initiale, peu après
les premières mesures d’urgence, dans les
24-48 premières heures. Il est répété en fin
de première semaine ou au début de la
deuxième semaine, lorsque l’état du malade
commence à se stabiliser. Ces bilans doivent
évaluer les déficiences, recueillir les facteurs
précoces du pronostic fonctionnel, préciser
la conduite de la rééducation
[98]
et aider à
l’orientation des malades, soit vers une unité
de rééducation des AVC, soit vers d’autres
filières de soins
[28]
.
Bilan
Nous prenons pour type de description une
hémiplégie de gravité intermédiaire.
BILAN DES DÉFICIENCES
Déficiences motrices
Ce sont les déficiences les plus apparentes
de l’hémiplégique car elles limitent ou
empêchent toute possibilité d’exécuter un
mouvement volontaire. La complexité de
leur analyse découle de la complexité du
contrôle moteur et de son dérèglement.
Classiquement, on décrit séparément trois
troubles élémentaires : le déficit moteur ou
déficit de la commande, l’hypertonie
pyramidale ou spasticité, les syncinésies ou
cocontractions auxquelles il faut ajouter les
modifications musculaires telles que
l’hypoextensibilité et les rétractions. En fait,
c’est de leur intrication que résulte la
motricité de l’hémiplégique. Aussi nous
paraît-il plus proche de la réalité clinique
d’essayer de les objectiver et de les évaluer
au cours des deux temps successifs de
l’examen moteur : examen de la mobilité
passive, examen des mouvements actifs.
Mobilisation passive
Elle a un double but : rechercher des
limitations d’amplitude articulaire et
objectiver les troubles du tonus.
Limitations d’amplitude articulaire
Elles tendent à s’installer très précocement,
sitôt après l’ictus. Elles résultent des
rétractions musculaires favorisées par
l’immobilisation due à la paralysie de
l’hémicorps atteint et aux conditions de prise
en charge initiale qui privilégient dans les
premières heures l’urgence diagnostique et
thérapeutique. L’expérimentation animale
montre qu’une fois installées, ces rétractions
et le raccourcissement musculaire qui en
résulte augmentent la sensibilité des fuseaux
neuromusculaires. L’expérience clinique
courante chez l’homme démontre que ces
rétractions participent à la survenue retardée
de la spasticité. Afin de réduire ce risque, la
prise en charge de rééducation doit être
aussi précoce que possible afin de réaliser
une mobilisation lente et douce n’exerçant
pas d’étirements excessifs sur des fibres
musculaires rétractées, ce qui risquerait
d’augmenter le réflexe d’étirement et
d’installer un véritable cercle vicieux.
Spasticité
Ce terme est ancien, utilisé depuis plus d’un
siècle. Sa définition est pourtant récente : il
s’agit d’un « trouble moteur caractérisé par
une augmentation, vitesse-dépendante, du
réflexe tonique d’étirement (tonus
musculaire), avec exagération des réflexes
ostéotendineux... »
[68]
.
Lorsque l’on étire un muscle par une
mobilisation passive segmentaire dans une
direction opposée à celle de son action
physiologique, on provoque une contraction
réflexe dont l’exagération définit la
spasticité. En pratique, celle-ci se traduit par
une résistance à l’étirement dont l’intensité
croît avec la vitesse de mobilisation. Il existe
une vitesse seuil au-dessous de laquelle le
réflexe d’étirement n’apparaît pas, propriété
qui est mise à profit à la fois pour déceler,
prévenir et réduire les rétractions par une
mobilisation passive lente sans risquer
d’accroître la spasticité.
Pour certains auteurs, les autres types
d’hyperactivité musculaire, notamment les
syncinésies que nous reverrons plus loin et
la dystonie spastique ont un impact plus
important que la spasticité sur le
mouvement volontaire et sur les capacités
fonctionnelles. La dystonie spastique, selon
Denny-Brown, est une contraction
musculaire permanente en l’absence
d’étirement phasique ou d’effort volontaire
qui retentit sur la posture et favorise les
rétractions musculaires, les limitations
d’amplitude articulaire et les déforma-
tions
[35, 50]
.
Même si son retentissement fonctionnel est
difficile à cerner et à mesurer, il semble
raisonnable d’évaluer la spasticité car elle
est la seule manifestation vraiment
quantifiable de l’hyperactivité musculaire.
En outre, les échelles de spasticité
permettent d’évaluer l’efficacité des
traitements antispastiques.
L’échelle d’évaluation la plus habituellement
utilisée est l’échelle d’Ashworth. Cette
échelle n’a jamais été validée statisti-
quement. Une variante, l’échelle d’Ashworth
modifiée
[12]
, a été validée uniquement pour
sa reproductibilité interévaluateur pour le
biceps brachial (tableau I). Malheureusement,
ces deux échelles évaluent un mélange de
spasticité et de raccourcissement musculaire.
Le seul grade non entaché d’erreur est le
grade 1. L’évaluation des grades2à4(et
surtout des grades 3 et 4) est purement
subjective. En outre, elle ne fait aucune
référence à la vitesse d’étirement.
L’échelle de Tardieu, reprise par Held et
Pierrot-Deseilligny, a le mérite de fixer des
conditions d’examen reproductibles afin de
prendre en compte les facteurs de variation
du réflexe d’étirement : moment de la
journée, température ambiante, position
générale du patient, position segmentaire et
surtout vitesse d’étirement. Elle propose
trois vitesses d’étirement, en particulier une
vitesse lente (V1) qui permet de détecter les
rétractions, et une vitesse moyenne (V2) qui
correspond à la chute d’un segment de
membre paralysé sous l’action de la
pesanteur. L’intensité est cotée, d’une part
en fonction de la résistance à l’étirement
avec quatre grades de1à4bien différenciés
et bien repérables de façon objective, et
d’autre part, en fonction de l’angle de course
articulaire à partir duquel apparaît cette
résistance (cf infra)
[50, 55]
. Sa reproductibilité
inter- et intraévaluateur est en cours d’étude
(Gracies).
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L’influence de la position segmentaire est
exploitée en rééducation et le thérapeute
doit rechercher les positions qui inhibent la
spasticité (postures d’inhibition) afin de
freiner le moins possible l’expression de la
motricité volontaire.
Au membre supérieur, la spasticité
prédomine habituellement sur les
fléchisseurs, adducteurs et rotateurs internes,
mais intéresse parfois les extenseurs du
coude. Au membre inférieur, elle prédomine
sur les extenseurs, mais intéresse parfois les
fléchisseurs du genou.
Examen de la motricité active
Le mouvement actif est en réalité la
résultante de la paralysie ou déficit de la
commande, des cocontractions ou
syncinésies, mais également du
raccourcissement musculaire et de la
spasticité que nous venons de voir.
Chez l’hémiplégique, à la fois l’intention-
nalité et la régulation automatique du
mouvement ne pouvant plus s’exprimer, la
motricité perd sa capacité adaptative, sa
flexibilité pour devenir stéréotypée,
désorganisée, archaïque, dépourvue de toute
fonctionnalité.
La réponse à l’ordre du malade est une
motricité essentiellement involontaire faite
de cocontractions inefficaces fonctionnel-
lement, et qui remplacent les synergies
physiologiques. La cocontraction est une
hyperactivité anormale du muscle
antagoniste qui survient au cours de l’effort
volontaire de l’agoniste, même en l’absence
d’étirement, et qui perturbe gravement le
mouvement
[51]
. Une observation attentive
permet de dépister leur diffusion à
l’ensemble d’un membre, voire d’un
hémicorps, et de repérer les muscles
concernés : le plus souvent, ce sont des
syncinésies de coordination et les schémas
syncinétiques se font en flexion au membre
supérieur et en extension au membre
inférieur (néanmoins, la sollicitation
excessive des ischiojambiers peut évoquer
un schéma en flexion). L’amélioration de la
motricité de l’hémiplégique passe par la
tentative de contrôle volontaire de ces
syncinésies involontaires qui, en outre, sont
le plus souvent inconscientes.
L’examen analytique de la commande va se
faire sur la capacité du patient à effectuer un
mouvement en dehors de toute finalité
fonctionnelle, tout en sachant que les autres
perturbations de la motricité vont interférer.
L’examen recherche toute possibilité de
mouvement actif dont on apprécie
l’amplitude, la production contre la gravité
ou contre une résistance supérieure à celle-
ci. Il est nécessaire de varier les positions
corporelles et segmentaires du malade afin
de faciliter la contraction du groupe
musculaire évalué et l’ébauche de
mouvement. Il est utile, soit de faire exécuter
préalablement le mouvement demandé du
côté sain, soit de le mimer. Compte tenu de
la représentation somatotopique de la
motricité au niveau du cortex cérébral, le
déficit est d’autant plus marqué que le
territoire corporel est plus distal et que son
activité motrice est plus fine et précise, plus
soumise au contrôle de la volonté. Dans le
cas d’une hémiplégie par infarctus dans le
territoire sylvien superficiel, le déficit
prédomine en brachiofacial, notamment à la
main.
Nous donnons quelques exemples de cette
recherche de mouvement. D’une façon
générale, on sollicite d’abord les muscles
proximaux dont le fonctionnement se fait de
façon plus synergique avec l’homologue
controlatéral et le réflexe d’étirement est plus
atténué. C’est ainsi qu’au membre inférieur,
le malade étant en décubitus dorsal, genoux
fléchis, on demande l’exécution du pont-
bustier, c’est-à-dire le soulèvement des fesses
grâce à un double appui sur les pieds et sur
le dos. Cet exercice a également l’avantage
d’apprécier la stabilité du bassin et de
détecter une éventuelle syncinésie en
extension du côté déficitaire se traduisant
par une véritable glissade de ce membre sur
la table d’examen (en général, le plan
« Bobath »).
En distal, la dorsiflexion volontaire du pied
est en général impossible genou tendu et
n’est obtenue que dans un schéma
syncinétique avec flexion de hanche et de
genou.
Au membre supérieur, il est essentiel
d’apprécier la qualité de fixation de
l’articulation scapulothoracique,
indispensable à l’activité de transport du
membre examiné, successivement en
décubitus latéral et en station assise, en
demandant au patient d’essayer de
maintenir l’élévation antérieure, puis
l’élévation latérale.
En distal, au poignet et à la main, les
anomalies sont maximales au cours de
l’hémiplégie sylvienne : déficit majeur des
agonistes ; spasticité et syncinésies des
antagonistes ; mouvement, soit nul, soit
global, en flexion du poignet avec
enroulement hypertonique des doigts, pouce
en flexion-adduction ; absence de toute
extension active du poignet et des doigts et
de toute motricité dissociée.
Cet examen minutieux de la motricité active
est indispensable au suivi évolutif d’un
malade donné mais il permet difficilement
de comparer différents groupes de malades.
C’est pourquoi il nous paraît souhaitable
d’utiliser des échelles d’évaluation de la
déficience motrice.
Les plus simples évaluent en fait la force du
mouvement et s’inspirent du testing
musculaire des paralysies périphériques
élaboré par le Medical Research Council
Tableau I. – Échelle d’Ashworth modifiée
[12]
.
Grade Réponse
0 Pas d’augmentation du tonus mus-
culaire
1 Augmentation légère du tonus mus-
culaire : accrochage puis relâche-
ment, ou résistance minime en fin
d’amplitude du mouvement
2 Augmentation légère du tonus mus-
culaire : accrochage suivi d’une résis-
tance modérée dans moins de la
moitié de l’amplitude du mouve-
ment
3 Augmentation importante du tonus
musculaire, dans toute l’amplitude
du mouvement, le segment de
membre restant mobilisable
4 Augmentation importante du tonus
musculaire, la mobilisation passive
est difficile
5 Les segments de membres atteints
sont fixés en attitude de flexion ou
extension
Échelle de la spasticité de Tardieu,
modifiée par Held et
Pierrot-Deseilligny
[50]
La cotation est toujours effectuée :
à la même heure du jour ;
dans la même position du corps,
y compris du cou et des segments
proximaux pour une articulation
donnée ;
en utilisant deux vitesses d’étirement,
l’une très lente (V1) minimisant le réflexe
myotatique, et l’autre rapide (V2 ou V3) :
V1 : vitesse aussi lente que possible ;
V2 : vitesse de la chute du segment de
membre sous l’influence de la gravité ;
V3 : vitesse aussi rapide que possible
(plus rapide que la chute du segment
de membre sous l’influence de la
gravité).
Pour chaque groupe musculaire,
l’examinateur choisit pour vitesse
rapide soit V2 soit V3 et conserve ce
choix lors des examens suivants. La
cotation comporte deux paramètres
XetY.
Type de la réaction musculaire (X) :
0 : pas de résistance tout au long du
mouvement passif ;
1 : faible résistance pendant le
mouvement passif sans arrêt net à un
angle précis ;
2 : arrêt net interrompant le
mouvement passif à un angle précis,
suivi par un relâchement ;
3 : clonus inépuisable (moins de 10 s
pression maintenue) apparaissant à un
angle précis ;
4 : clonus inépuisable (plus de 10 s
pression maintenue) apparaissant à un
angle précis.
Angle de la réaction musculaire (Y) :
mesuré par rapport à la position
d’étirement minimal du groupe
musculaire, correspondant à l’angle 0 ;
l’angle obtenu en utilisant V1 mesure
l’amplitude du mouvement passif ;
la différence entre l’amplitude du
mouvement passif et l’angle obtenu en
utilisant V2 ou V3 mesure la spasticité.
Kinésithérapie Rééducation des accidentés vasculaires cérébraux. Bilan et prise en charge 26-455-A-10
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(MRC). On peut, soit utiliser l’échelle
ordinale classique à six niveaux
(tableau II
[55]
), soit l’index moteur de
Demeurisse, échelle validée qui permet une
évaluation rapide
[23, 34]
. Elle cote, en position
assise, l’élévation antérieure du membre
supérieur, la flexion du coude, la prise
terminoterminale pouce-index, la flexion de
hanche, l’extension de genou et la
dorsiflexion du pied. L’évaluation donne un
score moteur sur 100 pour le membre
supérieur et sur 100 pour le membre
inférieur ; on divise chacun de ces scores par
deux et on obtient un score global sur 100
(tableau II)
[34]
.
Le Trunk Control Test
[23]
est également une
échelle validée et simple d’utilisation. Elle
évalue la motricité du tronc en testant les
retournements et l’équilibre assis
(tableau III).
Il existe d’autres nombreuses échelles
validées (18 répertoriées par Roques en
1997)
[104]
qui évaluent de façon plus fine et
plus complète la motricité et l’équilibre du
malade, avec une assez bonne valeur
prédictive du pronostic fonctionnel,
notamment l’échelle de Fugl-Meyer
[48]
et le
bilan moteur de Toulouse dont la corrélation
avec l’indice de Barthel et la mesure
d’indépendance fonctionnelle (MIF) est très
bonne
[104]
. Leur temps de passation est
beaucoup plus long, ce qui restreint leur
emploi au quotidien.
Une évaluation fonctionnelle de la motricité
doit compléter cette évaluation analytique et
nous y reviendrons lors de la prise en
charge. Tout découplage entre possibilité
analytique et réalisation fonctionnelle doit
faire rechercher des troubles associés de
l’information sensitive ou visuelle et de la
capacité cognitive à élaborer le geste, toutes
perturbations qui aggravent considéra-
blement le pronostic fonctionnel.
Déficiences sensitives et visuelles
Informations sensitives
Les troubles sensitifs, hypo- ou
anesthésiques, ont des conséquences
majeures sur la fonction gestuelle et
manuelle, l’équilibre, la posture et la marche.
Les différentes modalités de la sensibilité
superficielle (tact, douleur et température)
sont explorées selon les techniques
habituelles de l’examen clinique. Lorsque les
signes sont très discrets, on peut rechercher
une atteinte plus fine par le test de
discrimination entre deux points à l’aide
d’un compas. La stéréognosie est explorée à
partir de l’identification d’objets par la
manipulation en aveugle et la graphesthésie
par la reconnaissance, en aveugle également,
de lettres ou de chiffres tracés sur la main
[77]
.
Il faut rechercher une extinction sensitive en
portant une stimulation tactile fine sur les
deux hémicorps simultanément afin de
mettre en compétition les deux hémisphères
cérébraux. La présence d’une extinction
sensitive peut témoigner aussi bien d’un
trouble fin de la sensibilité tactile que d’un
trouble attentionnel, notamment en cas
d’hémiplégie gauche.
La sensibilité profonde est explorée au
membre inférieur par le sens de position et
de mouvement du gros orteil et par la
pallesthésie. On peut également rechercher
le sens de position des plus grosses
articulations. Au membre supérieur, les
manœuvres les plus souvent utilisées sont la
préhension aveugle du pouce, l’imitation par
le membre controlatéral de l’attitude fixée
passivement sur le membre supérieur
hémiplégié.
Informations visuelles
Les informations visuelles sont capitales
pour compenser les troubles de l’équilibre et
de la coordination.
Une amputation du champ visuel secondaire
à une atteinte des radiations optiques ou de
l’aire occipitale controlatérales peut être
présente. Un examen au doigt au lit du
patient est souvent suffisant pour dépister
une hémianopsie latérale homonyme ou une
quadranopsie. L’examen du champ visuel
réalisé par un ophtalmologiste permet de
faire un bilan plus précis
[77]
.Encas
d’hémiplégie gauche, il peut être difficile de
différencier une hémianopsie d’une
héminégligence qui peuvent être associées.
À la différence de l’héminégligent,
l’hémianopsique a conscience de ses troubles
et compense par une exploration de
l’hémichamp déficitaire.
Déficiences cognitives
Leur altération est fonction du côté de
l’hémiplégie et donc du siège hémisphérique
droit ou gauche de la lésion.
Tableau II. – Évaluation delaforce dumouvement et de la mobilisationdu tronc
[23, 34, 55]
(MRC :
Medical Research Council).
Échelle de force du mouvement
[55]
0 Absence de contraction
1 Contraction sans mouve-
ment
2 Contraction engendrant
un déplacement
3 Contraction avec déplace-
ment contre résistance
modérée
4 Contraction avec déplace-
ment contre forte résis-
tance
5 Force normale
Index moteur de Demeurisse
[34]
Testing
MRC
Valeur correspondante Prise terminoterminale
(pouce-index) Valeur correspondante
00Pas de motricité 0
19Ébauche de mouvement 11
214 Prise sans gravité 19
319 Prise contre gravité 22
425 Prise contre résistance 26
533 Prise normale 33
1 - flexion d’épaule M
2 - flexion de coude M
3 - prise terminoterminale M
4 - flexion de hanche M
5 - extension de genou M
6 - extension de cheville M
I - total membre supérieur :1+2+3+(1)=...../100
II - total membre inférieur :4+5+6+(1)=...../100
III - total (membre supérieur + membre inférieur) /2 = ...../100
Tableau III. – Trunck Control Test
[23]
.
Activité Cotation
1 Retournement sur le côté
hémiplégique Impossible 0
2 Retournement sur le côté
sain Avec aide 12
3 Équilibre assis Seul 25
4 S’assoit depuis la position
couchée
Total :1+2+3+4=...../100
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Hémiplégique droit : déficience du langage,
du geste et de la communication
Langage
Le langage chez l’homme est indispensable
à la création du lien social et à son insertion
parmi les autres. Toute perturbation entraîne
un handicap psychosocial, parfois majeur et
souvent sous-estimé. En effet, lors du bilan
clinique de l’hémiplégique, cette déficience
risque d’être moins prise en compte que la
déficience motrice. Aussi, le clinicien doit-il
être capable, au lit du malade, de dépister
une aphasie et de porter un pronostic de
gravité. Malgré sa simplicité, cet examen
permet d’explorer les différentes modalités
du langage : langage spontané au cours
d’une conversation dirigée qui permet de
préciser l’histoire de la maladie, la situation
personnelle, l’environnement humain et
matériel du malade, la fluence et la valeur
informative du discours ; on apprécie
ensuite la compréhension orale sur la
désignation des objets d’une série présentée
(montrez-moi le ou la...), sur l’exécution
d’un ordre simple puis complexe ;
l’expression orale est appréciée sur la
dénomination d’objets ; enfin, on peut faire
lire à haute voix quelques mots ou phrases
et demander au patient d’écrire son nom et
son prénom, voire des phrases.
Cet examen clinique doit être bien sûr
complété par un bilan neurolinguistique
faisant appel à des tests globaux, longs et
difficiles à passer mais dont l’intérêt est de
décrire les troubles avec précision et de
permettre de classer les différentes formes
cliniques d’aphasie (tableau IV),de
comprendre dans une certaine mesure les
mécanismes des perturbations à partir de
modèles théoriques, d’orienter la prise en
charge orthophonique et d’en évaluer
l’efficacité. On peut les regrouper en trois
catégories.
Bilans descriptifs des manifestations de
surface :
Boston Diagnostic Aphasia Examination
(BDAE), élaboré en 1972 par Goodglass et
Kaplan, avec une méthodologie statistique
rigoureuse et à partir duquel Mazaux et
Orgogozo ont mis au point l’échelle
d’évaluation de l’aphasie qui est une
adaptation validée à la population
française de ce test de Boston
[78]
;
protocole Montréal-Toulouse d’examen
linguistique de l’aphasie MT 86 qui
propose plusieurs sections (M1 alpha, M1
Bêta et M2)
[6]
.
Tests analysant les déterminismes sous-
jacents : ils sont construits pour tester
l’intégrité des composantes, voies et
procédures de traitements postulées à partir
d’un modèle.
Bilans fonctionnels de la communication : ils
ont pour vocation d’apprécier l’altération de
la communication engendrée par l’atteinte
linguistique dans les multiples situations
écologiques ou naturelles de l’échange.
Certains de ces bilans s’appuient sur une
observation du patient en situation de
communication simulée ou réelle ; c’est le
cas du Communicative Abilities in Daily
Living (CADL) de Holland
[57]
et du test
lillois de communication (TLC) de Lefeuvre,
Rousseaux et al
[72]
. D’autres se proposent
d’interroger les patients eux-mêmes ou un
des proches pour recueillir leur propre
vision des difficultés rencontrées. C’est le cas
de l’échelle de communication verbale de
Bordeaux de Darrigrand et Mazaux
[27]
.
Au total, l’approche clinique et les tests
permettent d’évaluer les possibilités et le
niveau de communication du malade afin
d’organiser au mieux la rééducation
orthophonique mais également motrice. Le
thérapeute doit tenir compte de la réaction
dépressive fréquente et sévère chez ces
malades aphasiques.
Apraxies et troubles de l’organisation
gestuelle
De nombreux mécanismes de régulation
interviennent et agissent sur le système de
contrôle neuromusculaire pour que le geste
effectué soit le plus adapté possible aux
exigences de l’environnement. Le choix du
bon geste est un véritable comportement.
Dans l’élaboration de cette réponse gestuelle,
la psychologie cognitive postule la
succession de trois opérations de traitement
qui se déroulent dans le système nerveux
central après perception et interprétation du
signal sensitif ou sensoriel : sélection de la
bonne réponse parmi plusieurs réponses
possibles, planification des caractéristiques
de cette réponse, notamment en ce qui
concerne la séquence de contractions
musculaires nécessaires à sa réalisation ;
exécution du mouvement ciblé c’est-à-dire
du geste.
Dans l’apraxie, ce sont ces mécanismes
d’élaboration du geste adapté qui sont
altérés. En clinique, on définit en effet
l’apraxie comme un trouble acquis du
comportement gestuel volontaire empêchant
la réalisation sur commande de certains
gestes alors qu’il n’existe ni déficit moteur
ou sensitif, ni incoordination, ni trouble
majeur de la compréhension.
L’apraxie idéatoire est caractérisée par un
trouble d’enchaînement logique des gestes
élémentaires à exécuter pour parvenir à la
réalisation d’un acte moteur complexe alors
que chacun des gestes pris isolément est
correctement exécuté
[77]
. Elle perturbe
spécifiquement l’utilisation des outils et
affecte les gestes complexes, les gestes
transitifs (nécessitant la manipulation réelle
d’objets) accomplis spontanément ou sur
Tableau IV. Formes cliniques fréquentes de l’aphasie (d’après
[77]
).
Expression orale Compréhension orale Langage écrit Localisation habituelle Conscience du trouble
Aphasie de Broca Réduction, manque
du mot, agrammatisme,
troubles arthriques
Conservée Troubles ±à N Frontorolandique oui
messages simples
Aphasie de Wernicke Logorrhée, paraphasies,
jargon, manque du mot,
dyssyntaxie
Perturbée + à +++ Troubles + à +++ Pariétale non au début
Temporale
Aphasies mixtes ou totales Réduction sévère, troubles
arthriques, paraphasies,
manque du mot
Perturbée + à +++ Troubles + à +++ Vastes lésions sylviennes non au début
Aphasies sous-corticales Hypophonie, aspontanéité,
paraphasies En général En général N Thalamus, noyau caudé,
capsule interne oui
Troubles variables
d’un examen à l’autre ±
Aphasie de conduction Paraphasies en spontané
et surtout en répétition ;
conduites d’approche
±à N + à +++ Pariétotemporale
(pli courbe) oui
Lecture à haute voix N
Aphasies transcorticales :
motrice, sensorielle Réduction, aspontanéité N +++ Réduction +++ Frontale inférieure oui à ±non
Jargon asémantique,
incohérences sémantiques,
répétition N
Pariétale
±: trouble discret ; + : trouble moyen ; +++ : trouble sévère ; N : absence de trouble.
Kinésithérapie Rééducation des accidentés vasculaires cérébraux. Bilan et prise en charge 26-455-A-10
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