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tribulations de la vérité historique et je n’avais pas l’intention de descendre dans
l’arène. J’y suis descendu, pourtant. Au bahut, c’était déjà comme ça : si la soupe
était mauvaise, c’était moi qu’on désignait pour l’aller dire à qui de droit et ça se
terminait généralement par une colle. Plus tard, à la caserne, il n’y avait toujours que
moi et c’était plus grave : la salle de police. On sait que pour Le Mensonge d’Ulysse,
m’étant décidé à l’écrire un jour que je m’y étais irrésistiblement senti tenu par les
termes dans lesquels, en ma présence et comme s’adressant plus particulièrement à
moi, le colonel Rémy avait exprimé, devant un cercle d’amis, son dégoût pour toutes
les complaisances dont bénéficiait le communisme, ça s’est terminé en cassation. Il
faudra que je me regarde attentivement dans une glace : je dois avoir une gueule de
boue émissaire...
Ce qui est sûr c’est que cette affaire était depuis longtemps classée dans mon
esprit. J’avais gagné mon procès, on avait dû tirer quatre éditions successives de
l’ouvrage et j’étais loin de penser à une cinquième. Il y avait bien mon éditeur qui,
depuis deux ou trois ans, me disait de temps à autre, qu’il recevait toujours des
commandes mais chaque fois, nous tombions d’accord que le nombre n’en était pas
suffisant pour justifier commercialement une nouvelle édition. N’étant ni l’un, ni
l’autre, des marchands de papier, nous ne pensions pas aux [12] ressources de la
publicité. Et surtout, nous avions d’autres soucis.
Un jour, il nous a bien fallu nous rendre à l’évidence : comme le fleuve de
Jaurès qui reste fidèle à sa source en allant vers la mer, les circonstances avaient
évolué à notre insu dans un sens fidèle à leurs origines. Nous avions, certes, bien vu
qu’en dix ans l’Europe était devenue une nécessité pour tous les hommes de
l’Occident, jusques et y compris ses plus farouches adversaires. Nous nous y
attendions même, car cela, nous l’avions prévu. Il ne nous avait pas davantage
échappé, ni que l’Amérique n’accepterait l’Europe qu’à la condition d’en être sacrée
métropole économique, ni qu’en aucun cas la Russie ne pourrait l’accepter, ni enfin
que sa seule chance de l’empêcher était d’en isoler l’Allemagne. Et quel meilleur
moyen d’en isoler l’Allemagne que de ressusciter les vieilles haines franco-
allemandes en partant en guerre contre le militarisme allemand et le nazisme tout
aussi inexistants l’un que l’autre avec des arguments puisés dans la littérature
concentrationnaire ? Au moment de l’arrestation d’Eichmann, ce fut du délire : ainsi
que le déclara le 20 juin 1960, à un envoyé du Monde, une haute personnalité
allemande (dont le nom n’a pas été révélé) le monde entier se vit offrir de nouveau
« tous les jours, au petit déjeuner du matin, six millions — quand ce n’était pas neuf !
— de juifs exterminés dans les chambres à gaz ». Et ça l’agaçait, le monde entier :
d’une part, à tort ou [13] à raison, il avait maintenant des doutes aussi bien quant au
chiffre qu’au moyen ; de l’autre il ne lui plaisait guère qu’un problème pour lui — à
tort où à raison aussi — exclusivement européen, se transformât ainsi en problème à
peu près exclusivement israélien.