Réhabilitation d`un cas d`occlusion antérieure croisée forcée

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qui ne pourra par conséquent pas être atteint par le traitement,
une réhabilitation prothétique, à l’instar de celle illustrée dans le
présent travail, est tout de même susceptible de mener à un ré-
sultat global satisfaisant, tant au plan fonctionnel qu’esthétique,
selon l’importance de la dysgnathie squelettique.
Présentation du cas
Anamnèse
Le patient, un boulanger âgé de 25 ans, est venu en consultation
dans notre policlinique; son motif de consultation était le désir
de continuer un traitement dentaire commencé deux ans aupa-
ravant dans un cabinet privé. Au centre de ses préoccupations,
l’amélioration de l’aspect esthétique de ses dents, qui lui tenait
à cœur, du fait qu’il se sentait handicapé sur le plan social (fig. 1).
Réhabilitation d’un
cas d’occlusion
antérieure croisée
forcée
Présentation d’un cas
Marcus Halft, Bernd Koeck, Karl-Heinz Utz
Policlinique de prothèse dentaire des Cliniques
universitaires de médecine dentaire, Bonn
(Directeur: Prof. DrB. Koeck)
Mots clés: réhabilitation orale, dysgnathie squelettique,
occlusion antérieure croisée forcée, traitement fonctionnel,
ponts segmentés dans le maxillaire inférieur
Adresse pour la correspondance:
DrMarcus Halft, Universitätsklinikum Bonn
Poliklinik für Zahnärztliche Prothetik
Welschonnenstrasse 17, D-53111 Bonn
Traduction française de Thomas Vauthier
(Illustrations et bibliographie voir texte allemand, page 175)
Introduction
Pour la réhabilitation des patients présentant une rétrognathie
maxillaire (Classe III selon Angle), l’une des possibilités théra-
peutiques est le recours aux méthodes associant l’orthodontie et
la chirurgie maxillo-faciale (AUSTERMANN 1991, DRESCHER 1994).
Il est toutefois compréhensible qu’après information approfon-
die sur les modalités thérapeutiques impliquées, bon nombre de
patients refusent de telles solutions invasives. A notre avis, il est
actuellement parfaitement possible et licite de recourir dans de
telles situations à des solutions prothétiques, qui peuvent repré-
senter une alternative raisonnable et valable dans bien des cas.
Lorsque le patient et le praticien traitant tombent d’accord qu’il
n’est pas nécessaire de répondre aux objectifs d’une améliora-
tion de la physionomie faciale et de l’harmonisation du profil,
La réhabilitation fonction-
nelle, esthétique et phoné-
tique des patients présen-
tant des troubles affectant
le système stomatogna-
thique à plusieurs niveaux,
et qui de ce fait nécessitent
un traitement complexe, re-
présente un véritable défi
dépassant dans bien des
cas le cadre de la seule mé-
decine dentaire et peut re-
lever de la médecine en gé-
néral. En raison de la com-
plexité de ces situations, la
réhabilitation bucco-dentai-
re à elle seule peut repré-
senter un certain nombre de
problèmes qu’il n’est pas
toujours facile à assumer.
Les auteurs du présent tra-
vail proposent d’illustrer, à
propos d’un cas clinique
d’un patient souffrant d’une
occlusion en position de
protrusion forcée consécu-
tive à la perte des repères
occlusaux postérieurs dans
les zones d’appui, toutes
les étapes de traitement, à
commencer par le diagnos-
tic et les traitements prépa-
ratoires parodontaux, con-
servateurs et fonctionnels,
en passant par la réhabilita-
tion prothétique provisoire,
jusqu’à la reconstruction
prothétique définitive, ainsi
que la phase de maintien à
long terme. De même, dans
la dernière partie de cette
contribution, les auteurs
passent en revue plus spéci-
fiquement le problème des
bridges «segmentés» dans
le maxillaire inférieur.
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L’anamnèse générale était sans particularités. Concernant les an-
técédents bucco-dentaires, le patient indiqua que son état den-
taire avait continué à se dégrader progressivement, et ce en dépit
de soins dentaires réguliers commencés dès son enfance. Ainsi,
deux incisives du côté gauche s’étaient fracturées peu de temps
après son dernier traitement dentaire. Le praticien lui avait alors
expliqué qu’il n’était pas possible de remédier à ce problème, en
raison de la relation défavorable des deux maxillaires. Le patient
s’était dès lors résigné à accepter son mauvais sort.
Examen initial
L’examen clinique n’a révélé aucun symptôme particulier, ni au
plan des articulations temporo-mandibulaires, ni au niveau de
la musculature masticatrice. Hormis une relation intermaxillaire
caractérisée par une rétrognathie maxillaire, l’examen extra-oral
n’a mis en évidence aucune particularité pathologique. L’analy-
se céphalométrique selon A.M. SCHWARZ a conclu à un profil
droit en position légèrement postérieure.
L’examen intra-buccal au niveau des muqueuses, pour le dépis-
tage de tumeurs, n’a pas révélé de processus suspect. A l’exa-
men clinique, le status dentaire était caractérisé par de nom-
breuses lésions carieuses importantes. Fait remarquable, le pa-
tient ne présentait que des dépôts de plaque relativement fai-
bles; l’indice de plaque (selon SILNESS & LÖE 1994) était compris
entre 1 et 2. Le status dentaire révélait des restes radiculaires au
niveau des 25 et 45, ainsi que des obturations insuffisantes sur
les dents 17, 16, 12, 11, 21, 22, 23, 26, 27, 38, 34, 43, 44, 46 et 48
(fig. 2 et 3). Au test de vitalité, les dents 17, 16, 21, 22, 25, 26, 27
et 45 ne réagissaient pas au froid. La carie sur la 45 pénétrait en
dessous du rebord osseux.
A l’examen parodontal, le sondage des poches dans le maxillai-
re supérieur et inférieur ne révéla que des poches d’une profon-
deur maximale de 3 mm; pas de mobilités augmentées. Toute-
fois, la presque totalité des dents présentaient des indices posi-
tifs de saignement des papilles, de degré 1 (SAXER & MÜHLE-
MANN 1975). Les 46 et 26 présentaient des élongations impor-
tantes dues à une supra-éruption; les 38 et 48 étaient versées en
direction mésio-linguale.
L’examen fonctionnel a fait conclure à une importante différen-
ce entre la relation centrée [des condyles] (RC) et la position
d’intercuspidation maximale (IM), avec un glissement à peu
près rectiligne correspondant à la largeur d’une prémolaire en-
viron. En RC, les 11 et 22 se trouvaient en occlusion bout à bout
par rapport aux antagonistes, alors qu’en IM, les incisives par-
taient en occlusion croisée (inversée) (fig. 4 et 5).
Outre ces constatations cliniques, l ‘analyse des radiographies
(OPG et status complet des dents naturelles encore présentes),
a révélé des obturations radiculaires (TR) insuffisantes au ni-
veau des 17 et 25, ainsi que des obturations radiculaires accep-
tables au niveau des 21, 22, 26, 27 et 45. Les dents 17, 21, 22, 25,
26 et 27 avaient été restaurées par des ancrages (vis) radicu-
laires. La région de l’apex de la 25 présentait une opacité apica-
le de densité métallique, de même qu’une zone de radiotrans-
parence apicale (fig. 6).
Diagnostic
Gingivite simple
Malocclusion forcée en position de protrusion (occlusion
croisée antérieure) suite à une perte des zones d’appui posté-
rieures et un avancement consécutif (secondaire) de la man-
dibule
Caries sur 17, 16, 12, 11, 21, 22, 23, 25, 26, 27, 38, 34, 43, 44, 45,
46 et 48
Obturations endodontiques suffisantes sur 22, 26 et 27
Etat après résection apicale et obturation radiculaire satisfai-
sante au niveau de la 21
Dépassement de l’obturation radiculaire sur la 17
Elongation axiale des 26 et 46 (supra-éruption)
Instrument endodontique fracturé et foyer apical sur la 25
Reste radiculaire de la 45 avec carie pénétrant au-dessous de
la crête osseuse
Plan de traitement
–Wax-up diagnostique du maxillaire supérieur après enregis-
trement de l’occlusion et montage en articulateur
Détartrage et nettoyage professionnel
Instructions et mise en pratique de moyens d’hygiène bucco-
dentaire appropriés
Planification provisoire: avulsion des 25 et 45; traitement des
caries dans les max. sup. et inf.
Réévaluation I
Reconstruction prothétique du maxillaire sup. par des provi-
soires de longue durée
Phase de stabilisation I
Réévaluation II
Réhabilitation prothétique définitive du maxillaire inférieur
Phase de stabilisation II
Réhabilitation prothétique définitive du maxillaire supérieur
après enregistrement tridimensionnel des mouvements des
condyles par axiographie
Recall
Chronologie des étapes de traitement
Phase initiale
Après l’enregistrement de l’occlusion par arc facial et montage
des modèles – en RC, il a été aisé de reproduire et de mettre en
évidence sur les modèles montés en articulateur l’important
glissement entre les positions RC et IM (fig. 7 et 8).
Après réduction appropriée des longueurs des dents 26 et 46, en
supra-éruption, le technicien a réalisé un wax-up du maxillaire
supérieur. En raison de la relation intermaxillaire dysgnathique
et de la position défavorable des dents antérieures (position
bout à bout), il n’a pas été possible de réaliser une occlusion
protégée par guidage incisivo-canin. Par la suite, une réplique
du wax-up a servi à la fabrication d’une gouttière en résine ther-
moformée sous vide. Celle-ci était destinée non seulement à la
réalisation des restaurations prothétiques provisoires, mais éga-
lement en tant que repère visuel pour la réduction tissulaire au
cours des préparations des dents piliers.
Le patient a été dûment informé sur l’ensemble des relations
entre l’alimentation, les bactéries, la plaque dentaire, les caries,
la parodontite et les saignements gingivaux, de même sur les
risques possibles d’interactions entre la parodontite et les mala-
dies générales. L’instruction et la mise en pratique de moyens et
de techniques d’hygiène bucco-dentaire appropriés (brossettes
interdentaires, fil dentaire, brosse à dents électrique) a permis
d’obtenir un niveau satisfaisant d’hygiène bucco-dentaire au
cours du traitement. Des contrôles par des colorations à l’aide
de révélateurs de plaque, ainsi que des exercices à intervalles ré-
guliers ont permis de maintenir, voire d’améliorer le bon niveau
d’hygiène personnelle.
Après une information approfondie concernant les différentes
possibilités thérapeutiques envisageables, ainsi que sur les
avantages et inconvénients de celles-ci, le patient s’est décidé à
rejeter un traitement combiné par orthodontie et chirurgie
Réhabilitation d’un cas d’occlusion antérieure croisée forcée
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maxillo-faciale. Il souhaitait, dans la mesure du possible, une ré-
habilitation par des prothèses fixes. Pour des raisons économi-
ques, nous avons été obligés de renoncer à un traitement ortho-
dontique préparatoire ainsi qu’à une augmentation du nombre
de piliers par la pose d’implants, des démarches qui auraient
pourtant été souhaitables pour des raisons de pronostic plus fa-
vorable.
Traitement chirurgical préalable
Dans une première étape, les restes radiculaires des 25 et 45 ont
été extraits par voie chirurgicale par les collaborateurs de notre
Policlinique de chirurgie buccale et de stomatologie.
Traitements conservateurs et reconstitutions
préprothétiques
En raison des destructions carieuses, les reconstitutions exis-
tantes sur vis et tenons radiculaires au niveau des 17,16, 11 et 27
devaient être remplacées par des faux-moignons coulés à te-
nons radiculaires. Lors de l’ablation de la vis radiculaire sur la
27, l’opérateur a malheureusement constaté une hémorragie,
due de toute évidence à une fausse route préexistante; par
conséquent, la dent a dû être extraite.
L’empreinte pour la fabrication des faux-moignons coulés a été
réalisée à l’aide d’un matériau d’empreinte en silicone polymé-
risant par addition. Selon la technique de la double empreinte,
le matériau de consistance fluide a été injecté par-dessus les te-
nons de transfert lisses ParaPost®du commerce, placés dans les
préparations. Afin d’en augmenter la rétention dans l’emprein-
te, des encoches avaient été taillées dans le tiers supérieur des
tenons. Après la réalisation d’un modèle de travail coulé en
plâtre extra-dur, le laboratoire a modelé (en se servant d’une clé
en silicone), puis coulé, les faux-moignons à tenons en clavette
pour les deux molaires. Le faux-moignon pour la 11 a été mo-
delé directement en bouche, à l’aide du matériau PatternResin®,
puis coulé au laboratoire.
Après l’essai des faux-moignons ainsi que des tenons à clavette
et après vérification de l’assise à l’aide d’un matériau en silico-
ne, les trois reconstitutions à ancrage radiculaire ont été scellées
définitivement par la technique adhésive. Les piliers ont ensui-
te été repréparés. En outre, les piliers 13, 12, 11, 22 et 23 ont été
taillés pour les futures couronnes. La relation intermaxillaire
dans le sens vertical a été déterminée par la mesure de la dis-
tance entre les rebords gingivaux au niveau des 11 et 41, après
avoir guidé le patient en RC.
Reconstruction prothétique du maxillaire supérieur
par des couronnes provisoires de longue durée
Dans un premier temps, des provisoires extemporanées en rési-
ne ont été réalisées directement en bouche, à l’aide de la gout-
tière en résine thermoformée confectionnée sur la base du wax-
up. Après la finalisation des préparations des piliers, une
empreinte a été prise selon la technique «wash out», à l’aide
d’un matériau en silicone polymérisant par addition en consis-
tances fluide et ferme. Le modèle supérieur a été monté en arti-
culateur sur la base d’un enregistrement par arc facial et en
fonction du plan infra-orbitaire (UTZ et coll. 1987). Le modèle
antagoniste a été monté en position de relation centrée, après
enregistrement de l’occlusion par trois bourrelets de cire diffé-
rents (check-bites) (UTZ et coll. 2002). Grâce à la détermination
préalable de la dimension verticale et au réglage en conséquent
de la tige incisive de l’articulateur, il a été possible de reprodui-
re sur articulateur la distance interocclusale approximative des
arcades en position de bout à bout.
Les armatures métalliques des couronnes provisoires de longue
durée ont été coulées, puis silanisées. Pour finir, les pièces pro-
thétiques ont été terminées par un revêtement esthétique en ré-
sine. L’ensemble des restaurations du maxillaire supérieur a été
conçu de manière idéale, en faisant abstraction, à ce stade, de
l’arcade antagoniste. Une importance particulière a été attribuée
à la réalisation d’un plan d’occlusion le plus harmonieux pos-
sible (courbes de Spee et de Wilson plates). Après le scellement
provisoire des restaurations temporaires du maxillaire supérieur
(fig. 9), l’adaptation occlusale en conséquence de l’arcade anta-
goniste a été effectuée par la réalisation d’obturations provi-
soires en technique adhésive sur les 38 et 48. Dans la première
phase de stabilisation, d’une durée de 6 mois, l’occlusion a été
ajustée à plusieurs reprises, pour obtenir une harmonisation par
rapport à la RC. Ces séances ont également servi à évaluer si le
patient allait supporter sans trop de problèmes la surélévation
relativement importante de la dimension verticale d’occlusion.
Réévaluation
Suite à la mise en bouche de la reconstruction provisoire du
maxillaire supérieur, nous avons noté un renforcement signi-
ficatif de la motivation du patient, laquelle s’est notamment
manifestée par une amélioration considérable de son hygiène
buccale, entraînant à son tour une réduction de l’indice de sai-
gnement des papilles.
Réhabilitation définitive du maxillaire inférieur
Dans un premier temps, les dents 38, 34, 44, 46 et 48 ont été res-
taurées par des obturations en composite réalisées par tech-
nique adhésive; un certain nombre de ces moignons préprothé-
tiques ont été ancrés par des tenons parapulpaires (JENDRITZKY
et coll. 1997). Après la préparation de ces dents, une empreinte
a été prise selon la technique évoquée précédemment; les piliers
ont ensuite été protégés par des couronnes provisoires. A l’ins-
tar de l’étape correspondante dans le maxillaire supérieur, le
modèle supérieur a été monté en articulateur en fonction du
plan sous-orbitaire, alors que le modèle de travail du maxillaire
inférieur a été monté en RC après enregistrement de la relation
centrée par trois bourrelets de cire (check-bite). Contrairement
au maxillaire supérieur, nous avons procédé directement à la
réalisation des ponts définitifs pour le maxillaire inférieur. Pour
des raisons de déformation élastique de la mandibule (voir plus
loin), les ponts inférieurs étaient segmentés par des glissières
incorporées dans les faces distales d’une part de la 34 et d’autre
part de la 44 et de la 46 (fig. 10). Après essai en bouche, les
bridges ont été scellés provisoirement.
Par la suite, il s’est avéré que le patient – qui était dès lors deve-
nu hautement sensibilisé, bien que très reconnaissant – se sen-
tait gêné par le feston gingival asymétrique au niveau des 13 et
23. Afin d’obtenir un équilibre plus harmonieux de l’esthétique
mucogingivale, un lambeau de repositionnement apical a été
réalisé sur la 13. En effectuant une ostéotomie subtile du côté
vestibulaire, il a été veillé à respecter la dimension biologique de
2 à 3 mm postulée entre le rebord marginal de la future couron-
ne et la crête osseuse (INGBER et coll. 1977). En revanche, le pa-
tient a renoncé à une seconde intervention de chirurgie muco-
gingivale qui lui avait été proposée pour la reconstruction de la
zone de résorption de la crête alvéolaire dans les régions des 14,
15 et 24.
Réhabilitation prothétique définitive du maxillaire inférieur
Les rapports occlusaux et la position thérapeutique du maxillai-
re inférieur sont restés stables durant une phase d’attente de
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5mois. Pour cette raison, nous avons décidé après ce délai d’ob-
servation de procéder à la réhabilitation définitive du maxillaire
supérieur. Après un enregistrement tridimensionnel des excur-
sions dynamiques des condyles à l’aide de l’axiographie, les
dents ont été repréparées, avant la prise de l’empreinte définiti-
ve (fig. 11). Les couronnes provisoires de longue durée ont en-
suite été rebasées et adaptées à la situation modifiée. Suite à
l’enregistrement et au transfert par arc facial, le modèle de tra-
vail supérieur a été monté en articulateur, le modèle antagonis-
te étant de nouveau positionné par des enregistrements check-
bite en cire.
Pour cette étape, la distance interocclusale entre le moignon de
la 11 et du bord incisif de la 42 a été enregistrée par un «jig» en
matériau thermoplastique (KOECK & UTZ 1995), réalisé après le
rescellement de toutes les autres couronnes provisoires. Le blo-
cage de la tige incisive de l’articulateur dans la position corres-
pondante permettait dès lors de reproduire fidèlement la di-
mension verticale d’occlusion de la réhabilitation provisoire.
Après un essai des armatures et finalisation des céramiques, les
couronnes céramo-métalliques sur les 12, 11, 21, 22 et 27, ainsi
que les ponts 13–17 et 13–26 ont été scellés provisoirement sui-
te à un essai final. A ce stade, de petites retouches de l’occlusion
ont été nécessaires pour optimiser le guidage de groupe. Les
travaux prothétiques sont restés scellés provisoirement pendant
quatre semaines. Après un contrôle radiographique (fig. 10), les
pièces prothétiques ont ensuite été scellées définitivement dans
les deux maxillaires (fig. 13 à 17). Pour le suivi ultérieur des in-
tervalles de recall de 6 mois ont été convenus.
Discussion et conclusions
A l’instar de ce que nous pratiquons depuis quelque vingt ans
dans nos cliniques, nous avons employé pour la motivation du
patient la méthode de la démonstration répétée du saignement
des papilles (SAXER & MÜHLEMANN 1975). Ce faisant, notre ob-
jectif était de rendre le patient conscient du fait que le traite-
ment prothétique à lui seul ne saurait suffire à la prévention ou
au traitement causal de la carie et de la parodontite, mais que le
secret du succès à long terme se fonde au contraire sur la mise
en pratique conséquente, i.e. quotidienne, de soins d’hygiène
personnels adéquats. Bien entendu, un traitement préprothé-
tique approfondi, ainsi que la réalisation consciencieuse et dans
les règles de l’art du traitement de réhabilitation lui-même, de
même que la prise en charge ultérieure, revêtent une importan-
ce tout aussi significative (GABERTHÜEL et coll. 1988, REICH 1989).
Du point de vue du pronostic, il est préférable de rechercher,
dans la mesure du possible, une solution prothétique conjointe
plutôt que de réaliser une prothèse amovible (KERSCHBAUM et
coll. 1991, ERPENSTEIN et coll. 1992).
Contrairement à une «loi» postulée dans le temps par ANTE
(1926), les ponts, même ceux de très longue portée, bénéficient
d’un bon pronostic au long cours (KOCHER & PLAGMANN 1988,
LANG et coll. 1988, NYMANN & ERICSSON 1982).
Selon nos propres expériences pratiques, il convient toutefois de
mettre un certain bémol à cette remarque générale: en effet, les
ponts de longue portée dans les segments latéraux du maxillai-
re inférieur, lorsqu’ils sont réalisés en une seule pièce, sont en
général grevés de certains risques concernant la durée de survie
en bouche. L’une des raisons de ce phénomène réside dans la
déformation élastique du maxillaire inférieur: l’influence des
muscles masticateurs provoque une torsion de la mandibule, le
centre de rotation étant situé dans la région des racines des in-
cisives inférieures. La flexion consécutive de l’os se manifeste
tout particulièrement dans les zones dorsales des segments la-
téraux des arcades dentaires de la mandibule (JUNG 1960, KOECK
& Sander 1978, Marx 1966, Richter 1999).
Lorsque les racines des molaires inférieures sont suffisamment
bien ancrées dans l’os alvéolaire, qu’elles ne présentent aucune
mobilité accrue et qu’elles ne sont pas affaiblies par des patho-
logies parodontales, les dents seront de ce fait forcées à subir les
conséquences de cette torsion mandibulaire, qui leur impose
ainsi des déplacements réciproques autour d’un axe sagittal.
Dès lors, si l’on solidarise les dents postérieures dans le maxil-
laire inférieur, par exemple par un pont de longe portée, ces
contraintes répétées se répercutent de manière particulièrement
délétère sur l’interface du film de ciment de scellement. Au
cours du temps, la rupture de continuité du ciment de scelle-
ment peut en être la conséquence. En outre, le risque de dé-
faillance du film de ciment par fatigue du matériau sera d’autant
plus grand que la hauteur clinique de couronnes des dents pi-
liers sera faible et que les couronnes présentent de ce fait une
rétention mécanique insuffisante. De telles situations sont fré-
quentes lorsque des dents de sagesse doivent servir d’ancrage
distal pour des ponts dans le maxillaire inférieur. Ceci explique
l’observation clinique selon laquelle un certain nombre de ponts
dans les segments latéraux du maxillaire inférieur sont suscep-
tibles de se desceller occasionnellement après quelque 10 ans;
dans la plupart des cas, le phénomène concerne les molaires,
mais les prémolaires peuvent également en être touchées.
D’après nos propres expériences, de tels descellements peuvent
survenir même dans les cas dans lesquels les piliers ont été pré-
parés en respectant une dépouille idéale et que le ciment au
phosphate de zinc a été mélangé «dans les règles de l’art». Il est
surprenant de constater que de tels désagréments peuvent sur-
venir à l’occasion même sur des ponts inférieurs ne comprenant
qu’un seul élément intermédiaire. Pour ces raisons, et sans vou-
loir prétendre nous fonder sur une quelconque «évidence»
scientifique – qui de toute façon n’existe pas actuellement, voire
qui ne peut exister pour l’instant –, nous utilisons depuis plus de
30 ans des glissières en T pour la réalisation des ponts inférieurs
de longue portée. Ce faisant, nous pensons introduire un élé-
ment «stress breaker» en conférant à ces bridges une liberté de
mouvement de faible amplitude. D’autres types de glissières
peuvent également convenir en la matière (fig. 10).
La partie femelle de la glissière en T devrait de préférence être
logée dans la partie distale du pilier mésial, du fait que le degré
de torsion est plus faible à ce niveau-là. Cette manière de faire,
à savoir le placement de la partie femelle de la glissière dans la
partie distale du pilier mésial, est en outre étayée par le fait
qu’en règle générale, les dents inférieures ont une fâcheuse ten-
dance à la version en direction mésiale: ce type d’assemblage
évite dès lors le risque de séparation entre la partie femelle et la
partie mâle de la glissière sous une contrainte de mésioversion
des molaires. Et une troisième raison: en cas de rupture du film
de ciment de scellement sur le pilier distal ou lorsque le pilier
devait être perdu pour toute autre raison, il sera alors possible
d’ancrer une prothèse partielle dans la glissière; le cas échéant,
la possibilité d’une telle une solution «élargie» peut être intéres-
sante pour sauver, avec un peu de chance, le reste de la cons-
truction.
Nous proposons d’utiliser les glissières en T pour les ponts de
longue portée, afin d’éviter que le patient ne puisse trop facile-
ment soulever l’élément intermédiaire avec la langue. Lorsque
l’on souhaite réaliser un pont segmenté comprenant un seul
élément intermédiaire, un simple appui peut sans doute être
suffisant (type Interlock, fig. 10), étant donné que dans ces cas,
Réhabilitation d’un cas d’occlusion antérieure croisée forcée
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le risque du soulèvement par la langue n’existe pas. En lieu et
place des glissières en T, certains confrères utilisent par ailleurs
des bridges appelés «à torsion intrinsèque», qui confèrent la li-
berté d’une rotation pure entre les dents piliers (SIEBERT,G.,
communications personnelles). La solution consistant à désoli-
dariser les bridges par segmentation à l’aide d’Interlocks a en
outre l’avantage que la précision de l’assise des armatures sur
les piliers sera probablement mieux assurée. A notre avis, pour
les bridges dans les segments latéraux du maxillaire inférieur, il
ne faudrait renoncer à la segmentation que dans les situations
dans lesquelles les dents présentent un état parodontal sain,
avec toutefois une perte d’attache et une certaine mobilité. La
torsion et la flexion osseuse subies par le corps mandibulaire
seront dès lors compensées dans une certaine mesure par le pa-
rodonte des dents piliers. Cette hypothèse explique entre autres
les durées de survie favorables des ponts non segmentés réali-
sés sur des arcades dentaires parodontalement affaiblies, no-
tamment dans les études de LINDGREN et coll. (1975) et de
NYMAN & Ericsson (1982).
Dans toute réhabilitation prothétique étendue, l’une des déci-
sions fondamentales est de savoir si la restauration peut être
réalisée sur la base de la position habituelle du maxillaire infé-
rieur (IM) ou s’il faut au contraire adopter la relation centrée
(position centrée des condyles dans la cavité glénoïde). Dans le
cas illustré, en raison de l’affaissement dans les zones d’appui
postérieures, l’intercuspidation maximale ne convenait certai-
nement pas en tant que position de référence. Dans de telles si-
tuations, la RC représente une position «de secours» détermi-
née par le guidage manuel du praticien soignant; elle est de ce
fait grevée d’un certain nombre d’inconvénients qui risquent de
s’ensuivre, le cas échéant (KOECK & UTZ 1995). Force est toute-
fois de constater que dans le cas présenté, une réhabilitation en
IM – et par conséquent dans une position de protrusion fonc-
tionnelle de la mandibule – aurait entraîné des problèmes pro-
thétiques, fonctionnels et esthétiques difficiles à résoudre, du
fait qu’il n’aurait pas été possible de réaliser une occlusion anté-
rieure en bout à bout.
La première étape de la restauration prothétique par des provi-
soires de longue durée dans le maxillaire supérieur devait ré-
pondre à deux exigences: d’une part, à titre de test au plan es-
thétique et, d’autre part, à titre d’évaluation de la tolérance de la
nouvelle situation occlusale par rapport au maxillaire inférieur,
créée en tant que compromis dans le sens d’un traitement pro-
thétique fixe avec des repères occlusaux (ASH & RAMFJORD 1982,
CARLSSON & MAGNUSSON 1999, KOECK & UTZ 1995). Etant don-
né la question complémentaire de savoir quelles couronnes de-
vaient être munies d’un revêtement esthétique, les provisoires
de longue durée ont été réalisées avec une occlusion métallique
à partir des premières molaires. Bien entendu, cette solution
rendait nettement plus difficiles les ajustement occlusaux du-
rant la phase de stabilisation et pour nous faciliter la vie, une so-
lution comprenant le revêtement de toutes faces occlusales par
de la résine aurait sans doute été préférable à ce propos. Nous
sommes toutefois d’avis qu’il ne faudrait pas renoncer à un sou-
tènement par des armatures métalliques, notamment pour des
raisons de prévention des fractures et d’une meilleure stabilité
des provisoires à long terme.
Le cas présenté démontre que dans des situations de dysgna-
thies squelettiques peu importantes, le recours aux moyens thé-
rapeutiques de la prothèse fixe permet d’atteindre un résultat
satisfaisant, tant pour le patient que pour le praticien traitant.
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Réhabilitation d`un cas d`occlusion antérieure croisée forcée

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