Les choix en astrophotographie (2)
par Alain Kohler
2. Choix du diamètre de l’objectif
Le choix du diamètre de l’objectif va influencer :
La magnitude limite observable et photographiable
Le pouvoir de séparation de l’instrument et corollairement l’échantillonnage (cf films et chips).
L’emplacement du site d’observation.
Le rapport f/d avec ses conséquences.
2.a La magnitude limite
Si l’on veut récolter beaucoup d’eau de pluie avec un seau, on a évidemment avantage à prendre un seau de grand
diamètre. Comme dans un temps donné, il tombe la même hauteur h d’eau, le volume d’eau V récolté sera
directement proportionnel à la surface collectrice S qui elle même dépend du diamètre D au carré :
S1 S2
h
D1 D2
Dans un même intervalle de temps donné, chaque seau recevra la même hauteur de pluie h. Les volumes d’eau V1
et V2 récoltés par les deux seaux sont respectivement :
V1 = S1 h et V2 = S2 h
Or la surface collectrice S du disque de chaque seau est donnée par S1 = 0,785 D1
2 et S2 = 0,785 D2
2
Donc on trouve ainsi : V1 = 0,785 D1
2 h et V2 = 0,785 D2
2 h
Si l’on compare les deux volumes d’eau récoltés : V2 = D2
2
V1D1
2
On dit alors que la quantité d’eau récoltée est directement proportionnelle au carré du diamètre : si le saut 2 a un
diamètre 2 fois plus grand que le saut 1, il récoltera 4 fois plus d’eau. Si son diamètre est 3 fois plus grand que le
saut 1, il récoltera 9 fois plus d’eau, si son diamètre est 10 fois plus grand, il récoltera 100 fois plus d’eau et ainsi
de suite.
Il en va de même pour les télescopes et les lunettes qui sont en fait des grands entonnoirs de lumière, la quantité
de lumière accumulée dans un temps donné dépendra du diamètre de l’objectif comme pour le seau :
La quantité de lumière captée par un objectif est
proportionnelle au carré du diamètre de l’objectif :
doubler le diamètre de l’objectif correspond à capter
quatre fois plus de lumière
Ce que l’on dit là est valable si toutes les autres choses (optique, capteur, temps d’exposition, etc…) sont égales
lors de la comparaison.
C’est un phénomène bien connu : si l’on veut beaucoup de lumière, il faut des grands « entonnoirs », c’est-à-dire
des instruments de grand diamètre. On a pour l’instant pas vraiment trouver autre chose pour avoir plus de
lumière (mise à part l’amélioration des optiques et surtout des capteurs) !!
C’est ainsi qu’on explique aisément la « course » aux diamètres toujours plus grands.
Le diamètre de l’objectif d’un instrument constitue dans ce sens sa caractéristique principale.
On parle de lunette de 15 cm (lentilles de 15 cm de diamètre), de télescope de 30 cm (miroir de 30 cm de
diamètre), etc…
La distance focale, les grossissements et d’autres caractéristiques ne sont habituellement pas le premier choix de
l’astronome (certes il faudra également ensuite faire ces choix) : selon la quantité de lumière qu’on veut, on
choisira tel ou tel diamètre.
Dans l’idéal, il est clair qu’on a meilleur temps de choisir tout de suite le plus grand diamètre possible !! Un des
facteurs principaux modérant la simplicité de ce choix est bien évidemment le coût. Le prix de télescopes
augmente encore plus rapidement (!!) qu’une proportionnalité au carré du diamètre :
Prix standard d’un télescope de comparaison de 20 cm : 5'000.-
Prix du télescope de 40 cm d’Arbaz : 30'000.-, soit 6 x plus cher (surface collectrice 4 x plus grande)
Prix du télescope de 60 cm de St-Luc : 150'000.-. soit 30 x plus cher (surface collectrice 9 x plus grande)
Prix d’un VLT de 8 m de diamètre : 100 millions de francs, soit 20'000 x plus cher (surface 1'600 x plus grande)
Sans parler du prix de Hubble (plus d’un milliard de dollars pour 2,4 m de diamètre) qui est un télescope un peu
à part…
L’échelle astronomique des éclats est la magnitude. C’est une échelle un peu particulière appelée logarithmique.
Lorsque la différence de magnitude entre deux étoiles est d’une magnitude, le rapport des éclats est de 2,5.
Une étoile de magnitude 5 brille ainsi 2,5 fois plus qu’une étoile de magnitude 6 qui elle-même brille 2,5 fois
plus qu’une étoile de magnitude 7, ainsi de suite.
Une étoile de magnitude 5 brille alors 6,3 fois plus (2,5 x 2,5) qu’une étoile de magnitude 7. Elle brillera 16 fois
plus (2,5 x 2,5 x 2,5) qu’une étoile de magnitude 8, 40 fois plus qu’une étoile de magnitude 9 et 100 fois plus
qu’une étoile de magnitude 10.
Chaque fois qu’il y a une différence de 5 magnitudes, cela veut dire que le rapport des éclats est de 100 fois.
Différence des mag 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Rapport des éclats 2,5 6,3 16 40 100 250 630 1'600 4'000 10'000
Il faut mentionner que cette échelle des magnitudes n’est pas très logique car une étoile de petite magnitude (par
exemple 0 ou 1) brille plus qu’une étoile de grande magnitude (par exemple 5). A ce titre, on rencontre des abus
de langage : on parle d’une étoile de faible magnitude (grande magnitude !) ou de forte magnitude (petite
magnitude).
Considérons maintenant deux objectifs, le premier de 10 cm, le second de 40 cm. Le second a un diamètre 4 fois
plus grand que le premier donc une surface collectrice 16 plus grande. Or un rapport de 16 sur les éclats
correspond à une différence de 3 magnitudes. Ainsi un objectif de 40 cm captera la même quantité de lumière
d’une étoile de magnitude 8 (ou 9 ou 10) qu’un télescope avec une étoile de magnitude 5 (ou 6 ou 7).
On dit alors qu’un objectif de 40 cm à un gain de 3 magnitudes par rapport à un objectif de 10 cm.
Le gain en magnitude en fonction du rapport des diamètres des objectifs est résumé dans les deux tableaux
suivants, le premier donnant un gain en nombres entier de magnitudes, le deuxième donnant un gain en fonction
d’un rapport simple des diamètres.
Gain en magnitude 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Rapport des diamètres 1,6 2,5 4 6,3 10 16 25 40 63 100
Rapport des diamètres 1,2 1,5 2 2,5 3 4 5 7 10
Gain en magnitude 0,4 0,9 1,5 2 2,4 3 3,5 4,2 5
Exemples :
1) Quel est le diamètre de l’objectif qui a un gain de 5 magnitudes par rapport à un objectif de 10 cm ?
Dans le premier tableau, on voit qu’un gain de 5 magnitudes correspond à rapport 10 sur les diamètres,
il faut donc un diamètre 10 fois plus grand soit 100 cm ou 1 mètre.
2) Les télescopes VLT ont chacun un diamètre de 8 mètres. Quel est leur gain en magnitude par rapport à
un télescope de 40 cm ? Le rapport des diamètres est de 20 fois. Dans le 2ème tableau, à un rapport 20
sur les diamètres, correspond à un gain de 6,5 sur la magnitude.
3) Par nuit claire, un œil dont la pupille est de 8 mm de diamètre peut voir un astre dont la magnitude est
de 6,5. Quelle magnitude peut-il voir à travers un télescope de 80 cm de diamètre puis de 8 m de
diamètre ? Le 1er rapport des diamètres est de 100 donc le gain en magnitude est de 10. Autrement dit il
peut voir des étoiles de magnitude 16,5. Le 2ème rapport est de 1'000 mais il est de 10 si l’on compare
avec le télescope de 80 cm donc on gagne encore 5 magnitudes ce qui porte à 21,5 la magnitude visuelle
limite dans un des télescopes du VLT. Hélas, pas de visuel au VLT !!
Il faut bien faire à nouveau attention que toutes ces comparaisons n’ont de sens que si les autres
caractéristiques de l’instrument, du capteur, de l’état du ciel sont les mêmes.
Ci-dessous un tableau avec les magnitudes visuelles, les magnitudes indicatives photographiques et CCD limites
usuelles obtenues par différents diamètres d’instruments. On suppose un ciel très pur, une optique et une
transmission parfaites.
Diamètre de l’objectif Genre de l’instrument Magnitude limite
visuelle
Magnitude limite
photographique*
Magnitude limite
CCD*
4 mm Œil vieux 5
8 mm Œil jeune 6,5
30 mm Jumelles 9,5
100 mm Lunette 12 14,5 17,5
200 mm Télescope amateur 13,5 16 19
400 mm Télescope standard
d’observatoire amateur
15 17,5 20,5
1 m Très grand télescope
amateur
17 20 22,5
2 m Petit télescope
professionnel
18,5 22 25
4 m Télescope professionnel
standard
20 23,5 26,5
8 m Grand télescope
professionnel
21,5 --- 28
16 m Les 4 VLT « 23 » --- 29,5
2,4 m Hubble 19 --- 30
Ces valeurs sont prendre avec une extrême prudence, en particulier les magnitudes limites photographiques et
CCD : on devrait normalement spécifier la bande spectrale utilisée par le capteur (la couleur) et utiliser les
standards photométriques. En photographie classique et CCD, la magnitude atteinte dépend du temps de pause et
de la qualité du ciel. Un amateur a réussi à obtenir avec un télescope de 40 cm la magnitude 24 par cumul des
dizaines d’heures d’exposition CCD !! Pour Hubble, comme le ciel est « parfait », la magnitude atteinte dépend
du temps d’exposition qu’on veut bien accorder à l’objet étudié (pour la magnitude 30, il s’agissait d’une pause
cumulée de 18 h).
* En fait, on mettra en évidence que la magnitude limite en photographie dépend en pratique également d’autres
paramètres mais qu’elle sera évidemment d’autant plus vite atteinte que le diamètre de l’objectif est grand.
2.b Le pouvoir de séparation
Non seulement on demande à un objectif de capter plus de lumière que l’œil mais on veut obtenir plus de détails
de l’objet observé.
La capacité d’un objectif de former deux images distinctes de deux objets ponctuels angulairement très serrés est
appelé pouvoir de séparation. L’écart angulaire de deux objets astronomiques juste résolus est appelimite de
séparation angulaire. Plus cette limite est faible, plus le pouvoir de séparation est élevé.
On pourrait croire que pour voir plus de détails sur un objet astronomique, il suffirait de pousser le
grossissement. Un grossissement qui tendrait vers « l’infini » devrait pouvoir nous donner une « infinité » de
détails. La réalité est plus subtile et la limite de séparation angulaire ne peut malheureusement pas être aussi
petite que l’on veut pour 3 raisons majeures :
i) Les défauts du système optique de l’instrument qui font que l’image d’une étoile ne sera pas
ponctuelle au plan focal mais plus ou moins étalée.
ii) Les mouvements de l’air, au voisinage du télescope et dans l’atmosphère, produisent optiquement des
lentilles d’air légèrement convergentes ou divergentes qui modifient de manière aléatoire le front d’onde
venant de l’étoile : on parle de turbulence.
iii) Même en absence de défauts optiques et de turbulence, l’image d’une étoile n’est pas un point. Cela
provient de la nature ondulatoire de la lumière.
Examinons cette 3ème raison. L’image d’une étoile est une figure résultant de la diffraction de l’onde en passant
dans l’ouverture circulaire de l’objectif. Cette figure est constituée en un pic centrale circulaire, appelé tache de
diffraction ou disque d’Airy, entouré d’anneaux concentriques de moins en moins brillants.
La demi-largeur angulaire θ du maximum central est donnée par une formule fournie par la théorie ondulatoire de
la lumière :
θ = 1,22 λ avec λ = longueur d’onde de la lumière captée
DD = diamètre de l’objectif θ est en radian
Image d’une source ponctuelle Intensité dans la figure de diffraction
-1,22 λ 0 1,22 λ θ
D D
La demi-largeur θ dépend donc de deux facteurs :
Plus la longueur d’onde est grande, plus le disque d’Airy est grand et donc plus cela sera difficile de
séparer deux étoiles. Le rouge sombre a une longueur d’onde double (λ = 780 nm) que le violet
(λ = 390 nm) ainsi le diamètre du disque d’Airy d’une source rouge sombre est deux fois plus
important que celui d’une source violette.
Plus le diamètre de l’objectif est grand, plus le disque d’Airy est petit et donc plus cela sera facile
de séparer deux étoiles.
Considérons trois objectifs, le premier de 10 cm, le deuxième de 20 cm et le troisième de 40 cm. On peut
imaginer par exemple que les images données par le premier ne soient pas séparées, qu’elles soient juste séparées
avec le deuxième et bien distinctes avec le dernier
D1 = 10 cm D2 = 20 cm D3 = 40 cm Critère de Rayleigh
confondues juste séparées bien séparées
1,22 λ
La notion de séparabilité a quelque chose d’un peu subjectif. D
On définit cette séparabilité conventionnellement par le critère de Rayleigh : deux étoiles de même grandeur
sont séparées dès que le pic d’intensité du disque d’Airy de l’une correspond au minimum d’intensité du disque
d’Airy de l’autre. Dans ce cas, la limite de séparation angulaire séparant les deux étoiles correspond à la demi-
largeur du pic central et vaut donc :
θ = 1,22 λ
D
Pour une source polychromatique comme les étoiles on prend habituellement une valeur moyenne de λ à 550 nm
correspondant à la couleur jaune. On obtient alors une formule pratique à utiliser pour la limite théorique de
séparation angulaire :
θ = 14 θ est en seconde d’arc
D et D en centimètres
Diamètre de l’objectif exprimé
en cm
0,7 3 10 15 20 40 80 240 800
Limite théorique de séparation
angulaire en seconde d’arc
20 4,7 1,4 0,9 0,7 0,35 0,17 0,06 0,02
Les limites angulaires indiquées sont théoriques. Elles ne tiennent pas compte :
Des défauts du système optique. Par exemple, la première valeur indiquée concerne l’œil. Dans de
bonnes conditions, la séparation angulaire atteinte par l’œil atteint 1 minute d’arc soit 60 secondes d’arc.
Dans la nuit, la pupille se dilate et le pouvoir séparateur devrait être meilleur. C’est le contraire qui se
passe à cause de grosses aberrations chromatiques et de sphéricité !
De la turbulence qui est un facteur encore plus important, surtout lorsqu’on veut travailler avec des
instruments de gros diamètres. Elle peut augmenter considérablement la demi-largeur du pic central et
de ce fait réduit singulièrement le pouvoir séparateur. On parle de turbulence en terme de seeing,
exprimé en seconde d’arc. Un ciel très turbulent peut avoir un seeing de 10 secondes d’arc, un ciel
moyen un seeing à 4 secondes d’arc, un bon ciel est dans nos régions à 2 secondes d’arc. Des seeings à
0,5 seconde d’arc ou moins sont exceptionnels : cela s’est passé les nuits du 29 et 30 septembre 2000 en
Valais central. Au Mont Paranal au Chili, ce genre de seeing est souvent obtenu et descend même
jusqu’à 0,3 seconde d’arc…
Un bon seeing de 2 secondes d’arc correspond à la limite théorique d’un objectif de 7 cm, mais compte
tenu des aberrations optiques, cela correspond à un objectif de 10 à 15 cm (selon la qualité de cet
objectif). Ce qu’on peut donc dire, c’est qu’un objectif de plus de 15 cm de diamètre n’apportera
pas d’amélioration significative sur le pouvoir séparateur pratique, donc des détails sur les objets
observés, lors de la plupart des nuits !!
Même les cieux excellents du Chili limite le pouvoir séparateur pratique à celui, théorique, d’un
télescope
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