Prise en charge hémodynamique après CEC chez l`adulte

QUESTIONS POUR UN CHAMPION EN REANIMATION 451
PRISE EN CHARGE HEMODYNAMIQUE
APRES CEC CHEZ L’ADULTE
P. Rougé, J-F. Quedreux. Département d’Anesthésie-réanimation chirurgicale, Service
de Chirurgie Cardiaque. CHU Rangueil, 1 av. J. Poulhès, 31403 Toulouse cedex - France.
INTRODUCTION
Cet exposé est centré sur le syndrome d’insuffisance circulatoire aiguë (ICA) post-
opératoire précoce (les 24 premières heures) après chirurgie cardiaque de l’adulte sous
circulation extra-corporelle (CEC) à l’exclusion de la transplantation cardiaque. Ce
syndrome d’insuffisance circulatoire aiguë postopératoire se définit comme l’impos-
sibilité pour la fonction cardiovasculaire d’assurer, à plus ou moins court terme et en
l’absence d’une intervention thérapeutique appropriée, les besoins métaboliques de l’or-
ganisme. Cette ICA postopératoire est toujours la première cause de morbi-mortalité
précoce après chirurgie cardiaque [1, 2].
L’actualité de cette question est renouvelée par l’échocardiographie transœsopha-
gienne (ETO). L’ETO permet non seulement une analyse physiopathologique précise
de ce syndrome mais aussi une meilleure prise en charge clinique et thérapeutique [3].
L’analyse hémodynamique classique par cathétérisme droit de Swan-Ganz reste perti-
nente en ce qui concerne la quantification de la sévérité de l’insuffisance circulatoire
aiguë et son suivi thérapeutique. Par contre, elle est tout à fait insuffisante et potentiel-
lement délétère, en induisant des conduites thérapeutiques erronées, dans le cadre du
diagnostic physiopathologique de l’insuffisance circulatoire aiguë. Les deux écueils
principaux sont :
1-La méconnaissance d’une cause chirurgicale curable responsable de l’insuffisance
circulatoire.
2-La méconnaissance d’une hypovolémie sur une dysfonction diastolique ventriculaire
gauche (VG) sévère.
1. EFFETS DE LA CEC SUR L’HEMODYNAMIQUE POSTOPERATOIRE
La CEC entraîne une altération endothéliale diffuse, responsable d’une part d’un
syndrome de fuite capillaire avec hypovolémie efficace, d’autre part d’une hyperten-
sion artérielle pulmonaire avec majoration de la post-charge du ventricule droit (VD) [4].
L’intensité de ces phénomènes et leur signification clinique connaissent une grande
variabilité interindividuelle qui pourrait être expliquée en partie par la biocompatibilité
du circuit extra-corporel, la température de perfusion et la longueur de la CEC.
De plus, une altération en général transitoire de la fonction du VG globale est régu-
lièrement observée. Elle intéresse les fonctions systolique et diastolique du VG [5]. Sa
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durée et sa réversibilité sont variables suivant les études. L’expression clinique de cette
dysfonction est d’autant plus probable que la CEC est réalisée chez une personne âgée,
de sexe féminin dont la fonction myocardique est altérée en préopératoire. Elle est
également fonction de la durée du clampage aortique.
2. MONITORAGE DU PATIENT EN ICA POST-CEC
L’emploi systématique du cathéter de Swan-Ganz, dans la chirurgie du pontage
aorto-coronarien, n’est pas associé à une réduction de la morbi-mortalité de cette chi-
rurgie, malgré une intensification du traitement par agents ß-adrénergiques [6]. Les
limites du cathétérisme artériel pulmonaire dans l’évaluation précise de la fonction
ventriculaire gauche sont nombreuses. L’estimation de la pré-charge du VG par la
mesure de la pression artérielle pulmonaire d’occlusion (PAPO) présuppose une série
d’hypothèses : extrémité du cathéter en zone III de West, absence de tachycardie,
absence de pathologie mitrale, compliance du VG normale, qui ne sont pas toujours
vérifiées en postopératoire de chirurgie cardiaque. La fréquence de l’hypovolémie péri-
opératoire, l’absence de sensibilité et de spécificité des modifications de pression de
remplissage pour détecter cette hypovolémie sont bien documentées [7, 8]. La con-
trainte pariétale télésystolique semble être un meilleur indice de post-charge du VG
que le calcul des résistances vasculaires systémiques [9]. Il est impossible sur la seule
comparaison des pressions de remplissage droite et gauche d’obtenir une évaluation
sélective des fonctions ventriculaires droite et gauche. Seule l’approche échocardio-
graphique, complétée par une étude Doppler, permet d’obtenir :
Une évaluation comparative de la fonction contractile et des dimensions des deux
ventricules.
Une évaluation anatomique et fonctionnelle des déterminants de la fonction «pom-
pe» du VG : péricarde, cinétique segmentaire du myocarde, appareils valvulaires.
Une évaluation sélective des fonctions systolique et diastolique VG (Tableau I). Chez
le patient hémodynamiquement instable en post-CEC, la différence entre les deux
types d’atteintes repose essentiellement sur la mesure de la fraction de raccourcisse-
ment de surface (FRS) et de la surface télédiastolique du VG (STDVG).
Tableau I
Type de dysfonction VG aigüe
noitcnofsyD
euqilotsySeuqilotsaiD
euqaidractibéD
OPAP
SRFuoelamrona
GVDTS
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L’étude du flux mitral en mode Doppler est en effet particulièrement sensible aux
variations des conditions de charge du VG, de la fréquence cardiaque et de l’inotro-
pisme du myocarde [10]. En pratique l’étude du flux mitral en mode Doppler est peu
contributive dans cette situation. Ainsi, le cathéter de Swan-Ganz et l’ETO apparais-
sent complémentaires dans le cadre de l’exploration des insuffisances circulatoires aiguës
post-CEC. Le cathéter artériel pulmonaire, en mesurant le débit et en donnant accès
aux paramètres d’oxygénation (saturation en oxygène du sang veineux mêlé et index
d’extraction en oxygène) permet de préciser la mise en jeu relative des réserves de
débit cardiaque et d’extraction en oxygène [11]. La PAPO reste par ailleurs le meilleur
indice prédictif de survenue d’un œdème aigu du poumon.
3. CADRE NOSOLOGIQUE DES ICA POST-CEC
Une insuffisance circulatoire aiguë est fréquente après CEC. J-L. Canivet l’identi-
fie chez 27 % des patients d’une série consécutive de 475 opérés (337 pontages
aorto-coronaires, 104 remplacements valvulaires aortiques, 34 interventions portant sur
la mitrale). L’insuffisance circulatoire aiguë post-CEC revêt deux modes de présenta-
tion (Tableau II) :
1-Inefficacité circulatoire aiguë, en rapport avec :
- un trouble conductif (cette situation est contrôlée par l’entraînement électro-systo-
lique externe),
- un trouble malin du rythme ventriculaire imposant un choc électrique externe et/ou
un traitement antiarythmique.
2-Une hypoperfusion tissulaire périphérique définie par un ou plusieurs épisodes d’hy-
potension artérielle sévère et/ou une acidose métabolique avec hyperlactatémie. Cette
hypoperfusion est due à un trouble hémodynamique convectif secondaire à une hy-
povolémie ou à un choc cardiogénique.
Après un traitement approprié, l’insuffisance circulatoire aiguë post-CEC est le plus
souvent réversible (80% des cas de la série de J-L. Canivet). Son impact majeur sur la
mortalité est cependant illustré par le fait que 19 % des patients qui présentent une
insuffisance circulatoire aiguë post-CEC décèdent. La mortalité dans cette série n’est
que de 0,3 % parmi les patients sans altération hémodynamique majeure. Le choc car
dio-
génique pris dans son sens le plus large (dysfonction de «pompe») et défini par l’association
d’une hypoperfusion périphérique, d’un bas débit cardiaque (IC 2,2 l.min
-
1.m-2) avec
Tableau II
Syndromes d’insuffisance circulatoire aigüe post-CEC
(adapté d’après J-L. Canivet)
semordnys eigolohtapoisyhp ecnedicni sècéd
ACIeilotsysauo/tenoitcudnoccolb-
VF-VT-
%1,6
%9,2
%8,6
%3,41
-irépnoisufrepopyh
elbuortruseuqiréhp
fitcevnoc
eimélovopyh-
euqinégoidraccohc-
%6,21
%5,5
%7,6
%06
.erialucirtnevnoitallirbif=VFerialucirtneveidracyhcat=VT
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pressions de remplissage élevées (PAPO 18 mmHg) est dans cette série deux fois
moins fréquent que l’hypovolémie. Toutefois, en raison de son incidence (5,5 %) et de
sa mortalité élevée (60 %), il représente la principale cause de mortalité en postopéra-
toire de CEC (60 % de la mortalité globale). J-L. Canivet [12] en s’appuyant sur l’analyse
par ETO, propose une classification opérationnelle correspondante à une attitude théra-
peutique spécifique du choc cardiogénique post-CEC (Tableau III).
4. INEFFICACITE CIRCULATOIRE POST-CEC
4.1. TROUBLE CONDUCTIF DE HAUT-DEGRE
On ne doit plus rencontrer d’inefficacité circulatoire post-CEC en relation avec un
trouble conductif de haut-degré.
Les troubles conductifs sont fréquents après CEC. Ils sont en général transitoires, le
rythme sinusal se rétablit avant le 8ème jour postopératoire chez 97 % des patients [13].
Les facteurs favorisants sont bien identifiés : endocardite, chirurgie valvulaire
(aortique > mitrale), chirurgie «redux», utilisation de cardioplégie froide. Il est obliga-
toire de mettre en place en fin d’intervention des électrodes temporaires épicardiques
de stimulation, permettant un entraînement électro-systolique par voie externe. Il est
préférable de positionner 4 électrodes : deux auriculaires et deux ventriculaires, à for-
tiori en présence d’une cardiopathie hypertrophique. Ces 4 électrodes autorisent la
réalisation d’un entraînement séquentiel auriculo-ventriculaire qui est plus efficace en
termes d’hémodynamique que la stimulation ventriculaire isolée. De plus, les électro-
des auriculaires permettent si nécessaire de réduire par «over drive» un trouble du rythme
supraventriculaire [14]. Seule l’existence préopératoire d’une FA chronique sur une
oreillette gauche dilatée rend inutile la mise en place d’électrodes auriculaires.
4.2. INEFFICACITES CIRCULATOIRES SUR TROUBLES MALINS DU RYTHME
VENTRICULAIRE
Leur diagnostic électrocardiographique est aisé. Leur réduction par choc électrique
externe est une urgence. Cette réduction sera consolidée par un traitement anti-aryth-
mique. Les deux agents couramment indiqués sont les bêta-bloquants et/ou l’amiodarone
en fonction de la pathologie sous-jacente.
Dans tous les cas il est impératif d’identifier la cause sous-jacente et la traiter. La
responsabilité d’un trouble hydro-électrolytique (hypomagnésémie, dyskaliémie, trou-
bles acido-basiques) ne doit-être retenue que lorsqu’une ischémie myocardique aiguë
par thrombose et/ou spasme d’un greffon aorto-coronaire a été éliminée [15, 16].
Tableau III
Mécanismes du choc cardiogénique post-CEC (adapté d’après J-L. Canivet)
ecneuqérF
evitaler étilatroM
GVeuqilotsysnoitcnofsyD-
GVeuqilotsaidnoitcnofsyD-
:lacigrurihctnemetiarteduo/teesuacednoitcnofsyD-
serialuvlavseilamona-
sedannopmat-
DVnoitcnofsyD-
%73
%23
%31
%7
%11
%08
%42
%34
%05
%33
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5. HYPOPERFUSION PERIPHERIQUE SECONDAIRE A UN TROUBLE
HEMODYNAMIQUE CONVECTIF
5.1. HYPOVOLEMIE
Même en post-CEC, l’hypovolémie est la cause la plus fréquente d’ICA
5.1.1 DIAGNOSTIC DHYPOVOLEMIE
Il est facile quand l’hypoperfusion périphérique est associée à des pressions de rem-
plissage basses : PVC < 7 mmHg et/ou (PAPO 12 mmHg). La conduite à tenir face à
cette situation est simple et repose sur une expansion volémique adaptée. Le choix du
soluté de remplissage dépasse le cadre de cet exposé. En fonction du type d’interven-
tion et du terrain, le taux d’hémoglobine est maintenu entre 80 et 100 g.L-1.
5.1.2. RECONNAITRE UNE HYPOVOLEMIE
C’est peut-être beaucoup plus difficile quand elle survient sur un cœur avec altéra-
tion de la fonction diastolique du VG et ce, d’autant qu’il existe une tachycardie
éventuellement majorée par une prescription inappropriée d’agents adrénergiques. Dans
ces conditions la PAPO surestime la PTDVG même en l’absence de pathologie mitrale.
La PTDVG n’est plus corrélée à la pré-charge du VG du fait du trouble de la com-
pliance du VG. Le tableau réalisé est trompeur : une authentique hypovolémie est
responsable d’un bas-débit cardiaque avec pressions de remplissage élevées
(PAPO 18 mmHg). Le danger majeur est de rapporter ce profil hémodynamique à un
défaut de contractilité du myocarde. La prescription d’agents inotropes positifs ne fe-
rait qu’aggraver le tableau clinique.
En post-CEC, ce type de dysfonction survient dans un contexte d’hypertrophie du
VG concentrique qui s’inscrit 2 fois sur 3 dans le cadre d’un rétrécissement aortique
serré, dans le cadre d’une cardiopathie hypertensive pour le dernier tiers. Seule l’écho-
cardiographie permet de faire le diagnostic [3, 12, 17]. Dans 100 % des cas, une
oblitération télésystolique de la cavité du VG témoigne d’une fonction systolique
«supranormale». Dans près de 50 % des cas, il existe une accélération intraventriculai-
re du flux éjectionnel avec un gradient de pression intra VG. Au maximum un SAM
(systolic antérior motion) avec insuffisance mitrale méso-systolique peut-être observé.
Parallèlement la surface télédiastolique du VG est basse, inférieure en règle à 5 cm
-2
.m
-2.
Ces dimensions du VG réduites en dépit de pression de remplissage élevées témoignent
de la sévérité de l’altération de la fonction diastolique. Elle survient sur une altération
préexistante de la compliance du VG décompensée en post-CEC. Cette décompensa-
tion s’explique par la surimposition de lésions d’ischémie-reperfusion liées au clampage
aortique. Ces phénomènes peuvent être majorés par le développement d’une ischémie
diffuse sous-endocardique en condition de tachycardie et d’hyperadrénergie. En effet,
l’hypertrophie concentrique du VG s’accompagne d’une réduction sévère de la réserve
coronaire même en l’absence de toute lésion coronaire focale.
En l’absence d’études contrôlées, les recommandations thérapeutiques en cas de
défaillance aiguë de nature diastolique en post-CEC sont essentiellement centrées sur
ce qu’il est impératif d’éviter. Les traitements par agents adrénergiques sont contre-
indiqués et doivent être interrompus. De même, les traitements amenant une réduction
du retour veineux ou de la post-charge doivent être évités. Il est fondamental d’assurer
un remplissage du VG correct en rétablissant un gradient de pression transmitral. Ceci
impose le maintien de pressions de remplissage élévées. La perte de la fonction auricu-
laire (fibrillation auriculaire, rythme nodal) doit être immédiatement corrigée par des
moyens non pharmacologiques (choc électrique externe, entraînement electro-systoli-
que ventriculaire au mieux séquentiel auriculo-ventriculaire). Enfin si la tachycardie
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