Les contraintes techniques de l’exploitation des énergies marines Introduction L’exploitation des énergies marines suppose l’implantation d’équipements en mer dont on trouvera une description succincte dans les chapitres dédiés à chaque forme d’énergie. Nous souhaitons souligner ici quelques points communs afin de faire comprendre que l’exploitation de ces énergies se confronte à des difficultés qu’il ne faut pas sous-estimer. Ces difficultés expliquent en grande partie la relative lenteur des développements en cours. Elles doivent aussi être prises en compte si on désire extrapoler le coût de l’énergie produite qu’on serait en droit d’attendre dans le futur en admettant un développement majeur de ces énergies, mettant en œuvre des technologies matures et optimisées. Les énergies marines peuvent servir à satisfaire divers besoins : production d’électricité, production d’eau douce par dessalement, production d’hydrogène, etc. Pour simplifier la discussion, on ne considère ici que la production d’électricité destinée à être injectée sur le réseau terrestre, continental ou insulaire selon les cas. Le milieu marin Hydrodynamique L’eau de mer est salée, avec une teneur en sel de 35kg/m3 dans les océans. La densité de l’eu salée est de 1025kg/m3. La masse de l’eau est agitée de mouvements, vagues et courants qui constituent la ressource d’énergie mécanique qu’on peut exploiter. Ces mouvements sont aussi à l’origine d’efforts hydrodynamiques qui doivent être bien pris en compte pour le calcul de la résistance mécanique des structures implantées en mer. Sols sous-marins Les sols sous-marins sont imbibés d’eau, ce qui influence leur comportement. Les fonds sableux sont souvent mobiles, on observe parfois la formation de dunes sousmarines. Les plus petites sont parfois déplacées à chaque marée, les plus grandes voyagent lentement au fil des ans. Près des estuaires, les fonds sont parfois constitués de vase. L’ancrage de structures dans ce type de sol nécessite des technologies très particulières. D’autres fonds peuvent être couverts de galets, voire de roche nue. Les installations d’énergie marine doivent être capables de s’adapter aux conditions locales. La nature et le dimensionnement des fondations sont très variables selon le sol. Il est inutile de définir à l’avance les détails des installations avant d’avoir étudié la nature du fond et du sous-sol. Corrosion Il est connu que l’eau de mer est agressive pour les aciers et de nombreux matériaux. Pour assurer la tenue dans le temps, les installations doivent être conçues pour éviter la corrosion. De nos jours, l’industrie maitrise le problème et propose les solutions adaptées : - les parties qui restent toujours immergées (œuvres vives) sont protégées par protection cathodique, sous grâce à des anodes sacrificielles, soit par courant imposé. - Les parties aériennes doivent résister aux embruns et aux rayons ultraviolets du soleil. Les systèmes de peinture modernes offrent des solutions adéquates - Les parties immergées par intermittence (action des vagues et des marées) sont recouvertes d’une couche suffisamment épaisse de matériau protecteur (un centimètre de résine armée par exemple) Salissures marines De très nombreux organismes vivent dans la mer, qui sont capables de se fixer sur les supports solides. On parle de salissures marines, en anglais biofouling. Une surface fraichement immergé est rapidement recouverte par un film bactérien très adhérent. Sur ce film se développent d’autres organismes, dont la nature dépend de la profondeur d’eau, de l’éclairement et de l’agitation. Efforts mécaniques sur le système de captation de l’énergie De manière générale, les énergies renouvelables marines (en dehors de l’ETM) prennent la forme d’un mouvement de fluide, vent pour les éoliennes, courant d’eau sur une hydrolienne ou dans une turbine marémotrice, vague sur un houlomoteur. Exploiter cette énergie signifie contrarier le mouvement du fluide en transformant une fraction de l’énergie cinétique ou potentielle du fluide en énergie mécanique. Pour cela, il faut opposer au fluide une force fournie par un capteur, par exemple pales d’un rotor ou volet oscillant d’un houlomoteur. Le capteur doit être mobile, et c’est son mouvement qui initie la transformation en énergie utile. En mécanique, on peut écrire l’équation générale suivante : Puissance du capteur = force sur le capteur x vitesse du capteur Si le capteur est immobile (par exemple : un mur), la puissance produite est nulle. Si le capteur suit librement les mouvements du fluide (par exemple : flotteur libre sur les vagues), la force sur le capteur est nulle, ainsi que la puissance. Nous allons voir les conséquences de cette simple formule. Une éolienne offshore développe toute sa puissance lorsque le vent atteint 15 m/s. Pour une hydrolienne, le courant d’eau doit avoir une vitesse d’environ 2,5 m/s. Si maintenant on considère l’énergie des vagues, une vague de 3 m de hauteur avec une période de 10 s correspond à un mouvement alternatif de l’eau à la vitesse de 1 m/s. Le mouvement du capteur houlomoteur est nécessairement plus lent. Cette simple comparaison enseigne que pour une même puissance électrique, les efforts sont 6 fois plus important sur les pales d’une hydrolienne que sur celles d’une éolienne, et qu’ils sont plus de 15 fois plus forts sur le houlomoteur. Les efforts résultent de la physique du fonctionnement des capteurs d’énergie et des lois de la mécanique des fluides, et non pas de la technologie adoptée pour la réalisation du capteur. Tous les progrès techniques à venir ne pourront rien changer aux équations de la physique, donc aux efforts minimaux subis par les installations. Or, de manière générale dans l’industrie, le coût d’une installation est quasiment proportionnel à la quantité de matériau (acier, béton, composites, etc.) nécessaire pour résister aux efforts mécaniques. La vitesse coûte peu. Elle est même généralement un avantage. Par exemple, pour une puissance donnée, une génératrice électrique est d’autant petite qu’elle tourne vite. Cette discussion est nécessairement simplifiée. On peut malgré tout en déduire qu’il existe intrinsèquement une classification des coûts potentiels des équipements destinés à exploiter les énergies marines. Un capteur éolien est plus léger et moins cher qu’un capteur hydrolien, tandis que les houlomoteurs doivent être les plus résistants et les plus onéreux. Cette classification doit bien entendu être tempérée par d’autres considérations. Le capteur d’énergie n’est pas le seul paramètre influençant le coût total. Par exemple, pour une puissance donnée, donc pour un effort donné sur le rotor, la structure portant une éolienne offshore est d’autant plus lourde que la profondeur d’eau augmente. De nombreux autres exemples de facteurs ayant une influence sur le coût pourraient être cités. Efforts extrêmes sur les installations durant les tempêtes Les capteurs qui extraient l’énergie du milieu sont tenus en place par une structure porteuse (mât d’éolienne, embase d’hydrolienne, etc.). Lorsqu’une tempête survient, des vents de plus de 50 m/s soufflent sur les éoliennes offshore, avec parfois des rafales de 70 m/s. Dans de telles circonstances, l’éolienne est arrêtée afin de limiter les risques de casse. C’est pourtant durant de tels événements que les rotors subissent les efforts maximaux (2MN ou 200 tonnes-force sur le rotor d’une éolienne de 5MW, à plus de 100 m au dessus de l’eau). La tempête engendre de fortes vagues qui frappent les parties sous-marines (structures support des éoliennes fixes, flotteurs des éoliennes flottantes, etc.). Pour donner une idée, les efforts extrêmes sur l’embase d’une éolienne offshore fixée sur le fond sont typiquement 2 fois plus forts que les efforts dus au vent. La houle longue (périodes de plus de 10s) se fait sentir jusqu’à des profondeurs de 40m à 50m. Les mouvements de va et vient de l’eau sur un fond sableux peut provoquer un affouillement autour des structures qui risquent de se retrouver déchaussées. Les câbles posés sur le fond doivent être lestés pour ne pas être ballotés. Les efforts de tempête sont particulièrement critiques pour les systèmes houlomoteurs. Ceux-ci doivent avant tout être conçus pour survivre aux tempêtes. Une prise en compte insuffisante de ce problème a conduit à la ruine de tous les prototypes des premières générations de machines testées en mer dans les années 1970-1980. Transport de l’énergie Puisqu’on considère la production d’électricité, l’énergie doit être exportée par des câbles sous-marins. Selon la puissance transportée et la distance à la côte, la tension est plus ou moins élevée. Une grande ferme éolienne peut totaliser plus de 1000 MW. La tension est élevée à 220kV ou 400kV dans une plateforme de transformation implantée dans la ferme. Au delà d’une certaine distance (de l’ordre de 50 kms), on a même intérêt à effectuer le transport sous forme de courant continu plutôt que de courant alternatif triphasé. Ceci nécessite la mise en œuvre de puissants convertisseurs électroniques capables de transformer le courant alternatif en courant continu en mer et inversement à terre. On peut dire que de nombreuses technologies d’énergie marine ont été rendues possibles grâce au développement de l’électronique de puissance. Des exemples sont fournis dans les chapitres correspondants. Les progrès faits dans ce domaine continuant, on peut prédire que les techniques d’énergie marine en tireront profit. Le coût de l’équipement électrique est grossièrement proportionnel à la distance jusqu’au point d’injection de la puissance sur le réseau terrestre. Notons que pour de grandes puissances, cette distance comprend la distance en mer à laquelle il faut ajouter la distance à terre pour parvenir au point d’injection sur le réseau de transport haute tension, qui n’est généralement pas situé près du rivage, mais souvent à plusieurs kilomètres à l’intérieur des terres. Installation en mer Tous les équipements sont fabriqués à terre avant d’être installés en mer. Cette évidence entraine de nombreuses conséquences : - En mer, on implante des systèmes aussi puissants que possible afin de réduire les coûts. Pour fixer les idées, une éolienne offshore représente une masse de 1000t environ, des pales de 80m, des nacelles de 300t ou plus. La masse d’une hydrolienne complète de 1MW est de l’ordre de 700t. Une grande ferme éolienne comporte jusqu’à une centaine d’aérogénérateurs, voire plus. - Des navires spécialisés sont nécessaires. Le montage d’une éolienne offshore fait appel à des navires munis de grues de grande hauteur capables de se stabiliser en prenant appui sur le fond marin. La mise en place d’une hydrolienne de grande puissance ne peut se faire que par un navire capable de lever de lourdes charges et de garder une position fixe au milieu d’une zone de forts courants. La pose des câbles est réalisée par des navires dédiés à ce travail. - Le transfert entre la terre et la mer s’effectue dans un port. Les ports concernés doivent être capables d’accepter la présence au bord d’un quai des charges très lourdes, généralement inhabituelles dans le trafic conventionnel du port. Souvent, il est nécessaire de renforcer le génie civil du quai. - Si on envisage de faire flotter la structure pour le remorquage, il faut prendre soin à ce que le tirant d’eau soit inférieur à 16m, profondeur d’eau maximale fréquemment observée dans les ports européens et les chenaux d’accès. Notons que les problématiques citées plus haut concernent toutes les installations destinées à récolter les énergies renouvelables en mer. Elles s’appliquent donc aussi aux éoliennes offshore, ce qui justifie le fait de considérer l’éolien offshore comme une des énergies marines. Maintenance Le milieu marin n’est pas un milieu naturel pour l’homme. Tout équipement marin doit être sorti de l’eau à l’air libre pour effectuer les opérations d’entretien ou de réparation trop compliquées pour des robots. Corrosion Salissures marines Evolution potentielle du coût des installations L’histoire de l’industrie enseigne que le coût d’une filière diminue avec le développement de celle-ci grâce au retour d’expérience, à la mise au point de la technologie, et à la production en série. On trouve une démonstration de cette évolution dans la baisse spectaculaire du prix des ordinateurs, mais également dans le coût des panneaux photovoltaïques. Cette loi d’évolution devrait aussi s’observer dans le cas des énergies marines. Les prix des énergies éolienne, hydrolienne, houlomotrice baisseront quand le nombre d’unités augmentera et que les technologies deviendront matures. Toutefois, le milieu marin impose ses contraintes et fixe une limite basse à la quantité de matériaux requise. Cette limitation physique dictera le coût minimal des installations, même une fois que la technologie sera largement maitrisée. A titre d’exemple, la figure suivante illustre l’évolution probable du coût de l’éolien offshore.