1851 20-21 1851 DP 8073 LES BONAPARTE Pratiques politiques L ES deux Empires ont longtemps conservé l’image de régimes ayant instrumentalisé le suffrage universel à travers la pratique du plébiscite, considérée comme une déviation du vote populaire. L’historiographie récente s’est montrée beaucoup plus attentive à la lecture de ces votes qui manifestent déjà certaines formes de culture politique. Le plébiscite est au cœur de la doctrine bonapartiste. Il incarne en effet l’expression de la souveraineté nationale, inscrite dans les principes de 1789. Pour Napoléon Bonaparte comme pour Napoléon III, la nation doit être consultée dès lors qu’est modifié le contrat qui la lie à ses représentants, c’est-à-dire la constitution. Les quatre plébiscites organisés sous le Consulat et l’Empire, en l’an VIII (1799), en l’an X (1802), en l’an XII (1804), puis au moment des CentJours (1815), de même que les trois plébiscites organisés entre le coup d’État et la chute du Second Empire (décembre 1851, novembre 1852, mai 1870), portaient sur la constitution du pays. Mais on oublie trop souvent que cette pratique avait été inaugurée par la Convention. Cette dernière avait soumis au vote la Constitution de l’an I (1793) et Sieyès, dans ses projets de réforme constitutionnelle, prévoyait également une “votation” populaire. Au lendemain du coup d’État du 2 décembre 1851, Louis Napoléon Bonaparte décide de consulter la population, en lui posant la question suivante : “Le peuple français veut le maintien de l’autorité de Louis Napoléon Bonaparte et lui délègue les pouvoirs nécessaires pour établir une constitution sur les bases proposées dans la ‘proclamation’ ”, allusion aux propositions formulées le 2 décembre d’instaurer un pouvoir fort en France. Le peuple est donc invité à donner son approbation au coup Les plébiscites, au fondement du Second Empire d’État et au retour aux institutions qui gouvernaient la France au début du siècle. Un an plus tard, le peuple est de nouveau appelé aux urnes pour donner son avis sur le rétablissement de l’Empire. En 1851, le scrutin est organisé les 20 et 21 décembre, alors que règne l’état de siège dans un tiers des départements récemment touchés par les insurrections. La pression des autorités locales est forte et s’exerce en faveur du oui. Par rapport au Consulat, des urnes sont disponibles dans des bureaux de vote, alors qu’au début du siècle l’électeur était invité à signer un registre, ce qui conduisait effectivement à réduire le nombre de votes négatifs. En 1851 comme en 1852, seuls les bulletins oui sont déjà imprimés, l’électeur désirant voter non doit inscrire lui-même sa volonté sur un bulletin. Et il n’y a ni enveloppe ni isoloir. Pourtant les Français s’expriment. La participation est massive (plus de 80 %), ce qui ne peut s’expliquer uniquement par les pressions des autorités. En l’an VIII, Lucien Bonaparte, alors ministre de l’Intérieur, avait dû truquer les résultats pour parvenir à 3 millions de oui ; en 1851, Louis Napoléon Bonaparte en recueille 7,5 millions. Les Français ont très majoritairement soutenu le Prince-Président, puis approuvé l’Empire (7 824 189 oui). Pourtant, la carte des adhésions est contrastée et laisse apparaître quelques résistances, notamment en 1851, dans une France de l’ouest et du sud-est, rurale, aux traditions monarchistes et catholiques pour la première, républicaines pour la seconde. À l’inverse, la France bonapartiste est la France moderne, déjà industrialisée, du nord et du nord-est. Paris fait exception en manifestant ses réserves, avec 80 691 non contre 132 981 oui en 1851, et encore 44 484 non contre 137 425 oui en 1852. Le nombre de bulletins nuls double dans Quelques exemples de bulletins nuls, plébiscites de décembre 1851 et novembre 1852, département de la Seine. Documents fournis par Vincent Huet dont la thèse (en cours) porte sur les comportements politiques des Parisiens de 1850 à 1870. Paris, Archives nationales, B II 1118 et 1206. Photographies disponibles sur transparent la capitale, passant de 3021 en 1851 à 6731 en 1852. Or ils constituent une forme d’expression riche d’enseignements, surtout quand le scrutin paraît joué d’avance (un électeur le qualifie de “farce”). Très minoritaires, ces réactions manifestent l’attachement à la liberté, à la République, à la tradition révolutionnaire française. Même s’il dépose finalement un oui, un électeur, en guise d’avertissement, fait référence aux grands épisodes révolutionnaires (1789, 1793, 1848). Un autre s’appuie sur des citations de Shakespeare, Goethe et Louis Napoléon lui-même, pour justifier son rejet du passage à l’Empire. Tous ces bulletins expriment, avec une liberté de ton pouvant aller jusqu’à la grossièreté, une volonté de conserver la parole qui montre que le suffrage universel, récemment introduit en France, est progressivement apprivoisé. 1851 1852 1852 Les “oui” au plébiscite de 1851 Plébiscite sur la prolongation du mandat du chef de l’État et pouvoirs constituants à Louis Napoléon Bonaparte 93,3 % 83,7 % 79,2 % 74,1 % 69,3 % 64,2 % 43,4 % 0 50 km Source : Frédéric Salmon, Atlas électoral de la France, 18482001, Paris, Seuil, 2001. 1852 “L’homme n’est pas Dieu ; avec lui meurent ses vices, “ses vertus, s’il en a” “Scheaskpeare” [Shakespeare] _________ “L’éternité finit demain” “Goethe” _________ “Homme, sache que l’avenir le présent est à toi, “mais l’avenir à tes successeurs“ “Louis Napoléon tome III, page 113 _________ Empereur est un titre que jamais je ne donnerai à personne NON !!! Monsieur Bonaparte, j’aime trop ma liberté, la paix le bonheur des peuples pour aliéner en votre personne et ses successeurs, par un vote affirmatif sur le plébiscite soumis au scrutin national, la souveraineté qui réside en moi comme elle réside dans tout être pensant. France, 21 9bre [novembre] 52 midi..