La symbolique des oiseaux sur les monnaies tchèques et

Les représentations d’oiseaux ne sont pas fréquentes
sur les monnaies européennes du haut Moyen Age1. Ce
n’est que sporadiquement qu’elles apparaissent sur les
monnaies des Mérovingiens, les deniers anglo-saxons,
les monnaies scandinaves et allemandes2. Une certaine
concentration de motifs animaliers se laisse par contre
remarquer sur les monnaies tchèques et polonaises de
la fin du Xeet de la première moitié du XIesiècle.
C’est ce phénomène que je me propose d’examiner ici
de plus près.
Il y a quinze ans, lors du mémorable colloque de
Sigtuna, Ryszard Kiersnowski en analysant les repré-
sentations d’oiseaux, était arrivé à la conclusion que
l’aigle ou le faucon étaient les modèles les plus fré-
quents. Pour lui il s’agissait de symboles du pouvoir
monarchique3. Cette suggestion semble juste, mais elle
s’applique avant tout à une époque postérieure qui
commence vers le milieu du XIesiècle. Plus tôt, au Xe
et au début du XIesiècle, la situation pouvait être dif-
férente. Avant de procéder à une interprétation des
représentations d’oiseaux sur les monnaies tchèques et
polonaises de ce temps, il y a lieu de se demander à
quels oiseaux on a affaire en réalité sur celles-ci.
En Europe centrale, la représentation la plus ancienne
est celle de deux oiseaux affrontés sur les monnaies
frappées vers 825 à Hedeby au Danemark. L’opinion la
plus répandue veut que ce soient des coqs4. Cette
interprétation est sans doute fondée sur l’ornement
fantaisiste de la tête des oiseaux qu’on associe à la
crête de coq. Cependant on voit nettement qu’il s’agit
là de plumes qu’on ne peut associer qu’aux paons5.
Une telle identification est confirmée également par la
forme de la longue queue pendante qu’on ne saurait
considérer comme typique du coq.
Il est plus difficile d’interpréter les représentations
d’oiseaux sur les monnaies tchèques. Il s’agit de mon-
naies de deux souverains ayant régné à la même époque
à Prague et à Libice: Boleslav II de la famille des
Premyslides (972-999) et Sobezlav, fils de Slavnik
(981-995). On attribue à Boleslav cinq différents
types de monnaies à motifs d’oiseaux. Sur le côté
opposé de ces pièces on trouve soit une représentation
de la Manus Dei, soit celle de deux épées. Toutes ces
représentations, de même d’ailleurs que les inscrip-
tions, sont assez déformées; il n’est donc pas facile d’en
donner une interprétation claire et nette. On a l’im-
pression que les graveurs des coins n’étaient pas de
bons spécialistes et que probablement ils ne compre-
naient pas bien ce qu’on leur avait donné à copier. Il
semble aussi que les déformations étaient l’effet du
procédé consistant à reproduire plusieurs fois des
copies que constituaient soit des monnaies plus
anciennes, soit des modèles non monétaires dont nous
n’avons malheureusement pas connaissance. Rien d’é-
tonnant donc à ce que dans la littérature sur ce sujet on
n’ait pas tenté jusque-là de définir les espèces d’oiseaux
représentées. Cela semble pourtant possible dans le cas
d’au moins deux types. Il vaut la peine de remarquer
que tous les deux portent sur le côté opposé la repré-
sentation de la Manus Dei. Sur la monnaie faisant par-
tie du trésor de Peisterwitz (Bystrzyca) en Silésie l’oi-
seau porte quatre plumes sur la tête et une queue
déployée6. Etant donné ces deux caractéristiques, il y a
1251
La symbolique des oiseaux sur les monnaies tchèques
et polonaises de la fin du Xeet du début du XIesiècle
STANISLAW SUCHODOLSKI*
* Institut d’Archéologie et d’Etnologie de l’Académie Polonaise des
Sciences, Varsovie.
1. Je voudrais exprimer ma vive gratitude à Mme Cécile Morrisson qui
a bien voulu –comme d’habitude– verifier la traduction du texte.
2. voir p. ex. Lafaurie, J.: Les animaux dans la numismatique méro-
vingienne, dans Le bestiaire des monnaies, des sceaux et des médailles, Paris
1974, p. 137-150; Gannon, A.: The iconography of early Anglo-Saxon
coinage. Sixth to eight centuries, Oxford 2003, p. 107-125.
3. Kiersnowski, R.: Über einige Herrschaftszeichen auf Münzbildern
des 10. und 11. Jahrhunderts, dans Sigtuna Papers. Proceedings of the
Sigtuna Symposium on Viking-Age coinage 1-4 June 1989, Commentationes
de nummis saeculorum IX-XI in Suecia repertis, Nova series 6, ed. K.
Jonsson, B. Malmer, Stockholm 1990, p. 159-166.
4. voir Malmer, B.: Nordiska mynt före år 1000, Acta Archaeologica
Lundensia, Series in 8º, Nº 4, Lund 1966, p. 60, pl. 33, 5 (type KG 4).
5. Le premier à l’avoir fait remarquer fut Witold Garbaczewski, lors
de la discussion du colloque numismatique internationale tenue à
Suprasl en 2000.
6. Fiala, E.:
D
eské denáry, Praha 1895, pl. IV, 6.
lieu de voir en lui un paon7. On reconnaît également un
paon sur la monnaie inventoriée par F. Cach sous le
numéro 988(fig. 1 et 4). Ce qui porte à le croire, c’est
la très longue queue qui, faute de place sur la monnaie,
est relevée jusqu’à la tête. Sur la tête on voit un bon-
net bizarre, imitation malhabile de l’aigrette de l’oise-
au par le graveur. On imagine difficilement qu’un autre
oiseau portant une si longue queue ait servi de modè-
le et que le couvre-chef insolite soit apparu pour une
autre raison.
Dans un troisième cas le paon est reconnaissable sur
la monnaie Cach no949. Il faut cependant examiner la
photo de la monnaie, car les dessins exécutées par des
personnes ne comprenant pas le fond de la question,
n’ont provoqué que des malentendus successifs. Ce
qui était inteprété comme une aile, est plutôt la queue
relevée vers la tête. C’est l’aigrette typique du paon
qui nous incite à croire que nous avons en fait affai-
re à cet oiseau ici aussi.
L’identification des oiseaux figurés sur les monnaies
Cach no96 et no93 (fig. 1) présente le plus de diffi-
cultés. Les deux oiseaux se distinguent de tous les
autres par le dessin en forme d’un demi-cercle rappe-
lant les ailes relevées qu’ils portent sur le dos.
L’exemple des monnaies de Sobezlav (Cach 158) (fig.
2) montre toutefois qu’une telle forme atypique peut
être due au fait que le graveur n’avait pas compris l’i-
dée du modèle. Les prétendues ailes peuvent être la
queue relevée, et la queue, l’extrémité des ailes. Ce
n’est qu’une hypothèse. Elle est cependant confirmée
également par les plumes sur la tête de l’oiseau du
type Cach no96.
Sur les monnaies de Sobezlav, fils de Slavnik, on peut
distinguer quatre types de représentations d’oiseaux.
Elles sont plus diversifiées que celles figurant sur les
monnaies de Boleslav II. Comme on l’a dit plus haut, le
premier type (Cach 158) présente des affinités avec les
types pragois décrits plus haut, à cela près qu’il a été
exécuté par un graveur plus doué, ce qui permet de
mieux se représenter l’aspect de l’archétype. On voit
nettement que la queue était longue, orientée vers le
haut, ce qui, comme on le sait, est caractéristique du
paon. L’étonnant, cependant, c’est l’absence d’un autre
trait typique de cet oiseau, et notamment de l’aigrette.
Cette absence affaiblit l’identification supposée du
paon sans toutefois l’exclure, les plumes ayant en effet
pu être omises par le copiste. On connaît aussi des
représentations de paons sans ornement sur la tête.
La représentation sur la monnaie Cach no159 (fig. 2 et
5) est entièrement différente et en même temps la plus
parfaite du point de vue artistique. L’oiseau, plus grand, y
est représenté en forme d’arc pour que l’image ne dépasse
pas le champ de la monnaie. Cela fait que sa tête atteint
ses pattes. Jusque-là, certains chercheurs voyaient en lui
un pélican qui se blesse à la poitrine pour nourrir ses
petits de son sang. D’autres voulaient que ce soit un aigle
prenant son vol. Aucune de ces hypothèses n’explique tou-
tefois pas pourquoi l’oiseau en question a de longues pat-
tes en forme d’échasses ni pourquoi il est figuré debout
sur une longue ligne onduleuse. Cela m’incite à proposer
une autre solution qui consiste à admettre que sur le
modèle l’oiseau luttait contre un serpent que le graveur
n’avait cependant pas identifié. C’est précisément une
telle scène qu’on voit sur une bractéate polonaise posté-
rieure de deux siècles10. Il est moins important de savoir si
ce combat était mené par un aigle comme semblent l’in-
diquer la solide constitution et le bec gros et court de l’oi-
seau, ou bien par un échassier à pattes longues.
Les deux derniers types de motifs ornithologiques sur
les monnaies attribuées à Sobezlav sont en fait une seule
image réfléchie représentée de droite et de gauche (Cach
160, 161) (fig. 2 et 6). L’oiseau tourne la tête en arriè-
re, regardant sa queue terminée en balai. Une telle pose
est rare, mais elle se rencontre sur certaines monnaies,
ne serait-ce que sur les folles ostrogoths du début du VIe
siècle11. Il est dificile de trancher la question de savoir si
nous avons affaire sur ces deniers à un aigle comme
dans le cas cité plus haut, ou à une colombe.
Ce n’est qu’au bout d’une dizaine d’années ou plus,
du temps du duc Jaromir (1003-1012) que l’image
d’un oiseau apparaît une fois de plus sur une monnaie
tchèque (Cach 255). Cette représentation est complè-
STANISLAW SUCHODOLSKI
1252
7. L’attribution de cette pièce rare à Boleslav II n’est pas certaine; elle
a pu être frappée également par Sobezlav. F. Cach et J. Šmerda ne
la font pas figurer dans l’ensemble des monnaies tchèques. Ces
doutes tiennent probablement aux légendes à peine lisibles du seul
exemplaire décrit jusqu’à présent, provenant du trésor de
Peisterwitz en Silésie. Plus lisibles bien qu’elles aussi fautives sont
les légendes de l’exemplaire non publié faisant partie du trésor
découvert avant 1939 à Gniezno ou aux environs de cette ville et
conservé dans les collections de la cathédrale de Gniezno.
8. Cach, F.: Nejstarší
d
eské mince, I, Praha 1970 (plus loin Cach et nodu
type).
9. Voir aussi une monnaie semblable, Cach 95, avec un oiseau tourné
à droite.
10. Stronczymski, K.: Dawne monety polskie dynastyi Piastów i Jagiellonów, II,
Piotrków 1884, p. 160, nº 128.
11. Grierson, P.; Blackburn, M.: Medieval European Coins, 1, The Early
Middle Ages (5th-10th centuries), Cambridge 1986, pl. 6, 100-109.
tement isolée et qui plus est, très maladroitement exé-
cutée, au point que certains chercheurs y voyaient l’ima-
ge d’un agneau! Etant donné que sur la tête de l’oiseau
on voit des plumes et que sa queue est longue et rele-
vée jusqu’à la tête, il est permis de supposer que c’est
encore un paon qui avait servi de modèle au graveur. Il
se peut que ce soit là une réminiscence de plus des
représentations figurées sur les monnaies de Boleslav II
(Cach 94-98).
Un quart de siècle plus tard on rencontre de nouveau
une représentation d’oiseau sur le denier du prince
Bretislav Ier (1037-1055) (Cach 313) (fig. 2). C’est
en même temps la dernière image de ce genre sur les
plus anciennes monnaies tchèques. L’oiseau y a un cou
exceptionnellement long qui dépasse le champ de la
monnaie et divise la légende. Ses autres caractéristi-
ques, à savoir les plumes ornant sa tête et la longue
queue déformée, n’avaient pas non plus été reconnues
par le graveur. Cet oiseau était autrefois identifié avec
un coq. Aujourd’hui, grâce à Ryszard Kiersnowski, on
sait que les caractéristiques mentionnées dénotent
sans aucun doute un paon12.
Il n’y a qu’un seul exemple d’oiseau apparaît sur une
monnaie polonaise. Il s’agit toutefois d’une monnaie
insolite qui depuis longtemps a attiré l’attention des
chercheurs (fig. 7). Bien qu’elle ne porte des deux
côtés que le titre de PRINCE[p]S POLONIE et
qu’elle n’indique pas le nom du souverain, personne
ne doute pas qu’elle ait été frappée par Boleslas le
Vaillant (992-1025)13. On l’associe soit directement
aux événements ayant accompagné ce qu’on appelle le
synode de Gniezno de l’an 1000, soit aux effets juri-
diques de celui-ci. Comme on le sait, le synode donna
lieu à une rencontre entre Boleslas le Vaillant et l’em-
pereur Otton III qui obtient la creation d’une métro-
pole ecclésiastique autonome pour la Pologne. En
même temps l’empereur conféra au souverain polo-
nais le titre de amicus et cooperator imperii, ce qui impli-
quait son consentement au couronnement de
Boleslas. On a assimilé l’oiseau figuré sur la monnaie
à l’aigle, plus tard symbole de l’État polonais, au coq,
symbole de saint Pierre, à la colombe, symbole du
Saint-Esprit et enfin au paon, symbole du pouvoir
monarchique. Je me prononce décidément pour cette
dernière identification (mais non pour son l’inter-
prétation) que légitiment les traits déjà connus: l’ai-
grette et la queue déployée14. Il est vrai qu’on peut
avancer deux points douteux: un tel ornement de la
tête est caractéristique également de l’aigle, mais il
apparaît sur une représentation postérieure de plus
de deux cent ans; et ce type de queue lui aussi ne se
rencontre que sporadiquement. Jusque-là nous ne l’a-
vons vu qu’une fois, sur le denier tchèque Fiala IV, 6.
Il pourrait en effet sembler que c’est le coq qui aurait
dû être représenté de la sorte et que la queue déplo-
yée du paon vue de profil a un aspect tout différent.
Il y va cependant de la reproduction des thèmes ico-
nographiques de l’époque et non de l’imitation fidè-
le de la nature. A la fin de l’antiquité et dans le haut
moyen âge le paon, comme on le sait, était représen-
té dans trois poses principales: 1ode face, la queue
déployée (par exemple, sur la voûte de la basilique
San Vitale à Ravenne), 2ode profil, la queue hori-
zontale ou traînant par terre, 3oégalement de profil,
mais la queue déployée. Dans le cas de la monnaie
polonaise, c’est ce dernier type qui entre en ligne de
compte, mais il s’agit d’une variante plus rare, orien-
tale. La queue y était représentée de face, de même
que l’oeil sur les «portraits» de ce temps, bien que
l’oiseau fût vu de profil.
Essayons de dresser le bilan des oiseaux sur les mon-
naies tchèques et polonaises des Xe/XIesiècles. On a
réussi à distinguer 11 types dont plus de la moitié
(six cas) sont à mon avis des représentations certaines
du paon, autrement dit des représentations qui déno-
tent deux traits fondamentaux de cet oiseau: un fais-
ceau de plumes sur la tête et une longue queue déplo-
yée. Il y a lieu d’y ajouter trois cas où l’identification
d’un paon est plausible. Il manque toutefois sur ces
monnaies, vraisemblabement à la suite de transforma-
tions et d’omissions successives, un ou même deux
traits distinctifs. De toute façon, je ne vois actuelle-
ment pas la possibilité d’autres identifications plus
vraisemblables.
Deux types représentent sûrement des oiseaux autres
que le paon. On peut penser à l’aigle, l’ibis et à la
colombe mais certainement pas au pélican dont la pré-
sence semblait autrefois certaine. La prédominance du
paon est indubitable, et ce pendant toute la période
considérée allant d’environ 985 à environ 1045. On
LA SYMBOLIQUE DES OISEAUX SUR LES MONNAIES TCHÈQUES ET POLONAISES DE LA FIN DU XeET DU DÉBUT DU XIeSIÈCLE
1253
12. Kiersnowski, R.: Moneta w kulturze wieków hrednich, Warszawa 1988, p.
401.
13. Suchodolski, S.: Moneta polska w X/XI wieku [Polish coinage at
the close of the 10th and the beginning of the 11th century],
Wiadomohci Numizmatyczne, XI, 1967, fasc. 2-3, p. 110-112, type IX.
14. Suchodolski, S.: Orzel czy paw? Jeszcze o denarze Boleslawa
Chrobrego z napisem PRINCES POLONIE, dans Inter Orientem et
Occidentem, Warszawa 2002, p. 153-169.
observe toutefois une concentration des représenta-
tions de cet oiseau au début de cette période, entre
985 et 995 environ, à l’atelier monétaire de Prague,
avec l’apparition simultanée éventuelle de pièces ana-
logues à l’atelier monétaire de Libice ou de Malin15.
Après le passage de cette vague il ne se produit plus
que des cas isolés: entre 1003 et 1012, puis entre
environ 1040 et 1050 à Prague, et entre environ 1000
et 1010 probablement à Gniezno.
Ainsi les conclusions relatives au temps et au lieu d’ap-
parition des motifs d’oiseaux sur les monnaies ainsi
qu’à leur propagation semblent évidentes. Ils se mani-
festèrent en Bohème avant la fin du Xesiècle. Il faut
noter qu’à Libice (ou à Malin) ils étaient plus diversi-
fiés et mieux exécutés, alors qu’à Prague ils se rédui-
saient exclusivement ou presque exclusivement au paon
qui était reproduit assez malhabilement. On ne saurait
considérer l’apparition simultanée ou du moins rap-
prochée dans le temps de motifs semblables comme
fortuite. Il ne s’agissait cependant pas de l’imitation de
monnaies toutes faites, pratique courante à cette épo-
que. En effet, on ne constate pas l’existence de modè-
les identiques dans les deux ateliers monétaires. On
pourrait donc parler plutôt d’inspiration, mais nous
ignorons d’où elle venait. Avait-elle sa source à Prague
qui était un centre plus important ayant une tradition
notable du monnayage mais disposant de médiocres
graveurs ou bien à Libice, centre bien plus petit où un
atelier monétaire venait seulement d’être ouvert mais
où on embaucha des graveurs de coins plus doués? Il
semble que l’inspiration provenait d’ailleurs encore et
qu’elle parvenait en même temps aux deux centres en
question.
Cette supposition peut également nous aider dans la
recherche de l’origine du motif du paon sur la mon-
naie polonaise. On sait depuis longtemps que ce
motif est d’origine tchèque. Ce sont toutefois les
monnaies de Libice plutôt que celles de Prague qui
ont été considérées comme des modèles. L’ennui,
c’est que nous ne trouvons de modèles exacts dans
aucun de ces centres, alors que sur la monnaie de
Boleslas le Vaillant nous reconnaissons les traits
typiques des monnaies attribuées aussi bien à Prague
(Fiala IV, 6) qu’à Libice (Cach 158). Ainsi le modè-
le du paon avait vraisemblablement été fourni à
Gniezno par quelqu’un qui connaissait les deniers
tchèques de ce temps et probablement aussi les
archétypes des représentations qui s’y trouvaient
figurées.
Deux questions importantes se posent. Quelles furent
la genèse et la signification des motifs d’oiseaux sur
les monnaies tchèques et polonaises de la fin du Xeet
du début du XIesiècle?
Ce qui saute aux yeux en premier lieu, c’est que ces
motifs n’apparaissent sous cette forme ni sur les mon-
naies plus anciennes, ni sur les monnaies contempo-
raines soit tchèques ou polonaises, soit étrangères. Le
modèle était donc d’une autre nature: des miniatures
dans les manuscrits, des objets en métal ou en ivoire,
des tissus, peut-être aussi des motifs architecturaux
sculptés. On n’a malheureusement pas réussi jusque’i-
ci à retrouver de tels modèles. Il se peut d’ailleurs
qu’ils ne se soient pas conservés jusqu’à nos jours. On
sait seulement qu’ils devaient être nombreux, les
représentations en question étant fort diversifiées et
n’ayant certainement pas été exécutées d’après un uni-
que modèle.
La deuxième constatation concerne la région dont ces
motifs pouvaient être originaires. Dans le cas du paon
dont les images sont les plus nombreuses, Byzance, ou
l’Italie n’entrent plutôt pas en ligne de compte même si
ce sont des régions où l’on rencontre bon nombre d’e-
xemples de représentations de cet oiseau. Il suffit de
mentionner Ravenne. Cependant les paons y sont repré-
sentés d’une manière entièrement différente: soit de
face, soit avec une longue queue massive, le plus souvent
située horizontalement. Par contre, une queue se distin-
guant nettement du corps, souvent relevée, se compo-
sant de plumes particulières ou marquée par une ligne,
est typique de l’Orient et de la partie de l’Europe située
au nord des Alpes. On retrouve ainsi des images analo-
gues aussi bien sur des vases en métal provenant d’Iran
et des ornements venant de Hongrie et de Scandinavie16
que sur des miniatures carolingiennes et postcarolin-
giennes du territoire de l’Empire. Cette observation ne
s’applique pas aux autres motifs: celui de l’oiseau (un
aigle?) luttant contre un serpent ou celui de l’oiseau
(un aigle?) tournant la tête en arrière. Leurs modèles
pouvaient être originaires d’un territoire plus vaste.
Rappelons que nous avons même constaté une ressem-
blance entre ce dernier motif et le follis ostrogoth.
STANISLAW SUCHODOLSKI
1254
15. La chronologie précise ou le lieu de frappe de ces monnaies n’ont
pas été établis. Des recherches sur ce sujet doivent encore être
poursuivies.
16. Arne, T.J.: La Suède et l’Orient. Études archéologiques sur les relations de la
Suède et de l’Orient pendant l’âge des Vikings, Archives d’Études Orientales,
vol. 8, Upsal 1914, p. 158-161.
La symbolique de tous ces modèles est assez complexe.
Elle changeait d’ailleurs aussi bien dans le temps que
dans l’espace. La plus grande différenciation avait lieu à
Byzance où les motifs animaliers ont une fonction déco-
rative aussi bien que celle de symboles du pouvoir impé-
rial ou du culte religieux. Dans l’Europe chrétienne, cette
dernière fonction passe au premier plan. Le paon symbo-
lisait le paradis, la résurrection, la vie éternelle, le Christ
enfin17. L’aigle avait lui aussi, entre autres, une symboli-
que christologique, et en particulier l’aigle luttant contre
le serpent personnifiant le mal, voire Satan. Rappelons
que Ryszard Kiersnowski était d’avis que les oiseaux sur
les monnaies symbolisaient l’émetteur, et donc les ducs
tchèques et polonais18. Cette conviction était fondée sur
l’hypothèse admise antérieurement qu’à l’époque, confor-
mément aux règles introduites encore par Charlemagne,
l’un des côtés des monnaies était consacré à la symboli-
que laïque et l’autre, à la symbolique sacrée. Par consé-
quent, comme les représentations d’oiseaux accompag-
naient la représentation de la Manus Dei, on en était venu
à regarder ces premières comme des symboles laïcs. Un
nouvel examen du matériel indique que les choses sont
un peu plus compliquées. Ce sont les noms de souverains
qui accompagnent plus souvent l’image de la Droite de
Dieu. Autrement dit cette face-là doit être considérée
comme principale. Ce qui est encore plus important, c’est
qu’en Bohême, avant l’apparition du buste d’Ethelred II,
toutes les représentations figurées sur les monnaies
avaient un caractère sacré: la croix, une chapelle, la tête du
Christ, la Manus Dei, mais aussi une épée. Cette situation
était d’ailleurs typique également de la Bavière voisine et
de la majeure partie de l’Empire. Elle était aussi de règle
en Pologne au début du monnayage.
Il s’ensuit que l’attribution d’une expression symboli-
que du pouvoir aux représentations d’oiseaux sur les
monnaies tchèques n’est pas fondée. Il est plus vrai-
semblable que nous y avons affaire à des symboles
sacrés dont la signification ne diffère pas de celle des
autres symboles que nous avons mentionnés plus haut.
Ce qui frappe dans le monnayage tchèque de la fin du
Xesiècle, ce n’est pas seulement l’apparition d’ima-
ges animalières symbolisant le Christ, la vie éternelle
et la lutte contre le mal, mais plutôt la concentration
extraordinaire de différents motifs de ce type pendant
un temps relativement court, entre environ 985 et
995, et ce dans deux centres politiques concurrents.
La supposition qui s’impose, c’est que ce phénomène est
lié à la personne de saint Adalbert, évêque de Prague entre
982 et 990, puis entre 992 et 995, et en même temps
frère du duc de Libice Sobezlav, ce qui était l’occasion de
contacts, également dans le domaine du monnayage.
Cette hypothèse se trouve affaiblie, mais non abolie, par
le fait qu’aucun des trois types monétaires attribués avec
plus ou moins de vraisemblance à Adalbert ne présente
de motifs animaliers19. Nous ne suggérons pas pour
autant qu’Adalbert ait fourni lui-même des modèles de
pièces aux ateliers monétaires. Il s’agissait plutôt d’idées
ainsi que d’objets portant de tels modèles et qui étaient
parvenus en Bohême avec lui ou avec les personnes qui
l’accompagnaient. Si les monnaies présentant des images
d’oiseaux ont été frappées plus tôt, au cours des années
quatre-vingt du Xesiècle, cela aurait trait à la première
accession d’Adalbert au siège épiscopal (982-990). Si
par contre, l’émission de ce genre de monnaies n’a com-
mencé qu’au début des années quatre-vingt-dix, cela se
rattacherait à la seconde période d’exercice de la fonction
d’évêque par Adalbert. Dans le premier cas, ses contacts
et son expérience se borneraient au territoire de
l’Allemagne, en premier lieu à Magdebourg, dans le
second, ils embrasseraient également l’Italie.
Il est intéressant que la monnaie polonaise apparte-
nant à l’ensemble en question est elle aussi liée dans
une certaine mesure à saint Adalbert. Il s’agit toute-
fois d’un lien passant par des personnes de sa famille
ou de son milieu et non pas, comme on le croyait
antérieurement, d’un lien direct. Parmi les auteurs
supposés des types de la monnaie on compte avant
tout le premier archevêque de Gniezno, Radim-
Gaudentius, demi-frère de saint Adalbert. Un autre
auteur potentiel est saint Brunon de Querfurt, admi-
rateur fervent d’Adalbert et auteur d’une vie de ce
saint20. Saint Brunon étudia dans la même école cathé-
drale de Magdebourg, séjourna dans les mêmes
endroits et rencontra les mêmes personnes que saint
Adalbert. Enfin, il est possible que la représentation
du paon symbolisant la vie éternelle ait été portée sur
la monnaie en l’honneur de saint Adalbert peu après
LA SYMBOLIQUE DES OISEAUX SUR LES MONNAIES TCHÈQUES ET POLONAISES DE LA FIN DU XeET DU DÉBUT DU XIeSIÈCLE
1255
17. Cf. Lexikon der Christlichen Ikonographie, 3, Freiburg in Breisgau 1971,
p. 409-411; Lexikon des Mittelalters, 6, München u. Zürich 1993, p.
2026 et s.; Bord, L.-J.; Skubiszewski, P.: L’image de Babylone aux
Serpents dans le Beatus. Contribution à l’étude des influences du Proche-Orient
antique dans l’art du haut Moyen Age, Paris 2000, p. 98-106.
18. Kiersnowski, R.: Über einige Herrschaftszeichen, p. 160.
19. Suchodolski, S.: Die Münzen des heiligen Adalbert, des
Schutzpatrons von Polen, Böhmen und Ungarn, Numizmatikai Közlöny
2001-2002, p. 79-93.
20. S. Adalberti vita altera, redactio longior, Monumenta Poloniæ Historica,
s.n., t. 4, fasc. 2, Warszawa 1969, p. 1-41; S. Adalberti vita altera,
redactio brevior, ibidem, p. 43-69.
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