La symbolique de tous ces modèles est assez complexe.
Elle changeait d’ailleurs aussi bien dans le temps que
dans l’espace. La plus grande différenciation avait lieu à
Byzance où les motifs animaliers ont une fonction déco-
rative aussi bien que celle de symboles du pouvoir impé-
rial ou du culte religieux. Dans l’Europe chrétienne, cette
dernière fonction passe au premier plan. Le paon symbo-
lisait le paradis, la résurrection, la vie éternelle, le Christ
enfin17. L’aigle avait lui aussi, entre autres, une symboli-
que christologique, et en particulier l’aigle luttant contre
le serpent personnifiant le mal, voire Satan. Rappelons
que Ryszard Kiersnowski était d’avis que les oiseaux sur
les monnaies symbolisaient l’émetteur, et donc les ducs
tchèques et polonais18. Cette conviction était fondée sur
l’hypothèse admise antérieurement qu’à l’époque, confor-
mément aux règles introduites encore par Charlemagne,
l’un des côtés des monnaies était consacré à la symboli-
que laïque et l’autre, à la symbolique sacrée. Par consé-
quent, comme les représentations d’oiseaux accompag-
naient la représentation de la Manus Dei, on en était venu
à regarder ces premières comme des symboles laïcs. Un
nouvel examen du matériel indique que les choses sont
un peu plus compliquées. Ce sont les noms de souverains
qui accompagnent plus souvent l’image de la Droite de
Dieu. Autrement dit cette face-là doit être considérée
comme principale. Ce qui est encore plus important, c’est
qu’en Bohême, avant l’apparition du buste d’Ethelred II,
toutes les représentations figurées sur les monnaies
avaient un caractère sacré: la croix, une chapelle, la tête du
Christ, la Manus Dei, mais aussi une épée. Cette situation
était d’ailleurs typique également de la Bavière voisine et
de la majeure partie de l’Empire. Elle était aussi de règle
en Pologne au début du monnayage.
Il s’ensuit que l’attribution d’une expression symboli-
que du pouvoir aux représentations d’oiseaux sur les
monnaies tchèques n’est pas fondée. Il est plus vrai-
semblable que nous y avons affaire à des symboles
sacrés dont la signification ne diffère pas de celle des
autres symboles que nous avons mentionnés plus haut.
Ce qui frappe dans le monnayage tchèque de la fin du
Xesiècle, ce n’est pas seulement l’apparition d’ima-
ges animalières symbolisant le Christ, la vie éternelle
et la lutte contre le mal, mais plutôt la concentration
extraordinaire de différents motifs de ce type pendant
un temps relativement court, entre environ 985 et
995, et ce dans deux centres politiques concurrents.
La supposition qui s’impose, c’est que ce phénomène est
lié à la personne de saint Adalbert, évêque de Prague entre
982 et 990, puis entre 992 et 995, et en même temps
frère du duc de Libice Sobezlav, ce qui était l’occasion de
contacts, également dans le domaine du monnayage.
Cette hypothèse se trouve affaiblie, mais non abolie, par
le fait qu’aucun des trois types monétaires attribués avec
plus ou moins de vraisemblance à Adalbert ne présente
de motifs animaliers19. Nous ne suggérons pas pour
autant qu’Adalbert ait fourni lui-même des modèles de
pièces aux ateliers monétaires. Il s’agissait plutôt d’idées
ainsi que d’objets portant de tels modèles et qui étaient
parvenus en Bohême avec lui ou avec les personnes qui
l’accompagnaient. Si les monnaies présentant des images
d’oiseaux ont été frappées plus tôt, au cours des années
quatre-vingt du Xesiècle, cela aurait trait à la première
accession d’Adalbert au siège épiscopal (982-990). Si
par contre, l’émission de ce genre de monnaies n’a com-
mencé qu’au début des années quatre-vingt-dix, cela se
rattacherait à la seconde période d’exercice de la fonction
d’évêque par Adalbert. Dans le premier cas, ses contacts
et son expérience se borneraient au territoire de
l’Allemagne, en premier lieu à Magdebourg, dans le
second, ils embrasseraient également l’Italie.
Il est intéressant que la monnaie polonaise apparte-
nant à l’ensemble en question est elle aussi liée dans
une certaine mesure à saint Adalbert. Il s’agit toute-
fois d’un lien passant par des personnes de sa famille
ou de son milieu et non pas, comme on le croyait
antérieurement, d’un lien direct. Parmi les auteurs
supposés des types de la monnaie on compte avant
tout le premier archevêque de Gniezno, Radim-
Gaudentius, demi-frère de saint Adalbert. Un autre
auteur potentiel est saint Brunon de Querfurt, admi-
rateur fervent d’Adalbert et auteur d’une vie de ce
saint20. Saint Brunon étudia dans la même école cathé-
drale de Magdebourg, séjourna dans les mêmes
endroits et rencontra les mêmes personnes que saint
Adalbert. Enfin, il est possible que la représentation
du paon symbolisant la vie éternelle ait été portée sur
la monnaie en l’honneur de saint Adalbert peu après
LA SYMBOLIQUE DES OISEAUX SUR LES MONNAIES TCHÈQUES ET POLONAISES DE LA FIN DU XeET DU DÉBUT DU XIeSIÈCLE
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17. Cf. Lexikon der Christlichen Ikonographie, 3, Freiburg in Breisgau 1971,
p. 409-411; Lexikon des Mittelalters, 6, München u. Zürich 1993, p.
2026 et s.; Bord, L.-J.; Skubiszewski, P.: L’image de Babylone aux
Serpents dans le Beatus. Contribution à l’étude des influences du Proche-Orient
antique dans l’art du haut Moyen Age, Paris 2000, p. 98-106.
18. Kiersnowski, R.: Über einige Herrschaftszeichen, p. 160.
19. Suchodolski, S.: Die Münzen des heiligen Adalbert, des
Schutzpatrons von Polen, Böhmen und Ungarn, Numizmatikai Közlöny
2001-2002, p. 79-93.
20. S. Adalberti vita altera, redactio longior, Monumenta Poloniæ Historica,
s.n., t. 4, fasc. 2, Warszawa 1969, p. 1-41; S. Adalberti vita altera,
redactio brevior, ibidem, p. 43-69.