STANISLAW SUCHODOLSKI* La symbolique des oiseaux sur les monnaies tchèques et polonaises de la fin du Xe et du début du XIe siècle Les représentations d’oiseaux ne sont pas fréquentes sur les monnaies européennes du haut Moyen Age1. Ce n’est que sporadiquement qu’elles apparaissent sur les monnaies des Mérovingiens, les deniers anglo-saxons, les monnaies scandinaves et allemandes2. Une certaine concentration de motifs animaliers se laisse par contre remarquer sur les monnaies tchèques et polonaises de la fin du Xe et de la première moitié du XIe siècle. C’est ce phénomène que je me propose d’examiner ici de plus près. Il y a quinze ans, lors du mémorable colloque de Sigtuna, Ryszard Kiersnowski en analysant les représentations d’oiseaux, était arrivé à la conclusion que l’aigle ou le faucon étaient les modèles les plus fréquents. Pour lui il s’agissait de symboles du pouvoir monarchique3. Cette suggestion semble juste, mais elle s’applique avant tout à une époque postérieure qui commence vers le milieu du XIe siècle. Plus tôt, au Xe et au début du XIe siècle, la situation pouvait être différente. Avant de procéder à une interprétation des représentations d’oiseaux sur les monnaies tchèques et polonaises de ce temps, il y a lieu de se demander à quels oiseaux on a affaire en réalité sur celles-ci. En Europe centrale, la représentation la plus ancienne est celle de deux oiseaux affrontés sur les monnaies frappées vers 825 à Hedeby au Danemark. L’opinion la plus répandue veut que ce soient des coqs4. Cette interprétation est sans doute fondée sur l’ornement fantaisiste de la tête des oiseaux qu’on associe à la crête de coq. Cependant on voit nettement qu’il s’agit là de plumes qu’on ne peut associer qu’aux paons5. Une telle identification est confirmée également par la forme de la longue queue pendante qu’on ne saurait considérer comme typique du coq. Il est plus difficile d’interpréter les représentations d’oiseaux sur les monnaies tchèques. Il s’agit de monnaies de deux souverains ayant régné à la même époque à Prague et à Libice: Boleslav II de la famille des Premyslides (972-999) et Sobezlav, fils de Slavnik (981-995). On attribue à Boleslav cinq différents types de monnaies à motifs d’oiseaux. Sur le côté opposé de ces pièces on trouve soit une représentation de la Manus Dei, soit celle de deux épées. Toutes ces représentations, de même d’ailleurs que les inscriptions, sont assez déformées; il n’est donc pas facile d’en donner une interprétation claire et nette. On a l’impression que les graveurs des coins n’étaient pas de bons spécialistes et que probablement ils ne comprenaient pas bien ce qu’on leur avait donné à copier. Il semble aussi que les déformations étaient l’effet du procédé consistant à reproduire plusieurs fois des copies que constituaient soit des monnaies plus anciennes, soit des modèles non monétaires dont nous n’avons malheureusement pas connaissance. Rien d’étonnant donc à ce que dans la littérature sur ce sujet on n’ait pas tenté jusque-là de définir les espèces d’oiseaux représentées. Cela semble pourtant possible dans le cas d’au moins deux types. Il vaut la peine de remarquer que tous les deux portent sur le côté opposé la représentation de la Manus Dei. Sur la monnaie faisant partie du trésor de Peisterwitz (Bystrzyca) en Silésie l’oiseau porte quatre plumes sur la tête et une queue déployée6. Etant donné ces deux caractéristiques, il y a * 1. 2. 3. 4. 5. 6. 1251 Institut d’Archéologie et d’Etnologie de l’Académie Polonaise des Sciences, Varsovie. Je voudrais exprimer ma vive gratitude à Mme Cécile Morrisson qui a bien voulu –comme d’habitude– verifier la traduction du texte. voir p. ex. Lafaurie, J.: Les animaux dans la numismatique mérovingienne, dans Le bestiaire des monnaies, des sceaux et des médailles, Paris 1974, p. 137-150; Gannon, A.: The iconography of early Anglo-Saxon coinage. Sixth to eight centuries, Oxford 2003, p. 107-125. Kiersnowski, R.: Über einige Herrschaftszeichen auf Münzbildern des 10. und 11. Jahrhunderts, dans Sigtuna Papers. Proceedings of the Sigtuna Symposium on Viking-Age coinage 1-4 June 1989, Commentationes de nummis saeculorum IX-XI in Suecia repertis, Nova series 6, ed. K. Jonsson, B. Malmer, Stockholm 1990, p. 159-166. voir Malmer, B.: Nordiska mynt före år 1000, Acta Archaeologica Lundensia, Series in 8º, Nº 4, Lund 1966, p. 60, pl. 33, 5 (type KG 4). Le premier à l’avoir fait remarquer fut Witold Garbaczewski, lors de la discussion du colloque numismatique internationale tenue à Suprasl en 2000. eské denáry, Praha 1895, pl. IV, 6. Fiala, E.: D STANISLAW SUCHODOLSKI lieu de voir en lui un paon7. On reconnaît également un paon sur la monnaie inventoriée par F. Cach sous le numéro 988 (fig. 1 et 4). Ce qui porte à le croire, c’est la très longue queue qui, faute de place sur la monnaie, est relevée jusqu’à la tête. Sur la tête on voit un bonnet bizarre, imitation malhabile de l’aigrette de l’oiseau par le graveur. On imagine difficilement qu’un autre oiseau portant une si longue queue ait servi de modèle et que le couvre-chef insolite soit apparu pour une autre raison. Dans un troisième cas le paon est reconnaissable sur la monnaie Cach no 949. Il faut cependant examiner la photo de la monnaie, car les dessins exécutées par des personnes ne comprenant pas le fond de la question, n’ont provoqué que des malentendus successifs. Ce qui était inteprété comme une aile, est plutôt la queue relevée vers la tête. C’est l’aigrette typique du paon qui nous incite à croire que nous avons en fait affaire à cet oiseau ici aussi. L’identification des oiseaux figurés sur les monnaies Cach no 96 et no 93 (fig. 1) présente le plus de difficultés. Les deux oiseaux se distinguent de tous les autres par le dessin en forme d’un demi-cercle rappelant les ailes relevées qu’ils portent sur le dos. L’exemple des monnaies de Sobezlav (Cach 158) (fig. 2) montre toutefois qu’une telle forme atypique peut être due au fait que le graveur n’avait pas compris l’idée du modèle. Les prétendues ailes peuvent être la queue relevée, et la queue, l’extrémité des ailes. Ce n’est qu’une hypothèse. Elle est cependant confirmée également par les plumes sur la tête de l’oiseau du type Cach no 96. Sur les monnaies de Sobezlav, fils de Slavnik, on peut distinguer quatre types de représentations d’oiseaux. Elles sont plus diversifiées que celles figurant sur les monnaies de Boleslav II. Comme on l’a dit plus haut, le premier type (Cach 158) présente des affinités avec les types pragois décrits plus haut, à cela près qu’il a été exécuté par un graveur plus doué, ce qui permet de mieux se représenter l’aspect de l’archétype. On voit nettement que la queue était longue, orientée vers le haut, ce qui, comme on le sait, est caractéristique du paon. L’étonnant, cependant, c’est l’absence d’un autre trait typique de cet oiseau, et notamment de l’aigrette. Cette absence affaiblit l’identification supposée du paon sans toutefois l’exclure, les plumes ayant en effet pu être omises par le copiste. On connaît aussi des représentations de paons sans ornement sur la tête. La représentation sur la monnaie Cach no 159 (fig. 2 et 5) est entièrement différente et en même temps la plus parfaite du point de vue artistique. L’oiseau, plus grand, y est représenté en forme d’arc pour que l’image ne dépasse pas le champ de la monnaie. Cela fait que sa tête atteint ses pattes. Jusque-là, certains chercheurs voyaient en lui un pélican qui se blesse à la poitrine pour nourrir ses petits de son sang. D’autres voulaient que ce soit un aigle prenant son vol. Aucune de ces hypothèses n’explique toutefois pas pourquoi l’oiseau en question a de longues pattes en forme d’échasses ni pourquoi il est figuré debout sur une longue ligne onduleuse. Cela m’incite à proposer une autre solution qui consiste à admettre que sur le modèle l’oiseau luttait contre un serpent que le graveur n’avait cependant pas identifié. C’est précisément une telle scène qu’on voit sur une bractéate polonaise postérieure de deux siècles10. Il est moins important de savoir si ce combat était mené par un aigle comme semblent l’indiquer la solide constitution et le bec gros et court de l’oiseau, ou bien par un échassier à pattes longues. Les deux derniers types de motifs ornithologiques sur les monnaies attribuées à Sobezlav sont en fait une seule image réfléchie représentée de droite et de gauche (Cach 160, 161) (fig. 2 et 6). L’oiseau tourne la tête en arrière, regardant sa queue terminée en balai. Une telle pose est rare, mais elle se rencontre sur certaines monnaies, ne serait-ce que sur les folles ostrogoths du début du VIe siècle11. Il est dificile de trancher la question de savoir si nous avons affaire sur ces deniers à un aigle comme dans le cas cité plus haut, ou à une colombe. Ce n’est qu’au bout d’une dizaine d’années ou plus, du temps du duc Jaromir (1003-1012) que l’image d’un oiseau apparaît une fois de plus sur une monnaie tchèque (Cach 255). Cette représentation est complè7. L’attribution de cette pièce rare à Boleslav II n’est pas certaine; elle a pu être frappée également par Sobezlav. F. Cach et J. Šmerda ne la font pas figurer dans l’ensemble des monnaies tchèques. Ces doutes tiennent probablement aux légendes à peine lisibles du seul exemplaire décrit jusqu’à présent, provenant du trésor de Peisterwitz en Silésie. Plus lisibles bien qu’elles aussi fautives sont les légendes de l’exemplaire non publié faisant partie du trésor découvert avant 1939 à Gniezno ou aux environs de cette ville et conservé dans les collections de la cathédrale de Gniezno. 8. Cach, F.: Nejstarší deské mince, I, Praha 1970 (plus loin Cach et no du type). 9. Voir aussi une monnaie semblable, Cach 95, avec un oiseau tourné à droite. 10. Stronczymski, K.: Dawne monety polskie dynastyi Piastów i Jagiellonów, II, Piotrków 1884, p. 160, nº 128. 11. Grierson, P.; Blackburn, M.: Medieval European Coins, 1, The Early Middle Ages (5th-10th centuries), Cambridge 1986, pl. 6, 100-109. 1252 LA SYMBOLIQUE DES OISEAUX SUR LES MONNAIES TCHÈQUES ET POLONAISES DE LA FIN DU Xe ET DU DÉBUT DU XIe SIÈCLE tement isolée et qui plus est, très maladroitement exécutée, au point que certains chercheurs y voyaient l’image d’un agneau! Etant donné que sur la tête de l’oiseau on voit des plumes et que sa queue est longue et relevée jusqu’à la tête, il est permis de supposer que c’est encore un paon qui avait servi de modèle au graveur. Il se peut que ce soit là une réminiscence de plus des représentations figurées sur les monnaies de Boleslav II (Cach 94-98). Un quart de siècle plus tard on rencontre de nouveau une représentation d’oiseau sur le denier du prince Bretislav Ier (1037-1055) (Cach 313) (fig. 2). C’est en même temps la dernière image de ce genre sur les plus anciennes monnaies tchèques. L’oiseau y a un cou exceptionnellement long qui dépasse le champ de la monnaie et divise la légende. Ses autres caractéristiques, à savoir les plumes ornant sa tête et la longue queue déformée, n’avaient pas non plus été reconnues par le graveur. Cet oiseau était autrefois identifié avec un coq. Aujourd’hui, grâce à Ryszard Kiersnowski, on sait que les caractéristiques mentionnées dénotent sans aucun doute un paon12. Il n’y a qu’un seul exemple d’oiseau apparaît sur une monnaie polonaise. Il s’agit toutefois d’une monnaie insolite qui depuis longtemps a attiré l’attention des chercheurs (fig. 7). Bien qu’elle ne porte des deux côtés que le titre de PRINCE[p]S POLONIE et qu’elle n’indique pas le nom du souverain, personne ne doute pas qu’elle ait été frappée par Boleslas le Vaillant (992-1025)13. On l’associe soit directement aux événements ayant accompagné ce qu’on appelle le synode de Gniezno de l’an 1000, soit aux effets juridiques de celui-ci. Comme on le sait, le synode donna lieu à une rencontre entre Boleslas le Vaillant et l’empereur Otton III qui obtient la creation d’une métropole ecclésiastique autonome pour la Pologne. En même temps l’empereur conféra au souverain polonais le titre de amicus et cooperator imperii, ce qui impliquait son consentement au couronnement de Boleslas. On a assimilé l’oiseau figuré sur la monnaie à l’aigle, plus tard symbole de l’État polonais, au coq, symbole de saint Pierre, à la colombe, symbole du Saint-Esprit et enfin au paon, symbole du pouvoir monarchique. Je me prononce décidément pour cette dernière identification (mais non pour son l’interprétation) que légitiment les traits déjà connus: l’aigrette et la queue déployée14. Il est vrai qu’on peut avancer deux points douteux: un tel ornement de la tête est caractéristique également de l’aigle, mais il apparaît sur une représentation postérieure de plus de deux cent ans; et ce type de queue lui aussi ne se rencontre que sporadiquement. Jusque-là nous ne l’avons vu qu’une fois, sur le denier tchèque Fiala IV, 6. Il pourrait en effet sembler que c’est le coq qui aurait dû être représenté de la sorte et que la queue déployée du paon vue de profil a un aspect tout différent. Il y va cependant de la reproduction des thèmes iconographiques de l’époque et non de l’imitation fidèle de la nature. A la fin de l’antiquité et dans le haut moyen âge le paon, comme on le sait, était représenté dans trois poses principales: 1o de face, la queue déployée (par exemple, sur la voûte de la basilique San Vitale à Ravenne), 2o de profil, la queue horizontale ou traînant par terre, 3o également de profil, mais la queue déployée. Dans le cas de la monnaie polonaise, c’est ce dernier type qui entre en ligne de compte, mais il s’agit d’une variante plus rare, orientale. La queue y était représentée de face, de même que l’oeil sur les «portraits» de ce temps, bien que l’oiseau fût vu de profil. Essayons de dresser le bilan des oiseaux sur les monnaies tchèques et polonaises des Xe/XIe siècles. On a réussi à distinguer 11 types dont plus de la moitié (six cas) sont à mon avis des représentations certaines du paon, autrement dit des représentations qui dénotent deux traits fondamentaux de cet oiseau: un faisceau de plumes sur la tête et une longue queue déployée. Il y a lieu d’y ajouter trois cas où l’identification d’un paon est plausible. Il manque toutefois sur ces monnaies, vraisemblabement à la suite de transformations et d’omissions successives, un ou même deux traits distinctifs. De toute façon, je ne vois actuellement pas la possibilité d’autres identifications plus vraisemblables. Deux types représentent sûrement des oiseaux autres que le paon. On peut penser à l’aigle, l’ibis et à la colombe mais certainement pas au pélican dont la présence semblait autrefois certaine. La prédominance du paon est indubitable, et ce pendant toute la période considérée allant d’environ 985 à environ 1045. On 12. Kiersnowski, R.: Moneta w kulturze wieków hrednich, Warszawa 1988, p. 401. 13. Suchodolski, S.: Moneta polska w X/XI wieku [Polish coinage at the close of the 10th and the beginning of the 11th century], Wiadomohci Numizmatyczne, XI, 1967, fasc. 2-3, p. 110-112, type IX. 14. Suchodolski, S.: Orzel czy paw? Jeszcze o denarze Boleslawa Chrobrego z napisem PRINCES POLONIE, dans Inter Orientem et Occidentem, Warszawa 2002, p. 153-169. 1253 STANISLAW SUCHODOLSKI observe toutefois une concentration des représentations de cet oiseau au début de cette période, entre 985 et 995 environ, à l’atelier monétaire de Prague, avec l’apparition simultanée éventuelle de pièces analogues à l’atelier monétaire de Libice ou de Malin15. Après le passage de cette vague il ne se produit plus que des cas isolés: entre 1003 et 1012, puis entre environ 1040 et 1050 à Prague, et entre environ 1000 et 1010 probablement à Gniezno. Ainsi les conclusions relatives au temps et au lieu d’apparition des motifs d’oiseaux sur les monnaies ainsi qu’à leur propagation semblent évidentes. Ils se manifestèrent en Bohème avant la fin du Xe siècle. Il faut noter qu’à Libice (ou à Malin) ils étaient plus diversifiés et mieux exécutés, alors qu’à Prague ils se réduisaient exclusivement ou presque exclusivement au paon qui était reproduit assez malhabilement. On ne saurait considérer l’apparition simultanée ou du moins rapprochée dans le temps de motifs semblables comme fortuite. Il ne s’agissait cependant pas de l’imitation de monnaies toutes faites, pratique courante à cette époque. En effet, on ne constate pas l’existence de modèles identiques dans les deux ateliers monétaires. On pourrait donc parler plutôt d’inspiration, mais nous ignorons d’où elle venait. Avait-elle sa source à Prague qui était un centre plus important ayant une tradition notable du monnayage mais disposant de médiocres graveurs ou bien à Libice, centre bien plus petit où un atelier monétaire venait seulement d’être ouvert mais où on embaucha des graveurs de coins plus doués? Il semble que l’inspiration provenait d’ailleurs encore et qu’elle parvenait en même temps aux deux centres en question. Cette supposition peut également nous aider dans la recherche de l’origine du motif du paon sur la monnaie polonaise. On sait depuis longtemps que ce motif est d’origine tchèque. Ce sont toutefois les monnaies de Libice plutôt que celles de Prague qui ont été considérées comme des modèles. L’ennui, c’est que nous ne trouvons de modèles exacts dans aucun de ces centres, alors que sur la monnaie de Boleslas le Vaillant nous reconnaissons les traits typiques des monnaies attribuées aussi bien à Prague (Fiala IV, 6) qu’à Libice (Cach 158). Ainsi le modèle du paon avait vraisemblablement été fourni à Gniezno par quelqu’un qui connaissait les deniers tchèques de ce temps et probablement aussi les archétypes des représentations qui s’y trouvaient figurées. Deux questions importantes se posent. Quelles furent la genèse et la signification des motifs d’oiseaux sur les monnaies tchèques et polonaises de la fin du Xe et du début du XIe siècle? Ce qui saute aux yeux en premier lieu, c’est que ces motifs n’apparaissent sous cette forme ni sur les monnaies plus anciennes, ni sur les monnaies contemporaines soit tchèques ou polonaises, soit étrangères. Le modèle était donc d’une autre nature: des miniatures dans les manuscrits, des objets en métal ou en ivoire, des tissus, peut-être aussi des motifs architecturaux sculptés. On n’a malheureusement pas réussi jusque’ici à retrouver de tels modèles. Il se peut d’ailleurs qu’ils ne se soient pas conservés jusqu’à nos jours. On sait seulement qu’ils devaient être nombreux, les représentations en question étant fort diversifiées et n’ayant certainement pas été exécutées d’après un unique modèle. La deuxième constatation concerne la région dont ces motifs pouvaient être originaires. Dans le cas du paon dont les images sont les plus nombreuses, Byzance, ou l’Italie n’entrent plutôt pas en ligne de compte même si ce sont des régions où l’on rencontre bon nombre d’exemples de représentations de cet oiseau. Il suffit de mentionner Ravenne. Cependant les paons y sont représentés d’une manière entièrement différente: soit de face, soit avec une longue queue massive, le plus souvent située horizontalement. Par contre, une queue se distinguant nettement du corps, souvent relevée, se composant de plumes particulières ou marquée par une ligne, est typique de l’Orient et de la partie de l’Europe située au nord des Alpes. On retrouve ainsi des images analogues aussi bien sur des vases en métal provenant d’Iran et des ornements venant de Hongrie et de Scandinavie16 que sur des miniatures carolingiennes et postcarolingiennes du territoire de l’Empire. Cette observation ne s’applique pas aux autres motifs: celui de l’oiseau (un aigle?) luttant contre un serpent ou celui de l’oiseau (un aigle?) tournant la tête en arrière. Leurs modèles pouvaient être originaires d’un territoire plus vaste. Rappelons que nous avons même constaté une ressemblance entre ce dernier motif et le follis ostrogoth. 15. La chronologie précise ou le lieu de frappe de ces monnaies n’ont pas été établis. Des recherches sur ce sujet doivent encore être poursuivies. 16. Arne, T.J.: La Suède et l’Orient. Études archéologiques sur les relations de la Suède et de l’Orient pendant l’âge des Vikings, Archives d’Études Orientales, vol. 8, Upsal 1914, p. 158-161. 1254 LA SYMBOLIQUE DES OISEAUX SUR LES MONNAIES TCHÈQUES ET POLONAISES DE LA FIN DU Xe ET DU DÉBUT DU XIe SIÈCLE La symbolique de tous ces modèles est assez complexe. Elle changeait d’ailleurs aussi bien dans le temps que dans l’espace. La plus grande différenciation avait lieu à Byzance où les motifs animaliers ont une fonction décorative aussi bien que celle de symboles du pouvoir impérial ou du culte religieux. Dans l’Europe chrétienne, cette dernière fonction passe au premier plan. Le paon symbolisait le paradis, la résurrection, la vie éternelle, le Christ enfin17. L’aigle avait lui aussi, entre autres, une symbolique christologique, et en particulier l’aigle luttant contre le serpent personnifiant le mal, voire Satan. Rappelons que Ryszard Kiersnowski était d’avis que les oiseaux sur les monnaies symbolisaient l’émetteur, et donc les ducs tchèques et polonais18. Cette conviction était fondée sur l’hypothèse admise antérieurement qu’à l’époque, conformément aux règles introduites encore par Charlemagne, l’un des côtés des monnaies était consacré à la symbolique laïque et l’autre, à la symbolique sacrée. Par conséquent, comme les représentations d’oiseaux accompagnaient la représentation de la Manus Dei, on en était venu à regarder ces premières comme des symboles laïcs. Un nouvel examen du matériel indique que les choses sont un peu plus compliquées. Ce sont les noms de souverains qui accompagnent plus souvent l’image de la Droite de Dieu. Autrement dit cette face-là doit être considérée comme principale. Ce qui est encore plus important, c’est qu’en Bohême, avant l’apparition du buste d’Ethelred II, toutes les représentations figurées sur les monnaies avaient un caractère sacré: la croix, une chapelle, la tête du Christ, la Manus Dei, mais aussi une épée. Cette situation était d’ailleurs typique également de la Bavière voisine et de la majeure partie de l’Empire. Elle était aussi de règle en Pologne au début du monnayage. Il s’ensuit que l’attribution d’une expression symbolique du pouvoir aux représentations d’oiseaux sur les monnaies tchèques n’est pas fondée. Il est plus vraisemblable que nous y avons affaire à des symboles sacrés dont la signification ne diffère pas de celle des autres symboles que nous avons mentionnés plus haut. Ce qui frappe dans le monnayage tchèque de la fin du Xe siècle, ce n’est pas seulement l’apparition d’images animalières symbolisant le Christ, la vie éternelle et la lutte contre le mal, mais plutôt la concentration extraordinaire de différents motifs de ce type pendant un temps relativement court, entre environ 985 et 995, et ce dans deux centres politiques concurrents. La supposition qui s’impose, c’est que ce phénomène est lié à la personne de saint Adalbert, évêque de Prague entre 982 et 990, puis entre 992 et 995, et en même temps frère du duc de Libice Sobezlav, ce qui était l’occasion de contacts, également dans le domaine du monnayage. Cette hypothèse se trouve affaiblie, mais non abolie, par le fait qu’aucun des trois types monétaires attribués avec plus ou moins de vraisemblance à Adalbert ne présente de motifs animaliers19. Nous ne suggérons pas pour autant qu’Adalbert ait fourni lui-même des modèles de pièces aux ateliers monétaires. Il s’agissait plutôt d’idées ainsi que d’objets portant de tels modèles et qui étaient parvenus en Bohême avec lui ou avec les personnes qui l’accompagnaient. Si les monnaies présentant des images d’oiseaux ont été frappées plus tôt, au cours des années quatre-vingt du Xe siècle, cela aurait trait à la première accession d’Adalbert au siège épiscopal (982-990). Si par contre, l’émission de ce genre de monnaies n’a commencé qu’au début des années quatre-vingt-dix, cela se rattacherait à la seconde période d’exercice de la fonction d’évêque par Adalbert. Dans le premier cas, ses contacts et son expérience se borneraient au territoire de l’Allemagne, en premier lieu à Magdebourg, dans le second, ils embrasseraient également l’Italie. Il est intéressant que la monnaie polonaise appartenant à l’ensemble en question est elle aussi liée dans une certaine mesure à saint Adalbert. Il s’agit toutefois d’un lien passant par des personnes de sa famille ou de son milieu et non pas, comme on le croyait antérieurement, d’un lien direct. Parmi les auteurs supposés des types de la monnaie on compte avant tout le premier archevêque de Gniezno, RadimGaudentius, demi-frère de saint Adalbert. Un autre auteur potentiel est saint Brunon de Querfurt, admirateur fervent d’Adalbert et auteur d’une vie de ce saint20. Saint Brunon étudia dans la même école cathédrale de Magdebourg, séjourna dans les mêmes endroits et rencontra les mêmes personnes que saint Adalbert. Enfin, il est possible que la représentation du paon symbolisant la vie éternelle ait été portée sur la monnaie en l’honneur de saint Adalbert peu après 17. Cf. Lexikon der Christlichen Ikonographie, 3, Freiburg in Breisgau 1971, p. 409-411; Lexikon des Mittelalters, 6, München u. Zürich 1993, p. 2026 et s.; Bord, L.-J.; Skubiszewski, P.: L’image de Babylone aux Serpents dans le Beatus. Contribution à l’étude des influences du Proche-Orient antique dans l’art du haut Moyen Age, Paris 2000, p. 98-106. 18. Kiersnowski, R.: Über einige Herrschaftszeichen, p. 160. 19. Suchodolski, S.: Die Münzen des heiligen Adalbert, des Schutzpatrons von Polen, Böhmen und Ungarn, Numizmatikai Közlöny 2001-2002, p. 79-93. 20. S. Adalberti vita altera, redactio longior, Monumenta Poloniæ Historica, s.n., t. 4, fasc. 2, Warszawa 1969, p. 1-41; S. Adalberti vita altera, redactio brevior, ibidem, p. 43-69. 1255 STANISLAW SUCHODOLSKI son martyre en 997, la translation de son corps à Gniezno et la création dans cette ville d’une métropole portant son nom. Cette hypothèse que j’ai avancée l’année dernière avait pour fondement le dernier des types monétaires dont il est question ici, à savoir le type de Bretislav Ier (Cach 313). La représentation du paon y est accompagnée du nom de saint Venceslas, sur le côté opposé se trouvent sa figure et le nom du duc. On peut donc supposer que l’idée de l’auteur inconnu du type était que, malgré son martyre, saint Venceslas, comme le Christ, allait ressusciter et atteindre la vie éternelle. Cela m’incite à avancer pour finir une supposition prudente, celle que la concentration des représentations du paon au Xe siècle pouvait elle aussi avoir trait au culte de saint Venceslas à qui saint Adalbert vouait une vénération ardente. En effet l’apparition suivante du paon sur une monnaie tchèque, datant du règne du duc Jaromir, accompagne la première apparition du nom de saint Venceslas. Il est vrai que cela ne se produit pas sur les mêmes monnaies (Cach 255-256 et 246-252). Cependant la pratique d’expliciter les représentations par des légendes n’existait pas ici encore à l’époque, autrement dit, la conformité entre la représentation figurant dans le champ de la monnaie et l’inscription qui l’entourait n’était pas de rigueur. Récapitulons. La forte concentration de motifs d’oiseaux dominés par celui du paon sur les monnaies tchèques de la fin du Xe siècle est un fait. Il ne semble pas qu’elle soit due au hasard. La coïncidence de ce phénomène avec l’épiscopat de saint Adalbert n’est probablement pas non plus fortuite. Il se peut que le saint évêque ou un membre de son entourage le plus proche ait proposé des motifs sacraux symbolisant la vie éternelle sous l’impulsion du culte du saint martyr Venceslas, patron de la cathédrale de Prague et de toute la ville. Ce phénomène apparaît encore plus nettement sur les monnaies tchèques du XIe siècle. En Pologne, le motif du paon figurerait sur une monnaie pour honorer un autre martyr, saint Adalbert, patron de la métropole de Gniezno et de l’Etat tout entier. Liste d’illustrations 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. Bohême, Boleslav II (972-999), d’après F. Cach 93-96, 98 Bohême, Sobezlav (981-995), Cach 158-160 ; Bretislav I (1037-1055), Cach 313 Bohême, Boleslav II, Cach 96, d’après J. Hásková, diam. 20 mm Bohême, Boleslav II, Cach 98, d’après J. Hásková, diam. 20 mm Bohême, Sobezlav, Cach 159, d’après E. Nohejlová-Prátová, diam. 20 mm Bohême, Sobezlav, Cach 160, d’après E. Nohejlová-Prátová, diam. 20 mm Pologne, Boleslas le Vaillant (992-1025), Musée National de Cracovie, diam. 19 mm 1256 LA SYMBOLIQUE DES OISEAUX SUR LES MONNAIES TCHÈQUES ET POLONAISES DE LA FIN DU Xe ET DU DÉBUT DU XIe SIÈCLE Fig. 1 Fig. 2 Fig. 3 Cach nº 96 1257 Fig. 4 Cach nº 98 STANISLAW SUCHODOLSKI Fig. 5 Cach nº 159 Fig. 6 Cach nº 160 Fig. 7 1258