
33 DSM - DAPNIA Service d'Astrophysique 2001-2003
Formation des étoiles et des planètes
standard de Shu et al. dans les régions de formation
stellaire « en amas », ce qui devrait en principe favoriser
la formation d'étoiles massives (voir plus loin).
Structure en vitesse de la plus jeune
proto-étoile du Taureau
Le travail de thèse d'Arnaud Belloche (soutenu fin 2002
au SAp) a consisté en l'étude détaillée de la cinématique
de plusieurs proto-étoiles de Classe 0 afin de trancher
entre différents modèles d'effondrement protostellaire. Le
grand intérêt des proto-étoiles de Classe 0 est en effet
qu'elles sont si jeunes (moins de ~30000 ans depuis la
formation de l'embryon stellaire central) qu'elles
retiennent encore la mémoire des conditions initiales de
l'effondrement.
Arnaud Belloche a notamment mené une étude
approfondie d'IRAM04191, la plus jeune proto-étoile
connue actuellement dans le nuage du Taureau (André,
Motte, Bacmann 1999, ApJ, 513, L57), à partir de cartes
de spectres de plusieurs transitions de la molécule CS et
de son isotope C34S obtenues avec le radio-télescope de
30m de l'IRAM dans le domaine millimétrique (figure 2).
Il a modélisé les spectres observés à l'aide d'un code de
transfert radiatif de type Monte Carlo (MAPYSO), conçu
par S. Blinder et D. Despois à l'Observatoire de Bordeaux.
Grâce à une étude exhaustive de l'influence des différents
paramètres sur les spectres simulés par le code MAPYSO,
Belloche et al. [5] ont pu, pour la première fois, quantifier
l'amplitude des champs de vitesse d'effondrement et de
rotation de la proto-étoile IRAM04191 (figure 3). Un taux
d'accrétion de 3 x 10-6 M
o/an a ainsi été directement
mesuré. De plus, les résultats mettent clairement en
évidence des mouvements de rotation différentielle et
d'effondrement étendus sur toute l'enveloppe
protostellaire (R
env > 10000 UA). Ils montrent que la
partie interne de l'enveloppe (r < 2000-4000 UA) est en
effondrement et rotation rapide avec conservation du
moment cinétique, alors que la partie externe tourne et se
contracte plus lentement, en subissant probablement des
effets de freinage magnétique. La présence de
mouvements d'effondrement étendus pour une proto-étoile
aussi jeune est incompatible avec le modèle « standard »
de Shu et al. (1987, ARA&A, 25, 23) selon lequel
l'effondrement se développe depuis le centre vers
l'extérieur (« inside-out collapse »). En revanche, un
accord qualitatif a été obtenu avec le modèle magnétique
de Mouschovias et collaborateurs (e.g. Basu &
Mouschovias 1994,ApJ, 432, 720), selon lequel
l'effondrement est amorcé à grand rayon par le mécanisme
de diffusion ambipolaire. Dans le cadre de ce modèle,
l'enveloppe interne - en rotation rapide - d'IRAM04191
s'interprète comme un coeur très partiellement ionisé qui
est en train de se découpler magnétiquement du nuage
moléculaire ambiant et correspond au réservoir de masse
effectif (ici ~0.5 Mo) alimentant la formation de l'étoile
centrale. Belloche et al. [5] concluent que le champ
magnétique joue probablement un rôle majeur pour
limiter, pendant la phase pré-stellaire, la masse des
étoiles se formant dans des nuages comme celui du
Taureau.
La distribution de moment cinétique observée dans
l'enveloppe d'une proto-étoile de type solaire comme
IRAM04191 donne aussi de précieuses informations sur
les conditions initiales de la croissance du disque
d'accrétion proto-planétaire.
Conditions initiales dans les amas
stellaires en formation
De manière plus globale, les caméras de bolomètres
actuelles dans le domaine (sub)millimétrique, comme
MAMBO sur le télescope de 30m de l'IRAM ou SCUBA
sur le JCMT, permettre dorénavant d'obtenir de grandes
mosaïques couvrant toute l'étendue de complexes de
formation stellaire individuels. Des résultats très
prometteurs ont ainsi été obtenus sur la « démographie »
des condensations pré-stellaires dans les régions les plus
proches formant les étoiles en amas. En particulier, des
recensements quasi-complets des condensations pré-
stellaires contenus dans les « proto-amas » de ρ Ophiuchi,
d'Orion B et du Serpent ont pu être faits par notre groupe
(Motte, André, Neri 1998, A&A, 336, 150; Motte et al.
[2]; Kaas et al. [6]). Ces recensements indiquent que la
distribution en masse des condensations pré-stellaires
ressemble fortement à la fonction de masse initiale
(« IMF») des étoiles (figure 4 d'après Motte et al. [2]). Ce
résultat est remarquable car, en revanche, la distribution
en masse des nuages moléculaires eux-mêmes, ainsi que
celle des fragments de faible densité observés en CO à
l'intérieur de ces nuages, diffère sensiblement de l'IMF
Figure 2: Spectres observés avec le télescope de 30m de l'IRAM
en direction de la proto-étoile de Classe 0 IRAM 04191 (le long
de l'axe perpendiculaire au flot) dans la transition optiquement
épaisse CS(2-1) et la transition optiquement mince C34S(2-1).
Des spectres synthétiques calculés avec un code de transfert
radiatif de type Monte-Carlo pour un modèle d'enveloppe
sphérique en effondrement et rotation sont superposés (en
rouge) pour comparaison.. (D'après Belloche et al. [5].)
Figure 3: Propriétés cinématiques de l'enveloppe d'IRAM04191 :
profil radial de la vitesse de rotation (à gauche) et profil de la
vitesse d'effondrement (à droite). Sur chaque panneau, la zone
bleue correspond au domaine compatible avec les observations et
la courbe noire au meilleur modèle d'enveloppe.
(D'après Belloche et al. [5].)