10 Entretien Migros Magazine 24, 14 juin 2005
«La personne que j’aide à mourir n’a pas peur de rejoindre son créateur
Exit: le droit
de se tuer
Le DrJérôme Sobel nous dit les raisons qui l’ont amené à présider Exit Suisse romande
depuis 2000 et s’explique sur cette association qui pratique le suicide assisté.
Jérôme Sobel, pouvez-vous retracer le
parcours qui vous a amené à devenir
président d’Exit?
J’étais en première année de médecine
lorsque ma grand-mère adorée, femme hy-
per-intelligente de 73 ans qui était grave-
ment atteinte d’une maladie neurologique
dégénérative, m’a fait une demande que je
n’ai, à cette époque, pas comprise. Elle me
disait: «Aide-moi à aller chez le Bon Dieu,
à retrouver grand-papa.» Que pouvais-je
répondre à cet appel au secours? Elle est
morte chez nous dans des conditions très
difficiles. Ensuite est venue toute une ex-
périence de vie...
C’est-à-dire?
Tout au long de ma formation, travaillant
en neurochirurgie, aux urgences, comme
anesthésiste, en radiothérapie, j’ai été con-
fronté à des situations dramatiques: trau-
matismes graves, cancers terminaux, états
végétatifs et j’ai vu des gens mourir dans
des situations telles que cela m’a poussé à
la réflexion. Alors que j’étais membre de la
commission fédérale «Assistance au dé-
cès», j’ai été approché par Exit – aujour-
d’hui 11 000 membres en Suisse romande
et 52 000 en Suisse alémanique – et j’en ai
accepté la présidence en 2000. Tant de
choses s’étaient passées qui m’avaient pro-
fondément secoué, circonstances où je
m’étais dit: si j’avais été à la place de ces
personnes, ah mais j’aurais aimé... aimé!
qu’on puisse m’aider.
Ce désir d’aider les autres suscitait-il
en vous un débat moral, religieux?
Non. J’ai des convictions spirituelles.
Lorsque je fais un suicide assisté, je me dis
toujours: je n’aurai pas peur d’en discuter
avec mon créateur comme j’en parle main-
tenant avec vous. La personne que j’aide à
mourir n’a pas peur non plus de rejoindre
son créateur, qu’elle considère comme son
meilleur ami. Ce n’est pas lui qui a voulu
que le cancer existe, ni la déchéance qui
peut frapper tout un chacun. Car, indépen-
damment de la douleur qu’on traite de
façon satisfaisante dans 90% des cas, une
personne peut vouloir s’en aller avant de
n’être plus vraiment elle-même.
Est arrivé le moment de votre premier
accompagnement...
Oui, en 1998. Lorsque j’ai reçu une de-
mande fondée de quelqu’un qui souffrait
d’un cancer terminal, je ne pouvais pas me
dérober, il était normal que je m’expose.
A cette époque, combien y avait-il déjà
eu de suicides assistés grâce à Exit?
Personne ne pourra vous répondre, car, s’il
y en a eu, ils n’ont pas été déclarés.
Vous êtes le premier à l’avoir déclaré?
Oui, le premier médecin à l’avoir déclaré
en tant que membre de l’Association Exit
Suisse romande. La commission fédérale
d’experts avait clairement établi que le sui-
cide assisté était légitime dans la mesure
où il n’y avait pas de mobile égoïste. Après
le suicide assisté, j’ai aussitôt déclaré ce-
lui-ci à la police. Des gendarmes en uni-
forme m’ont emmené en voiture de police
jusqu’à l’Hôtel de Ville où j’ai été inter-
rogé, avec beaucoup de courtoisie. La
belle-fille du patient était là comme té-
moin. Le juge d’instruction a clos le dos-
sier sur un non-lieu, me considérant égale-
ment comme témoin et n’ayant aucun mo-
bile égoïste puisque je n’étais pas héritier.
Nous avions la demande écrite faite par le
patient, les documents médicaux attestant
de la situation irrémédiable de cette per-
sonne, le témoignage des personnes pré-
sentes... Aujourd’hui, les choses ont beau-
coup évolué. Ce sont des inspecteurs en
civil qui arrivent en voiture banalisée et qui
commencent par présenter leurs condo-
léances à la famille, montrant beaucoup de
tact et de courtoisie.
Un médecin légiste intervient-il?
Bien sûr. Dans le canton de Vaud, le mé-
decin légiste vient faire les premiers
constats, la dépouille est ensuite transfé-
rée pour un examen externe à l’Institut
de médecine légale. Il n’y a pas d’autop-
sie. Dans les quarante-huit heures, le
corps est rendu à la famille. A Genève, le
médecin légiste remet le permis d’inhu-
mer sans qu’il y ait transfert du corps à
l’Institut de médecine légale. C’est
Biographie
Né en 1952 à La Chaux-de-Fonds, Jérôme
Sobel a fait ses études de médecine à
Lausanne et pratique aujourd’hui dans
cette même ville. Entré au comité d’Exit
en 1998, il a accepté la présidence en
2000. Il est le premier médecin à occuper
cette fonction pour la Suisse romande.
Marié, il a deux grands enfants, une fille
de 25 ans et un fils de 22 ans.
www.exit-geneve.ch
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Migros Magazine 24, 14 juin 2005 Entretien
Marié et père de deux enfants, Jérôme Sobel pratique la médecine à Lausanne.
12 Entretien Migros Magazine 24, 14 juin 2005
Vous êtes introduit au cœur du noyau fami-
lial, dans des circonstances où l’on parle
plus vrai. Toute une famille, et celui ou
celle qui va partir vous font confiance: j’ai
partagé avec ces personnes des moments
inouïs. Inouïs. Ce sont elles qui m’ont fait
devenir celui que je suis. D’une personne à
l’autre, d’une famille à l’autre, c’est tou-
jours une expérience différente. Le choix
de Jean a montré aux téléspectateurs l’ex-
périence unique d’un seul homme: com-
ment, alors qu’il commençait à souffrir de
maux de tête (ce qui n’apparaît pas dans le
reportage), il a préféré partir alors qu’il
était encore lui.
C’est avec chaque personne différent?
Bien sûr. Des gens ont souhaité s’en aller
après une petite cérémonie religieuse, en
présence d’un pasteur. Telle personne s’en
va entourée de sa famille après avoir pré-
paré pour elle une bouteille de champagne,
en disant: vous la boirez tout à l’heure. J’ai
le souvenir d’une vieille dame auprès de
laquelle étaient réunis ses enfants et petits-
enfants, qui avait préparé du thé, du café,
commandé des petites pièces... Elle nous a
dit: c’est pour vous.
Combien de suicides assistés avez-vous
faits?
C’est mon secret. D’ailleurs, aucun des
accompagnants ne vous le dira... Nous ne
sommes pas là pour articuler des chiffres.
Mais combien de suicides assistés par
année?
L’an dernier, en Suisse romande, nous
avons eu quarante-deux suicides assistés
pour cent cinquante-huit demandes. L’an-
née d’avant, c’était quarante-huit. Il faut
savoir que beaucoup de gens qui recourent
à Exit ne choisiront pas forcément le sui-
cide assisté: seule une personne sur trois va
au bout de cette démarche. Les autres se
sentent rassurés de nous avoir vus, ils
savent que si la situation devient trop dure,
on va les aider... cela les aide à mourir plus
sereinement, de leur mort naturelle.
C’est Exit qui établit l’ordonnance
pour la potion mortelle?
Oui, et comme je vois tous les dossiers,
c’est en principe moi qui la fais.
Elle varie selon la personne?
Non, c’est un barbiturique à haute dose,
qu’on boit dans un verre. Ou à l’aide d’une
paille. Car c’est parfois difficile. Certaines
personnes n’arrivent plus à déglutir: elles
s’administrent alors la potion à travers la
sonde. Et quand même cela n’est plus
possible, nous mettons la solution dans le
flacon de la perfusion, et c’est la personne
elle-même qui va ouvrir le robinet. Jusqu’à
la dernière seconde, c’est la personne qui a
le contrôle de son départ.
Les accompagnants d’Exit reçoivent-ils
une formation particulière?
Il existe une formation pour les sages-
femmes, mais pas pour ceux qui accompa-
gnent les gens en fin de vie... Il n’y a pour
cela ni haute école spécialisée ni formation
académique. Un nouvel accompagnant
sera cependant soigneusement intégré,
aidé, supervisé, participera à un séminaire
– c’est une tâche très lourde. Nous sommes
une toute petite équipe bénévole de douze
personnes qui, avec de faibles moyens,
accomplit un travail colossal.
Peut-on imaginer que d’autres vous
emboîtent le pas?
Bien sûr! Rien n’empêche un médecin, ou
toute autre personne, d’aider son prochain
dans le cadre d’un suicide assisté. Nous
avons de plus en plus de demandes de mé-
decins souhaitant accompagner leurs pa-
tients. Si ces médecins prenaient en charge
eux-mêmes les accompagnements en fin
de vie, on n’aurait plus besoin d’Exit. Juri-
diquement, cela ne pose aucun problème.
L’association aura rempli son rôle.
Propos recueillis par Jean-François Duval
Photos Loan Nguyen
moins lourd pour la famille et j’espère
que le canton de Vaud allégera de la
même façon cette procédure.
Pourquoi le suicide assisté se passe-t-il
en général le matin?
Plusieurs raisons. L’immense majorité des
gens qui absorbent la potion létale meurent
rapidement. Mais il peut arriver que le
moment du décès intervienne après plu-
sieurs heures. Nous restons avec la famille
jusqu’au moment de la levée du corps. Au-
trement dit, il faut avoir un certain temps
devant soi: la police judiciaire, le médecin
légiste peuvent être occupés... il faut atten-
dre. De plus, nous sommes tous des béné-
voles. Or, un suicide assisté demande un
investissement émotionnel considérable –
après, on est épuisé, vidé. Il faut du temps
pour recharger ses batteries. Lorsque j’as-
siste quelqu’un, j’interviens le samedi afin
de pouvoir me reposer ensuite.
Pratiquer des suicides assistés a boule-
versé votre vie?
On n’est plus la même personne avant et
après. Tout accompagnant vous le dira: on
donne beaucoup d’énergie, on reçoit aussi
énormément, sur le plan humain, émo-
tionnel, philosophique. J’ai le sentiment
d’avoir beaucoup gagné en maturité,
acquis une connaissance plus profonde de
la vie et des gens, j’envisage aussi ma dis-
parition avec plus de tranquillité.
Parce que ce genre d’expérience ra-
mène à l’essentiel?
A l’essentiel, oui. Rendez-vous compte!
«Toute personne
peut aider son
prochain dans
le cadre d’un
suicide assisté.»
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Migros Magazine 24, 14 juin 2005 Entretien
Président d’Exit, Jérôme Sobel aide les malades en fin de vie à mourir.
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