12 Entretien Migros Magazine 24, 14 juin 2005
Vous êtes introduit au cœur du noyau fami-
lial, dans des circonstances où l’on parle
plus vrai. Toute une famille, et celui ou
celle qui va partir vous font confiance: j’ai
partagé avec ces personnes des moments
inouïs. Inouïs. Ce sont elles qui m’ont fait
devenir celui que je suis. D’une personne à
l’autre, d’une famille à l’autre, c’est tou-
jours une expérience différente. Le choix
de Jean a montré aux téléspectateurs l’ex-
périence unique d’un seul homme: com-
ment, alors qu’il commençait à souffrir de
maux de tête (ce qui n’apparaît pas dans le
reportage), il a préféré partir alors qu’il
était encore lui.
C’est avec chaque personne différent?
Bien sûr. Des gens ont souhaité s’en aller
après une petite cérémonie religieuse, en
présence d’un pasteur. Telle personne s’en
va entourée de sa famille après avoir pré-
paré pour elle une bouteille de champagne,
en disant: vous la boirez tout à l’heure. J’ai
le souvenir d’une vieille dame auprès de
laquelle étaient réunis ses enfants et petits-
enfants, qui avait préparé du thé, du café,
commandé des petites pièces... Elle nous a
dit: c’est pour vous.
Combien de suicides assistés avez-vous
faits?
C’est mon secret. D’ailleurs, aucun des
accompagnants ne vous le dira... Nous ne
sommes pas là pour articuler des chiffres.
Mais combien de suicides assistés par
année?
L’an dernier, en Suisse romande, nous
avons eu quarante-deux suicides assistés
pour cent cinquante-huit demandes. L’an-
née d’avant, c’était quarante-huit. Il faut
savoir que beaucoup de gens qui recourent
à Exit ne choisiront pas forcément le sui-
cide assisté: seule une personne sur trois va
au bout de cette démarche. Les autres se
sentent rassurés de nous avoir vus, ils
savent que si la situation devient trop dure,
on va les aider... cela les aide à mourir plus
sereinement, de leur mort naturelle.
C’est Exit qui établit l’ordonnance
pour la potion mortelle?
Oui, et comme je vois tous les dossiers,
c’est en principe moi qui la fais.
Elle varie selon la personne?
Non, c’est un barbiturique à haute dose,
qu’on boit dans un verre. Ou à l’aide d’une
paille. Car c’est parfois difficile. Certaines
personnes n’arrivent plus à déglutir: elles
s’administrent alors la potion à travers la
sonde. Et quand même cela n’est plus
possible, nous mettons la solution dans le
flacon de la perfusion, et c’est la personne
elle-même qui va ouvrir le robinet. Jusqu’à
la dernière seconde, c’est la personne qui a
le contrôle de son départ.
Les accompagnants d’Exit reçoivent-ils
une formation particulière?
Il existe une formation pour les sages-
femmes, mais pas pour ceux qui accompa-
gnent les gens en fin de vie... Il n’y a pour
cela ni haute école spécialisée ni formation
académique. Un nouvel accompagnant
sera cependant soigneusement intégré,
aidé, supervisé, participera à un séminaire
– c’est une tâche très lourde. Nous sommes
une toute petite équipe bénévole de douze
personnes qui, avec de faibles moyens,
accomplit un travail colossal.
Peut-on imaginer que d’autres vous
emboîtent le pas?
Bien sûr! Rien n’empêche un médecin, ou
toute autre personne, d’aider son prochain
dans le cadre d’un suicide assisté. Nous
avons de plus en plus de demandes de mé-
decins souhaitant accompagner leurs pa-
tients. Si ces médecins prenaient en charge
eux-mêmes les accompagnements en fin
de vie, on n’aurait plus besoin d’Exit. Juri-
diquement, cela ne pose aucun problème.
L’association aura rempli son rôle.
Propos recueillis par Jean-François Duval
Photos Loan Nguyen
moins lourd pour la famille et j’espère
que le canton de Vaud allégera de la
même façon cette procédure.
Pourquoi le suicide assisté se passe-t-il
en général le matin?
Plusieurs raisons. L’immense majorité des
gens qui absorbent la potion létale meurent
rapidement. Mais il peut arriver que le
moment du décès intervienne après plu-
sieurs heures. Nous restons avec la famille
jusqu’au moment de la levée du corps. Au-
trement dit, il faut avoir un certain temps
devant soi: la police judiciaire, le médecin
légiste peuvent être occupés... il faut atten-
dre. De plus, nous sommes tous des béné-
voles. Or, un suicide assisté demande un
investissement émotionnel considérable –
après, on est épuisé, vidé. Il faut du temps
pour recharger ses batteries. Lorsque j’as-
siste quelqu’un, j’interviens le samedi afin
de pouvoir me reposer ensuite.
Pratiquer des suicides assistés a boule-
versé votre vie?
On n’est plus la même personne avant et
après. Tout accompagnant vous le dira: on
donne beaucoup d’énergie, on reçoit aussi
énormément, sur le plan humain, émo-
tionnel, philosophique. J’ai le sentiment
d’avoir beaucoup gagné en maturité,
acquis une connaissance plus profonde de
la vie et des gens, j’envisage aussi ma dis-
parition avec plus de tranquillité.
Parce que ce genre d’expérience ra-
mène à l’essentiel?
A l’essentiel, oui. Rendez-vous compte!
«Toute personne
peut aider son
prochain dans
le cadre d’un
suicide assisté.»