
politique doit considérer la culture populaire et les imaginaires collectifs3, qui ont longtemps
été négligés dans l'élaboration de la nation.
Ainsi, la crise actuelle, loin de n’être qu’une tragédie, peut aussi être comprise comme une
opportunité pour repenser les fondements mêmes de la gouvernance en Haïti. Elle appelle à
transcender la perspective d'un État historiquement détaché de sa société, à promouvoir les
mouvements communautaires de résilience, et à incorporer les aspects culturels et
symboliques dans l'édification d'un nouveau cadre politique. La question centrale dès lors est
: à quel point la crise actuelle d'Haïti, caractérisée par l'effondrement de l'autorité
gouvernementale et l'ascension des groupes armés, peut-elle représenter un tournant
permettant une redéfinition des méthodes de gouvernance et une possible transition
politique ?
D'abord, selon Arnold Toynbee dans sa théorie des cycles historiques (A Study of History,
1934-1961), les civilisations évoluent à travers le processus dialectique du « défi et de la
réponse » : lorsqu'elles font face à un défi majeur, elles peuvent soit s'éteindre, soit se
régénérer. Dans le contexte haïtien, l'effondrement actuel constitue ce défi suprême dont la
solution pourrait tracer une nouvelle voie politique. Puis, Joseph Schumpeter, à travers sa
théorie de la destruction créatrice (Capitalisme, socialisme et démocratie, 1942), prouve que
l'évolution économique découle fréquemment de l'élimination des structures obsolètes,
ouvrant la voie à l'innovation. Dans une phase post-crise, l'affaiblissement des réseaux
criminels et la dissolution de l'ordre prédateur en Haïti pourraient permettre le développement
de nouvelles fondations économiques.
De plus, Edgar Morin (La Voie, 2011) met l'accent sur la faculté des sociétés à instaurer des
dispositifs de résilience en réponse aux crises. Déjà, dans les zones défavorisées, au cœur des
communautés cultuelles, se constituent des réseaux de soutien et de survie, annonçant les
premiers signes d'un nouveau pacte social. Pour finir, l'approche braudélienne axée sur les
temps longs souligne que les cassures, aussi brutales qu'elles puissent être, représentent des
points de basculement qui redessinent de manière pérenne les parcours historiques (La
Méditerranée et le monde méditerranéen, 1949). On peut donc considérer la crise actuelle en
Haïti comme un tournant historique significatif qui remodelera les relations entre l'État,
l'économie et la société.
3 Jean Price-Mars, Ainsi parla l’oncle (Paris : Imprimerie de Compiègne, 1928 ; rééd. Port-au-Prince : Éditions
Fardin, 2009), 87 ; Laënnec Hurbon, Culture et dictature en Haïti : L’imaginaire sous contrôle (Paris : Karthala,
1987), 21.