ICP-MS en biologie clinique : principe, appareillage et intérêt

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Spectrométrie de masse en plasma induit :
principe, appareillage et intérêt
en biologie clinique
RÉSUMÉ
La spectrométrie de masse à plasma à couplage inductif (ICP-MS), technique de
dosage élémentaire, est devenue incontournable dans les laboratoires pratiquant ce
type d’analyses. Nous rappelons le principe de l’ICP-MS et détaillons les différents
constituants du spectromètre et leur rôle. Les dernières innovations et dévelop-
pements instrumentaux sont présentés en fonction des particularités de chaque
constructeur. Les principales applications en biologie clinique sont exposées en
insistant plus particulièrement sur les toutes nouvelles perspectives, analyse de
nanoparticules et cartographies tissulaires.
MOTS CLÉS
ablation laser
élément trace
ICP-MS
isotope
nanoparticule
spéciation
spectrométrie de masse
à plasma à couplage
inductif
KEYWORDS
ICP-MS
inductively coupled
plasma mass
spectrometry
isotope
laser ablation
nanoparticle
speciation
trace element
Joël Poupon
Laboratoire de toxicologie biologique, groupe hospitalier Saint-Louis – Lariboisière – Fernand-Widal, 2, rue Ambroise-Paré,
75475 Paris cedex 10, France
Adresse e-mail : joel.poupon@aphp.fr (J. Poupon).
ABSTRACT
Inductively Coupled Plasma Mass Spectrometry:principle,
equipment and applications in clinical biology
ICP-MS, an elemental analysis technique, has become essential in laboratories
performing this type of analysis. We recall the principle of ICP-MS and detail the
different constituents of the spectrometer and their role. The latest innovations
and instrumental developments are presented according to the particularities of
each manufacturer. The main applications in clinical biology are presented with
a particular emphasis on the very new perspectives, analysis of nanoparticles
and tissue mapping.
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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES • N° 533 • JUIN 2021
© N. Oussedik
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Introduction
La spectrométrie de masse en plasma induit (ICP-MS)
est une technique de dosage élémentaire développée
depuis le milieu des années 1980 [1]. Elle s’est rapide-
ment imposée car elle permet de pallier la plupart des
limitations des autres techniques d’analyse élémentaire
utilisés jusque-là (SAAF, SAAET et ICP-OES). En effet,
pour la majorité des éléments, elle est plus sensible,
elle est linéaire sur une très grande étendue de mesure
et elle peut être considérée comme une technique
multi-élémentaire même si les éléments sont mesurés
séquentiellement.
Si les premiers spectromètres ne pouvaient résoudre
les nombreuses interférences observées notamment
sur les éléments de transition, les avancées techno-
logiques (cellules de collision/réaction) permettent
actuellement d’en corriger la plupart.
La séparation se faisant selon la masse des ions, il est
possible de distinguer les différents isotopes d’un même
élément ce qui est un avantage incontestable de cette
technique (calcul de rapports isotopiques, suivi d’un
isotope particulier…).
La grande sensibilité permet de coupler l’ICP-MS avec
des techniques séparatives en amont (Chromatographie
en phase liquide à haute performance – HPLC, GC)
pour faire de la spéciation.
Initialement conçue pour l’analyse de solutions, la pos-
sibilité de couplage avec un laser (ablation laser ou
LA-ICP-MS) permet d’analyser directement des solides
et de faire des cartographies (mapping), par exemple sur
des coupes de tissus.
Enn, grâce aux progrès de l’électronique, notamment
l’augmentation de la vitesse d’acquisition des signaux,
les appareils actuels sont
capables de mesurer des par-
ticules individuelles, nanopar-
ticules ou cellules, ouvrant
ainsi de nouveaux champs
d’applications.
Principe
L’ICP-MS est basée sur la
séparation des éléments
sous forme ionisée dans un
spectromètre de masse en
fonction de leur rapport
masse sur charge noté m/z.
La quantication est réalisée
grâce à un détecteur placé
après le quadripôle. Il est
donc nécessaire d’amener
le ou les éléments à ana-
lyser sous forme d’atome
ionisé.
Appareillage
Il existe quatre types d’ICP-MS : quadripolaire (Q-ICP-
MS), à secteur magnétique appelé aussi haute résolution
(HR-ICP-MS), à temps de vol (TOF-ICP-MS) et multi-
collecteur (MC-ICP-MS). Dans cet article nous ne trai-
terons que du premier qui est, de loin, le plus répandu,
notamment en raison de son prix.
Système d’introduction
de l’échantillon
En biologie clinique, la très grande majorité des échan-
tillons analysés par ICP-MS sont des liquides (sérum,
sang total, urine, lait, liquides de ponction…). Le liquide
est acheminé grâce à une pompe péristaltique vers un
nébuliseur qui va le transformer en aérosol dans une
chambre de nébulisation. La chambre a pour rôle de
sélectionner les gouttelettes les plus nes (inférieures
à 10μm) qui seules seront envoyées dans la torche à
plasma. La petite taille des gouttelettes est très impor-
tante car elle conditionne l’efcacité des phénomènes
se produisant dans le plasma jusqu’à l’ionisation. On
utilise le plus souvent des nébuliseurs concentriques
de débit et de rendement variables. Au début, les débits
étaient classiquement de 1mL/min (voire 2 ou 3mL/
min) avec un rendement de nébulisation de quelques
pourcents seulement. Actuellement, on préfère l’emploi
de micro-nébuliseurs consommant entre 50 et 400μL/
min et dont le rendement se situe entre 15 et 20 %.
Torche à plasma
La torche à plasma permet de créer le plasma (gure1).
Elle est constituée de trois tubes concentriques :
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© J. Poupon
Figure 1. Introduction de l’échantillon et torche.
A. Schéma général – B. Torche et bobine d’induction (Elan DRCe, Perkin Elmer)
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l’injecteur central qui véhicule l’aérosol jusqu’à la
base du plasma, le tube intermédiaire et le tube externe.
Le ux d’argon plasmagène, environ 15L/min (Shimadzu a
développé une mini-torche ne consommant que 10L/min),
circule entre le tube intermédiaire et le tube externe.
Il crée le plasma et refroidit le tube externe en l’isolant
du plasma. L’extrémité supérieure de la torche est placée
à l’intérieur des spires de la bobine d’induction ; c’est à ce
niveau que se forme le plasma.
Le plasma d’argon est créé par un champ électromagné-
tique à haute fréquence produit par une bobine d’induc-
tion alimentée par un générateur haute-fréquence. Un ux
d’argon qui traverse ce champ est partiellement ionisé
(~ 10-4) et forme le plasma. L’énergie du générateur va
accélérer les atomes et les électrons qui subissent de nom-
breuses collisions provoquant l’échauffement du plasma.
La température de celui-ci varie selon la zone du plasma
de 3000 à 10000 K. Lors de la traversée du plasma, les
gouttelettes vont être désolvatées, les molécules détruites
et les atomes totalement ou en partie ionisés (gure2).
Le degré d’ionisation dépend de la température du plasma
mais surtout de l’énergie de première ionisation des élé-
ments. Les éléments dont l’énergie est basse (alcalins,
alcalino-terreux) seront ionisés à 100 % tandis que ceux
dont l’énergie est élevée (métalloïdes, halogènes) seront
partiellement ionisés et auront donc une mauvaise sensibi-
lité (gure3). Notons que l’argon a été choisi comme gaz
plasmagène car il possède une énergie d’ionisation élevée
(15,8eV) ce qui permet aux autres éléments d’être ionisés
avant lui. Remarquons aussi que parmi les trois éléments
dont l’énergie d’ionisation est supérieure à celle de l’argon,
gure le uor ce qui explique qu’il est impossible de doser
directement cet élément par ICP-MS.
Interface plasma/spectromètre
Les ions formés dans le plasma mais aussi des atomes
non ionisés, des espèces polyatomiques (formés de
deux ou trois atomes) et des photons vont être intro-
duits dans le spectromètre grâce à une interface consti-
tuée de deux ou trois cônes métalliques percés d’un
orice central circulaire d’un diamètre compris entre
0,4 et 1mm. Le premier, au contact du plasma, est
dit échantillonneur (sampler cone). Juste en arrière se
trouve le cône écrêteur (skimmer cone) qui va réduire
le diamètre du faisceau ionique. Enn, les spectromètres
de la gamme NexION® de Perkin Elmer comportent
un troisième cône appelé hyper-écrêteur (gure4).
Nous verrons pourquoi dans le paragraphe suivant.
Spectromètre
Le spectromètre comprend un système de focalisa-
tion des ions, une cellule de collision et/ou réaction,
un quadripôle analytique et un détecteur, l’ensemble
étant sous vide poussé grâce à des pompes primaires
et une turbopompe. Sur quelques modèles récents
(Agilent 8800 et 8900®, Thermo Scientic iCAP TQ®,
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Les oligoéléments en santé
© Thermo.© J. Poupon© Perkin Elmer
Figure 2. Phénomènes intervenant
dans le plasma.
Figure 3. Relation entre l’énergie de première
ionisation et le degré d’ionisation dans le plasma.
Figure 4. Interface constituée
de trois cônes (NexION®).
Adapté de [2].
De gauche à droite : cône échantillonneur, cône écrêteur,
cône hyper-écrêteur.
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Perkin Elmer NexION 5000®), un second quadripôle
est présent avant la cellule de collision/réaction. Il per-
met, entre autres, de résoudre certaines interférences
rencontrées lors de l’utilisation de la cellule de réaction.
Focalisation des ions et élimination des
photons et des espèces non chargées
La focalisation des ions et élimination des photons et
des espèces non chargées (gure5) est le plus sou-
vent réalisée par des lentilles ioniques soit en désaxant
le faisceau ionique (système Agilent) soit en courbant
le faisceau à 90 ° grâce à une lentille ouverte au centre
permettant l’élimination des photons et non chargés
(systèmes Thermo Scientic et Analytik Jena). Sur les
systèmes NexION® de Perkin Elmer, la lentille est rem-
placée par un petit quadripôle situé derrière les cônes
(QID® pour Quadrupole Ions Deflector). Ce dispositif,
inaccessible à l’utilisateur et donc sans maintenance par
ce dernier, nécessite un faisceau ionique très n ce qui
explique la présence d’un troisième cône hyper-écrêteur.
Cellule de collision/réaction
Elle est située entre les lentilles et le quadripôle, ou
entre les deux quadripôles pour les systèmes dits triple-
quad (la cellule étant elle-même considérée comme
un quadripôle). Elle permet d’introduire un gaz ou un
mélange de gaz dans le faisceau ionique, le plus souvent
dans le but de réduire les interférences polyatomiques.
Selon la technologie choisie et les gaz employés, on
distingue les cellules de collision, de réaction et mixtes.
Quadripôle
Les ions introduits dans le spectromètre sont sépa-
rés par un quadripôle (gure 6-1) selon leur masse
et leur charge, en fait leur rapport masse sur charge
(m/z). Des tensions cycliques appliquées par paires aux
Dossier scientifique
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Figure 5. Systèmes de focalisation des ions et d’élimination
des photons et espèces neutres.
A et B : Déviation à 90 ° et lentille ouverte (Thermo), B. Analytik Jena, C : Désaxement du faisceau ionique (Agilent),
D : Utilisation d’un quadripôle (QID) (Perkin Elmer)
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Les oligoéléments en santé
Tableau I. Principalesinterférences
observées dans les milieux biologiques.
quatre barres du quadripôle permettent de
sélectionner une masse donnée et de l’ame-
ner jusqu’au détecteur. Comme nous l’avons
dit plus haut, l’ajout d’un second quadripôle
présente un intérêt dans la correction des
interférences.
Détecteur
Un détecteur, placé derrière le dernier qua-
dripôle, est constitué d’une série de dynodes
qui transforment les ions reçus en électrons
qui sont ampliés par les dynodes suivantes
(gure 6-2). Ce détecteur permet un comp-
tage extrêmement rapide des masses de
façon séquentielle ; la rapidité du balayage en
masse et d’acquisition des mesures en fait un
système virtuellement simultané.
Interférences
Le principal inconvénient de l’ICP-MS est la présence
de très nombreuses interférences que l’on peut classer
en deux catégories.
Interférences isobariques
Les interférences isobariques correspondent à des iso-
topes dont les masses sont très voisines (58Fe et 58Ni,
204Hg et 204Pb par exemple) ou à des ions doublement
chargés dont le rapport m/z est identique, par exemple
48Ca2+ et 24Mg+ et qui ne sont pas résolus par le quadri-
pôle (les ICP-MS haute résolution permettent le plus
souvent de distinguer ces masses voisines mais leur coût
est très élevé et ils ne sont justiés que pour des applica-
tions particulières). Ces interférences sont corrigées par
des équations en mesurant un autre isotope de l’élément
interférent pour en déduire la contribution de l’isotope
interférent et la soustraire du signal brut mesuré.
Interférences poly-atomiques
Les interférences poly-atomiques sont dues à des espèces
moléculaires chargées présentant un m/z identique à
l’isotope à doser. Ce sont surtout des dérivés de l’argon
(constitutif du plasma), de l’oxygène, de l’azote ou du
chlore. Il en existe de très nombreuses et le tableau1
présente les principales interférences rencontrées dans
les milieux biologiques sur les éléments d’intérêt.
Dans les matrices biologiques riches en ion chlorure,
beaucoup d’interférences poly-atomiques concernent des
éléments particulièrement intéressants dont les masses
sont comprises entre 50 et 80. Plusieurs d’entre eux sont
des éléments trace essentiels (Fe, Se, Cu, Zn, Cr, V, Ni,
Co, Mn). Parmi les éléments toxiques, l’arsenic qui ne
possède qu’un isotope (75As), est particulièrement inter-
féré par ArCl. Les éléments lourds (masse supérieure
au sélénium) ne sont en général pas interférés dans les
Quadripôle (1) et détecteur (2). Elan DRCe, Perkin Elmer.
Figure 6. Sélection et détection des masses
© J. Poupon
Isotope Interférents
24Mg CC, 48Ca2+
27Al CN
28Si CO, N2
32PNO
32SO2
39KArH
40Ca Ar
51VClO,ClN
52Cr ArC, ArO, ClOH
53Cr ClO, ArOH, ArCH
54Fe ArN, CaN
55Mn ArNH, ClO, NaS
56Fe ArO, CaO
57Fe ArOH, ArN, CaOH
58Ni ArO, CaO, NaCl, 58Fe
59Co ArOH, CaO,
60Ni ArO, CaO, NaCl
63Cu ArNa, COCl, CNCl
64Zn SO2, S2, ArCO
65Cu SO2H, S2H, ArMg, NOCl
66Zn ArMg, SO2, S2
68Zn SO2, S2
74Se ArAR
75As ArCl, ArSH, CaCl
76Se ArAr
77Se ArCl, CaCl
78Se ArAr
80Se ArAr
82Se ArHArH
milieux biologiques. L’interférence de 204Hg sur 204Pb men-
tionnée plus haut n’est pas gênante pour la mesure du
plomb car l’isotope majoritaire du plomb est 208Pb mais
elle le devient lors de la mesure des ratios isotopiques
qui prennent en compte 204Pb.
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