mots, c’est d’annuler le manque qui laisse le désir aimanté par une « Chose » excédant, outre
tout signifié mais aussi tout signifiant, tout objet d’investissement possible. Le réel
insignifiable, irreprésentable, hors formes, est bien, pour Lyotard, le seul inconscient véritable
au sein du dispositif lacanien2. Car le discours inconscient, quant à lui, dans lequel le désir
chercherait le sens du manque qui le constitue comme désir, Lacan l’aurait plutôt construit,
aux yeux de Lyotard, pour imposer une acception inédite du « sujet ». « Sujet inconscient »
qui, contrairement à l’ego, ne parle pas, mais est parlé par une chaîne signifiante qui « cause »
mais ne dit rien. Lacan tient en effet le langage pour un réseau différentiel de signifiants sans
signifiés, donné a priori. Signifiants qui, agrafés dans les paroles de l’autre, relayent la course
du désir inconscient et en déterminent la scansion. Ainsi seul le « symbolique » ferait exister
le « sujet » du désir – le sujet qu’est le désir – en le marquant au sceau des signifiants dans
lesquels il se cherche.
L’ajointement du langage et de l’inconscient se pense tout autrement pour Lyotard.
L’agir désordonné de la pulsion ou, plus tard, le pâtir d’un affect mutique sont la matière
informe que l’ordre de la représentation – image ou discours – exclut par principe. Cette part
inconsciente où s’enferme la violence silencieuse d’une puissance (la pulsion) ou d’une
impuissance (l’affect inconscient) est un « extrême réel3 » qui, selon Lyotard, préoccupe la
pensée, dans sa gravité du moins. Pensée qui habite l’art et la philosophie pour autant qu’ils
tentent de faire droit à ce reste laissé par toute articulation, en dépit de l’impossibilité de
principe à lui donner une forme, verbale au premier chef.
De l’une à l’autre des deux approches, le point de vue se déplace : c’est la clinique des
psychoses qui sert de fil phénoménal à l’hypothèse de Lacan ; c’est l’œuvre de l’art qui
oriente celle de Lyotard. Il reste que le rapport entre l’inconscient et le langage finira par être
pris, chez ce dernier, dans une tension analogue à celle affectant ce rapport chez le premier.
Lacan peut affirmer d’un même geste que « l’inconscient c’est le discours de l’Autre » et que
« l’inconscient est […], le réel en tant qu’impossible à dire4 ». Quant à Lyotard, il peut
rappeler en 1997 que le nom de Freud « signifie [pour lui] qu’il y a du reste et qu’il n’est pas
vrai que le discours peut venir à bout de ce reste », et se demander pourtant en 1989 : « quid
de l’inconscient en termes de phrases5 ? ». L’hypothèse d’une « phrase-inconscient » ou d’une
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
2 Péré, p. 29.
3 J.-F. Lyotard (entretien avec Gérald Sfez), « L’extrême réel », Rue Descartes n°12-13, Paris, Albin Michel,
1995, p. 204.
4 Écrits, op. cit., p. 16 et 379.
5 R. Beardsworth, « Freud, Energy and Chance A Conversation with Jean-François Lyotard » [noté
Beardsworth], Teknema 5, 1999, en ligne : http://tekhnema.free.fr/5Beardsworth.html [consulté le 18-10-2016] ;
tr. fr. inédite R. McKeon, revue par L. Kahn. ; Misère, p. 65.