Réalités du monde carcéral belge : conditions et population

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Obiter Dictum
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Les réalités du monde carcéral belge
Publié le Mai 19, 2023Mai 18, 2023
Dans le cadre du dossier de l’Obiter Dictum sur le milieu carcéral, après entre autres un tour
d’horizon des conditions de détention dans les prisons à l’international, il est maintenant grand
temps de se pencher sur la même question au sein de la Belgique.
Pour ce faire, nous vous proposons, après un rappel indispensable de la fonction des peines
privatives de liberté, de nous concentrer sur deux points clés de la question pénitentiaire belge : les
conditions de détention et la population carcérale.
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Les fonctions de la peine privative : peine privative de liberté et non
d’humanité
Le système pénitentiaire belge a été conçu au XIXe siècle par Edouard Ducpétiaux. Il est caractérisé
par un emprisonnement et un isolement cellulaire total, de jour comme de nuit, ayant pour objectifs
principaux l’amendement et la moralisation[1]. La jurisprudence définit la peine comme « le mal
infligé par la justice répressive, en vertu de la loi, à titre de punition ou à titre de sanction d’un acte que la loi
défend »[2]. La peine est donc une souffrance, un mal, imposé par l’autorité.
La peine répond à différents objectifs. Elle sert avant tout à réprimer et punir. En cela, elle poursuit
un objectif de rétribution. Elle a également une fonction de prévention, de réparation et enfin une
fonction sociopédagogique. La peine privative vise à la protection de la société, à « enfermer » afin de
neutraliser. Elle est apparue depuis toujours comme le moyen le plus efficace pour protéger la
société.
Liéralement le mot rétribution signifie « aribuer en retour ». En effet, derrière ce mot se cache
l’idée qu’il faut punir le coupable de manière équivalente au mal qu’il a causé à la société par le seul
fait de son infraction[3].
Dans son aspect de prévention générale, la peine a pour but de dissuader la population de commere
des infractions. Cee fonction soulève, en doctrine, bon nombre de discussions. Il ne nous apparaît
pas opportun de les développer ici.
En outre, la peine poursuit également un objectif de réparation. Cee fonction est parfois difficile à
cerner et ne se dissocie pas tellement de la fonction de rétribution dont elle épouse largement les
formes. Michel Van de Kerchove expose très clairement le caractère abstrait de la réparation pénale :
« il apparaît, par le fait même, que cee forme de réparation ne se situe pas à un niveau concret, mais seulement
à un niveau symbolique, et, à la limite, religieux ou magique »[4].
Enfin, dans sa fonction sociopédagogique, la peine marque l’aachement de la société à certaines
normes considérées comme tellement fondamentales que leur violation ne peut rester impunie. Cee
fonction recoupe, à tout le moins partiellement, les trois premières[5].
Remarquons que la situation des détenus n’est pas celle de tout un chacun. Il est essentiel de trouver
un équilibre entre la nécessité de leur infliger une punition pour les infractions commises, afin de
répondre aux différents objectifs poursuivis par la peine privative de liberté, et celle de protéger leur
droit à mener une vie conforme à la dignité humaine en s’assurant que les traitements auxquels les
prisonniers sont soumis ne les rendent pas sujet à une violation de nature à violer leurs droits
fondamentaux.
Ainsi, le besoin sociétal de punir un individu ne peut pas avoir pour conséquence de lui ôter toute
l’humanité à laquelle il a indéniablement droit.
Focus sur la réalité du monde carcéral : la situation en Belgique
L’Observatoire International des Prisons (OIP) surveille de très près les conditions de détention des
personnes privées de liberté en Belgique. Lorsqu’il constate une violation de l’une d’elles, l’OIP alerte
la société en meant en exergue les manquements aux droits humains dont la population carcérale
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peut faire l’objet. Son rôle principal est de « briser le lourd silence » qui pèse sur le milieu
pénitentiaire.
L’observatoire considère que nul ne peut être soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants. Il se veut apolitique et promeut uniquement l’application des textes nationaux et
internationaux relatifs aux droits humains, quel que soit le motif qui a présidé à la détention de la
personne considérée.
Il y a actuellement 37 établissements pénitentiaires en Belgique. Selon la Direction générale des
établissements pénitentiaires en 2020, on dénombrait environ 10 381 détenus[6] .
Les conditions de détention inhumaines sont régulièrement pointées du doigt par divers organes
internationaux, et la Cour européenne des droits de l’homme condamne presque aussi souvent la
Belgique. Mais qu’est-ce qui est problématique ? Nous tenterons dans les lignes qui suivent d’éclairer
le lecteur, tant que faire se peut, sur ces conditions inhumaines[7].
Les prisons belges, ce n’est un secret pour personne, sont vieilles et beaucoup trop vétustes. Cee
sénescence empêche les établissements pénitentiaires de répondre aux standards d’hygiène et de
salubrité élémentaires requises. La Belgique a fait l’objet de nombreux rapports inquiétants quant à la
situation des détenus dans les prisons belges. Parmi les éléments problématiques, on peut
notamment citer les suivants : chute des pierres dans les prisons les plus anciennes, absence de
chauffage dans certaines parties des prisons, présence de rats et de cafards dans toute la prison.
Enfin, dans certaines prisons, il n’est parfois possible de prendre une douche que tous les 3 jours,[8]
en raison du nombre trop limité de douches pour l’ensemble des détenus ou des équipements
inutilisables ou insalubres[9].
Une cellule dans une prison belge a une surface allant de 9 à 12 m². Si cee superficie est plus que
convenable pour un détenu seul, la réalité du monde carcéral démontre que les détenus peuvent être
jusqu’à quatre à l’intérieur d’une cellule, rendant alors l’
espace excessivement exigu. Dans son
rapport annuel pour 2021, le Conseil central de surveillance pénitentiaire aeste d’une infiltration
d’eau et de moisissures sur les murs[10], et d’un manque d’intimité s’expliquant par la présence
d’une seule toilee non isolée dans une cellule de plusieurs codétenus. Enfin, il soulève le manque
d’hygiène des salles médicales de certaines prisons, et leur détérioration avancée est largement
pointée du doigt.
Un constat dramatique s’impose : sept années séparent les deux rapports que nous avons
l’opportunité de parcourir. En sept ans rien n’a changé.
Focus sur la population carcérale : des minorités surreprésentées
Comme l’expose l’Observatoire international des prisons, « la prison ne touche pas de manière
égalitaire toutes les personnes et tous les illégalismes »[11] (blank#_ftn1). Bien que l’objectif premier
du système pénitentiaire ne soit pas de mere en place un mécanisme criminalisant principalement
certaines catégories de la population, force est de constater que la réalité est toute autre.
En effet, les personnes précarisées, économiquement et socialement, sont représentées au sein des
prisons belges. Malgré le manque de chiffres récents sur la question, il était déjà constaté dans une
étude datant de 2001 que près de 75 % des détenus seraient issus de catégories socialement peu
favorisées, et près de 85 % des détenus ont un statut professionnel qui renvoie à une situation
similaire[12]. De plus, environ 75 % des détenus sont très peu instruits ou qualifiés, 30 % seraient
analphabètes, soit trois fois plus que dans la population belge[13].
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Le même constat de surreprésentation est fait pour les personnes étrangères. Le rapport annuel de la
Direction générale des Établissements Pénitentiaires de 2017 exposait qu’en moyenne 44 % de la
population carcérale n’était pas de nationalité belge[14], alors que selon les données Statbel pour la
même période, la Belgique ne comptait que 11,7 % de personnes de nationalité étrangère[15].
Au-delà des personnes de nationalité étrangère, les personnes appartenant à des minorités ethniques,
mais ayant la nationalité belge, sont également surreprésentées dans les prisons. Peu de chiffres sur la
question existent, bien que ce phénomène soit établi dans des rapports internationaux[16].
Cependant, en 2016, il a été observé dans les prisons françaises que 77 % des personnes détenues
appartenaient à des minorités ethniques, dont 84 % étaient français.
Comment expliquer ces constats ? Il serait présomptueux d’avancer une réponse unique à cee
problématique complexe, mais des éléments de réponse peuvent être trouvés.
Tout d’abord, on ne peut pas dire que les personnes pauvres ou étrangères commeent davantage de
délits. Par contre, elles sont « davantage sanctionnées à tous les maillons de la chaîne pénale »[17].
En amont de l’emprisonnement, la politique criminelle tendant à focaliser l’action des forces de police
dans certains quartiers ainsi que le taux élevé de poursuites de la petite criminalité, par exemple
l’usage simple de stupéfiants[18], augmente la criminalisation des personnes défavorisées, qui
commeent des délits pour « pallier une situation de privation »[19]. De plus, la problématique du
profilage ethnique, défini par Amnesty International comme « le recours à des critères tels que la race
ou l’origine nationale ou ethnique pour légitimer des contrôles d’identité, des opérations de
surveillance ou des enquêtes en l’absence de motifs objectifs ou raisonnables » est un élément
pertinent à garder à l’esprit face à la question abordée et contribuant à la criminalisation accrue des
minorités ethniques[20].
En aval, une fois incarcérées, les personnes étrangères ou dans une situation économique précaire
restent plus longtemps en prison, en ce qu’elles n’ont pas un accès égal aux possibilités de mesures
alternatives. En effet, par exemple pour ce qui est de la précarité, tant au moment de délivrer le
mandat d’arrêt qu’au moment d’accorder une éventuelle libération conditionnelle, l’option carcérale
est préférée au vu du « manque de garanties sociales et d’atouts pour une insertion réussie »[21].
Un mécanisme similaire peut être observé pour les personnes étrangères, en ce qu’elles seront plus
susceptibles de recevoir une peine de prison ferme, ne sachant pas prouver « leur intégration dans la
société (ce qui passe généralement par l’existence d’un emploi stable, de biens de propriété, de liens
familiaux formels) », qui conditionne dans certains cas l’obtention d’une mesure alternative[22].
Pour finir, si la peine privative poursuit des objectifs dont il est réellement difficile d’apercevoir
clairement les contours, il convient d’être aentif qu’un juste équilibre doive être trouvé.
L’emprisonnement ne doit pas arracher aux bagnards leur droit de mener une vie conforme à la
dignité humaine. Malheureusement, les différentes réalités auxquelles sont confrontés les détenus en
Belgique révèlent souvent une grande et une perpétuelle fragilité de cet équilibre.
Farah El Karouni et Olivier Prégardien
[1] Marie-Sylvie Dupont-Bouchat, (blank)”Ducpétiaux ou le rêve cellulaire”, Déviance et société
(blank) Année 1988 12-1 (blank) pp. 1-27
[2] Pasic, 1924, I, 473
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[3] Michel Van de Kerchove, Les fonctions de la sanction pénale, Dans Informations sociales (blank)
2005/7 (n° 127) (blank), pages 22 à 31
[4] Ibidem
[5] Ibidem
[6] hps://justice.belgium.be/fr/statistiques/dg_etablissements_penitentiaires
(hps://justice.belgium.be/fr/statistiques/dg_etablissements_penitentiaires)
[7] La dernière notice de l’observatoire international des prisons remonte à 2016, sur lequel nous
basons nos observations. Celles-ci sont notamment largement corroborées par le dernier rapport du
Conseil central de surveillance pénitentiaire datant de 2022
[8] Observatoire international de prison, rapport de 2016
[9] Conseil centre de surveillance pénitentiaire, rapport de 2021, p27
[10] Conseil central de surveillance pénitentiaire, rapport de 2021, p. 24, disposnible sur
hps://ccsp.belgium.be/commissions-de-surveillance/ (hps://ccsp.belgium.be/commissions-de-
surveillance/)
[11] Observatoire international des prisons, « Population carcérale », OIP Belgique, disponible sur
hps://www.oipbelgique.be/thematiques/population-carcerale/
(hps://www.oipbelgique.be/thematiques/population-carcerale/) (Consulté le 13 mai 2023).
[12] FAFEP, « Enquête sur la provenance sociale et le niveau scolaire des détenu(e)s en Belgique(juin
2000-juin 2001) », octobre 2001, hp://www.adeppi.be/index.php?
option=com_content&task=view&id=56
(blank#xd_co_f=YjkwZGRhNTgtZGJiZC00NjFkLWFmMzgtNjNhZDQ3ODE1M2Vk~). Cité in C.
Vanneste, « Pauvreté, précarité et prison : des liens de proximité inéluctables ? », Spécificités, 2014, vol.
6, n° 1, pp. 202-220.
[13] M. Bertrand et S. Clinaz, L’offre de services faite aux personnes détenues dans les établissements
pénitentiaires de Wallonie et de Bruxelles: analyse 2013-2014, CAAP asbl, mars 2015, disponible sur
hps://www.feditowallonne.be/File/Rapport_aide_aux_detenus_en_prison_CAAP_mars_2015.pdf
(hps://www.feditowallonne.be/File/Rapport_aide_aux_detenus_en_prison_CAAP_mars_2015.pdf).,
p. 43.
[14] Direction générale des Etablissements Pénitentiaires, Rapport Annuel 2017, Service public fédéral
Justice, 2018, disponible sur
hps://justice.belgium.be/sites/default/files/rapport_annuel_dg_epi_2017_0.pdf
(hps://justice.belgium.be/sites/default/files/rapport_annuel_dg_epi_2017_0.pdf).
[15] Direction générale Statistique, Chiffres clés 2017: aperçu statistique de la Belgique, SPF Economie,
P.M.E., Classes moyennes et Energie, 2017, disponible sur
hps://statbel.fgov.be/sites/default/files/Over_Statbel_FR/FR_kerncijfers_2017_web.pdf
(hps://statbel.fgov.be/sites/default/files/Over_Statbel_FR/FR_kerncijfers_2017_web.pdf).
[16] Penal Reform International et Thailand Institute of Justice | Tendances Carcérales Mondiales
2020 hps://cdn.penalreform.org/wp-content/uploads/2020/04/Synth%C3%A8se-Tendances-
Carc%C3%A9rales-Mondiales-2020.pdf (blank),
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Les réalités du monde carcéral belge – Obiter Dictum
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